Wenceslas n’était pas un grand nostalgique du passé : il n’y avait guère dans sa vie d’antan qui vaille l’intérêt d’y repenser. Poudlard s’était clôt d’une manière peu enviable et son passé de langue de plomb avait été relativement discret et monotone si l’on faisait abstraction de l’épisode néo-mangemorts. Pourtant lorsqu’il s’était retrouvé nez à nez avec un visage familier, presque oublié depuis toutes années, un léger relent de mélancolie était monté en lui. À vrai dire, il ne pensait pas revoir un jour cette femme avec qui il eut une brève liaison : il n’escomptait pas revenir en Corée du Sud et leurs chemins n’auraient jamais dû se recroiser un jour. Elle ne l’aurait sans doute pas permis, d’ailleurs : elle avait déjà dû assumer un enfant conçu avec lui, une progéniture qui n’aurait jamais dû voir le jour tant elle était contrenature pour sa famille. Une sang-pur et un né-moldu, étranger qui plus est ? Absurde.

Malgré toutes ses certitudes, il l’avait revu. Coup du hasard ou du destin, il était tombé nez à nez avec elle ; les années avaient marqué son visage, quoique moins que le sien, mais elle demeurait facilement reconnaissable. Dans ce bureau du ministère, où Wenceslas n’était passé que pour saluer un ancien collègue alors qu’il se rendait au département des mystères, un nom différent de celui de ses souvenirs était placardé. Kim Yoo Na répondait désormais au nom de Seo. Ils s’étaient toisés du regard plusieurs secondes avant d’échanger quelques politesses, prenant des nouvelles de l’autre d’une façon presque anodine ; personne autour d’eux n’aurait pu comprendre ce qui se tramait dans leurs esprits respectifs, encore moins cet autre employé du ministère, qui avait trouvé amusant de souligner que Wenceslas connaissait déjà les enfants de la consultante coréenne. Et pour cause, il était leur professeur.

L’ancien langue-de-plomb avait toujours pensé que tout ça était derrière lui, qu’il n’en aurait plus jamais d’écho et qu’il s’en moquait. Il n’avait rien d’un père et n’avait jamais voulu d’enfant... et pourtant, depuis quelques jours, depuis le début du voyage scolaire à vrai dire, il avait du mal à ne pas y repenser. Il n’était pas idiot et si faire le lien entre le jeune Jin Kyung et Yoo Na aurait été absurde autrefois, il ne pouvait désormais plus ignorer qu’il était le fils de celle avec qui il avait eu une liaison... et que l’âge du garçon concordait un peu trop pour qu’il puisse continuer à ignorer leur lien. Le serpentard n’en savait sûrement rien, ignorant tout de sa filiation et de ce qui pouvait traverser l’esprit de l’enseignant quand il l’apercevait.

La soirée était déjà bien avancée et la plupart des élèves étaient repartis dans leurs huttes ; pour Wenceslas, c’était le moment le plus agréable. La fraîcheur du soir s’était installée en même temps que la tranquillité, laissant le professeur libre de vaquer à ses occupations sans subir les désagréments qu’apportait la présence d’adolescents. Il y en avait bien quelques-uns qui étaient encore dehors, mais ils demeuraient facilement ignorables. Prudent malgré tout – et parce qu’il était payé pour ça, accessoirement – il s’était éloigné des huttes, rappelant à quelques élèves sur le passage que la marée ne tarderait plus à prendre la primauté sur les bancs de sable sur lesquels ils circulaient habituellement. « Il se fait tard, monsieur Seo, vous devriez retourner au village. » fit-il en arrivant au niveau du dernier adolescent qu’il voulait croiser en ce moment, tâchant malgré tout de lui parler comme il l’aurait fait avant. À présent qu’il savait qui était sa mère, il se sentait idiot de ne pas l’avoir reconnue en lui. Il avait les yeux de Yoo Na, à l’exception peut-être de la taille... oui, ils étaient légèrement plus grands, comme ceux d’un enfant métissé. Déjà 15 ans, par Merlin, ça ne le rajeunissait pas ! Intérieurement, il maudissait d’être son professeur, d’être revenir enseigner à Poudlard alors que son fils biologique quittait son pays natal pour l’Angleterre. Il aurait mieux valu pour tout le monde qu’il ne sache jamais, que chacun continue de vivre comme autrefois.

Sur la plage où l’obscurité commençait à gagner du terrain, seul un élève demeurait isolé, assis dans le sable, les yeux sans doute fixé sur le soleil couchant qui se reflétait dans l’eau de l’océan. Il fallait reconnaître au décors une certaine beauté paisible ; adolescent, Wenceslas se serait certainement beaucoup plus à tuer le temps ici, dans le calme tranquille d’une île perdue au milieu de nulle part. Mais en son temps, Poudlard n’organisait pas de voyages scolaires. S’il devait avancer une raison, il lierait sûrement cette absence de sortie scolaire au contexte politique ; tous les parents sorciers de son époque avaient connu la guerre et rechignaient le plus souvent à laisser leurs enfants à la garde d’autrui ailleurs que dans l’école elle-même. Celle-ci jouissait encore de lieu sûr, là où l’on s’attendait à ce qu’ailleurs, la sécurité ne soit pas au rendez-vous. Bien des années après, les mentalités avaient changé, ainsi que les responsabilités parentales : rares étaient ceux qui pouvaient se permettre de prendre suffisamment de vacances pour s’occuper pleinement de leurs progénitures et les enfants vivant entourés de moldus étaient plus courants qu’autrefois. Un voyage scolaire, c’était l’assurance de laisser les adolescents faire de la magie l’été et ainsi de s’entraîner là ou à présent, seuls ceux vivants dans des lieux fortement imprégnés de magie pouvaient user leur baguette sans déclencher tous les signaux d’alarme du ministère. Les enfants d’aujourd’hui ne mesuraient pas assez leur chance... le jeune serpentard n’avait d’ailleurs pas l’air d’être d’une humeur resplendissante, mais il n’avait jamais trop montré un visage jovial à l’enseignant. « C’est très généreux de votre part de vous inquiéter du surmenage de vos professeurs, mais mes vacances ne commenceront que le 16 août, monsieur Seo. » Que croyait-il ? Qu’il venait au voyage scolaire pour se dorer la pilule ou se reposer ? S’il voulait du repos, il aurait passé ses vacances seul ou chez son frère. Il n’était pas payé pour siroter un verre sur la plage.

Le Coréen se releva finalement, commençant à épousseter son vêtement, non sans murmurer dans sa barbe, l’air d’être pris d’un malaise quelconque. « Vous vous sentez bien ? » demanda-t-il à tout hasard, soucieux de ne pas laisser un élève – son fils biologique qui plus est – repartir dans un mauvais état. Il n’était peut-être pas le père du siècle – c’était le moins que l’on puisse dire – mais il demeurait un adulte un minimum responsable. Mais Jin Kyung ne semblait guère se préoccuper de la chose, continuant sur sa lancée en le dépassant. Il prit un peu de surprise le né-moldu quand celui-ci entendit sa voix asséner une question loin d’être anodine. Il s’était attendu à ce qu’il rentre dans sa hutte sans demander son reste, pas qu’il n’aborde un sujet aussi tendu... auquel il n’imaginait pas une seule seconde qu’il soit au courant. Peut-être n’était-il au courant de rien mais les élèves ne lui demandaient habituellement pas ce genre de choses. « Pourquoi cette question ? » Le professeur croisa les mains dans le dos, l’air aussi impassible que d’ordinaire. Derrière son visage lisse se terraient bien des tourments. Son bref passé commun avec la mère du serpentard n’était qu’un vieux souvenir qui devait demeurer tel quel. Malgré tout, après une courte hésitation, le langue-de-plomb daigna s’extirper de sa parodie de Jésuite et donner une véritable réponse à la question de l’adolescent. « Il s’avère que oui, je la connais. Ou je l’ai brièvement connu, plutôt. Mais je présume que vous deviez vous en douter, sinon nous ne serions pas en train de discuter. » Pas un seul instant il n’avait envisagé de lui mentir, de préserver ce secret si bien gardé. Il n’était pas de son ressors de préserver les apparences dans la famille Seo, d’autant qu’il ne dévoilait pour l’heure rien qui ne soit véritablement dangereux. « Cela remonte à mon passage à Séoul, à une époque où vous n’étiez pas encore de ce monde. » Et il était bien placé pour le savoir.

Wenceslas vit un très léger sourire se dessiner sur les lèvres du serpentard, une discrète émotion qui semblait craqueler ce visage déjà bien placide pour un adolescent. Il ne fallait pas être fin psychologue pour voir qu’il ne savourait pas autant ses vacances que la plupart de ses camarades. À croire qu’il avait été tiré ici de force, une corvée qu’il subissait malgré lui, ce qui était très probablement le cas. Ou il fuyait un cadre familial peu envieux. Peut-être un peu des deux. Le Coréen rejeta les inquiétudes de l’ancien langue de plomb en marmonnant de manière peu convaincante puis il se retourna vers lui, abandonnant les derniers faux semblants qui régnaient entre eux pour questionner l’adulte. Il ne semblait désormais plus avoir envie de prendre la fuite. Au lieu de ça, il prit une position d’attente qui évoquait à Wenceslas celle d’un enfant capricieux, habitué à ne jamais rien se voir refuser.

Était-ce parce qu’il savait que Jin Kyung était son fils biologique qu’une curiosité à son sujet se faisait grandissante ou simplement un intérêt purement professoral pour un jeune homme qui, malgré ses airs fermés, semblait en tout temps bouillonner intérieurement ? Avec un autre, sûrement aurait-il fini par lui dire que ces questions étaient inconvenantes, que s’il s’y intéressait réellement, il n’avait qu’à se tourner vers sa mère... en d’autres mots, mais l’idée était là. C’était sans doute ce qu’il aurait été plus sage de répondre mais Wenceslas ne l’entendait pas tout à fait ainsi, lui-même étant fort curieux au sujet du garçon. Quelque part, il se sentait également mu par un devoir de réponses : il ne s’agissait plus seulement d’une vieille histoire entre la Coréenne et le langue de plomb, et qu’importe que celle-ci – ou son époux – ne partage pas son avis. « Au ministère de la magie de Séoul. » répondit-il sobrement, ne trahissant pour l’heure rien de plus qu’une anecdote sans gravité ni grand intérêt ; nombreuses avaient été les réceptions et autres rencontres entre sorciers de tous les horizons venus pour le congrès. C’était un cadre propice aux mélanges sociaux : il y était invité comme employé du département des mystères, venant partager un savoir avec ses pairs du monde entier, découvrant ainsi des formes de magie que les occidentaux maîtrisaient moins. Le sang et la pureté n’avait que peu d’intérêts dans ces moments ; la magie primait en tout point, si bien que la politique restait quelque peu en retrait. Ainsi deux personnes diamétralement différentes s’étaient retrouvées à respirer le même air, savourant la rencontre de l’autre sans que les différences sociales ne soient une barrière. Sans aucun doute, elles avaient pourtant joué un rôle étrangement facilitateurs... une aventure qui n’aurait jamais dû avoir la moindre conséquence. « Les langues de plombs – ou équivalents locaux – du monde entier ont parfois tendance à se réunir pour faire état des connaissances magiques. » Au moins l’adolescent allait-il sortir de cette discussion en apprenant quelque chose.

Bien loin d’être tenté de mettre fin à la conversation, le né-moldu plongea son regard dans celui de son fils biologique. « J’ai cru comprendre que votre mère travaillait désormais pour le ministère de la magie britannique. Comment va-t-elle ? » Est-ce qu’il était curieux, lui aussi, de savoir ce qu’elle était devenu avec le temps ? Bien sûr. Il savait depuis fort longtemps qu’elle s’était mariée et désormais qu’elle avait trois enfants mais il aurait été inconvenant de la questionner alors qu’ils se croisaient dans un couloir du ministère, en public qui plus était.

Wenceslas était bien incapable de savoir si le jeune homme savait la vérité qui se cachait derrière les paroles sibyllines de son professeur mais il savait au moins que celui-ci ne pouvait poster ces questions par pure curiosité. Venant d’autres élèves, cela était déjà assez peu naturel, mais venant de lui, il n’y avait rien d’anodin là-dessous. C’était là l’une de ses rares certitudes.

Et sa faiblesse.

Le serpentard s’aventurait vers des pâturages qui n’avaient rien de verts ou d’agréables ; il aurait certainement été de son devoir de l’en dissuader, de le renvoyer dans sa hutte sans plus de cérémonie, mais il n’en avait ni l’envie ni la force. Et puis à quoi bon chercher à le décourager dans ses questionnements alors que tous savaient pertinemment qu’il avait atteint l’âge où l’on n’écoutait guère le conseil des adultes, encore moins lorsque cela touchait à des sujets comme celui-ci. Jin Kyung était un adolescent, il se construisait encore et se découvrait petit à petit, nul doute que le rabrouer ne ferait qu’attiser sa soif de réponses. À lui en donner, il jouait sûrement un jeu dangereux mais il était, à terme, inévitable. Ne pas le faire serait d’ailleurs infiniment plus parlant ce qu’il lui racontait progressivement, comptant une rencontre en fin de compte assez innocente pour qui ne connaissait le lien qui les unissait.

Le langue de plomb était tout de même bien décidé à ne pas dépasser certaines limites : il était des choses qu’il ne lui appartenait pas de révéler. Plutôt que de laisser le Coréen s’aventurer sur ce terrain glissant, il se risqua lui aussi à le questionner un peu, non pas sur lui mais sur sa génitrice. Il demeurait succinct et détaché, prenant garde à ne pas se montrer trop inconvenant ou inquisiteur, mais le jeune homme ne semblait déjà plus vraiment y prêter attention. Une réponse banale et assez peu satisfaisante franchit le bord de ses lèvres, les sourcils froncés et le visage sans doute un peu plus pâle que quelques minutes auparavant. « Il y a un peu plus de seize ans. » répondit-il d’un ton neutre, conscient de ce que cette réponse signifiait. En hiver, janvier touchait à sa fin... quelques jours plus tard, il consommait l’unique relation qui ait réellement eu un impact sur sa vie, aussi minime fut-il. Peut-être aurait-il dû l’ignorer mais au fond de lui, Wenceslas jugeait qu’il avait le droit de savoir. Et s’il le demandait, c’était bien qu’il le savait déjà d’une certaine manière...

À mesure que les secondes passaient, son état ne s’améliorait pas et cette fois-ci, Jin Kyung ne pouvait le nier. « Qu’avez-vous, monsieur Seo ? » Il décroisa ses bras, pour s’approcher un peu du jeune-homme. « Et cette fois-ci, ne me dites pas que vous allez bien. » Le ton employé était ferme, intransigeant : il ne lui laisserait pas d’autres échappatoires que celle d’une réponse claire et précise et s’il s’évertuait à éluder, il l’envoyait directement auprès de l’infirmière de Poudlard qui, à cette heure-ci, devait encore être dans la hutte réservée aux petits bobos et maladies en tout genre.

Wenceslas n’avait pas voulu ça. Pas plus qu’il n’avait voulu d’une progéniture d’ailleurs ; il s’était toujours refusé à avoir un enfant, conscient que la seule vie qu’il pouvait lui donner était au mieux morose, au pire dangereuse. La sienne avait été les deux à la fois, une succession de mauvais souvenirs durant sa scolarité, libéré qu’une fois la tranquillité du dernier sous-sol du ministère atteinte. Cette décision de ne jamais devenir père était tout à la fois un acte de charité et de l’égoïsme pur : il n’était pas fait pour ça et ne voulait pas des ennuis que cela impliquait, de cette peur viscérale qui prenait inexorablement les parents à l’idée qu’un malheur touche leurs enfants.  

Et pourtant, il en avait bel et bien un. Une progéniture dont il avait supporté de savoir l’existence que parce qu’elle était lointaine, non à sa charge. Il n’en était pas responsable et n’avait guère besoin de s’en inquiéter. Jusqu’à ce jour. Jusqu’à ce qu’il apprenne qui était réellement la mère de son élève et qu’il ne puisse plus se draper dans cette si confortable ignorance. Les réponses succinctes qu’il lui accorda furent suffisantes pour lever le doute entre eux ; sans doute le serpentard avait-il espéré que les paroles du professeur ne viennent dissiper ses soupçons, mettre fin à cette éventualité qu’il n’appréciait pas. Peut-être aurait-il dû le rassurer, lui mentir ? Mais à quoi bon continuer à maintenir ce secret absurde ?

L’état du garçon empirait à vue d’œil, comme si chacune de ses phrases et pensées venaient enfoncer le clou, martelant son crâne plus fort encore. Wenceslas s’approcha en quelques pas du jeune homme mais celui-ci le rabroua d’un ton violent, repartant de plus belles dans des lamentations où la douleur semblait se mêler au choc de ses mots. Il le laissa quelques instants respirer bruyamment, crachant des paroles suppliantes sans dire un mot et lorsque Jin Kyung le somma de répondre un mensonge, le professeur de sortilèges ne fit rien d’autre que d’avancer à nouveau. « Je regrette monsieur Seo, mais avec votre état actuel, je vais devoir vous confier à mademoiselle Stewart, que vous le vouliez ou non. » L’infirmière n’avait pas encore dû fermer la hutte qui était réservée aux premiers secours et quand bien même elle l’avait déjà fait, il ne lui faudrait que quelques secondes pour la sommer de venir s’occuper de l’élève. Sans laisser ce dernier protester à nouveau, il lui prit le bras, délicatement pour ne pas le brusquer mais suffisamment fermement pour qu’il comprenne qu’il n’avait le choix. « Nous aurons tout le temps de discuter ultérieurement, si vous le désirez... » souffla-t-il après quelques secondes. Il n’était pas bien certain d’en avoir lui-même envie, mais qui pouvait-il ? Il était l’adulte, celui-là même qui, bien qu’il ne soit pas la responsable l’égal de ce garçon, avait une forme de responsabilité à son égard... professorale bien sûr, mais plus personnel.

Qu’importe les protestations du serpentard, l’ancien langue-de-plomb l’escorta auprès de l’infirmière ; il n’était pas de ces professeurs qui laissaient des adolescents lui dicter sa conduite, comme certains de ses cadets qui manquaient d’autorité.