À peine arrivé en troisième année, Dmitri n’avait pas encore eu l’occasion de se lasser de Pré-au-Lard. Rares étaient les fois où il avait pu y mettre les pieds, les années précédentes, quoi qu’elles eussent au moins eu le mérite d’exister. L’une d’elle lui laissait un gout un peu amer, en ce jour un peu particulier. L’on pourrait presque penser que Michaela tentait de communiquer avec ceux du monde des vivants, comme pour tous leur rappeler qu’elle avait existée et foulée ce sol. Beaucoup semblaient l’avoir oubliée si facilement. Pendant quelques jours, on parlait d’elle dans une dynamique de curiosité morbide vaguement mêlée à de l’inquiétude – il y avait un meurtrier à Poudlard, peut-être qu’il pouvait s’en prendre à quelqu’un d’autre ? – mais les habitants juvéniles de l’école étaient vite passés à autre chose. L’aiglon lui-même avait eu d’autres préoccupations mais à l’orée de cette fête célébrant les trépassés, comment ne pas avoir une pensée pour son ancienne camarade de révolution ? Et puis, il l’avait connu deux ans auparavant, à halloween...

Éternel râleur, il trouvait d’ailleurs parfaitement scandaleux que l’on puisse reléguer son décès aux vieilles histoires dépassées. Il s’était fait un plaisir de remuer un peu la fourmilière, l’espace de quelques jours, avec un tableau un peu trop bavard, dont la personnalité était librement inspirée de celle du chevalier du Catogan. D’ailleurs, aux dernières nouvelles, les deux semblaient s’entendre à merveille.

Heureusement pour l’école, le budget du garçon demeurait assez limité et la peinture coûtait cher. Puisqu’il était bien entendu hors de question d’user de celle de son grand-oncle pour autre chose que la pratique sérieuse et appliquée de leur art, il avait dû mettre la main au portefeuille, d’abord avec grande joie – c’était tellement plus simple de faire des achats quand on pouvait aller régulièrement à Pré-au-Lard ! – puis avec un peu plus de parcimonie. Aujourd’hui, toutefois, il avait profité de l’escapade d’halloween pour s’attarder dans la boutique qui le fournissait ; elle était à l’écart du reste du village, dans les ruelles moins touristiques et un peu inquiétantes. Le vendeur arborait toujours un petit sourire content en le voyant, sans doute parce qu’il ne devait pas avoir une grande clientèle. Cette fois-ci, il était simplement venu récupérer une commande, passée quelques week-ends plus tôt, et se baladait dans le village avec un sac plein à craquer de petits pots de peinture à huile et un porte-monnaie désespérément vide. S’il n'y avait eu un vieux monsieur ridiculement vêtu pour l’arrêter, il ne se serait sans doute pas attardé très longtemps hors de Poudlard : il n’avait pas de programme précis, pas suffisamment de gallions pour faire bombance et son costume de serpent géant commençait sérieusement à lui taper sur les nerfs, la fausse tête ensorcelée du reptile remuant avec trop de vigueur au-dessus de la sienne. Mais il n’objecta pas trop fort face à l’invitation et se laissa finalement pousser vers le seau-citrouille. Guidé par le petit bout de papier, il prit la direction de la septième table, rejoignant une personne qui s’y trouvait déjà attablée... Kathleen. « Bonjour. » Le tchèque était un peu maussade, ces derniers temps, et n’avait pas particulièrement envie de faire la conversation, encore moins avec une fille au caractère qu’il trouvait trop exubérant.

Sans plus de cérémonie, et puisque sa camarade avait déjà attrapé une première pièce, il plongea à son tour sa main dans le récipient, l’air de rien. Hors de question de montrer plus de dégoût que la personne en face de lui. Ses doigts s’immiscèrent dans un amas gluant un peu indistinct qui lui rappelait l’une de ses premières tentatives – ratée il allait sans dire – de fabrication de peinture magique. Ça n’était pas particulièrement agréable, mais il s’était attendu à bien pire.

Pair :  Pour autant, ça n’était pas simple de farfouiller dans la mélasse. Il peinait à atteindre les recoins ; cette satanée pièce lui tenait tête !

Spoiler:

Dmitri secoua le morceau de parchemin qui indiquait le numéro de leur table commune avant de s’y présenter. « À ce qu’il paraît, oui. » Kathleen avait déjà eu plus de chance que lui – ça n’était rien de plus que ça, de la chance – et présentait fièrement la première des pièces. Il commençait déjà à regretter de s’être laissé tenter par l’animation, si c’était pour fouiller dans des bocaux tout en écoutant la poufsouffle s’exclamer avec sa candeur innocente qui frôlait le respect après toutes ces années passées à Poudlard. Comment pouvait-on encore se comporter comme une enfant d’histoires à l’eau de rose après les explosions et les morts ? Sa vie en dehors de l’école devait être très monotone.

Dans un soupir résigné, le garçon replongea la main dans le même bocal. Plus vite ils trouveraient toutes les pièces, plus vite cette histoire prendrait fin et il pourrait retourner à ses peintures. Un même frisson remonta le long de son dos, tandis qu’il fouillait la masse indistincte. À l’unisson, sa camarade s’était attelée à chercher dans sa deuxième boîte mais ne persévéra guère bien longtemps cette fois-ci et poussa un cri apeuré en s’éloignant de l’objet. Le tchèque eut un mal fou à retenir un rire moqueur, n’arborant pour finir qu’un sourire légèrement carnassier. « Sûrement un serpent, tu devrais faire attention, on est pas à l’abris d’un autre mort. » Et mourir le jour d’halloween, ça avait un certain panache, après tout. « Je tiens à te mettre en garde : les gens qui passent halloween en ma compagnie ont une fâcheuse tendance à mourir, ces temps-ci. » Son rictus s’étendit de manière significative sur son visage. « En fait, je crois même que ça s’applique à tous les gens qui me côtoient. Alors sois prudente avec cette boîte. » S’il pouvait un peu pimenter la journée avec son humeur un peu moribond, ça ne mangeait pas de pain.

Tout en se moquant, il continuait de chercher à l’aveugle une pièce supplémentaire, retenant quelques grimaces quand la chose qu’il avait autour des doigts se révélait un peu trop gluante.

(Pair). Rien n’y fait, il ne parvenait pas le moins du monde à trouver cette satané pièce et plus il cherchait dans la boîte, plus il avait du mal à bouger sa main, comme si la masse s’épaississait avec le temps. « À tous les coups, ils ont oubliés de mettre une pièce dans la mienne. » râla-t-il en extrayant à nouveau sa main pour l’essuyer un peu. « Tu t’en sors, avec la tienne ? »

C'est la faute d'Azure, c'est elle qui a choisi les dés:

L’aiglon délaissa un instant sa boîte pour relever les yeux vers sa camarade, arborant derrière ses sourcils froncés un air un peu circonspect. Il n’avait jamais eu l’intention de parler avec elle de Finnbjörn, Caleb ou Michaela. Déjà qu’il pas bien bavard avec ses proches, avec une fille qu’il ne fréquentait que relativement peu, il ne risquait pas de s’épancher sur ses ressentiments ; mais elle avait eu le malheur de prétendre avoir un peu de compassion, de pouvoir être l’épaule sur laquelle il pourrait se repose, sans même être capable de savoir de qui il s’agissait. Kathleen, feignant d’ordinaire la sympathie trop mielleuse, laissait ce masque de tendresse s’effriter au profit d’une autre réalité. Se pouvait-il qu’à Poudlard, une seule personne ait pu ignorer le prénom de celle-là même dont on avait retrouvé le corps dans le train que tous avaient pris ? Comment pouvait-on se présenter comme un trop plein de gentillesse et avoir la bêtise crasse de ne pas savoir retenir un nom. À peine deux mois s’étaient écoulés, mais l’on oubliait déjà que quelques wagons plus loin, quelqu’un perdait la vie.

Plongé dans un silence crispé, sa main se remit à parcourir l’intérieur de la boîte, comme si par sa recherche de pièce, il espérait trouver en même temps la force de rester calme. Avait-on seulement un jour cru que Dmitri était capable de douce tranquillité ? Il connaissait le pardon mais il ne donnait pas son absolution sans qu’un âpre châtiment n’ait au préalable été donné. Ignorant les tourments qui l’habitaient, la poufsouffle continuait de parler comme si de rien n’était. Innocente et ignorante, la seconde alimentant la première, elle trouvait une seconde pièce, sans trop craindre que la mise en garde du jeune homme ne se réalise.

Pendant ce temps-là, lui s’évertuait à ne point trouver la sienne, comme s’il avait réellement hérité d’une boîte vide. Il n’avait toujours pas pipé mot, mais sa patience ne cessait d’être mise à rude épreuve : l’idiotie de son binôme, la réussite de celle-ci alors que lui n’était voué qu’à des échecs répétés achevèrent d’amener sa colère à son paroxysme. D’un geste plus violent qu’auparavant, il sortit une énième fois sa main de la boîte, frappant la table de son poids. « Félicitations. » Il n’avait pas le moins du monde l’air de se réjouir pour elle. « Au fait, pour ta gouverne, aux dernières nouvelles, il n’est rien arrivé à Rosalie. » Sa voix, tout d’un coup, prenait des accents mauvais. Le slave de sa langue natale ressortait avec plus de force et ses yeux lagunaires semblaient presque s’embraser. « Si tu parlais de celle qui est morte, elle s’appelait Michaela. » Oh, il voyait très bien qui était la première : elle faisait partie de ceux qui, comme lui, avaient été forcé de subir un mois entier de retenues chaque week-end. Ils s’étaient parfois croisés à ces occasions, mais ça s’arrêtait là. Il n’avait guère échangé que quelques mots avec celle-ci. Pas assez pour lui confier à mi-mot les tourments qui l’avaient traversé l’année dernière, alors qu’il devenait le seul acier à être subitement remonté à un grade argent. Pas assez pour s’amuser un peu avec elle, durant un bal de fin d’année.

Ses phalanges étaient blêmes tant il les avait serrées. Si Kathleen avait été un garçon, il l’aurait sûrement frappé depuis longtemps. Ou alors, il lui aurait balancé le contenu de sa boîte dans le visage. Peut-être qu’ainsi, il aurait retrouvé cette satanée pièce...

Le dé:

Les excuses de Kathleen étaient loin d’être suffisantes pour le calmer. L’idée de plier bagages caressait son ego, séduisante option qui aurait au moins le mérite de leur épargner à tout deux plus de hargne. De toute façon, Dmitri ne parvenait pas à trouver la moindre pièce et sa patience commençait sérieusement à s’effriter. À croire que tout avait été organisé pour qu’il veuille planter sa camarade en plein milieu de l’évènement et retourner ainsi dans sa salle commune en ruminant sa colère.

Alors lorsqu’elle replongea sa main dans sa troisième boîte, pour la ressortir aussi sec, il ne put retourner un ricanement mauvais. « Je te l’avais dit... ils ont mis des serpents. » Que cela soit vrai ou pas l’importait peu. De toute façon, il ne craignait pas les reptiles et s’il y avait bien une personne qui pouvait être confiant quant à ses chances de s’en sortir sans se faire mordre, c’était bien lui, le fourchelang. Encore qu’il n’eût pas particulièrement envie de parler la langue des serpents devant d’autres personnes, encore moins devant la poufsouffle qui n’était pas connue pour savoir garder des secrets. Il fallait toujours se méfier des gens trop sociaux comme elle.

Pair. Déjà mise à rude épreuve par la provocation – certes involontaire – de Kathleen, son incapacité à mettre la main sur une première pièce, alors même que sa camarade y était arrivée sans mal, acheva d’épuiser le peu de patience qui lui restait. Au bout de quelques instants à chercher, sans plus de réussite qu’auparavant, il retira d’un geste vif son bras de la boîte, bougonnant d’un ton qui n’appelait pas la discussion : « J’en peux plus de ce jeu débile ! » Et dans un ultime élan de colère – et quelque part de génie – il donna un gros coup dans le récipient, faisant valser celui-ci au sol. Le verre teinté qui en constituait les parois éclata dans un vacarme assourdissant, déversant son contenu flasque au sol... et au milieu, une petite pièce brillait, comme pour le narguer. L’aiglon regarda un instant l’objet, puis sans un mot, alla le ramasser.

Par acquis de conscience – quoiqu’il fût peu convaincu et pas spécialement désiré de réparer les dégâts qu’il venait de causer – il sortit sa baguette et marmonna un « reparo », qui eut un effet à la hauteur de sa motivation : nul. Tant pis, au moins avait-il récupéré une pièce.

Spoiler: