S’il avait jusque-là trouvé matière à se plaindre des tâches qu’on lui confiait au château, force était de reconnaître que ce n’était pas grand-chose, comparé à celle de passer sa journée avec les centaures. Punition méritée, il était obligé de le reconnaître, quelle idée de s’aventurer hors de la cabane interdite avec Murphy, sous sa forme de loup, et dans la forêt interdite en plus ! L’endroit le plus dangereux de l’école ! Dont il était précisément censé veiller à ce qu’aucun élève n’y pénètre sans autorisation… Rien que d’y repenser, la honte l’accablait. Et aussi une démangeaison à l’arrière de son dos, là où la flèche l’avait transpercé. Pas trop profondément, heureusement, et la magie avait refermée la plaie, mais il était bon pour une cicatrice d’après l’infirmière.

En guise de punition, Murphy avait été déchue de son rang de préfète, et Thomas obligé de se racheter auprès des centaures en les accompagnant jusqu’à la fin de l’année. Ce n’était pas un boulot facile, surtout parce que les grandes créatures avaient tendance à oublier qu’il allait sur deux jambes et non sur quatre ce qui, pour se maintenir à leur rythme, l’obligeait à trottiner tout le temps. Du reste, il apprenait. Les centaures avaient élu domicile dans les marges lointaines de la forêt, là où se perdent les frontières de Poudlard. Contre le gîte et la protection des sorciers, ils tenaient ce territoire d’une main de fer et repoussaient les intrusions d’accromantules et d’autres créatures plus sombres encore, dont Thomas n’avait aperçu que les traces.

Son boulot à lui consistait à s’occuper des petites plantes de la zone. Tous puissants et rapides qu’étaient les centaures, il leur était difficile d’attraper des choses au sol sans se pencher en pliant leurs longues pattes et il était plus simple pour Thomas, dont la tête ne leur arrivait qu’au flanc, de s’occuper de ce genre de tâche. Il y avait dans les bois profonds des boutures fragiles qui avaient besoin de soins réguliers, et de vieux arbres tous rongés par le lierre sur lequel il fallait se mettre à trois ou quatre et tirer pour en arracher les lianes. Le plus simple était cependant d’attaquer à la base et muni d’une petite fourche manuelle, le jeune homme délogeait sans scrupules leurs racines.

La journée terminée, un centaure le raccompagnait à l’orée des bois. Si les premières semaines le troupeau s’était montré distant et sévère – non sans raison – ils s’étaient désormais radouci et l’ignoraient d’avantage, passant le plus clair de la journée à deviser sur les astres et les menaces contre leur territoire. Thomas était rarement invité à prendre la parole et attendait le plus souvent qu’on lui dise quoi faire tout en laissant traîner ses yeux et ses oreilles.

Ce soir-là, il rentra comme souvent fourbu de sa journée. Un grand étalon du nom d’Hyléros l’avait reconduit jusqu’à la lisière du parc avant de l’y abandonner, sans un mot. Réhaussant son sac sur son épaule, Thomas en avait presque oublié qu’il avait donné rendez vous à ce monsieur Septimus Veturia quand la silhouette dégingandée du concierge se détacha près de la cabane du garde-chasse. Thomas lui rendit son salut et accéléra un peu le pas vers la maisonnette où il devait ranger les outils.

- Bonjour monsieur, le salua-t-il, incertain sur les termes appropriés. L’homme avait semblé assez affable par courrier et des rares fois où il l’avait croisé, Thomas l’avait jugé plutôt jovial, mais allez savoir. Il n’était pas vraiment en position de faire le malin avec l’administration depuis sa sortie nocturne.

Comme il en avait l’habitude, il laissa son sac d’outils tomber sur le sol et fouilla ses poches à la recherche de la clef de la cabane qui, une fois trouvé, ouvrit l’intérieur des lieux. Noelia ne les occupait pas, aussi servaient-ils de dépôt à matériel de jardinage.

- Faites attention il y a des toiles d’araignées expliqua-t-il laconiquement en pénétrant à l’intérieur, tête baissée pour éviter d’en attraper dans les cheveux.

Mécaniquement, il commença à accrocher les outils aux crochets sur les murs.

- C’est vrai que vous n’avez pas de pouvoir ? Ou vous ne voulez juste pas les utiliser ?

Il n’avait pas très bien compris ce point dans sa dernière lettre. Que l’on puisse se passer d’un tel don le dépassait un peu.

@Septimus Veturia

Septimus, d’accord. Le nom trahissait quelque lointaine ascendance prestigieuse, les sorciers avaient l’étrange habitude de s’affubler de patronymes latins, du moins ceux qui étaient du genre vieux jeu. C’était sans doute un peu une manière de se donner un genre, mais Thomas trouvait cela amusant, dans une certaine mesure, et l’apprenant de la bouche de Dmitri s’était empressé de le requalifier Dmitrus toute l'après-midi.

Tout en commençant à accrocher au mur ses outils, il engagea la conversation non sans une certaine curiosité. Jusqu’alors il avait été la seule personne de l’école à ne pas savoir faire de magie, alors apprendre que le nouveau concierge partageait en quelque sorte sa situation, c’était une idée assez intrigante. Forcément, il en venait à se demander la raison de son incapacité à lancer des formules magiques, si, comme certains prêtres, c’était une abstinence volontaire, ou peut-être une maladie, ou quelque chose d’autre encore ?
La question parut en tout cas perturber un peu Septimus qui manqua de laisser tomber le râteau qu’il avait dans la main et Thomas le récupéra pour aller le fixer avec le reste sur le pan du mur de la cabane.

- En sixième année ? ça remontait alors ! Thomas ignorait qu’on puisse perdre ainsi ses pouvoirs, il hocha toutefois la tête à la demande du concierge. « Oui bien sûr, motus. » pas si simple de garder un secret mais, entre cracmol, fallait se serrer les coudes non ?

Tout d’un coup l’homme était devenu très intéressant aux yeux du lycanthrope. Qu’on naisse sans pouvoirs, oui, c’était connu, mais qu’on les perdre, cela semblait beaucoup plus improbable. Et manifestement en plus de vingt ans d’existence, le concierge n’avait pas réussi à les retrouver, ce qui impliquait soit que c’était impossible, soit un manque de bonne volonté de sa part.

Tout en terminant de fixer au mur la dernière truelle, Thomas se retourna vers ce-dernier pour écouter la fin de son histoire.
Histoire pas très drôle, soit dit en passant, et la curiosité honnête qui lui avait fait pétiller les yeux laissa doucement place à une face plus grave, bien conscient que ça n’avait pas dû être facile tous les jours.

- Oh, fut tout ce qu’il trouva à dire dans un premier temps.

Il ignorait qu’on puisse perdre ses pouvoirs, tout comme le fait qu’il soit possible de faire une « crise » et aussi que les médicomages se révèlent incapables de soigner quelque chose. La magie lui semblait si puissante, quand il voyait ses camarades la pratiquer, que la trouver démunie avait quelque chose de perturbant.

Thomas fit la moue.

- C’est quand même dommage de perdre ses pouvoirs…

Lui était déjà assez déçu de ne pas en avoir, mais s’il en avait eu, puis perdu… D’autant que cela sonnait comme une injustice pour le pauvre Septimus. Non seulement il semblait qu’il n’ait pas eu la vie facile, mais en plus il perdait sa capacité à faire de la magie, c’était la double peine.

- Et du coup vous.. tu fais tout sans maintenant ? Tu es resté dans le monde des sorciers quand même ?

Comme cracmol, et son père avant lui, ils vivaient dans le monde moldu, jusqu’à l’accident, et encore aujourd’hui ce n’était pas toujours simple de circuler sur le chemin de Traverse quand on n’avait pas de pouvoirs. Ne serait-ce que pour ouvrir le mur de brique, il fallait obligatoirement demander au barman de le faire à sa place, mais seul, impossible, et pareil pour la poudre de cheminette et autres moyens de transports, ça ne fonctionnait tout simplement pas, obligé de trouver quelqu’un pour le faire transplaner manuellement, la barbe.

Les outils accrochés, Thomas se dirigea vers la porte de la cabane. Inutile de rester enfermés dans cet endroit poussiéreux, d’autant qu’il faisait bon dehors. Une fois sorti, il s’étira, bras et jambes endolories par une journée d’exercice physique.

- Moi j’ai jamais eu de pouvoir, expliqua-t-il tranquillement. « Mon père non plus malgré qu’il est né dans une famille de sorciers. Normalement les cracmols ne voient pas la magie mais quand je me suis fais mordre, ça a débloqué quelque chose. »

Il eut un sourire amusé. « Les médicomages disent que c’est le fait d’être devenu loup-garou qui m’a ramené du côté de la magie. Par contre je peux toujours pas en faire, mais je vois tout. »

C’était assurément mieux que rien.

A cette période de l’année, le soleil était encore loin d’être couché, simplement déclinant. Au loin, un peu partout dans le parc, les petites silhouettes des étudiants allaient et venaient à la promenade. Réalisant qu’il n’avait pas exactement répondu à la question de Septimus, Thomas détacha d’eux son regard pour le reporter vers le concierge.

- Oh, c’était à Glasgow. Il paraît que les loups-garous n’attaquent pas les moldus mais il a dû flairer du sang de sorcier. Enfin bon, je me souviens pas super bien en fait, je suis juste rentré chez moi et un mois plus tard je me suis transformé.

Mauvais souvenir, de ça, son père y avait été blessé. Mais raconter son histoire ne l’intéressait pas tant que ça : il la connaissait déjà.

- Tout le monde peut faire des crises magiques comme ça ? Ou c’est comme l’épilepsie ?

Soit qu’il ne désire pas dissimuler ses sentiments, soit qu’il ait le visage d’un naturel expressif, il semblait assez clair qu’on pouvait aisément lire les émotions de Septimus à la façon dont son corps et ses traits répondaient à la discussion. Pour Thomas qui avait pris l’habitude – en tant qu’étranger à la culture sorcière – de se méfier de ses impressions moldus par crainte d’être à côté de la plaque, cela avait quelque chose d’un peu reposant, même si en l’occurrence le concierge laissait surtout entrevoir du désarroi et, cela crevait les yeux, une sorte de peine.
Etrange de lire ainsi de la détresse franche chez un adulte, surtout venant d’un membre du personnel enseignant qui avait tendance à dissimuler leurs sentiments aux étudiants afin de garder une distance avec eux. Le jeune homme, lui, en fut d’avantage curieux, quoiqu’un peu incertain de la façon appropriée de réagir. Aurait-ce été un camarade de classe que sans hésiter il l’aurait affublé d’une parole réconfortante ou d’une tape sur l’épaule, mais en l’occurrence il se contenta d’écouter avec gravité le récit du malheureux concierge.

Se retrouver chassé de chez soi par sa propre famille devait être dur à vivre, surtout pour un adolescent. De son côté, Thomas s’imagina si son père l’avait mis à la porte et l’idée lui parut tout simplement incohérente. Pour guère présent à la maison qu’était Jim Chastel, il s’était toujours montré aimant pour son fils. Et puis quand bien même, il y avait aussi la maison de ses grands-parents, et de ses cousins, enfin, dans aucun scénario possible Thomas ne se serait retrouvé à la rue et le récit de Septimus en devenait d’autant plus dramatique que le jeune homme peinait à se le représenter concrètement.

Ne sachant trop quoi répondre, il commença par adresser une espèce de grimace au concierge, espérant qu’elle lui donnait l’air désolé. Septimus avait eu beau ponctuer ses explications d’un petit rire, ça ne trompait pas grand monde.

- Bon heu… faudra rattraper du coup…

Ce n’était pas une parole très réconfortante, il s’en mordit la langue et renchérit dans la foulée. « Enfin ! C’est pas si dur en vrai et puis à Poudlard il n’y a pas d’écrans qui marchent alors on a tout le temps pour lire les journaux. »

Il adressa une espèce de sourire à Septimus. S’il avait dans un premier temps rempli sa chambre de bandes dessinées – pour faire le deuil de son téléphone portable – Thomas s’était depuis peu pris de passion pour les images vivantes qu’on trouvait surtout dans les gazettes et magazines que recevait le collège. L’assassinat de Michaela l’année dernière l’avait sensibilisé aux faits divers et de fil en aiguille, il était tombé dans la marmite et s’il ne parcourait que les articles qui l’intéressait (le sport, les animaux et les histoires tragiques), il n’en restait pas moins un fervent adepte de ce genre de lectures.

Ils étaient dehors à présent et d’un coup, son récit de loup-garou semblait un peu pacotille, mais il le récita malgré tout, retrouvant une forme d’enthousiasme alors que ses idées dérivaient vers l’anecdote et que le concierge l'interrogeait sur quand donc tout cela était arrivé.

- Un soir de pleine lune, répondit-il benoîtement, avant de réaliser l’évidence de la chose. « Heu, en novembre. 2027. Du coup j’ai pu entrer à Poudlard en décembre, j’ai pas manqué grand-chose. »

Alors qu’il expliquait son absence de souvenirs de l'évènement – ce qui ne le tracassait d’ailleurs pas plus que ça – Septimus évoqua tout de go sa première transformation, demandant s’il avait eut peur. Un peu mal à l’aise, Thomas dandina d’une jambe sur l’autre en secouant la tête.

- C’est surtout douloureux.

En fait il n’avait pas vraiment eu le temps de réaliser ce qui se passait, la potion tue-loup avait l’effet paradoxal de le garder conscient ce qui faisait de ses métamorphoses de véritables calvaires – bien que courts, fort heureusement.

- Sans potion on perd connaissance presque tout de suite en voyant la lune, expliqua-t-il. « Pour ça que c’est dangereux, un moment t’es là et l’autre, paf, il y a la bestiole et on ne peut pas vraiment lutter contre. »

Il haussa les épaules, comme pour signifier que cela le touchait finalement peu et conclu d’un petit sourire. « C’est le réveil qui est déstabilisant. »

Et pour cause, entouré de médicomages, à Sainte-Mangouste, et de ses grands-parents inquiets comme jamais. Lui ne ressentait qu’une profonde fatigue et des douleurs musculaires, il avait dans un premier temps cru qu’une voiture l’avait renversé.

Mais si sa lycanthropie avait une origine claire et connue, les crises de Septimus lui semblaient d’avantage intrigantes. Thomas n’avait jamais entendu parler de tels phénomènes et aucun de ses amis n’en avait été victime. En fait, Septimus était le premier sorcier dont il entende parler à avoir perdu ses pouvoirs dans de telles circonstances…

Maladie, troubles mentaux, le jeune homme haussa un sourcil circonspect. Il percevait bien que le concierge semblait mal à l’aise mais sans parvenir à comprendre pourquoi.

- Ok, répondit-il pour meubler, tout en tâchant de faire des liens dans sa tête. « Bon c’est plutôt rare alors, tant mieux. » conclue-t-il sans mal y penser.

Il laissa son regard dériver vers l’extérieur. La discussion était un peu étrange, lui semblait-il, beaucoup de choses les séparaient à commencer par leur âge et leurs responsabilités, même si techniquement ils étaient collègues, Thomas restait apprenti et ses bêtises récentes n’avaient guère contribué à le présenter plus responsable auprès de la direction de l’établissement…

Il reprit son espèce de dandinement bêta et sourit pour meubler le silence avant de passer négligemment un bras derrière sa nuque.

- Et heu… Tu avais envie de revenir travailler à Poudlard du coup ? En tout cas t’inquiète pour les pouvoirs je dirai rien mais de toute façon moi on m’a jamais embêté avec ça.

Histoire de rigoler, il fit claquer sa mâchoire.

- Il y en a deux trois qui ont peur de se faire mordre, même si ça craint rien quand je suis pas transformé.

Faire quelque chose ? Thomas en doutait, surtout si Septimus n’avait pas de pouvoirs, et encore, même les magiciens de Sainte Mangouste lui avaient recommandé d’essayer de s’habituer aux effets de la transformation, faute de pouvoir les atténuer. Quoi qu’il en soit d’ailleurs, c’était une affaire qui s’affrontait seul. La malédiction de lycanthropie n’avait pas eu que des effets négatifs, loin de là, elle lui avait permis de rejoindre Poudlard malgré sa condition de cracmol et le monde des sorciers, aussi ne se sentait-il pas de cracher dans la soupe. S’il fallait passer une nuit par mois à tourner en rond dans la cabane interdite, c’était un maigre prix à payer pour appartenir à cet univers dont il avait toujours rêvé.

Aussi secoua-t-il la tête d’un air confiant. « Je crois pas, non. Puis ce serait pas très prudent, vaut mieux rester bien lucide pendant la nuit pour éviter un accident. »

Sous sa forme de loup, et bien que son corps musculeux le tienne aisément éveillé, il valait mieux éviter de s’assoupir. Les rares fois où Thomas avait été tenté, il avait senti sa conscience s’affaiblir et distinctement perçu des instincts animaux remonter à la surface, prêts à prendre le dessus sur la potion tue-loup.

Ne sachant trop comment réagir au récit – plutôt dramatique de Septimus – Thomas fut soulagé que ce dernier partage ses conclusions. Que les crises soient choses rares, c’était assez rassurant en fin de compte, surtout si ces-dernières étaient susceptibles de blesser quelqu’un. Mais dans tout cela, c’était bien la perte des pouvoirs – et ses conséquences – qui devait être le plus mortifiant. Thomas avait été si heureux d’intégrer le monde des sorciers qu’il ne craignait rien de plus que de s’en trouver exclu de nouveau et c’était précisément ce qui était arrivé à Septimus. L’idée de devoir quitter Poudlard et d’être exilé dans le monde moldu avait un potentiel traumatique indéniable et représentait, aux yeux du jeune homme, pas mal des pires scénarios possibles.

Histoire de dédramatiser un peu la discussion, il fit claquer ses dents, dans un réflexe blagueur qu’il avait adopté quand on s’inquiétait de savoir s’il se faisait embêter. A dire vrai, personne pour le moment ne s’était essayé à venir lui jouer des tours. Il lui arrivait de surprendre à l’occasion des regards en coin ou quelques murmures étonnés, mais il avait fini par s’en accommoder à mesure que la tenue du garde-chasse lui allait de mieux en mieux. Il n’était sans doute pas sorcier – ce qui n’était pas sans le peiner encore – mais il était autre chose, avec d’autres sortes de responsabilités et la fréquentation des bêtes fantastiques avait à elle seule l’effet d’un baume sur sa frustration. Combien de ses camarades pouvaient se vanter d’être grimpé sur un hippogriffe ? Ou d’avoir nourri des botrucs dans le creux de sa main ? Bien peu à dire vrai.

- Quand j’aurai récupéré mon arbalète, avec plaisir ! répondit-il, se laissant emporter par la plaisanterie, sauf que son arbalète, il n’était pas prêt de la revoir. Fergal avait conditionné son usage à un stricte entraînement et une bonne conduite, or si entraînement il y avait, la bonne conduite avait pris un sacré coup depuis sa dernière escapade.

L’idée qu’on puisse garder un mauvais souvenir de l’école secoua Thomas l’espace d’un instant puis, la mémoire de Michaela, celle de Murphy et de son frère, ou des événements de sa première année avec les Sorensen, lui revinrent à l’esprit. Forcé de s’avouer que l’école n’était pas forcément le paradis imaginé, il grimaça sans toutefois assumer de reconnaître ses aspects les plus sombres. Pour lui, tout ça restait malgré tout infiniment mieux que le monde moldu, qui n’était d’ailleurs lui-même pas épargné par ses propres drames.

- Oui, bon… répondit-il en haussant les épaules, pas trop haut toutefois, il fit la moue. « Ça a dû changer depuis le temps quand même. Fergal Armitage est vraiment sympa aussi… »

Difficile aurait été d’affirmer le contraire, même s’il craignait que le directeur l’ait dans le pif depuis sa dernière bévue.
Puis, une idée lui vint à l’esprit et son visage s’éclaira :

- Eh mais… ! Si ça se trouve tu peux récupérer tes pouvoirs ! Ça paraissait logique, il déroula sa pensée : « Si tu les as perdu ici peut-être que c’est juste un blocage ou un truc comme ça ? »

Thomas répétait là les mots qu’il avait récemment lu dans un article de psychologie d’un magazine féminin – ne demandez pas comment ledit magazine s’était retrouvé en sa possession – où, mis à part d’intrigantes pages textiles en format A4, il était tombé sur des conseils minceurs appelant à « assumer la puissante sorcière qui sommeille en vous » et à « dépasser les blocages entraînés par les injonctions à la féminité ». S’il n’en avait pas retenu grand-chose, la force évocatoire du « blocage » l’avait touché, se laissant à rêvasser que peut-être, pour lui aussi, tout n’était qu’un question de ça, qu’en tant que petit-fils de magiciens ses pouvoirs étaient simplement bloqués et qu’il pouvait lui aussi « assumer le puissant sorcier qui sommeillait en lui ».

Jusque-là ça n’avait cependant pas donné grand-chose.

Son regard se plissa, son cerveau s’agitait.

- Il y a une salle dans le château, la salle sur demande ça s’appelle, si t’es un sorcier elle donne tout ce que tu veux. Moi ça ne marche pas avec moi mais avec toi peut-être, ce qui veut donc dire que tu es toujours un sorcier mais que tes pouvoirs sont, bin… bloqués quoi.

Son regard se porta avec une curiosité enthousiaste sur Septimus. N’était-ce pas une idée brillante qu’il venait d’avoir ?

S’il avait toute son enfance vécu dans le monde moldu, Thomas avait également grandit avec les récits d’été de ses cousins lui dépeignant Poudlard, le chemin de Traverse, le ministère de la Magie et bien d’autres choses encore dont il se gravait dans la tête une image mentale presque aussi réelle que s’il avait alors pu les voir en vrais. A la grisaille de Glasgow venait s’opposer cet univers qui lui demeurait inaccessible et dont il devait tout imaginer, infiniment plus intéressant et coloré que son quotidien de collégien moyen. Quel plaisir cela avait été de finalement pouvoir découvrir tout cela en vrai ! Quel choc aussi !
Restait que Thomas, malgré son éloignement du monde magique, le connaissait presque comme sa poche, faisant de chaque information distillée par ses cousins un précieux trésor remâché et réfléchi pendant de longues années. Autant dire que la salle sur demande n’avait guère de secret pour lui et malgré qu’il n’ait commencé à la fréquenter que l’année dernière et qu’elle demeure sourde à ses requêtes.

Il n’était donc pas si étonnant que l’idée de soumettre Septimus au test de la pièce ait si rapidement germé dans son esprit. C’était presque comme si elle s’était trouvée là depuis le début.

- Ouais c’est ça ouais, confirma-t-il en hochant la tête. « Si ça marche pas sur moi mais que sur toi oui ça veut dire que t’as toujours tes pouvoirs mais qu’ils sont, je sais pas, inaccessibles ? Un truc comme ça. »

Au fond c’était un peu concéder que pour sa part, la cause de Thomas était perdue. Mais il avait eu quinze années de vie pour s’y faire et malgré la frustration de ne pouvoir contempler la magie que chez les autres, il n’en éprouvait plus vraiment de tristesse et était déjà très heureux d’être ici, dans le parc de l’école.

Le concierge semblait pensif mais l’enthousiasme de Thomas, lui, ne retomba pas. Certes il commençait à avoir faim – la journée dehors avait tendance à le creuser et ce malgré l’énorme sandwich que les elfes lui mettaient dans son sac le matin avant de partir – mais il était également curieux de voir ce que sa théorie pouvait donner avec Septimus. Quitte à ne pas pouvoir faire de magie lui-même, permettre à quelqu’un d’autre de recouvrer ses pouvoirs serait une sorte de consolation.

- On peut faire ça maintenant ! proposa-t-il. « C’est l’affaire de cinq minutes à tout casser, après on ira manger. »

Non vraiment il avait l’estomac dans les talons. Un morceau de brioche au chocolat lui redonnerait l’énergie pour attendre le dîner.

A nouveau il aurait fallu être aveugle pour ne pas sentir le trouble de Septimus mais cette fois-ci Thomas y prit moins garde. Il n’était certainement pas la personne la plus fine pour comprendre les idées de ses camarades, alors celle d’un sorcier de vingt ans son aîné, il n’essaya même pas. De toute façon, ce n’était pas aux adolescents de se montrer empathique vis-à-vis des adultes, c’était une sorte de règle universelle.
Dès lors que le concierge eut donné son accord, Thomas hocha la tête, satisfait, s’empara de son sac et prit la direction du château qui siégeait un peu plus loin sur le parc. Sur le chemin, histoire de causer et qu’il n’y ait pas de silence bizarre, il entreprit de raconter un peu sa journée à Septimus.

- Les centaures ont tué une accromantule aujourd’hui. J’en avais jamais vu avant, elle était déjà morte quand je suis arrivé, c’est énorme ces trucs. Elle était toute recroquevillée sur le dos là avec ses pattes serrées. Ils lui ont mis deux flèches dans la tête ça a pas suffi apparemment elle en avait d’autres dans l’abdomen parce qu’elle a essayé de se tirer. Je sais pas si tu sais mais il y a un nid dans une zone de la forêt, c’est peu probable d’en croiser justement parce que les centaures gardent les bords, monsieur Duncan – c’est l’ancien garde-chasse – m’a expliqué qu’avant ils vivaient plus au sud dans plein de forêts différentes avec leurs troupeaux, même qu'ils se faisaient la guerre parfois, mais à cause des moldus ils ont signé un accord avec Poudlard pour s’installer dans la forêt interdite et être protégés par la magie du domaine, mais en échange ils patrouillent.

Se faisant, ils atteignirent les double-portes de l’école où plus d’élèves allaient et venaient, non pour certains sans jeter quelques regards curieux en direction du duo, ou baisser légèrement la voix à l’approche du concierge, l’annonce de l’arrivée d’un nouvel adulte au sein du corps enseignant faisait toujours l’effet d’un petit événement et la plupart des adolescents attendaient de savoir s’ils avaient affaire à un sévère pour adapter leur comportement en conséquence.

Thomas pour sa part ne se souciait plus des regards depuis un moment. Il aimait sa cravate noire et ses grosses bottes de marche qui lui donnaient quelques centimètres de plus que les gens de son âge, et le droit d’aller et venir dans la forêt interdite, là où les autres n’étaient pas autorisés à en franchir l’orée. Puis, la mort de Michaela avait remis certains choses en perspectives. La jeune fille s’était toujours montrée solaire et peu gênée par le regard des autres. Thomas essayait d’adopter du mieux possible cette attitude.

Ils gravirent les étages un à un, non sans finir essoufflé au 7ème, puis atteignirent la fameuse tapisserie aux trolls dansants. Thomas fit un peu de côté et observa Septimus.

- A toi de l’ouvrir, ça marche pas avec moi.

Vrai que si Septimus était récent au sein du personnel, peut-être que Fergal Armitage ne l’avait pas tenu informé des récentes « aventures » qu’il avait eu avec Murphy dans la forêt interdite. Thomas hésita à rester évasif. Si le directeur n’avait pas jugé bon d’en parler aux autres adultes, peut-être avait-il une chance que l’information ne s’ébruite pas ? D’un autre côté il en avait déjà parlé à Dmitri et aussi à Azure enfin à ses amis, sans parler de Murphy qui avait perdu son badge… bon, ce n’était plus vraiment un secret, il fallait se rendre à l’évidence.

- Les centaures sont des adultes, expliqua-t-il. « C’est pas si différent d’être avec eux ou un sorcier. Juste qu’ils sont un peu… »

Il faillit dire « perché » mais se retint à temps. « Ils réfléchissent pas toujours comme nous quoi, mais ils sont pas plus bêtes. »

Quoique si, littéralement plus bêtes, mais pas moins idiot. Il en allait de même avec les êtres de l’eau qui pour étranges qu’était leur apparence et incompréhensible leur langage aux oreilles de Thomas n’en avaient pas moins bâti tout un système social au fond du lac qui n’avait pas grand-chose à envier à celui de certaines petites communautés paysannes du siècle dernier.

- C’est pas vraiment ma formation, poursuivit-il un peu gêné. « J’ai fait une bêtise et c’est pour me faire pardonner. »

Tout en évitant soigneusement de croiser le regard de Septimus, histoire de laisser penser que l’affaire ne le touchait pas trop, il continua de gravir les marches interminables du château, parfois interrompu le temps d’attendre qu’un escalier vienne se placer face à eux pour permettre la poursuite de leur ascension.

On arrivait heureusement au 7ème étage et Thomas croisa les doigts pour que l’expérience de la salle sur demande mette fin à la conversation. Les trolls étaient bien là, dans leur cadre, et le jeune homme prit ses distances pour laisser faire son aîné.
Ce-dernier ne semblait pas à son aise et soudain il sembla à Thomas que tout ça était peut-être une mauvaise idée. Certes le concierge était normalement capable de se défendre, d’opposer un refus ou de lui dire gentiment « pas cette fois bonhomme mais j’y réfléchirais à l’occasion » sauf qu’il semblait bien que dès le départ c’était lui qui était à l’initiative. C’était son idée et son timing et peut-être que Septimus était juste quelqu’un d’un peu timide ? Ou qu’il ne savait pas dire non ? S’il avait été harcelé dans sa jeunesse, cela n’aurait pas été si étonnant.

Mais quitte à y être, Thomas était curieux malgré tout. Il se colla contre le mur, histoire de ne pas perturber la magie par sa présence, et observa faire.

Au début il n’y eut rien du tout et la porte apparue était si discrète que le jeune homme dû se laisser surprendre par le concierge pour constater à son tour sa présence.

- Cool !

Excité, il se glissa dans le dos de Septimus pour jeter un coup d’œil à l’intérieure de la pièce. Aucune idée de ce que ce-dernier avait demandé à la salle mais il reconnu une sorte de salle d’entraînement comme il avait déjà pu en voir à l’occasion, en accompagnant ses amis s’entraîner aux duels.

Toujours dans le dos de Septimus, il ne perçu d’abord rien de son chagrin, se contentant pour sa part de déclarer : « Bon ba on est fixé. » Il en aurait été un peu jaloux, mais aussi content pour l’adulte. Et surtout fier que son idée – son idée à lui ! – ait si bien fonctionné !
Il finit cependant par remarquer des larmes qui coulaient à présent sur les joues de Septimus et, les découvrant, ne su comment réagir. Il n’était pas banal de voir un adulte pleurer et surtout, il n’en comprenait pas la raison. C’était une bonne nouvelle, non, que la salle fonctionne pour lui.
De nouveau hésitant, il préféra donc se taire et comme s’il percevait par intuition que le moment était important, ne franchit pas le cadre de la porte, préférant attendre dans le couloir que le concierge se sente prêt à sortir.

Dans pas trop longtemps espérons parce qu’il commençait vraiment à avoir faim.

Retourné dans le couloir attendre que Septimus ait retrouvé son calme, Thomas se perdit dans la contemplation absente de la tapisserie où les trolls en tutus dansaient un ballet étrangement non dépourvu de grâce. Mais il les voyait à peine, perdu dans une sorte de confusion face aux sentiments d’autrui, un adulte qui plus est, face auquel il se sentait bien impuissant mais aussi mal à sa place pour ce qui était de porter une parole réconfortante, ou tout simplement appropriée.

Sans savoir s’il ne s’était écoulé que quelques dizaines de secondes ou plusieurs minutes, le bruit de pas de Septimus derrière lui l’arracha à la contemplation de la tapisserie alors que derrière lui s’effaçait l’entrée de la salle sur demande.

La première remarque du concierge à propos des blocages magiques tira un sourire à Thomas. « Ou dans les magazines ! » déclara-t-il avec confiance. N’était-ce pas de là que lui était venu l’idée après tout ? Il semblait bien avoir le souvenir d’un numéro de sorcière Hebdo ayant pour thème la magie orientale et qui parlait chakras et tout le toutime. Si Thomas n’y comprenait pas tout, l’image d’un corps humain composé de plusieurs portes suffisait à marquer son imagination. Peut-être suffisait-il d’en ouvrir une ou deux pour libérer son potentiel enfoui ?

Il leva la main grand prince face aux excuses de Septimus – ba, ce n’était pas grand-chose, puis il aimait bien la salle sur demande et les effets qu’elle produisait, chaque fois différents – mais la dernière remarque de celui-ci lui tira une grimace. Revenir en détail sur les circonstances de son escapade le tentait assez peu, l’épisode n’était guère glorieux et rétrospectivement il en éprouvait une honte assez cuisante.

- Partant pour manger un bout, répondit-il avec prudence. « Les elfes laissent toujours de la brioche dans la grande salle entre 17 et 18h. » cru-t-il bon d’expliquer des fois que les choses aient changé depuis que Septimus avait été à Poudlard.

- Par contre elle disparaît à 18h pétante, même si tu l’as encore dans la bouche !

Et disant cela, il prit la direction des escaliers avec entrain. Avec un peu de chance, la brioche servirait de diversion.