Timide, le soleil se cachait derrière d’imposants nuages depuis le début de la journée, laissant un ciel gris et aussi morne que l’emploi du temps de Dmitri en ce jour. Ces temps-ci, il abhorrait le mardi parce que cela signifiait pour lui d’enchaîner le cours de soins aux créatures magiques avec celui de botanique. Et si le premier avait pu se révéler un tant soit peu intéressant les premières semaines, la réalité de la météo écossaise avait eu tôt fait de lui rappeler à quel point il préférait le confort douillet du château aux tâches ennuyeuses et salissantes que leur réservait le professeur. Les botaniques n’étaient guère mieux : certes, à l’intérieur des serres, les élèves étaient à l’abris des caprices du ciel, mais la discipline en elle-même était déplaisante. Aussi avait-il trainé sur le chemin – pourtant plutôt court – séparant les deux cours. Lorsqu’il poussa la porte de la serre, une bonne partie des étudiants était déjà là, comptant non seulement les troisième année, mais également leurs benjamins d’un an. Ça n’était pas rare, encore moins dans les matières manuelles comme celle-ci. Au moins, avec le monde qui s’entassait dans la serre numéro deux – la plus grande – l’aiglon pouvait espérer un peu de tranquillité. Travailler ? Quelle drôle d’idée. Depuis la rentrée, il ne faisait rien de plus que le strict minimum, à l’exception du cours que donnait son grand-oncle. En général, cela suffisait amplement : il avait l’avantage d’être plutôt doué en magie et l’éducation donnée par sa grand-mère était suffisamment exhaustive pour qu’il puisse se targuer d’avoir un peu d’avance sur un bon nombre de ses camarades.

L’espoir de pouvoir se mettre au bout de la pièce et dessiner pendant une partie du cours fut très fugace : après quelques mots d’introductions, l’enseignant annonçait des travaux de groupe. La consigne était aussi simple qu’inintéressante : chaque petit groupe disposait d’une plante qu’ils étaient censés étudier afin d’en trouver les caractéristiques principales et de déterminer où et comment l’entretenir. Avec un peu de chance, ils allaient pouvoir le faire sans avoir à trop mettre les mains dans le terreau... il détestait ça, et ce d’autant plus qu’il savait devoir le faire pour son memoria ligno, dont les racines avaient pas mal poussées ces derniers mois : encore quelques souvenirs disséminés dans la sève et son arbuste allait être à l’étroit dans son pot.

Le Tchèque soupira profondément avant d’aviser un camarade, d’un an son cadet. Il se mettait souvent en binôme de potions avec le frère aîné de Jun Woo aussi s’autorisait-il à envisager que le plus jeune de la fratrie soit d’une compagnie au moins aussi appréciable. Ça ne coutait rien d’essayer. « Salut » fit-il en approchant du Coréen. Puisqu’ils n’étaient pas dans la même année, ils n’avaient pas partagé d’autre cours aujourd’hui. « Ça te dit qu’on se mette ensemble ? » Autour d’eux, des binômes constitués commençaient déjà à aller se poster autour des établis où les attendaient les plantes du jour. La bonne était qu’il ne semblait pas s’agir de mandragore : Dmitri détestait ça. Et puis il n’aimait pas l’idée de devoir enfiler une paire de cache-oreille pendant tout le cours : s’ils ne pouvaient pas profiter de l’instant pour bavasser, à quoi bon travailler en groupe ?

Dmitri entretenait une relation particulière avec la discipline des botaniques : de prime abord, il détestait ça. C’était trop salissant et il n’y avait rien de fun ou de palpitant là-dedans mais depuis qu’il s’était vu confier par son grand-oncle la pousse de l’arbre mémoriel, il s’y intéressait un peu plus. Il ne s’attendait pas à étudier une telle plante dans ce cours – après tout, il n’oubliait pas qu’elle n’était pas tout à fait légale – mais son intérêt était légèrement renouvelé dès lors qu’il savait que des plantes pouvaient être utiles en peinture. Il n’empêche qu’à l’instant présent, il était bien loin de réussir à trouver un semblant de bonne volonté face au contenu du cours. Travailler en binôme n’aidait en rien à le motiver : il aurait préféré un cours théorique où il pouvait dessiner sans écouter l’enseignant, d’autant plus que les troisième année étaient avec leurs cadets, ce qui ôtait toute perspective de distraction avec ses amis qui étaient pour majorité dans une année supérieure à la sienne. Tant pis. Il se rabattit sur une solution alternative, allant vers le petit frère de Jin Kyung et Ha Na, quand bien même était-il celui de la fratrie Seo qu’il connaissait le moins bien.

C’était un enfant légèrement plus petit que Dmitri – chose suffisamment rare pour le noter – au visage encore enfantin. En sa présence, le Tchèque se sentait plus vieux, comme doté d’une autorité particulière, quand bien même ils n’avaient qu’un an d’écart : à cet âge, le moindre de ses cadets lui paraissait beaucoup plus jeune. Il savourait ce sentiment d’autant plus qu’il n’y était pas habitué : en petit dernier d’une grande famille, seul enfant au manoir des Hébrides et adolescent plus habitué à fréquenter des gens plus vieux, il n’avait pas souvent l’occasion de ressentir pareil sentiment. À tout ceci s’ajoutait qu’il était né au milieu du mois d’août, faisant de lui le benjamin de sa promotion : il n’avait que quelques semaines de plus que certains élèves de deuxième année.

Le Coréen accepta poliment d’être son binôme et tous deux rejoignirent un établi, scrutant d’un œil circonspect l’affreux champignon qu’ils avaient devant eux. C’était l’archétype de ce qui le rebutait dans les botaniques : inélégant et suintant de tous ses pores. Imitant son cadet, il alla fouiller dans son sac pour en sortir ses gants ainsi qu’un parchemin et une plume. Il enfila les premiers, tout en jetant un regard à l’objet d’étude. « Un truc dégoutant. » répondit-il, crevant l’évidence. Ça ne les avançait pas à grand-chose, mais Dmitri n’était pas particulièrement pressé de s’atteler au cœur du devoir. À défaut d’être particulièrement passionné par la discipline, il était plutôt doué en potions, ce qui lui conférait un minimum de connaissances plutôt utiles dans une serre de botanique. Certes, il préférait utiliser les ingrédients une fois déjà recueillis et traités, mais entre un champignon encore empoté et celui prêt à être broyés pour une potion, il n’y avait qu’un pas. « Rien ne ressemble plus à un champignon qu’un autre champignon... » Ça n’était pas tout à fait exact, mais soit. « J’imagine qu’il faut qu’on fasse des expériences pour trouver ce que c’est ? » C’était toujours plus amusant que de se contenter de comparer la description visuelle donnée par leur manuel de cours !

L’aiglon extirpa sa baguette de la poche de sa robe de sorcier et posa ses deux doigts gantés sur le bout de celle-ci. « Peniculus » Très habitué à lancer ce sort – quoique d’ordinaire, il s’agissait plutôt de transformer sa baguette en pinceau – il n’eut aucun mal à en remplacer le bout par un crochet assez long. « Tu devrais t’écarter un peu, on ne sait jamais ce qui peut arriver. » Il escomptait bien que l’effet de sa petite expérience soit projeté en arrière, et non vers eux, mais prudence était mère de sureté.

Une fois assuré que son camarade soit prêt, il planta le crochet dans le champignon, le bras tendu pour se tenir le plus loin possible de la cible. Comme gênée par le bout métallique de sa baguette, la plante magique se mit à remuer dans son pot avant de s’en extirper et de sauter droit vers une table devant eux où un binôme de premières années farfouillait dans un manuel pour trouver la nature de leur plante. Le Tchèque abaissa sa baguette, peinant un masquer le rictus amusé qu’avait provoqué le spectacle. Sans trop se presser pour aller récupérer le champignon, il se tourna vers son camarade. « Je dirais champignon sauteur. » Première expérience réussie.

Dés:

Dmitri n’était pas bien sûr de savoir comment réagirait son binôme face à ses expériences ; Jun Woo et lui avaient sans doute eu une éducation similaire sur biens des points, leurs familles ayant au moins comme point commun le milieu duquel elles provenaient, mais le Tchèque s’était énormément construit dans l’adversité. Il n’avait pas pour habitude de se cantonner à la place qu’il lui était attribué, ni aux réactions que l’on pouvait attendre de sa part ; il aimait tout particulièrement mettre le bazar autour de lui, là où il voyait surtout chez le benjamin des Seo un garçon polissé et sage. Il n’avait pas la trempe plus violente de son grand-frère... à moins qu’il ne faille réveiller un peu du petit démon qui sommeillait en lui. Au moins eut-il l’air plutôt intéressé par l’idée de procéder à une petite expérience avec la plante, ce qui avait le mérite d’être plus prenant que de simplement regarder dans leurs manuels de cours.

Sa baguette, transformée en un crochet pour l’occasion, se montra des plus efficaces sur le champignon qui s’extirpa de son pot pour aller attaquer un binôme de première année qui ne s’attendaient manifestement pas du tout à être ainsi agressé. Un bref instant, Dmitri crut apercevoir chez son cadet un discret sourire mais il disparut bien vite au profit d’une attitude plus servile. Le troisième année leva les yeux au ciel en le voyant faire des courbettes pour récupérer leur champignon, à grand renfort d’excuses, mais se garda bien de faire la moindre remarque quand il revint vers lui, l’objet de leur travail entre les mains. « Oui, il ne reste plus qu’à... ! » répondit-il en haussant les épaules, l’air beaucoup moins enjoué par cette idée que son camarade. Tandis que ce dernier farfouillait dans son manuel, le Tchèque entreprit d’annuler le sort sur sa baguette, lui rendant son apparence d’origine.

Malgré son manque de motivation manifeste, il tira à son tour son livre de cours pour le laisser tomber sur la table un peu lourdement. « Fais pas trop de zèle non plus, sinon le professeur va nous donner une deuxième plante pour le reste du cours. » maugréa-t-il à l’encontre du Coréen. C’était bien la dernière chose qu’il voulait : il n’aimait déjà pas beaucoup les cours de botanique, ça n’était pas pour en faire plus. « Ou pire : nous demander d’aider les deux de devants. » Il désigna d’un geste de la tête les deux élèves de première année qui avait reçu leur plante sur le plan de travail. Il était infiniment plus amusant de saboter leurs efforts avec un champignon sauteur... mais quelque chose lui disait que Jun Woo n’était pas de son avis. « Alors qu’on pourrait plutôt faire deux-trois expériences avec le champignon et voir par nous-même sa véritable utilité. » Il marqua une pause, s’accoudant sur leur plan de travail dans une attitude désinvolte ; rien dans ses manières ne laissait penser qu’il puisse avoir envie de parcourir son manuel, posé juste à côté de lui. « Enfin s’il en a une à part sauter... » Avec Jin Kyung, ils avaient profités d’une petite sieste du professeur de potions pour faire autre chose que ce dont on attendait d’eux, peut-être pouvait-il inciter son benjamin à le suivre dans pareille direction ?

Dmitri n’avait pas particulièrement pour habitude d’entraîner d’autres élèves dans ses bêtises. Il était en fin de compte un garçon plutôt solitaire, quand bien n’avait-il jamais eu de soucis pour s’intégrer dans des groupes. Il aimait agir en autonomie, sans dépendre des autres. Ça ne l’empêchait pas de se laisser happer par les évènements lorsqu’ils venaient, rejoignant avec plaisir Thomas dans les tréfonds du lac pour lui donner un coup de main ou avec Michaela lors des révolutions masquées. Mais il avait toujours eu un certain besoin de contrôle, même face à des gens plus âgés comme Blaze ; ils n’agissaient alors pas sur un pied d’égalité, mais le Tchèque avait toujours trouvé un moyen d’imposer sa volonté, de montrer qu’il ne se contentait pas de suivre sans avoir de mot à dire.

À bien des égards, il n’était donc pas à même de comprendre la réaction de Jun Woo : il ne protestait pas mais restait en retrait. Trop pour être normal aux yeux du plus âgé, trop pour enfant éduqué dans un milieu similaire au sien. Les sang-purs ne se laissaient pas embarquer sans rien dire, sans imposer leur volonté. Peut-être était-ce parce qu’il était issu d’une famille nombreuse qu’il avait ainsi appris à se faire remarquer ? « Tu es toujours comme ça ? » finit-il par demander, après avoir délaissé son manuel. Le professeur regardait ailleurs, les laissant discuter plutôt tranquillement pour l’instant. C’était l’avantage des travaux en groupe : c’était toujours très simple de converser de tout et n’importe quoi sans se faire remarquer. Tant qu’ils ne montraient pas trop ouvertement qu’ils ne s’intéressaient plus à leur plante, l’enseignant ne s’inquiétait pas de ce qu’ils pouvaient bien faire. Et ça, Dmitri le savait parfaitement : il était passé maître dans l’art d’agir à l’encontre de ce qu’on attendait de lui sans trop se faire remarquer. Petit, il pouvait se passer quelques dizaines de minutes de bagarre avec ses frères avant qu’un adulte ne remarque ce qu’il se déroulait ; en général, il était déjà trop tard pour leur épargner quelques blessures, rarement à l’avantage du benjamin cela dit. « Je veux dire... à suivre les autres, sans rien dire. » Son visage se fendit d’un sourire. Jin Kyung devait être la force dominante de la fratrie, celui qui menait la barque. « Je ne sais pas comment c’était, dans ton ancienne école, mais fais attention : à Poudlard, ça peut vite t’emmener droit dans le mur de suivre le mouvement. » Essayait-il vraiment de conseiller le Coréen ou s’amusait-il de cette position de pouvoir qu’il avait pour jouer les guides ? Dévergonder les plus sages était tout un art : les entraîner dans une simple bêtise n’avait pas d’intérêt. Avec sa réputation, Dmitri aurait tôt fait de s’attirer les foudres du professeur et Jun Woo d’être considéré comme le pauvre cadet de deuxième année qui l’avait subi. Il fallait inverser les rôles, en apparence à tout le moins, pour que les choses deviennent réellement intéressantes. « Un conseil, d’ailleurs : n’écoute jamais notre préfet. Tu n’en tireras jamais plus que des ennuis et il adore les gens comme toi, qui se laissent entraîner facilement. » L’hôpital, la charité...

Jun Woo était indéniablement un garçon plutôt discret, au caractère infiniment moins exacerbé que celui de Dmitri. Ça ne dérangeait pas trop l’adolescent qui n’aimait guère les gens trop affirmés mais cela se révélait parfois un peu frustrant quand lui-même avait envie de se changer un peu les idées. Avec Jin Kyung, il était facile d’envisager de sortir un peu des sentiers battus mais son petit frère semblait beaucoup plus se butter aux règles et traînait un peu la patte. « Disons que, à Mahoutokoro, tout est une question de rang. » expliqua-t-il lorsque le troisième année aborda la question. La remarque arracha un ricanement à ce dernier. Percevoir la société sous le prisme du rang n’était pas l’apanage de l’école japonaise : cela semblait être un point commun qui réunissait toutes les vieilles familles se targuant d’une pureté immaculée que de voir le monde selon une hiérarchie similaire. Respectueux malgré tout, Dmitri ne coupa pas son interlocuteur qui était parti dans des explications plutôt détaillées, parlant en quelques minutes plus que dont il l’avait habitué jusqu’alors. À croire que depuis le début de l’année, il ne l’avait jamais entendu ouvrir la bouche pour aligner tant de mots. Ça n’était pas pour déplaire au Tchèque ; il avait suffisamment souffert de discussions à sens unique où jamais l’on ne jugeait utile de répondre au dernier né de la famille pour ne pas avoir à réitérer à Poudlard, avec des camarades plus jeunes qui plus était. Il opina sobrement du chef lorsqu’il évoqua leur statut de sang, identique. « Tu aurais adoré l’année dernière. » se contenta-t-il de souligner lorsque Jun Woo eut terminé ses explications, non sans avoir le bon sens de préciser ses limites. Docile, mais pas idiot. Un serdaigle comme on en voyait tant dans les couloirs de l’école, en somme.

Et justement, l’aîné en profita pour aborder la question de l’ordre en la personne de leurs préfets. Ou d’un en l’occurrence, parce que casser du sucre sur le dos des autres n’avait pas de prix. « Ça, c’est la théorie, le rôle officiel des préfets. Mais soyons honnêtes, depuis que je suis à Poudlard, je n’en ai pas vu un seul qui agisse comme tel : Mansfield adore abuser de cette sensation de pouvoir que lui donne l’insigne et ce n’est même pas le pire dans ceux qui ont eu ce rôle. » Dmitri entretenait une relation compliquée avec Blaze, passant d’une forme d’admiration enfantine lorsque celui-ci s’intéressait à lui et que l’aiglon avait des atouts utiles pour le préfet à la colère et la rancœur dès lors que l’égo et l’attitude du plus âgé commençaient à rentrer en conflit avec ses propres prétentions. En revanche, il avait amèrement détesté cet idiot de Maxwell Carter, l’ancien préfet de poufsouffle qui faisait au moins l’unanimité sur l’absurdité de son insigne. « Et Judith ne doit pas avoir grand-chose à faire d’être préfète. Tant que tu n’es pas dans ses pattes, ça m’étonnerait même qu’elle t’adresse la parole. » Autant dire qu’ils avaient un duo fantastique : l’égocentrique préfet qui agissait dans la salle commune comme il l’entendait et sa partenaire qui se contentait au moins d’observer. Le problème était sûrement que leur maison était majoritairement composée de personnes effacées et ennuyeuses, n’osant jamais s’affirmer ni se faire remarquer.

Le Tchèque croisa les bras, jetant un regard en direction du professeur qui était penché sur la paillasse de deux élèves de première année, un peu plus loin. Il ne leur prêtait toujours pas la moindre attention, sans doute parce qu’il avait mieux à faire ailleurs et qu’ils ne chahutaient pas. « En fin de compte, tout ça n’est pas bien différent de chez nous... les impurs sont inférieurs, négligeables, et les plus âgés ont toujours la primauté. » résuma-t-il, la hiérarchie de sa propre famille à l’esprit, comme un arbre où les branches les plus anciennes régnaient sur les autres... et la sienne, la plus fine, perdue au milieu d’une multitude d’autres, ne représentait qu’un poids infime. « La différence est que je ne suis pas un gentil fiston bien obéissant comme toi. » Son ricanement un peu froid attira l’attention d’un camarade, juste à côté d’eux, mais il ne lui prêta pas la moindre attention.

Aux yeux de Dmitri, le problème avec les préfets à Poudlard ne tenait pas tant du fait de ceux qui en portaient l’insigne – quoique Maxwell Carter était un souci à lui tout seul – que du rôle en lui-même. Donner un semblant de pouvoir à des élèves était une idée catastrophique à ses yeux. Il ne reconnaissait déjà guère l’autorité de la plupart des adultes, ça n’était pas pour en trouver chez des camarades de classe, quand bien même soient-ils un peu plus vieux. Il n’y avait bien que son grand-oncle qui parvenait, à Poudlard, à le contenir un peu, alors pour des petits tyrans en culotte courte, c’était peine perdue. « Oui » concéda-t-il au plus jeune, opinant pensivement du chef. « De toute façon, les préfets sont juste là pour décorer. » Tout le monde savait qu’ils n’avaient aucune autre utilité que celle de faire de la figuration. Et pour les quelques-uns qui avaient nourris des doutes, l’année passée sous la direction de Kaspaer Sørensen avait été suffisamment probante.

La discussion dévia progressivement vers un terrain un peu plus personnel, le benjamin se confiant sur le fonctionnement des sorciers de son pays, en réalité pas si différents des Tchèques ou des vieilles traditions du Royaume-Uni. « C’est ça, de Prague. » Un petit citadin expatrié sur une île écossaise baignant dans l’Atlantique, loin de tout. Rien ni personne n’arrivait jusqu’à eux : il s’agissait après tout de l’un des endroits les mieux protégés du pays. « Mais je ne suis que de la deuxième génération tchèque. » Il ne devait sûrement rien apprendre au Coréen : il fallait d’un rien pour faire le lien entre le vieux britannique qui donnait cours dans les cachots et Dmitri. Et si ce dernier avait un accent slave assez marqué, son grand-père avait tout de même toujours veillé à ce que son éducation demeure imprégné de la culture des générations passées.

L’espace de quelques instants, il avait considéré Jun Woo d’un air subtilement moqueur, le percevant comme un garçon beaucoup plus effacé que son frère, sûrement un peu trop pour son propre bien. Mais s’il fallait toujours se méfier de l’eau qui dort, cela valait aussi pour le plus jeune qui avait malgré tout du répondant. Sa réponse arracha un sourire au van Aken, plutôt heureux d’avoir éveillé quelque chose de plus vivace en lui. Derrière son air amusé, il était tout de même un peu piqué au vif : le Coréen n’avait pas tort, même lui était forcé de reconnaître. C’était ainsi : perdu dans une nuée d’autres enfants qui partageaient le même sang et le même patronyme, il avait toujours dû se démener pour se distinguer des autres. « Mais à ne jamais te faire remarquer, les gens risquent d’oublier ton existence. » Il ne réalisait pas sa chance : lui qui n’avait qu’un frère et une sœur, il ne devait pas se battre pour gagner une place dans sa famille. Si Dmitri ne s’était pas montré si problématique durant son enfance, sûrement n’aurait-il jamais été confié à son grand-oncle, lui donnant ainsi une chance d’hériter de l’art familial que nul n’égalait.

Il n’était pas rare qu’on lui pose des questions sur le professeur van Aken ; c’était d’ailleurs l’une des premières choses qu’on lui avait dites quand il était arrivé à Poudlard, tout juste réparti chez les serdaigles. Son patronyme n’était pas passé inaperçu et inévitablement, des murmures avaient commencé à se faire entendre autour de lui. Ça n’avait pas toujours été simple au début mais Dmitri avait fini par s’y faire et surtout à en jouer, quand cela devenait un atout. Avec le temps, les élèves étaient de toute façon passés à autre chose, particulièrement depuis le départ du directeur Sørensen car s’il avait à l’époque bénéficié d’un traitement de faveur en raison de son lien avec le professeur de potions, rares étaient ceux qui imaginaient Fergal Armitage susceptible de faire de même, van Aken et lui n’étant pas de connivences. Il n’y avait désormais plus qu’avec quelques nouveaux venus dans l’école que le sujet revenait parfois sur le devant de la scène, comme avec Jun Woo. « Ça dépend ce que tu entends par proche. Au sens familial, il s’agit de mon grand-oncle. » Précision importante dans une école où les élèves étaient facilement tentés de croire qu’il était le petit-fils du maître des potions et de son épouse, que tous connaissaient au travers de son portrait qui accompagnait si souvent l’enseignant. « Et c’est mon tuteur... donc j’imagine qu’on peut dire que nous sommes proches, oui. » Il vivait avec lui et il lui transmettait les savoirs familiaux. Longtemps, le vieil homme n’avait été qu’un parent éloigné qu’il ne voyait que fugacement lorsqu’il rendait visite à son frère, à Prague, mais depuis qu’il vivait chez lui, la relation avait inévitablement changé.

De part leurs milieux, les deux serdaigles avaient sans aucun doute beaucoup de points communs mais leurs différences n’en étaient pas moins flagrantes : le Coréen semblait beaucoup plus discret, assez effacé à côté du Tchèque qui aimait non seulement se faire remarquer mais également que la discussion tourne autour de lui – lorsque cela allait dans son sens à tout le moins. Jun Woo se montrait être un public plutôt agréable pour lui et il en jouait un peu pour mieux savourer cette position d’aîné qui était encore assez inédite chez lui. « Le domaine scolaire, ah oui ? » répéta-t-il, pour le coup réellement surpris par la vision du benjamin. « Chez moi, avoir de bons résultats ne te font pas te distinguer des autres, c’est simplement ce que l’on attend de toi. » Il pouvait bien être le major de sa promotion, surpasser des élèves bien plus âgés que lui, ça ne changerait guère à l’attention qu’on lui portait. Au mieux, on le féliciterait d’une simple remarque car après tout, il n’était pas le premier à exceller à l’école. Les sang-purs partaient déjà avec un avantage dans l’instruction et la possibilité de s’entraîner à la maison sans que la marque ne s’affole tout particulièrement, quoi de plus normal pour eux que d’être les meilleurs ? Leur sang était de toute façon la marque de leur supériorité. Dmitri haussa des épaules : « De toute façon, je ne m’inquiètes pas pour ma carrière, je serais peintre de tableaux vivants, comme mon grand-oncle. » Le vieil homme avait été bien d’autres choses, juge au magenmagot, maître des potions à Poudlard ou bien avant encore, runiste, mais les van Aken étaient et demeuraient des peintres parmi les plus réputés du monde sorcier et l’apprentissage de l’aiglon le portait à son tour vers cette carrière.  

Pour faire bonne mesure, et parce que mine de rien il n’était pas totalement égocentré, il allait le questionner quant à ses plans d’avenirs – si seulement il en avait. Le Tchèque ne savait ce qu’il comptait devenir que parce qu’il s’agissait de son héritage, un héritage qu’il appréciait qui plus était et le rendait unique dans sa fratrie, et pour cause aucun de ses frères n’avait sa fibre artistique et n’apprenait les rudiments de la peinture auprès d’Alexander. Mais avant qu’il ne puisse s’enquérir de la vision de Jun Woo, Dmitri aperçut du coin de l’œil une grande silhouette qui se rapprochait. Il commençait à être très fort pour voir arriver les professeurs avant qu’il ne soit trop tard. « Fais gaffe, le prof arrive ! » S’il avait été d’humeur plus taquine, l’adolescent aurait sans doute profité de l’occasion pour faire une blague à son benjamin et pourquoi pas le mettre dans une délicate situation mais par égard pour le frère aîné du Coréen, et parce qu’il commençait à l’apprécier, il préféra garder les mauvaises blagues pour plus tard. Comme Rome, le débauchage ne se faisait pas en un jour. Devenu expert pour feindre travaillement ardemment, il glissa son manuel entre eux deux, sa plume mettant au propre les quelques informations qu’ils avaient décotés sur leur champignon magique.