C’est une douce matinée d’hiver qui s’ouvre sur Poudlard ce matin-là. Le froid mordant du mois de janvier écossais vous saisissait au visage comme un baiser fougueux et le nez dans les écharpes, les mains dans les gants, vous avez décidé de vous éclipser de la grande salle où tout le monde s’est réuni pour le petit déjeuner, et de filer vers le parc tant qu’il n’y a personne dehors encore. Allégresse de cette nouvelle année qui s’annonce, mélancolie de celle qui s’achève, besoin de prendre l’air ou de pisser derrière un buisson ? Qu’importe au fond la raison qui vous a poussé à vous éloigner du bruit et de la fureur, vous voilà seul.e dehors.

Pas un chat à la ronde et pas d’autre son que le vent glacé qui vous rougit les oreilles et vous aiguise les sens. Pour n’importe qui, c’est électrisant, peu importe que votre seule pensée à cet instant soit de rentrer vous mettre au chaud ou au contraire de prolonger un peu cet instant de quiétude solitaire, vous êtes là et le froid vous encercle et vous entaille alors vous faites quelques pas, pas beaucoup, pas trop, juste assez pour vous approcher d’un de ces grands arbres qui ponctuent le parc et encadrent les allées, pas ceux de la forêt interdite, non, ces grands pins biscornus et lugubres, un arbre haut au feuillage clair qui bruisse dans le vent et STOOOOOONG !!

…

Est-ce que c’est un carreau d’arbalète qui vient de se ficher dans l’écorce à, genre, dix centimètres de vous, à hauteur de poitrine ? Et est-ce que c’est l’apprenti garde-chasse qui déboule vers vous à tout allure en brandissant son arme ?

…

Ma foi, considérant la situation, ce début d’année semble commencer sous le signe de la chance. Ou de la grosse bêtise, ça dépend du point de vue de qui on se place.

C’était peu dire que l’arbalète exerçait sur Thomas une espèce d’étrange fascination. Peut-être parce que, à défaut de baguette pour faire de la magie, c’était une arme qu’il était seul à savoir correctement utiliser, et aussi une sorte de symbole de son statut dans l’école : garde-chasse – enfin, apprenti. Les préfets avaient leur insigne, chaque maison avait sa couleur et lui, il avait une arbalète. Alors certes il ne la trimballait pas dans l’école avec lui, mais quand il avait l’occasion de s’en aller dans la forêt, que ce soit pour un travail précis ou juste vérifier que tout allait bien, le jeune homme l’installait religieusement à son bras et elle ne le quittait qu’une fois rentré dans le parc, en sécurité à l’ombre du château.

Parce qu’un outil ne servait à rien si on ne savait pas l’utiliser, et parce qu’il avait eu pas mal de temps libre en l’absence de Duncan en ce début d’année, Thomas avait commencé à s’entraîner à tirer. Il n’était ni très régulier ni très rigoureux dans son entraînement mais le temps aidant, savait désormais viser assez correctement pour toucher le tronc d’un arbre à vingt mètres, si on lui laissait du temps pour viser. Il n’était sans doute pas encore assez fort pour affronter des araignées géantes, mais s’il se faisait attaquer par un kelpi cul-de-jatte, il serait capable de riposter.

Ce matin-là, Thomas n’était pas allé manger avec les autres. Cela arrivait souvent qu’il manque l’heure du petit déjeuner, soi parce que le travail demandait qu’il soit levé avant l’aube, soit qu’au contraire il soit en train de faire la grasse-matinée pour récupérer d’une nuit à crapahuter dans la forêt, ou d’une transformation en loup qui le laissaient sur le flanc deux jours à chaque fois au moins. Les elfes l’ayant heureusement à la bonne, il s’arrangeait toujours pour récupérer des croissants à la cuisine quand son ventre se mettait à gargouiller.

Loin du cafarnaum de la grande salle, Thomas se trouvait donc en contre-bas du parc où, s’ennuyant après avoir terminé une tâche pour madame Hopkins, il avait décidé de sortir son arbalète pour s’entraîner un peu. D’habitude, le jeune homme préférait tirer dans les bois, où c’était moins dangereux et aussi où personne ne le voyait échouer, mais comme il n’avait pas l’autorisation de s’éloigner, il s’était mis à viser une grosse citrouille à moitié pourrie.

Dix pas. Vingt pas. Deux carreaux en plein dans le mille. Trente pas ? Ca se tentait. Thomas haussa l’arme à hauteur de son visage, calant la crosse contre son épaule, ferma un œil, retint sa respiration, pressa la détente.
Le carreau fusa quelques centimètres au-dessus de la courge et… disparu. Enfin pas vraiment, mais il y avait un surplomb et il était passé au-dessus, droit vers le château. Thomas ouvrit des yeux ronds et sentit le sang quitter soudain son visage. Est-ce qu’il venait de faire une énorme bêtise… ? Peut-être était-il encore temps de récupérer le carreau ni vu ni connu et revenir à son poste sans qu’on ne se rendre compte de quoi que ce soit.

Sans plus réfléchir, le jeune homme plaça l’arbalète sur son épaule et grimpa le talus à vive allure pour découvrir un spectacle terrifiant. Non seulement son carreau s’était fiché dans l’écorce d’un arbre mais juste à côté de celui-ci se tenait le directeur Armitage qui ne semblait pas très content du tout.

Merde… le directeur… est-ce que ce n’était pas le PIRE scénario ? Enfin, le pire scénario aurait sans doute été qu’il TUE le directeur, mais là on était dans le presque pire. A cet instant il aurait presque préféré trouver le professeur van Aken, même s’il le détestait avec son air de dégoût dissimulé lorsqu’il lui apportait sa potion tue-loup, mais là… le directeur avait littéralement le pouvoir de le virer.

S’il s’était figé d’horreur en haut de son talus, Thomas le descendit – dégringola – sans plus de cérémonie, accourant vers l’homme d’un air penaud.

- Je visais une citrouille, fut tout ce qu’il trouva de plus intelligent à répondre face au visage furieux du directeur. « C’est à cause du vent, le carreau est parti un tout petit peu trop haut. »

Le jeune homme n’était pas vraiment du genre à assumer ses erreurs, même face à l’évidence, mais il ne pu faire autrement que de remettre l’objet du crime à Fergal, tout en fixant intensément la pointe de ses bottes. Franchement, ce n’était pas très glorieux et il le savait, mais sentant que sans explications supplémentaires il risquait de se voir confisquer sa précieuse arbalète pour un sacré bout de temps, il trouva le courage de relever la tête pour fixer le directeur d’un air implorant.

- C’est contre les araignées…! je suis désolé…

Oui, bon… c’était pas la peine de lui faire une conférence pour lui expliquer qu’il avait merdé, Thomas en était parfaitement conscient. Mais comme il n’en menait pas large non plus, l’angoisse d’un renvoi planant toujours au-dessus de sa tête, il se contenta de se mordre les joues pendant que le directeur lui passait un savon. Comme si se tenir de l’intérieur lui permettait de garder tout son corps droit et de ne pas se laisser aller aux émotions, qu’il savait parfois un peu débordantes.

- Non non, répondit-il lorsque Fergal Armitage lui demanda s’il ressemblait à une citrouille. Dans d’autres circonstances la question aurait pu être amusante mais là, il n’avait pas vraiment envie de rire.

Quand le directeur renchérit en demandant s’il se rendait compte qu’il aurait pu le tuer, Thomas n’osa pas bouger. Oui, il s’en rendait compte, et se sentait d’autant plus minable que sa résolution depuis le début de l’année scolaire avait précisément été de protéger les autres élèves, et sa fonction de garde-chasse consistait à défendre les créatures de la forêt, autant dire que manquer de trucider le directeur sur un accident la foutait mal, très mal.

Il se laissa prendre l’arme sans résister, conscient que c’était probablement la dernière fois qu’il la tenait entre les mains, et observa d’un œil malheureux Fergal activer le cran de sécurité. Il essaya bien de prétexter qu’il devait s’en servir pour combattre les araignées, mais son explication n’eut pas vraiment l’air de convaincre l’adulte.

- C’est pour ça que je m’entraîne, tenta-t-il d’une petite voix, lorsque le directeur lui fit remarquer la nullité de son tir. « C’est Benjamin Duncan qui me l’a donnée ! » s’écria-t-il presque, heureux de pouvoir décharger la responsabilité sur quelqu’un d’autre. Un absent qui plus est.

- J’ai appris tout seul, je m’entraîne dans les bois en général c’est moins dangereux là j’ai juste…

Juste quoi ? Fait une connerie ? Ça, il le savait bien, il n’aurait jamais dû tirer orienté vers le château, mais bon, des fois on ne réfléchit pas à tout avant que la catastrophe ne survienne.

- Comme tout le monde était au réfectoire…

Les excuses lui venaient pêle-mêle, pas bien cohérentes ni bien fameuses d’ailleurs, mais il ne pouvait tout de même pas rester sans rien dire !

- J’ai demandé aux centaures s’ils pouvaient m’apprendre le tir à l’arc mais je crois qu’ils ne font pas très attention à moi.

Ça, c’était vrai. Les centaures semblaient graviter dans une autre dimension que la sienne. Si Thomas en avait été un peu vexé au départ, il s’était rendu compte qu’ils traitaient Benjamin Duncan avec la même distance et en fait presque tous les sorciers. A croire que la présence de l’école de magie les laissait assez indifférents et qu’ils ne vous adressaient la parole que lorsqu’ils y étaient vraiment obligés.

Thomas fut un peu surpris d’entendre Fergal Armitage avouer sa peur. Evidemment manquer de recevoir un carreau d’arbalète pouvait secouer un peu, mais dans la tête du jeune homme la magie avait toujours cette nature un peu mystérieuse qui semblait pouvoir résoudre tous les problèmes. Sa confiance avait été un peu ébranlée par les récents décès d’élèves, mais le directeur de l’école… difficile d’imaginer qu’il puisse réellement redouter quoi que ce soit.

Il avait un peu jeté Duncan sous les roues du camion pour se défendre et hésita à renchérir, quitte à mentir un peu, mais il se sentait déjà assez minable comme ça sans en rajouter. D’ailleurs rien ne lui garantissait que Fergal ne soit pas capable de lire dans ses pensées, comme ces messieurs du Ministère, et il préférait éviter.

- Si si, quelques fois. On a tiré sur des troncs d’arbres, pas ceux avec les Botrucs sinon ça les énerve.

La précision lui paraissait importante. Le truc c’était que Duncan était partie à la fin de l’année dernière et Thomas manquait toujours d’entraînement. « Il me l’a laissée en partant, j’ai toujours son mot si vous ne me croyez pas. »
S’agirait pas qu’on le traite d’arnaqueur !

Thomas ne pu retenir une moue mi-contrarié mi-déçu quand le directeur annonça qu’il en avait terminé avec les entraînements solitaires. Le jeune homme n’aurait pas été contre une formation, mais il était suffisamment clairvoyant pour savoir que cette sentence annonçait surtout qu’on n’allait pas lui rendre l’arme de sitôt.
Il s’agita un peu, laissant passer le sermon, légèrement soulagé de voir que le directeur n’avait pas l’air de vouloir le renvoyer dans la seconde. Ça laissait présager une punition moins pire que prévue.

Presque trop heureux de susciter la curiosité du magicien, il lui fit signe de le suivre vers l’autre versant du talus où se trouvait la maison du garde-chasse et quelques grosses citrouilles pourrissantes. Hopkins venait tout juste d’arriver et comme Thomas avait eu la flemme de faire du jardinage – pas le temps ! d’après lui – les plantations avaient un sale aspect.

- Je pourrai utiliser le sort qui envoie des étincelles rouges, proposa-t-il, content de pouvoir donner son avis. « Pour prévenir qu'il ne faut pas s'approcher. »

Alors qu’ils arrivaient au sommet du talus, le jeune homme désigna le jardin et la maison en contre-bas. Deux carreaux se trouvaient plantés bien en vue dans la courge.

- Je ne tire pas si mal que ça, trouva-t-il l’audace d’expliquer d’une voix pas très assurée. Est-ce qu’il y avait encore espoir de convaincre le directeur de lui laisser l’arbalète… ?

Les adultes pouvaient parfois être surprenants et Fergal, particulièrement, avait le don de dérouter Thomas. Il était l’ancien concierge et à ce titre, lui et le jeune homme avaient eu l’occasion de se fréquenter l’année dernière où Thomas avait été mobilisé pour participer aux divers tâches d’entretien de la forêt et du parc, tandis que Fergal s’occupait de l’intérieur du château. Sa promotion avait changé son statut du tout au tout, mais pourtant il restait très bienveillant et savait se montrer attentif au bien-être des étudiants comme avant.
De fait, alors que Thomas avait eu l’impression d’avoir commis une impardonnable bêtise, passés quelques regards noirs, l’orage semblait déjà être passé et le directeur lui parlait désormais d’une voix plus tranquille, voire franchement amusé.

Troublé par ces signaux contradictoires, Thomas commença également à se détendre un peu, comprenant que s’il n’échapperait sans doute pas à la mise sous scellé de son arbalète, il ne serait au moins pas renvoyé de l’école, et c’était tout ce qui comptait à ses yeux.

Satisfait de s’entendre dire que son idée n’était pas idiote – car effectivement, Thomas ne pensait pas qu’il pouvait vraiment lancer le sortilège, mais il devait bien exister des objets capables de le faire à sa place, non ? – le jeune homme hocha la tête, maintenant décidé à abonder dans le sens de tout ce que pourrait dire le directeur.

- Il y a des endroits un peu plus dégagés, plus loin dans les Highlands. Mes grands-parents habitent là-bas, précisa-t-il pour justifier sa bonne connaissance géographique de la région. « Mais les élèvent doivent bien s’entraîner à viser avec les sortilèges, non ? Pourquoi on n’a pas de stand de tir pour ça ? »

C’est vrai ça, pourquoi ? Thomas avait déjà assisté à des duels dans la salle… de duel, mais il n’avait pas souvenir d’avoir déjà vu de lieux précisément dédiés au fait de viser des cibles, fixes ou mobiles d’ailleurs.

Sur les talons du directeur, il l’accompagna jusqu’au potager où les citrouilles pourrissaient doucement. Le froid évitait les mauvaises odeurs, mais l’humidité de la saison les avait rendues molles, affaissées et grisâtres à certains endroits ce qui n’était guère ragoûtant.

Il ne comprit pas immédiatement le trait d’esprit de Fergal et se contenta de l’accompagner jusqu’à l’endroit où se placer pour tirer, avant de lui indiquer rapidement comment manipuler l’arbalète. Ce-dernier la leva à hauteur d’épaule et Thomas eut la joie discrète – et légèrement mesquine – de le voir rater sa cible de plusieurs centimètres, le carreau allant se planter droit dans la clôture derrière.

Il effaça cependant son sourire et prit un air sombre, de ceux qui disent ‘oui oui c’est un exercice compliqué, on n’est jamais à l’abri d’une flèche perdue’.
Il le laissa poursuivre ses explications, toujours en hochant la tête d’un air concentré, avant de l’observer lancer un sortilège qui manqua de nouveau sa cible. Cette fois-ci, il en fut presque déçu. C’était toujours un crève-cœur pour Thomas de voir les sorciers échouer à faire de la magie, autant parce qu’il adorait voir les effets des sorts que parce que cela écornait un peu son image des magiciens capables de tout faire, ou presque.

- Ce n’est pas grave, lâcha-t-il spontanément d’un ton qui se voulait presque rassurant, avant de se reprendre presque aussitôt. « Il y a du vent aussi ! »

Si ça pouvait justifier à la fois les échecs du directeur et les siens, autant se raccrocher à cette excuse. La dernière question d’Armitage toutefois le pris un peu au dépourvu, en raison de son caractère à la fois sérieux et étonnement intimiste. Thomas n’avait pas trop l’habitude qu’on lui pose des questions sur ses sentiments. Garçon discret, sans histoires mais également peu remarquable parmi les autres élèves de son école, avec un père peu présent, les rares occasions où quelqu’un s’était vraiment intéressé à ce qu’il ressentait c’était avec ses cousins et ses grands-parents ou, plus récemment, avec ces messieurs du ministère de la magie qui s’étaient montrés très intéressés par tout ce qu’il avait à leur raconter.

Il prit le temps d’y réfléchir. Une question comme ça, ça ne se gâchait pas en répondant à la légère.

- Jusqu’ici c’est allé, commença-t-il puis se met à froncer les sourcils par effort de concentration. « Tous les autres sorciers ont une baguette, j’aime bien avoir un outil à moi je crois. »

C’était une parole plus réfléchie que ce qu’il avait écrit dans ses copies ces douze derniers mois, ses notes passables en attestant.

La salle sur demande. Thomas y avait bien pensé mais elle ne s’ouvrait pas pour lui. Pas de pouvoir, ça devait passer sous ses radars magiques, d’une manière ou d’une autre. Ça n’avait pas empêché le jeune homme de la visiter plusieurs fois, mais toujours accompagné. Ce n’était pas bien grave, il passait de toute façon plus de temps à l’extérieur et considérait que c’était d’avantage son élément. Aux sorciers l’école, et à lui la forêt, en quelque sorte. D’ailleurs on ne s’y trompait pas, les quelques mois où Thomas s’était trouvé sans encadrant, il avait fait de la cabane du garde-chasse son refuge, et des environs son territoire, avec les effets qu’on connaissait sur l’état du potager.

Le jeune homme n’insista pas cependant pour demander s’il était possible de lui trouver son propre stand de tir. L’idée semblait tranquillement faire son chemin dans la tête du directeur et Fergal était plus malin que lui. Ou plus sage. En tout cas avec une certaine idée de la façon de mener Poudlard, Thomas ne pouvait que se montrer accommodant et croiser les doigts pour que les choses aillent dans son sens.

Constatant l’échec du sorcier à caler un sortilège dans sa cible, Thomas en ressentit une discrète satisfaction qu’il dissimula sous une remarque polie, avant que la conversation ne prenne un tour soudain plus… intimiste ? C’était ainsi que l’adolescent le ressentait en tout cas. La question du directeur lui évoquait celles qu’on lui avait posé, plusieurs heures de suite, dans les bureaux du ministère de la magie. C’était long, un peu ennuyant, mais pas désagréable de se sentir soudain au cœur de l’attention des adultes. Thomas n’était pas le genre de garçon qui prenait la lumière, d’habitude, mais ça ne voulait pas dire qu’il n’appréciait pas qu’on s’intéresse à lui et si on lui en donnait l’occasion, il pouvait se montrer assez bavard.

Les paroles de Fergal, confirmant le lien que Thomas avait tissé entre baguette et arbalète, lui firent plus plaisir qu’il ne l’aurait pensé et soudain excité, il hocha la tête vigoureusement.

- Tant que c’est pas les carreaux qui me trouvent ! répondit-il en rigolant, avant d’ajouter « D’accord. » d’un ton plus penaud lorsque le verdict tomba.

L’arbalète pour Hopkins. C’était sans doute mieux qu’un renvoie ou une confiscation définitive, mais la garde-chasse était sans aucun doute plus sévère que le directeur et Thomas savait qu’il n’était pas encore totalement sorti d’affaire avec toute cette histoire.

Il avisa le potager avec une grimace. « Du sérieux, oui. J’en ferai preuve. Plus que… enfin… »

Bon, des fois, il valait mieux juste se taire. Il laissa échapper un sourire désolé à la mention du perroquet jureur avant de se gratter les cheveux.

- Monsieur Armitage ?

Le directeur semblait vouloir l’encourager à parler, alors c’était sans doute le bon moment.

- Il y a déjà eu des cracmols qui ont travaillé dans l’école ? Mes cousins disent que non mais on m’a raconté qu’il y a eu un concierge avant.

Il leva le nez vers l’adulte. Fergal Armitage était lui-même un ancien concierge après tout, peut-être avait-il quelques informations sur le sujet ?

- J’imagine qu’il n’est pas devenu directeur, lui ?

C’était comme si l’orage était simplement passé. Fergal Armitage avait cette nature chaleureuse qui vous faisait oublier bien vite qu’il avait haussé le ton quelques instants plus tôt, et aussi qu’il était directeur de l’école. A marcher tranquillement à ses côtés, Thomas aurait presque cru qu’il discutait avec un ami, peut-être juste un peu plus âgé.
D’ailleurs c’est sans complexe que l’ancien concierge aborde des sujets complexes, pas bien démêlés dans une tête adolescente. Thomas se sent aussi l’esprit assez tranquille pour poser à son tour quelques questions. La plupart des héros de Poudlard sont des sorciers, qualité à laquelle il ne peut prétendre, cela manque de figures auxquelles s’identifier.

Manifestement, ce Rusard ne fera pas l’affaire. Il n’a pas l’air d’un homme qu’on aimerait fréquenter. Thomas hausse les épaules, un peu déçu. Dommage que le seul cracmol à avoir travaillé à l’école soit un sale type.

- De toute façon je n’ai pas le droit de punir les autres élèves, répond-il naïvement, un peu sur la défensive. Un jour, peut-être, s’il devient garde-chasse. Mais l’idée le laisse un peu de marbre.

La proposition d’Armitage de jeter un œil aux archives lui tirent néanmoins un air plus lumineux. Voilà une bonne idée ! « Je veux bien, oui ! » Puis soucieux. « Mon père aussi a coupé les ponts avec le monde des sorciers, je ne comprends pas trop pourquoi, c’est quand même bien mieux Poudlard que là où j’étais avant. »

Trop jeune ou juste bonne pâte, l’idée que son géniteur ait pu éprouver de la rancœur ou de la jalousie pour ses frères et sœurs lui échappe. Thomas a grandi dans un monde moldu, et découvert la magie par la petite porte, comme on serait autorisé à pénétrer un univers féerique en catimini.

Armitage semble balayer la question avec philosophie, ce qui va aussi à Thomas. Trouver sa propre voie, c’est encore le mieux à faire quand ceux qui sont passés avant vous ont fait de bien mauvais choix.

- Dangereux, oui, opine-t-il. « Mais monsieur Duncan m’a dit plusieurs fois qu’il ne fallait pas avoir peur des bêtes, sinon elles le sentent. En fait, la plupart ne sont pas vraiment méchantes, plutôt peureuses… sauf les fées. » ajouta-t-il à demi-mot non sans rancœur. Sales petites garces.

Finalement, il haussa les épaules à nouveau. Sa manière à lui de ne pas trop s’engager. Thomas était plus hédoniste qu’indécis, pour le moment il était heureux à Poudlard mais qui sait ? Peut-être en aurait-il marre un jour ?

- Je ne voudrai pas faire de l’ombre à mademoiselle Hopkins, répondit-il d’un air malicieux.

Aussi raisonnable soit le point de vue d’Armitage, l’idée que Poudlard ne puisse pas être préférable au monde des moldus restait une idée assez incompréhensible pour Thomas. Certes il y avait eu des morts, certes, et pas des moindre, mais il avait entendu parler d’un jeune de son collège qui s’était tué en faisant de la mobylette, alors, est-ce que ce n’était pas un peu pareil ? A part qu’à Poudlard, le coupable courait toujours. La mobylette, elle, avait été démontée.

Thomas adressa un regard curieux au directeur lorsque celui-ci évoqua ses conditions d’arrivées. Il se mordit l’intérieur de la joue, à la fois amusé et un peu étonné.

- Zeynep m’a dit la même chose, répondit-il avant de se dire que, peut-être, Armitage ne voyait pas de qui il parlait. « Une fille de poufsouffle. » Il avait oublié en quelle année elle se trouvait.

Là aussi, c’était un sujet qui devait prendre le temps d’être maturé. Pour Thomas qui avait grandi dans son petit appartement de banlieue, un château restait un château, quand bien même sa première chambre ait eu l’apparence d’un placard. Au fond, c’était toujours mieux qu’une barre de HLM de la banlieue de Glasgow. Ici au moins, il y avait un jardin, des elfes, une cantine délicieuse et… en fait l’idée même de comparer Poudlard avec son ancienne école, son ancienne maison, tout ça lui semblait absurde et les quelques occasions où il retournait à Glasgow, même s’il était content de voir son père et ses anciens amis, ce n’était pas les moments les plus amusants du monde.

Les animaux magiques, ça c’était un vrai sujet, et cette fois-ci le directeur et lui semblaient avoir trouvé un vrai point d’accroche.

- Des dragons ? demanda-t-il soudain attentif. Il ignorait cette partie du passé du directeur. « Je ne pense pas qu’ils seraient à leur place dans la forêt interdite, c’est un équilibre fragile. »

Equilibre qu’il commençait à peine à comprendre dans sa grande complexité. Centaures, botrucs, fées, loups-garous, et tout le reste, chacun sur son territoire, avec ses besoins et ses habitudes. C’était le rôle du garde-chasse que de s’occuper d’eux et s’assurer qu’ils ne manquent de rien. Imperceptiblement, Thomas se redressa un peu, épaules en arrière.

- Garde-chasse, ça me plait bien.

HRP: