Le bruit incessant des aiguilles courant le long de sa montre avait un petit quelque chose d’énervant parfois. Un reste de son séjour à Azkaban lui revenait parfois, insinuant chez lui la détestation du moindre bruit qui pouvait lui rappeler l’écoulement du temps. Un temps trop lent, trop long, qui l’avait presque rendu fou entre les murs de sa cellule... son bureau était plus confortable, plus chaleureux, mais parfois il avait le sentiment d’être de retour plus de trente ans auparavant. Sans qu’il ne s’en rende compte, Poudlard avait réveillé de vieux souvenirs qu’il aurait peut-être mieux valu laisser derrière lui.

Le professeur soupira, délaissant la copie qu’il corrigeait. Il avait l’esprit ailleurs, loin de l’écriture un peu brouillonne de cet élève de gryffondor. De toute façon, il lui restait du temps pour tout corriger et le devoir l’appelait, dans les couloirs, pour vérifier qu’aucun des garnements ne s’amuse à une heure indécente. À son tour, il avait endossé le rôle d’un gardien, non de prison mais d’école, certes. Quelle ironie.

Le silence nocturne de Poudlard tranchait de beaucoup avec le vacarme de la journée ; aujourd’hui, il était reposant, mais autrefois lorsqu’il était lui-même un jeune adolescent en devenir, il l’avait parfois trouvé inquiétant. Puis il avait fini par s’y accoutumer et à le savourer, lui et l’adrénaline de l’interdit.
Celle-ci, il ne l’avait plus depuis bien longtemps.

Plongé dans ses pensées, il fut un peu pris de cours en apercevant une collègue. Une première présence, la seule qui avait rompu la paisible tranquillité de l’école endormie. « Bonsoir professeur. » Il avait déjà un peu discuté avec elle, pédagogie particulièrement durant les vacances scolaires, mais il n’avait pas encore eu le temps de réellement entretenir une quelconque familiarité avec elle. « Je n’ai pas eu beaucoup plus de mouvement de mon côté. » Ça n’était pas plus mal, Wenceslas n’avait jamais trop aimé devoir être l’outil d’une discipline comme celle-ci. Punir les élèves qui chahutaient dans sa classe ou ne travaillaient pas assez était une chose, courir après des garnements couche-tard en était une autre qu’il trouvait toujours relativement peu utile. Lui-même n’avait pas toujours appartenu à ceux qui respectaient le mieux les interdictions de l’école aussi trouvait-il plutôt hypocrite de jouer le rôle de l’officier implacable. Pourtant il le faisait de bon gré, ou du moins sans trop râler ; parfois, il avait quelques bonnes surprises, comme lorsqu’il avait surpris Reid dans le balcon du monde. « Pas toujours, mais c’est relativement calme ces derniers temps. Sans doute la pédagogie un peu rude de l’ancien directeur a-t-elle calmé les ardeurs des moins téméraires. Quoique qu’il ne faille pas trop se leurrer, je serais très surpris d’apprendre que tous dorment à poings fermés. » Il fallait reconnaître que savoir que les tableaux d’alors ne laissaient guère de pitié aux contrevenants devait en refréner un bon nombre. Les habitudes, ou tout du moins les craintes de sanctions, ne s’étaient pas encore totalement libérées du regard inquisiteur de Sørensen et van Aken. D’autant que ce dernier était encore à Poudlard. Mais le chanceux se faisait plutôt absent durant les patrouilles, jouant avec brio sur son âge pour justifier sans avoir même à le dire qu’il ne vienne pas crapahuter au sommet du château. Son armée de peintures devaient être aux aguets, mais il devait sûrement se considérer au-dessus des simples choses de la discipline... et l’ancien langue-de-plomb devait reconnaître qu’à sa place, il aurait sans doute fait de même. Au fond, la besogne n’était toutefois pas particulièrement désagréable mais elle avait simplement le don de tomber chaque fois qu’il préférerait siroter un café nocturne. « Je ne sais trop guère si je préfère l’ennui mortel d’une nuit de ronde sans attraper un élève ou la perte de temps que représente inéluctablement la punition qu’il va falloir donner au malheureux qui tombe sur nous... » Sans doute était-ce parce qu’il était un éternel insatisfait et un râleur invétéré. Mais ce soir, puisqu’ils étaient deux, il pouvait savourer ce petit plaisir de savoir que s’ils tombaient sur un élève un peu malchanceux, il ne serait pas le seul à devoir effectuer son travail. Un peu fainéant, le né-moldu ? Sûrement.  

Au détour d’un couloir, sa nouvelle collègue sembla percevoir une chose à laquelle lui n’avait pas encore prêté attention, ne comprenant qu’après quelques secondes, et ses brèves explications, ce dont il s’agissait. Ses lèvres s’étirèrent en un discret sourire moqueur tandis que ses yeux venaient à se poser sur une poignée qui n’était pas là, quelques secondes plus tôt. Au jeu du chat et de la souris, c’était aux deux félins de remporter la mise, cette fois-ci. Les enfants ne pouvaient pas toujours gagner cette partie de cache-cache qui se jouait chaque nuit. « Alors, quelle maison selon vous ? Qui va entamer un peu son sablier, ce soir ? » Il ne fallait pas croire : derrière ses airs trop sérieux et un brin dépressif, Wenceslas était d’une nature aussi taquine que joueuse. Il pouvait même se révéler une d’une plutôt bonne compagnie, lorsqu’il était bien luné ; les détraqueurs ne lui avaient pas tout enlevé, ou pas de manière assez durable. « Pour ma part, je vais parier sur un poufsouffle. Ça fait bien longtemps que je n’en ai pas surpris en dehors de leur dortoir. » Une Roxy en train de faire de nouvelles expériences magiques ? Ou un Bradford, les bras pleins de bouteilles d’alcool ? Il ne fallait pas croire, les jaunes et noirs avaient leur lot de garnements aussi.  

Après quelques secondes d’une attente trépignante, la poignée se matérialisa entièrement et s’enclencha, la porte pivotant pour laisser apparaître...

Il se révélait parfois plus agréable de partager son habituelle ronde solitaire avec une autre âme, quelqu’un qui puisse le distraire de la monotonie nocturne de l’école. Peut-être était-ce aussi l’occasion pour les plus malins des garnements d’éviter la punition, alors qu’entendant des voix adultes approcher vers eux, ils trouvaient une cachette suffisante pour fuir l’inévitable sanction. Tant qu’ils ne commettaient pas d’impairs trop importants au règlement, Wenceslas pouvait accepter l’idée que l’on déjoue sa surveillance : c’était le jeu de la scolarité. Qu’ils prennent le risque de se faire surprendre et profitent de cette adrénaline, mais malheur à ceux qui n’étaient pas assez malins ou chanceux. Cette année, ils n’encouraient pas grand-chose de plus qu’un retenue un peu longuette, alors il serait absurde de ne pas tenter l’aventure, si ? Un an plus tôt, sa vision aurait été sûrement un peu différente. « Les élèves les plus âgés ont cru revoir les années Blackman à peine avait-il foulé le sol de l’école, et force est de constater que sa pédagogie n’était pas des plus égalitaires. » Les professeurs eux-mêmes avaient été laissés pour compte dans les choix de Sørensen, ce qui avait sans doute accentué imperceptiblement la vision négative des élèves les plus contestataire. « Il est un homme plus sage que Blackman, et il n’a pas réellement eu le temps d’impacter profondément l’école... mais il n’était pas un ange pour autant, la bombe n’est pas la seule chose à avoir blessée des élèves. » La majorité des professeurs eux-mêmes n’avaient pas été mis au courant de ce que la sanction pesant sur le rejeton van Aken avait laissé comme traces chez mademoiselle Özdemir. De l’eau avait coulé sous les ponts, empêchant de dévoiler le pot-aux-roses sans causer du tort à la première victime et épargnant alors quelques conséquences au prédécesseur de Fergal. Wenceslas devait bien l’admettre : il s’agissait là d’une de ses plus grandes déceptions.

La tentation de souligner, qu’à son sens, la nouvelle nomination avait été pour lui une excellente nouvelle se fit sentir, mais un vieux relent de neutralité professionnelle le fit taire sa remarque. Il admettait bien volontiers que face à Sørensen, il avait fini par voir en Armitage un ami, et avec le départ de Thorstein – puis bientôt de Siwan – ils commençaient à se faire rares ceux qui bénéficiaient de cet attribut. Il ne connaissait encore que peu Myrthilde, mais elle lui semblait être pour l’heure une femme tout à fait saine d’esprit, plus équilibrée sans doute que bien des personnes ayant occupées des postes à Poudlard. En ce sens, elle était un digne successeur du professeur Hatwell, quoique dans un style très différent. « Pensez-vous qu’il soit convenable de dormir pendant la punition ? Cela aurait au moins le mérite de nous épargner quelques cernes. » C’était toujours bon signe de le voir commencer à plaisanter un peu ; cela manifestait du crédit qu’il donnait à la personne, et à défaut de trouver une quelconque utilité à la ronde, il passait un meilleur moment que s’il avait été seul, ou trop mal accompagné.

Mais comme si une force supérieure l’entendait, le dieu des enseignants ennuyeux peut-être, un peu d’action vint pimenter leur soirée. Un sourire fendit son visage alors qu’il se tournait vers sa collègue, prenant les paris. Poufsouffle contre gryffondor. Il opina du chef ; choix judicieux, les lionceaux avaient toujours été suffisamment téméraires pour se balader à toute heure du jour et de la nuit là où ils ne devraient être. « Rappelez-moi de suggérer à notre cher directeur de prendre exemple sur Uagadou, je commence à me faire trop vieux pour courir après les élèves. » rigola-t-il alors qu’une silhouette apparaissait finalement. Un élève qu’il n’eut guère de mal à reconnaître comme vivant sa scolarité sous le drapeau des blaireaux ; le pauvre, il représentait parfaitement l’emblème de sa maison, ce soir. Et son visage, qui se décomposa en voyant les deux adultes, prenait des teintes relativement similaires au jaune de sa maison. « Eh bien, monsieur Pollard, réjouissez-vous, dans votre malheur, vous faites des heureux. » Le regard du pauvre élève de quatrième année sembla se perdre quelques instants derrière les deux professeurs, comme s’il envisageait de prendre la poudre d’escampette. La raison ne tarda toutefois pas à lui revenir, et il maugréa quelques excuses à peine compréhensibles. « C’est votre préfète qui va être déçue, il m’a semblé entendre dire qu’elle était particulièrement décidée à remonter dans les pronostics pour la coupe des quatre maisons. Ça fera donc dix points en moins pour poufsouffle pour cette escapade nocturne. » Il marqua une pause, regardant sa collègue d’un air amusé. « Auriez-vous besoin d’un élève pour trier quelques artefacts ensorcelés par nos ancêtres sorciers, professeur ? » Lorsque l’on savait tendre un peu l’oreille, les cours donnés par les autres adultes de l’école ne restaient pas longtemps bien secrets, particulièrement lors de nouvelles arrivées dans le corps enseignant. Un professeur d’histoire de la magie qui ne leur faisait pas que la dictée d’évènements ancestraux, ça marquait d’autant plus l’intérêt des élèves qu’ils ne parlaient que de ça pendant les premières semaines.

Parler de l’année passée n’était pas simple ; certaines choses méritaient de rester dans les sphères de l’inconnue pour ceux qui ne les avaient pas affrontés, tandis que d’autres auraient mérité d’être évoquées avec plus d’emphase de que dont Wenceslas se permettait. En bon ancien employé du département des mystères, il était un partisan d’une parole mesurée. Parfois trop. Naturellement, il lisait les évènements à la lumière de ceux qu’il avait connu lui-même par le passé, relativisant sûrement ce que les générations actuelles ne pouvaient accepter ; ainsi les choses lui paraissaient facilement moins alarmantes, risquant parfois de fermer les yeux sur des évènements qui auraient mérités plus d’attention. Comme la mutilation d’Ozdemir. « Bien heureuse êtes-vous alors. » rigola-t-il. Il y avait donc des promotions de Poudlard qui n’avaient pas connu des drames à répétitions. Entre sa propre scolarité et l’œil qu’il avait parfois porté sur les actualités de l’école, lorsqu’il était déjà bien ancré dans la vie professionnelle, n’avait fait que brosser un portrait assez peu reluisant... mais force était de reconnaître que l’on ne parlait habituellement que du pire et que les articles de journaux s’attardaient assez rarement sur l’établissement lorsque tout allait bien. Ç’aurait été moins vendeur. « Je serais bien surpris qu’ils ne s’inquiètent que pour leur BUSE... une de leur camarade est morte dans le train, après tout. » Il marqua une pause, opinant du chef face aux ragots amoureux imaginés de leurs élèves. « Effectivement, pour certains, s’inquiéter des résultats au BUSE est déjà beaucoup leur demander. Cela dit, je ne puis guère les en blâmer, je n’ai pas été le plus exemplaire en la matière, à leur âge. » Et pourtant, il était devenu langue-de-plomb. Comme quoi aucun cas n’était totalement désespéré pourvu qu’on lui en donne les moyens.

Aurait-il affaire à une semblable de Siwan, à la fois professeur et rubrique des derniers potins de l’école ? Wenceslas devait admettre qu’entendre les ragots glanés de ci de là par l’enseignante de divination allait lui manquer ; c’était toujours un moment de légèreté qui faisait du bien dans un environnement en proie aux conflits et aux meurtres. Les blagues idiotes des élèves pouvaient être lassantes, mais elles étaient aussi parfois l’occasion de simplement s’amuser de quelques farces ratées, d’erreurs de jeunes garnements surpris d’une manière toujours plus ridicule... ça changeait les idées, quand bien même il ne fallait pas le montrer et sévir, tout en supportant les heures de retenue. « Je suis persuadé que certains élèves ont déjà trouvé la solution pour dormir les yeux ouverts. Les plus fainéants dans mes cours sont souvent ceux qui surprennent le plus par leur maîtrise de certains sortilèges. » Il afficha un sourire amusé où un regard averti pourrait presque y voir une forme de tendresse à l’égard desdits fainéants. « J’ai l’avantage de donner des cours dans une discipline qui peut valoriser autant le travail scolaire que les plans foireux pour déjouer le règlement. Et c’est parfois très distrayant de les voir tenter des enchantements toujours plus farfelus pour tricher durant un contrôle. » S’il était partisan d’une pédagogie plus taquine, il en aurait presque envisagé de rajouter des points à ceux qui se distinguaient de la sorte.

Le poufsouffle qui tomba nez à nez avec les professeurs, en revanche, n’avait pas joué de cette chance insolente qui donnait parfois envie de fermer les yeux sur quelques écarts. Il avait perdu au jeu du chat et de la souris mais peut-être pourrait-il en profiter pour s’instruire un peu plus en histoire de la magie ? « Vous êtes chanceux, monsieur Pollard, vous allez pouvoir lier l’utile à l’agréable et ainsi réviser vos cours pendant votre retenue. Avec ça, vous n’aurez plus aucune excuse pour ne pas avoir la meilleure note ! » ponctua-t-il à l’énoncé de la sanction de Myrthilde, avant que celle-ci ne le renvoie vers sa salle commune. « Et n’imaginez pas faire de détour, les tableaux auront tôt fait de vous dénoncer. » Il fallait bien qu’ils se montrent utiles de temps à autre, ceux-là ! Mais au moins, avec un élève surpris à crapahuter hors du dortoir, au moins n’avaient-ils pas patrouillé dans les couloirs inutilement. C’était sans doute la pire des déceptions que de passer la soirée entière à aller d’un bout à l’autre du château sans jamais croiser rien ni personne.

L’ancien langue-de-plomb remit ses mains dans les poches d’un air nonchalant, arborant un rictus amusé face à la confidence de sa collègue. « Le pauvre, vous lui promettiez monts et merveilles. » Il lâcha un petit rire ; le garçon allait sûrement être soulagé de constater qu’il n’était nullement question de culottes, mais tout de même... « Reconnaissez que recopier des lignes est beaucoup plus banal, il perd une occasion de se distraire un peu et de changer ses habitudes... » Quelle tristesse !