Wenceslas reposa sa plume à côté de son encrier et s’étira longuement, le dos rendu douloureux par les heures passées assis à son bureau, penché sur divers parchemins. Les tâches rébarbatives n’étaient pas propres à son travail de professeur, mais elles lui semblaient infiniment plus désagréables que celle inhérentes à la fonction de langue de plomb. La faute à la répétitivité des devoirs rendus par les élèves, rarement originaux et souvent faits à plusieurs. Les corrections étaient tellement plus épuisantes que l’écriture de rapports sur ses dernières expériences ou des demandes de renseignements auprès d’autres collègues du sous-sol le plus secret du ministère.

Il avait parfois la sensation de ne jamais parvenir au bout de la pile de copies à corriger, mais elle s’était finalement réduite d’une bonne moitié. C’était un quota de travail respectable. Peut-être pas de quoi être fier, mais au moins il pouvait laisser le reste pour le lendemain sans trop culpabiliser. De toute manière, l’heure avançait et le professeur de sortilèges s’était promis d’aller voir son ancien collègue et désormais supérieur hiérarchique, qui devait s’ennuyer ferme dans son bureau. Ou s’arracher les cheveux, selon les jours.

L’enseignant plongea une main dans un tiroir du meuble, derrière lui, et y fouilla jusqu’à trouver une bonne bouteille, dernier cadeau de Thorstein avant qu’elle ne plie bagage et quitte l’école de sorcellerie. C’était fou ce qu’elle pouvait manquer à Poudlard, celle-là. Toujours froide, traumatisante et rude, mais d’une bonne compagnie. Il y avait des compagnons de travail qui marquaient plus que d’autres, et elle faisait indéniablement partie de ceux qui avaient laissés chez le né-moldu une certaine impression impérissable. Il semblait à présent que ce soit à lui d’endosser le rôle de l’adulte qui prend du plaisir à malmener ses élèves.

Dans un dernier soupir, il quitta son fauteuil de bureau, jetant sa cape de sorcier sur les épaules, baguette glissée dans la poche de son veston. Le mois était plutôt chaud pour l’époque, mais pas assez pour réchauffer les couloirs de l’établissement. Sa traversée avait un côté un peu théâtral, avec le long vêtement qui battait au vent et rythmait chacun de ses pas. Dans le silence calme d’un début de soirée, alors que les élèves s’étaient pour la plupart reclus dans leurs salles communes, il donnait l’air d’être une grosse – très grosse – chauve-souris. Les tableaux se retournaient sur son passage mais tous l’ignoraient et finissaient par détourner le regard en un étrange ballet de coup d’œil qui le suivait sur le chemin. Quelques étages plus bas, il arrivait enfin devant le nouveau bureau de Fergal, plus grand, plus beau, plus impérial. Il était même gardé par un phénix de pierre qui attendait mollement un mot de passe. Il était de coutume que les professeurs le connaissent et puissent ainsi rejoindre leur directeur, en cas d’urgence.

Mais ce soir, d’urgence il n’y avait point. Guère plus que la veille, en tout cas. Poudlard était débarrassé des enquêteurs qui avaient foulé le sol de l’école, au début de l’année, mais nul meurtrier n’avait été arrêté, pas plus qu’un autre cadavre n’avait été trouvé. C’était déjà ça. Pour autant, Wenceslas était loin d’oublier ce qui s’était déroulé dans le train où les encadrants adultes se faisaient si rares. Ils étaient en partie coupable de la mort de cette pauvre O’Delee. « Bonsoir Fergal. » Cette fois-ci, il ne l’avait pas appelé « monsieur le directeur », avec son sourire oscillant entre moquerie et sympathie. La lassitude de la journée le rendait moins espiègle, ses pensées sombres y contribuant largement. « Je me suis laissé dire que notre cher directeur avait gagné le droit à un peu de distraction, après cette rentrée mouvementée. » C’était peu de le dire. Bien entendue, il ne s’était pas présenté à l’improviste, ce qui n’avait pas été précisé tout de fois, était qu’il ne venait pas les mains vides. D’un coup de baguette, il fit apparaître la bouteille qu’il avait retrouvé dans son tiroir. « Un cadeau de Thorstein, avant son départ. Tu sais que je me répugne à boire seul. »

@Fergal Armitage

Le directeur avait les yeux de quelqu’un qui avait passé trop de temps à fixer des parchemins ; Wenceslas reconnaissait là bien les signes d’un mal qui touchait nombreux de ses anciens collègues. À trop écrire et lire, à la lueur des lumières artificielles magiques ou non, l’on voyait plus facilement les stigmates de lassitude sur le visage. Il était bien placé pour les reconnaître, puisqu’après tout, elles étaient devenues une part intégrante de son propre reflet que même les potions n’avaient le pouvoir de masquer. Et ça n’était pas faute de s’être un peu ouvert au monde, depuis son changement de travail : à croire que ces choses là ne partaient jamais une fois installées. « Une retraite ? Par Merlin, non ! Ne compte pas sur moi pour te faire cette fleur : j’ai un patron qui ne risque pas d’avoir envie de me renvoyer à Azkaban, crois-moi, ça m’est arrivé assez rarement pour que je veuille le garder. » déclara-t-il dans un sourire moqueur. Dans les tableaux, un ancestral prédécesseur de Fergal manifesta son mécontentement, mais l’enseignant l’ignora avec le plus parfait des dédains. Ça n’était pas encore le vestige magique d’un vieux sorcier issu d’une époque rétrograde qui allait lui donner des leçons de bienséance. De toute manière, tous les habitants faits de peinture à l’huile furent assez rapidement envoyés vers d’autres pâturages peinturluresques. Il n’avait pas que les plus sympathiques des tableaux dans son bureau, à croire qu’ils avaient fait exprès de reléguer ceux qui dansaient la farandole dans les tréfonds des cachots pour ne garder à la vue de tous que les plus lugubres et déprimants des portraits.

L'homme avisa la multitudes de victuailles rapportées par Mitsy. « Je ne saurais dire si c’est la preuve qu’elle prend soin de son directeur, ou s’il s’agit plutôt d’une tentative de meurtre par indigestion. » Connaissant un peu l’elfe – moins que l’ancien concierge ne pouvait s’en vanter – il optait plutôt pour la seconde solution. Des deux hommes, c’était bien le barbu qui avait noué le plus de liens avec les différentes créatures peuplant Poudlard et ses alentours... voire avec les habitants de l’école, quels qu’ils soient. L’on ne connaissait pas Wenceslas pour son amabilité naturelle, mais plutôt pour sa rigueur un peu froide et sa solitude silencieuse, propre aux langues-de-plomb. Tout avait pourtant ses limites et même lui, le plus taciturne du département des mystères, se révélait être plutôt affable avec certains – rares – collègues.

Le né-moldu déboucha la bouteille, servant un peu de liqueur dans les deux verres. « Oh, je viens aux nouvelles. Je me languis de cette époque où je voyais notre cher concierge courir après les élèves, dans les escaliers. » Ce temps là n’était nullement regrettable, si ça n’était peut-être pour le corps professoral, qui avait un visage un peu différent. Hatwell et Thorstein n’était plus là – Duncan non plus, mais ça n’était pas une grosse perte – et Siwan avait perdu de sa superbe depuis qu’elle passait plus de temps dans sa tour qu’à raconter des ragots. « Poudlard est trop paisible, c’en est presque inquiétant. Je présume que tu n’as pas beaucoup plus de nouvelles que moi au sujet de mademoiselle O’Delee ? » Ça n’était pas faute d’avoir questionné un peu certaines de ses connaissances du ministère ; rien ne sortait, rien d’intéressant tout du moins, et ils semblaient piétiner dans une mêlasse infâme de laquelle ils ne sortiront que bredouille. Ces tocards n’étaient pas près de trouver l’assassin qui se baladait dans l’école. « Inspecteur Baguette mis à part. » Il était réellement attristé de voir que des élèves – qui pourtant appréciaient pour la plupart Fergal – en venaient à le prendre pour cible de blagues idiotes en pareilles circonstances... quoi que ça ne le surprenait pas tout à fait. Les adolescents étaient des créatures forts indécises.

Il était assez curieux de constater comment en quelques mois, tout avait pu changer – en apparence – à Poudlard. Le départ de Sørensen redistribuait certaines cartes et s’ils avaient pu craindre que son acolyte logeant dans les cachots ne tente de reprendre la main, il n’en avait rien été. Dans le cas contraire, Wenceslas doutait de la capacité actuelle du ministre à lutter. À moins que l’attaque du ministère, un peu avant l’été, ait suffisamment effrayé les esprits pour qu’un refus catégorique de la mouvance sang-pur ne redevienne d’actualité. Quoi qu’il en soit, pour une fois que le conseil de l’école avait un peu de bon sens, il n’allait pas s’en plaindre. « Oh oui, fantastique ce voyage scolaire. Il m’a appris à apprécier le bruit de mes neveux quand ils se disputent. » Il ironisait et râlait volontiers, mais il avait connu pire. Quoique ça n’était pas un grand exploit, pour quelqu’un étant allé à Azkaban. « Il va te falloir trouver un endroit à la hauteur de ceux rustres, froids, peu confortables et inamicaux de Sørensen. Le département des mystères, peut-être ? Ça coutera moins cher au retour, en plus. Les petits garnements qui s’aventurent à tout va n’en reviendront pas vivants, ça te fera moins de bêtise l’année prochaine. » Les professeurs n’avaient plus qu’à lancer les paris sur les premières pertes, lui-même avec quelques idées de candidats potentiels.

Ses yeux balayèrent la pièce du regard. « Il est vrai que ton bureau est plus sympathique le mien. Et plus spacieux. Mais j’entends déjà les ragots de tableaux raconter que le professeur de sortilèges roupille pendant que le directeur fait son travail... et il est difficile de savoir de quel côté sont les peintures, ces temps derniers. » Entre van Aken senior qui avait disséminé ses peintures et Sørensen qui lui avait donné la place d’en mettre de nouvelles, il était permis d’envisager que des espions du maître des potions demeuraient toujours dans les couloirs de l’école, cette année encore. Et il y avait les farces picturales – dont l’auteur ne faisait pas grand mystère – qui venaient rajouter un peu de bazar à tout ceci. « Mais si tu tiens à voir des élèves, je t’en envoie avec plaisir en retenue. Je suis sûr que ton remplaçant au poste de concierge sera très heureux d’avoir un peu de répit. En l’absence d’un garde-chasse, le pauvre ne sait plus où donner de la tête. » Déjà que la fonction n’avait jamais été la plus simple – il soupçonnait même que cela soit l’un des pires postes de l’école, largement devant celui d’enseignant – mais au vu des circonstances, il fallait s’attendre à un premier trimestre des plus fatiguant.

L’ancien langue-de-plomb avala une rasade de cette boisson qui avait le don de brûler légèrement son gosier sans qu’il n’en éprouve d’inconfort. « Thorstein, puis Siwan... nos rangs vont en s’amenuisant. Poudlard sera bien triste, sans elle. » Il n’avait pas aimé apprendre le départ de leur collègue nordique, celui de la directrice de serpentard n’en était que plus fracassant. « J’imagine qu’on peut lui être infiniment reconnaissants d’avoir tenu tout ce temps, malgré les évènements. Sans elle, l’école aurait implosée il y a bien longtemps déjà. » Il ne lui avait pas fallu longtemps pour comprendre comment fonctionnaient les choses, au sein des encadrants de l’établissement. Tandis que Sørensen et van Aken menaient de front – l’un avec plus de minutie que l’autre – leur petite guerre, les gens comme les deux collègues – bientôt anciennes – avaient gardés à flot le tout, supportant les requêtes et autres scandales des élèves. Fergal n’avait pas moins lutté en ce sens, faisant de lui celui qui méritait le mieux le poste qu’il occupait. Dumbledore merci, il n’avait pas démissionné et, assez égoïstement, Wenceslas pouvait espérer que l’entrée de son pupille en première année le garde bien vissé sur son fauteuil de directeur. « Voilà qui ne m’étonne pas de ta part. » Il avait eu un petit rire jaune. Il n’était surpris ni de la réaction de l’ancien concierge ni, plus dramatiquement, de celle de la police magique. O’Delee ne figurait pas dans les grandes priorités du ministère... aurait-ce été différent s’il s’était agit de la benjamine Sørensen ?

À son tour, il se resservit d’un verre qu’il porta aussi vite à ses lèvres. « Un Sherwin qui appelle au secours ses parents, quelle surprise. Sa sœur me semble un peu mieux câblé que lui, je dois l’avouer. Au moins a-t-elle le bon goût de ne pas ramener sa famille dans l’équation face à un sang-de-bourbe dont elle requiert l’aide. » Attrapant un morceau de gâteau préparé par l’elfette, il attendit quelques secondes avant de répondre, l’air de réfléchir. « Je crains de n’avoir guère plus de retours de mon côté. L’attaque du ministère, au début de l’été, a occupé une partie des effectifs, c’est je pense l’une des raisons pour lesquelles le meurtre d’une étudiante – qui plus est dont les parents ne rappliquent pas au ministère toutes les semaines pour râler – demeure relativement peu intéressant. Au département des mystères, c’est tout juste s’ils savent ce qui s’est passé, mais j’imagine qu’il ne faut pas en attendre de plus de la part de sorciers qui ne savent pour la majorité pas à quoi ressemble un enfant. » L’homme poussa un soupir las, trouvant rapidement réconfort dans les victuailles. « Je ne t’envie pas ton poste... encore moins avec un début d’année comme celui-ci. » Trois décès parmi les élèves et anciens élèves à annoncer le jour de son premier discours, une démission plutôt emblématique quelques mois plus tard... « J’imagine que le professeur van Aken va hériter du poste de directeur de maison ? Pauvres serpentards, j'entends déjà mademoiselle Mills s’en scandaliser. » Aussi étrange que cela puisse paraître, il avait en réalité un grand respect pour le vieil homme... il avait une carrière et une expérience que l’on ne pouvait ignorer, mais en filigrane, il gardait une certaine méfiance naturelle à son égard. Il était relativement discret – sa seule réelle intervention récente ayant été de remonter en grade son rejeton, ce que l’on pouvait comprendre – mais il était toujours préférable de se méfier de l’eau qui dort.

La proposition de Wenceslas ne sembla guère séduire suffisamment son collègue pour qu’il s’en saisisse. Sans doute manifestait-il ainsi la principale raison derrière sa nomination : ça n’était pas des gens comme le vieux des cachots ou le langue-de-plomb aux allures de dépressif que l’on voulait à la tête d’une école. Leurs idées, comme l’image qu’ils donnaient à l’école, n’étaient pas des plus appropriés. Et puis deux anciens détenus d’Azkaban, ça faisait tache, quand bien même l’un comme l’autre n’avait officiellement rien à se reprocher. Dommage, il aurait adoré voir les étudiants crapahuter dans le dernier sous-sol des ministères ; ça lui aurait ramené un peu de vie, peut-être de quoi rappeler à ses anciens partenaires de travail ce à quoi ressemblaient des adolescents. Comme s’il lisait dans ses pensées, le directeur lança une petite pique à son égard, preuve s’il en était que le né-moldu n’était pas si différent que ça de ses anciens compagnons de travail. « Quelle idée j’ai eue de venir travailler dans un établissement scolaire. » soupira-t-il d’une façon un peu exagéré tout en sirotant son verre. Il se plaignait, mais au fond, tout n’était pas à jeter dans son nouvel emploi ; Fergal comblait à lui seul la capacité de tous les langues-de-plombs à sourire, ce qui était de même assez rafraîchissant, et pouvoir façonner lui-même les futures générations qui peut-être rejoindraient le ministère avait ses avantages.

Puis Poudlard était tout de même bien mieux décoré, quand bien mêmes lesdites décorations pouvaient se révéler un peu trop présentes, parfois. « Il ne faut pas trop leur en vouloir, ils ne doivent plus avoir grand-chose à faire maintenant. Et nous savons tous deux que le jour où ton portrait viendra les rejoindre, tu ne seras guère plus sérieux qu’eux. » Il ne lui souhaitait pas que ça arrive bientôt, mais il fallait bien que les directeurs tirent quelques avantages de leurs fonctions : si ça n’était pas la tranquillité ou le repos, au moins avait-il l’assurance de laisser une trace indélébile de son passage. Beaucoup de sorciers aspiraient à un tel honneur sans jamais y parvenir. « Je me ferais un plaisir de t’envoyer un ou deux élèves en retenue pour dépoussiérer ces tableaux, si tu insistes. » Ils en auraient du travail, les pauvres. Quoiqu’il y eût sûrement bien pire que d’écoper d’une peine scolaire avec l’ancien concierge ; ah ces chanceux qui n’avaient pas connu Rusard !

S’il y avait un départ que l’école n'avait pas du trop regretter, c’était le sien. Siwan, en revanche, allait laisser un vide certain. L’air un peu affecté, il se mit à tapoter son verre du bout des doigts, comme en pleine réflexion. « Le cahier des charges n’est pas simple : trouver quelqu’un capable d’enseigner la divination et remuer un peu le merdier que peut être cette école... » Mission presque impossible. Il allait sûrement falloir attendre un peu plus pour que la perle rare se manifeste. En attendant, ils n’avaient plus qu’à supporter les élèves les plus difficiles et casser du sucre sur le dos des autres. C’est fou ce que ça pouvait être salvateur ! « Ah je retire ce que j’ai dit. » ricana-t-il aux confidence du directeur sur les jumeaux Sherwin. « Cela dit, ça n’est pas bien étonnant. Un peu triste pour des jeunes gens qui s’apprêtent à quitter Poudlard, mais j’imagine qu’ils découvriront bientôt que dans le monde réel, leur nom ne vaut pas grand-chose. Ils sont arrivés quelques décennies trop tard, les pauvres. » Les derniers mots de Wenceslas le firent lever les yeux au ciel, comme exaspéré et peu convaincu par sa fausse compassion. Un tel gâchis, ils n’étaient pas de mauvais sorciers, mais de biens piètres êtres humains, ce qui n’était pas peu dire venant de lui.

L’adage était bien vrai : les meilleurs partaient toujours les premiers et Michaela, fauchée si tôt par la folie meurtrière d’une personne qui restera sûrement toujours dans l’ombre, allait sérieusement manquer à cette école. Ce sentiment commençait à être beaucoup trop présent ; entre les départs volontaires et les décès, ils ne semblaient jamais pouvoir se poser en toute quiétude. Alors lorsqu’il fut question du remplacement de Siwan, pour l’une de ses attributions, la réponse de l’autre homme lui arracha un franc rire. « Avec plus de travail pour le même salaire ? Par Merlin, non ! » Bien entendue, le salaire n’avait rien à faire dans ses réelles motivations. S’il ne travaillait que pour l’argent, jamais il n’aurait quitté son poste de langue-de-plomb qui était très généreux en la matière. « Quoiqu’il en soit, le professeur van Aken est ici depuis bien plus longtemps que moi, personne ne comprendrait que je prenne la fonction de directeur de maison. Si tu me nommais, tu risquerais des critiques de la part de certains parents qui y verraient une occasion formidable de te dévouer dans ton poste, d’autant plus que notre proximité est un secret de polichinelle. » Ceux-là même qui accouraient pour permettre à Bluebell de changer de chambre viendraient à accuser Fergal de favoritisme sans la moindre vergogne. L’école avait besoin de stabilité et d’un directeur qui n’ait pas que la politique en tête comme cela pouvait être le cas pour Appleton ou Sørensen ; en cela, la nomination de l’ancien concierge était sans doute l’une des meilleures idées que le conseil d’administration ait pu avoir.

La remarque sur Skyler arracha un second rire à l’enseignant. « C’est bien là la plus grande de mes inquiétudes ! » En réalité, il l’aimait bien, cette jeune fille. Elle avait infiniment plus de forces que lui n’en avait eu au même âge, et elle savait se défendre, peut-être un peu trop bien d’ailleurs pour sa propre santé. « Mais je doute qu’elle n’ait de vrais choses à lui reprocher, elle comme d’autres élèves, d’ailleurs... il ne m’a paru jamais être très présent dans les affaires de l’école. Le ministre m’a dit que ça n’avait pas toujours été le cas, mais j’imagine qu’à son âge, il commence à être las de tout ce remous. » Si même avec le départ du norvégien, le maître des potions n’en était pas venu à se réveiller de sa torpeur, ils pouvaient sûrement dormir sur leurs deux oreilles. À moins que ce ne soit simplement le calme précédant la tempête... seul l’avenir pourra leur dire.

Fergal et Wenceslas étaient deux hommes qui, en dehors de Poudlard, n’auraient sans doute guère conversés très longtemps ; d’ailleurs lors de leur première rencontre, au ministère, ils ne s’étaient pas particulièrement rapprochés. Les années semblaient pourtant avoir forgé chez l’ancien langue-de-plomb une tendance un brin plus amicale. Il avait toujours été une personne assez calme et solitaire, et il le demeurait, mais avec le temps et sans doute le changement de fonction, il apprenait à redécouvrir un monde plus vivant que ce qu’il connaissait du département des mystères. De fait, l’ancien concierge n’était sans doute pas le seul à découvrir une personnalité plus sympathique de lui, mais il était sûrement celui qui découvrait sa facette la plus naturelle. Ce devait être dû à la personnalité du directeur lui-même : il prêtait plus facilement aux taquineries et ne s’en offusquait nullement, bien au contraire. « C’est ainsi, les anciennes générations aident et éduquent les nouvelles, même chez les directeurs de Poudlard... tes mémoires se chargeront de tes successeurs à ce poste. » Il avala une petite gorgée de liqueur. « Ma seule déception est de savoir que je n’aurais jamais la chance de voir ce que donneront les directeurs sous l’influence de ton portrait. » Mine de rien, il était plus âgé que Fergal : la nature voulait qu’il passe la baguette à gauche bien avant lui, et il doutait laisser à la postérité plus que des rapports au département des mystères... ce qui était déjà pas mal, et tout ce pourquoi il avait aspiré.

Dans une logique presque scolaire, la discussion passait de la direction de l’école à ses professeurs, pour finalement s’attarder sur ses élèves ou, à tout le moins, certains d’entre eux... ils n’avaient pas encore assez bus pour avoir un fil décousu, c’était bon signe. « Malheureusement, je ne vais guère pouvoir t’aider pour leur cote, n’oublie pas que je suis un sang-de-bourbe, je n’ai jamais été le bienvenue dans leurs dîners mondains. » Son rire était dénué de toute forme d’amertume : en fait, il aimait bien rire de la situation, utilisant bien volontairement pour lui-même un qualificatif que l’on avait par le passé utilisé comme insulte à son égard.

Pour les ragots de la bonne société sorcière, il aurait mieux valu compter sur Siwan... son départ annonçait bien des soirées mornes par rapport à ce qu’ils avaient connus jusque-là, et ça n’était pas son successeur au poste de directeur de maison qui allait se prêter au jeu des racontars. Tant pis, Wenceslas aurait adoré entendre le genre d’histoire croustillante que pouvait bien raconter un vieillard issu de la bonne noblesse britannique. « On parle du poste de directeur de maison de serpentard, voyons... la cupidité pourrait être ajouté aux attributs des serpents. » Il marqua une pause. « À moins que ce ne soit plutôt celui des langues-de-plomb... va savoir ! » En réalité, il n’avait nul besoin d’un salaire plus élevé et s’en moquait bien pour la simple et bonne raison que son compte à Gringotts était déjà bien doré. Il n’était pas un grand dépensier et n’avait pas d’héritier, aussi se moquait-il complètement de le voir grossir encore plus. « Je tâcherai de proposer l’idée à Mills. Je ne doute pas qu’elle préférera ce plan de carrière que celui proposé par le conseiller d’orientation de Sørensen. » Une bonne blague, lui aussi.

Autrefois, il était de tradition que ceux qui occupaient le poste de Fergal ne le quitte qu’à leur mort, laissant derrière eux un tableau qui servait de mémoire... mais quelques générations de directeurs s’étaient succédées depuis sans trépasser – ce qui n’était pas plus mal – augmentant drastiquement le nombre de portraits qui figuraient sur les murs du bureau. Il allait falloir l’agrandir encore un peu plus, un jour ! « Et que les abraxans de ton portrait iront embêter tes voisins de tableaux. » renchérit le né-moldu, en imaginant déjà les grands destriers ruer contre les meubles de bureaux des vieux et respectables directeurs de Poudlard. Cela mettrait un peu de gaieté à toute cette vieillesse morne et décrépie. « Je ne suis pas un expert en peinture magique, il faudrait demander à notre vieux collègue ce qu’il en pense, mais les tableaux sont souvent forts fidèles à leur modèle d’origine, je ne doute pas que le tien soit de meilleur conseil que Phineas Black ou d’autres homologues plus modernes dont je tairais le nom... » Le patronyme de Sørensen se lisait presque dans le regard bleuté de Wenceslas. Une curiosité venant d’un autre temps le poussait à s’imaginer ce que pourraient dire les directeurs que lui-même avait connu lorsqu’il était élève ; il n’avait réellement connu que Dumbledore et McGonagall à ce poste, mais le professeur Rogue avait lui aussi droit à un tableau... il avait beau savoir le rôle d’espion qu’avait joué son ancien directeur de maison, il peinait à l’imaginer être de bons et doux conseils.

Habitué à vivre dans l’ombre du département des mystères, le professeur de sortilèges n’avait jamais déploré l’absence d’invitations aux soirées mondaines de la bonne société magique : il était un sang-de-bourbe que l’on avait préféré envoyer à Azkaban et, si maintenant, il appartenait au camp des vainqueurs, l’antipathie qui régnait entre le ministre Appleton et lui atténuait les probabilités d’être convié... sans compter que sa présence n’était d’ordinaire pas très enviable. Il n’avait jamais aimé les ronds de jambe trop cérémonieux et faux, de toute façon. Évidemment, quoique d’un sang plus noble, Fergal n’était pas non plus un habitué de ces réceptions ; l’imaginer empêtré dans une queue de pie prêtait à rire mais tenait de la fiction. « Fergal Armitage, ancien concierge, directeur et commère à temps partiel, c’est un beau CV. » ponctua-t-il en rigolant. « Cela dit, le jour où les elfes de maisons se décideront à se retourner contre les sorciers, j’en connais beaucoup qui auront quelques sueurs. » Un retour de bâton sans doute bien mérité.

De fil en aiguille, la discussion avait viré vers les quelques esclandres anodins de l’année passée, comme si le conseil d’orientation de Sørensen relevait d’un fait d’arme notable pour le prédécesseur d’Armitage. « Eh bien, si ma mémoire est exacte, il lui avait été proposé de ramasser les balais d’équipes de quidditch... » Mills lui avait envoyé les résultats de son test, manifestement irritée... certes, l’énervement semblait être un état second chez lui, mais en l’espèce, il était grandement justifié. « C’était effectivement plutôt bien trouvé, il fallait y penser. » Il serait bien curieux de savoir combien de temps il leur avait fallu pour trouver suffisamment d’idées saugrenues pour orienter les élèves les moins appréciés. « Je crains de devoir te mettre en garde : cela va être difficile d’égaler le niveau de ton prédécesseur, en la matière. »

Wenceslas opina posément du chef à la remarque du directeur. Quoique l’on puisse penser de certains de ses prédécesseurs, il marquait un point : tous avaient quelque chose à apporter. L’expérience n’apportait rien de mauvais et les idéaux des générations passées se révélaient souvent riches en renseignements. Il y avait toujours du bon à écouter les avis même nauséabonds d’autrui, ne serait-ce que pour s’éviter d’empester à son tour. « Ces portraits sont là pour une bonne raison... au-delà de la mémoire en elle-même. » Il n’était pas un expert en tableau, mais la mémoire était une chose qu’il connaissait en revanche très bien : il s’agissait d’une part non négligeable de son ancien travail.

« Diantre, gardons-nous de suggérer quoi que ce soit à mademoiselle Özdemir ! » s’exclama-t-il, un sourire sur les lèvres. « Je l’aime bien, cette petite, mais elle finira par causer sa perte à toujours s’impliquer dans les révolutions. » Le visage de l’ancien langue-de-plomb s’assombrit légèrement, alors qu’il rajoutait : « Je ne suis d’ailleurs pas certains qu’elle puisse un jour parvenir à mener sa vie sans toujours se trouver des combats trop gros pour elle. » Dans une certaine mesure, elle était un exemple pour beaucoup : elle savait s’engager et s’impliquer dans ce qui était important à ses yeux sans se laisser abattre. Il s’agissait là d’une grande force particulièrement pour une adolescente seule dans un monde qu’elle connaissait que si peu. Mais cette force était tout autant une faiblesse qui risquait de la consumer à mesure que les années passaient.

À nouveau, l’enseignant eut un hochement approbateur de la tête tandis que Fergal annonçait viser un salon de l’orientation des plus classique. « Qui l’eût cru ? Te voilà plus traditionnel que Sørensen. » Comme quoi, tout n’était pas à jeter dans la tradition. Un sourire fendit son visage, alors qu’il reprenait d’un air plus taquin : « Si je puis me permettre une tentative de corruption, le bureau de recrutement du département des mystères me tanne pour que je leur envoie de potentiels candidats, promouvoir le travail de langue-de-plomb auprès de nos élèves leur ferait le plus grand plaisir. »

Plus loin dans le château, l’horloger sonna une dernière heure avant de s’éteindre jusqu’au lendemain : les jeunes étudiants étaient depuis plusieurs heures dans leurs dortoirs respectifs, à présent. « Bien, je pense que je ne vais pas te déranger plus longtemps... et cela tâche si le directeur et le professeur de sortilèges arrivaient devant les élèves avec la gueule de bois ! » Siwan se ferait sûrement un plaisir de se moquer d’eux, si cela arrivait. Ou de râler pour ne pas avoir été conviée. Sûrement les deux à la fois, d’ailleurs.