Pourquoi Sidney avait-il tenté de s’aventurer en solitaire sur le lac ? Cette question, Blaze ne se l’était vraiment posée qu’en apprenant deux jours plus tard, l’échec du jeune homme. Pourquoi Sidney avait-il tenté de s’aventurer seul sur le lac ? L’idée que l’on puisse vouloir s’échapper de Poudlard, lui échapper, également, était impensable pour Blaze. Poudlard était son petit royaume, son jouet, l’épicentre de beaucoup d’enjeux alors que le monde extérieur s’était systématiquement révélé plus décevant. Bien sûr Blaze avait vécu de chouettes mois de vacances et appréciait retrouver sa maison sur le Chemin de Traverse, mais tout ça ne comptait que comme des pauses, des moments suspendus avant de reprendre le train de la vraie vie : l’école.

En ne comprenant pas ce qu’avait voulu faire Sidney sur le lac, Blaze avait compris qu’il ne comprenait pas Sidney. Pas vraiment. Bien sûr il avait assez finement réussi à imposer son emprise sur son camarade, en jouant sur chacune de ses failles les unes après les autres, mais sinon ? Il n’avait pour cela eu à mobiliser qu’un peu de bon sens et ce flair qu’il avait au naturel pour déceler ce qui mettait mal à l’aise les autres, ce flair de petit prédateur de merde qu’il avait affiné tout au long de sa scolarité.
Le jeune homme s’imaginait peut-être comme un lion, il tenait plus de la fouine.

Si Sidney avait une affinité pour le lac, Blaze lui en donnerait. Il avait attendu la fin de la semaine – assez chargée soit dit en passant – pour fixer son rendez-vous vers 14h. Le temps de passer la matinée à tenter de métamorphoser un vieux tronc d’arbre échoué sur la rive de l’autre côté du lac, en quelque chose qui ressemblait à une barque capable de naviguer. Deux battes de quidditch avaient quant à elles été changées en rames. Parfait. Qu’il est bon d’être doué.

A 14h, il était allé chercher son camarade dans le hall, l’avait salué comme d’habitude – après tout ils se croisaient tous les jours dans le dortoir – et lui avait demandé pour « une surprise qui devrait te plaire » sans consentir à en dire plus jusqu’à ce que la barque soit en vue.

- « Trop cool hein ?? Un vrai bateau ! Pas un truc en papier là pas fiable, de quoi passer l’après-midi tranquille ! »

Techniquement il existait bien un risque que la barque retrouve à un moment sa forme originelle mais ça, Sidney n’était pas obligé de le savoir, et puis qu’est-ce qu’une aventure sans un peu de risques ?

Fier comme un coq, Blaze avait posé son pied sur le rebord du navire, attendant de voir la réaction de son camarade. Il pensait sincèrement que ça lui plairait, si Sidney était porté sur la navigation. Après tout, le but n’était pas de systématiquement lui pourrir la vie, loin de là. Au contraire même, réaffirmer son emprise sur son camarade passait bien plus par la douceur et la gentillesse que par la violence. Celle-ci devait être savamment distillé de manière homéopathique, afin de plonger le garçon dans un état de tension larvée, une espèce d’excitation fébrile qui doperait son cerveau à l’adrénaline et aux stress jusqu’à provoquer une forme d’addiction toxique.
Bien sûr Blaze ignorait tout des mécanismes secrets du cerveau humain, ayant arrêté les cours de biologie à son entrée à Poudlard, six ans auparavant, mais il avait constaté très empiriquement que les choses se passaient ainsi.

- « Tu grimpes ? Mets toi à l’aise, c’est moi qui rame. »

Il avisa son camarade de pied en cap. La journée était radieuse, le soleil brillait comme un printemps, accompagné d’un légère brise qui rafraichissait assez pour éviter les coups de chaud. Dans la barque, le préfet avait disposé un panier et des gâteaux ainsi qu’une espèce de parapluie qui pouvait servir d’ombrelle si vraiment… Il n’avait pas retrouvé sa canne à pêche et en était chagrin.
C’était un temps à se baigner, mais on n’était pas là pour ça. D’ailleurs Blaze n’avait pas dit à Sidney d’emporter de maillot ou quoi que ce soit. Car enfin, il est des huis-clos à ciel ouvert et sur une petite barque au milieu d’un lac, sans possibilité de nager, la surface dégagée de l’eau pouvait assurément fonctionner comme des murs de prison.

@Sidney Driscoll

Si sincèrement le jeune homme avait scruté les réactions de Sidney, Blaze se serait probablement rendu compte que celui-ci était gêné. Mais comme il s’était donné du mal pour organiser l’escapade, il n’était disposé qu’à lire la reconnaissance et la stupéfaction dans les yeux de son camarade. Celui-ci lui en donna pour son argent, semblant visiblement ravis de l’intention et Blaze tint cela pour acquis, sans chercher à creuser plus loin.
Certainement que Sidney devait avoir une affection sincère pour la navigation ou alors – pas impossible non plus – pour les promenades romantiques sur le lac. Blaze avait vu un paquet de film et fait ses armes auprès de Skyler, il savait reconnaitre un rencart quand il en voyait un et jouait cruellement sur cette espèce de petite ambiguïté. N’aimant rien d’autre que l’attention qu’on lui portait, se savoir désiré – même par un garçon – lui procurait une jouissance narcissique intense à laquelle il était rapidement devenu accro au fil des années.

Rien ne le mettait plus en détresse que de se sentir exclu ou ignoré.

Alors que Sidney terminait de s’installer en bout de barque, Blaze s'y glissa à son tour de l'autre côté, sur l’espèce de planche qui servait de siège et entreprit de se servir des rames pour les dégager de la vase, propulsant mollement le navire vers le centre du lac.

- « Tu veux bien qu'on s'éloigne pas trop...? S'il te plaît...? »

Pour la première fois l’idée que Sidney puisse avoir tiré quelques traumatismes de son plongeon nocturne de la semaine dernière traversa l’esprit de Blaze. Il le fixa un instant, avant de hocher la tête en souriant.

- « Pas de problème. »

L’éloignement était, toutefois, une notion un peu relative. Blaze donna quelques coups de rame, un peu maladroit faute d’avoir jamais été initié à la navigation, et cessa de les propulser lorsqu’ils furent éloigné de la berge d’une petite douzaine de mètres.
Là, il rangea les rames à l’intérieur du bateau, les posant contre la coque et étendit ses jambes jusqu’à Sidney, le dos plaqué contre le rebord et les bras glissés par-dessus. Le soleil lui réchauffait le visage, le bout de ses doigts trempaient dans l’eau. Il ferma les yeux, profitant de la quiétude du moment.

- « C’est chouette hein ? Il y a trop de bruit dans le dortoir acier, du calme c’est bien aussi. »

La recherche de calme n’avait jamais été une priorité pour le préfet de Serdaigle, même s’il en avait besoin pour travailler, n’hésitant pas à aller contre sa nature et jouer les rabat-joie en vilipendant les petits qui faisaient du chahut dans la bibliothèque ou pendant les temps calme. Le reste du temps, le calme ennuyait Blaze très vite.

Heureusement, là, il ne s’ennuyait pas. Paupière close, muscles détendus, il se sentait comme un tigre à l’affut et cette pensée lui arracha un sourire qu’on aurait pu croire simplement dû au plaisir de l’instant et des premiers jours de printemps.

Sans ouvrir les yeux, il reprit la parole d’une voix tranquille.

- « Je me disais que je connaissais pas grand-chose de toi finalement. C’est bizarre non ? T’es mon elfe mais je saurai même pas dire si t’as des frères et des sœurs, ce qui te passionne… » il ouvrit les yeux. « C’est pas sérieux. »

Très imperceptiblement, il s’était redressé si bien que ses doigts n’effleuraient plus la surface de l’eau à présent. Dans la barque, il fixait Sidney avec amusement.

- « Ce serait pas mal d’apprendre à se connaitre un peu mieux, non ? » Et le sourire qu’il lui adressa disait « ça nous rapprochera » sans le dire.

- « Pas souvent, non. »

Il ne développe pas mais c’est la vérité. Sa dernière ballade en barque doit remonter à son excursion avec Sasha il y a… deux ans ? Ca commence à faire. C’est vrai qu’il n’a jamais amené Skyler sur l’eau non plus, même si elle aime bien se promener près du lac noir. La jeune fille a tendance à se méfier des trucs un peu trop guimauve et lui ne veut pas passer pour un naze. En plus, ça ne fait pas si longtemps qu’ils se sont remis ensemble.

N'empêche, c’est pas désagréable. Ça manque un peu d’action, sans doute, mais c’est pas désagréable. Et puis de l’action, ça se créé ! D’ailleurs il reprend la parole, exposant tranquillement ses objectifs pour l’après-midi à Sidney. Apprendre à se connaitre, oui, Blaze a toujours été curieux des autres. A sa manière. Curieux de leur potentiel, curieux de leurs travers aussi. Vis-à-vis de Sidney, sa curiosité est ambiguë. Comme avec Hayden, elle est utilitaire. L’adolescent sait faire de la magie sans baguette et lui obéit – presque sans se plaindre – au doigt et à l’œil. Que rêver de mieux ? Mais il n’y a pas que ça. Il est aussi faible. Et cette faiblesse est intrigante, elle éveille des instincts de chasse mais aussi paternalistes.
Honnêtement, si personne n’aide Sidney, c’est clair que sa vie sera pourrie. Blaze s’improvise donc sauveur, prêt à rattraper le jeune homme dans sa chute, l’endurcir, le pousser un peu à explorer limites et retranchements.

Ce n’est pas altruiste. Ni vraiment machiavélique. C’est juste compliqué. Les choses, parfois, sont compliquées.

Des sourires, des paroles douces, comme on flatte un animal un peu sauvage pour s’attirer sa loyauté. Ca fonctionne. L’être humain est un animal, Sidney et Blaze ne font pas exception. Pas de frères, ni de sœur, Blaze hoche la tête, fondamentalement il s’en fout un peu de ça, ce n’est pas une info importante, mais faut bien commencer quelque part.

- « J’ai un frère et une sœur, plus âgés. » explique-t-il d’un ton tranquille, laissant à présent trainer son regard à la surface du lac. « Ils ne sont plus à Poudlard, ma sœur a eu son diplôme l’année dernière. Mon frère fait des soins maintenant et elle s’est lancé dans le droit. »

Information tout aussi inutile dont Sidney ne pourra rien faire. En fait, il aurait très bien pu lui mentir et cette idée gêne Blaze. Si lui peut mentir, l’autre aussi. Or il n’a pas emmené son camarade sur le lac juste pour l’amadouer, comme on traque un gibier il faut d’abord l’acculer avant de frapper. Décidément, Blaze se sent bien guerrier aujourd’hui… ?

Son regard se reporte sur le jeune homme, curieux en enthousiaste.

- « J’ai une idée ! Si on en faisait un jeu ! »

Les jeux, c’est parfait parce que souvent ça tourne mal.

Blaze n’a pas bougé dans la barque, toujours alangui comme une espèce de chat à la dérive là où Sidney reste désespérément roide.

- « J’essaye de deviner ta vie et tu me dis si j’ai tort ou raison. Si j’ai tort, tu peux me poser une question en retour et j’y répondrai sincèrement. Si j’ai raison, j’ai droit de rejouer. »

Un jeu très innocent somme toute.

- « Interdiction de mentir par contre, ou de ne pas répondre. »

Son ton ne se fait pas plus dur, son regard s’est remis à flotter au large. Son autorité n’a pas encore besoin de passer par la force, on verra quand les premières questions dérangeantes viendront.

- « Sinon… gage. »

Sans rechigner, Sidney accepte toutes les conditions. Eh bin… sacrément en confiance celui-là. Et contre toute attente, le voilà qui prend en plus de ça l’initiative d’ouvrir le bal. Un peu surpris, Blaze se redresse légèrement dans la barque, dévisageant son camarade avec une ombre de sourire. Ironique, certainement, mais Sidney pourrait-il le savoir ?
Blaze s’était imaginé devoir ramer – au sens propre comme au figuré d’ailleurs – comme la dernière fois pour lui tirer un peu d’enthousiasme mais non, le jeune homme semble sincèrement s’être pris au jeu. Ok, tant mieux en soit.

D’ailleurs sa question est loin d’être à côté de la plaque et arrache un sourire plus sincère à Blaze. Il est toujours flatteur de se savoir deviné, quelqu’un qui vous cerne montre indirectement qu’il est attentif à vous et cela, ça lui plait.

- « Bien vu Sherlock. » répond-il en hochant la tête.

De nouveau il s’alanguit dans la barque. Sans y voir malice ses jambes viennent à leur tour effleurer celles de Sidney alors qu’il remue un peu pour se caler contre le bois. Le réaction de son camarade à ces furtives rencontres ne peut qu’aiguiser son attention pour le phénomène. Mais il n’en montre rien.

- « Enfin je suis pas en train de te dire que c’est mon plan A quoi, mais un jour pourquoi pas. » Il ricane, cherche le regard de son camarade. « Ministre de la magie. Ce serait stylé, non ? Je suis sûr que ça se tente ! »

Il y croit vraiment en plus. Après tout, rien n’a jamais vraiment résisté à Blaze jusque là et il est sans se vanter le meilleur élève de sa promotion, du moins d’après ses estimations au doigt mouillé.

- « La politique, c’est entrainer tout le monde autour d’un projet collectif. » récite-t-il d’un ton pensif. « Et essayer de laisser personne sur le carreau. »

Fait-il de la politique avec Sidney ? Est-ce sa manière à lui d’encourager les gens à se dépasser ? En les mettant sous son emprise. Pour l’avenir du monde magique, mieux vaudrait que Blaze n’accède jamais à la fonction suprême, mais de son point de vue ça se tient.

Sa main vient négligemment ramasser un peu de l’eau fraiche du lac et il se la passe sur le front pour se rafraîchir du soleil de début d’après-midi.

- « T’as touché juste, tu peux reposer une question, c’est les règles. »

L’après-midi s’étire doucement au son du clapotis de l’eau du lac. La vie à Poudlard est effrénée, surtout pour les grades aciers et s’ils sont préfets c’est encore pire. Blaze ne ment pas quand il dit qu’un peu de calme lui fait du bien, dommage que le calme l’ennuie si vite et qu’il soit donc incapable de l’apprécier. Devoirs, responsabilités et maintenant organiser la lutte en sous-main, même pour l’énergie de ses dix-sept ans c’est épuisant.

En ça, Sidney l’apaise. C’est un autre volet de son rapport au garçon qu’il ne soupçonnait pas jusqu’alors. Sidney lui fait écho. Effacé, sans honneur ni ambition, il ne représente aucun danger. Rien. Aucun enjeu. Entre mecs, il y a souvent cette petite tension du combat de coq prête à se réactiver pour un mot plus haut que l’autre. Blaze adore Misha mais le conflit n’est jamais loin et il faut toujours s’envoyer des vacheries à la tronche pour se rappeler à sa propre virilité.

Avec Sidney, pas besoin. Et c’est assez agréable. Ca explique sans doute que les paupières de nouveau closes, il soit tenté de s’endormir là. Bizarre, alors qu’il était d’abord venu pour jouer. L’un n’empêche sans doute pas l’autre. A voir.

- « Perdu. » répond-il avec un sourire calme.

Blaze a toujours le sourire. Enfin, très souvent. Selon le niveau de la commissure de ses lèvres, on pourrait mesurer s’il se moque, s’il est joyeux ou ironique, bienveillant ou cruel, empathique ou juste las.

- « 23 novembre 2010. » récite-t-il mécaniquement. « C’est un peu après la rentrée. »

Lui n’a aucune idée du jour de l’anniversaire de Sidney. Comment le saurait-il, d’ailleurs ? La seule chose qu’on lui ait expliqué c’est que le garçon a le même âge que lui et que des hasards de cursus lui ont fait prendre du retard dans sa scolarité. Il a un peu fouiné chez Hatwell, à l’époque.

Quelques secondes s’écoulent en silence, juste le son de l’eau et de la brise à sa surface et la chaleur du soleil sur son visage et ses bras aux manches de chemises retroussées. Il rouvre les yeux. Face à lui, Sidney semble de bonne humeur aussi. Moins sur la défensive que d’habitude. A croire qu’on touche au but, qu’enfin on va pouvoir parler de choses sérieuses sans que le jeune homme se referme comme une huitre sur lui-même au moindre geste suspect.
De toute façon, maintenant, il ne peut pas vraiment fuir.

Alors d’un mouvement un peu lent, chaloupé dirait-on en littérature, il soulève une de ses jambes et sans aucun commentaire vient la poser sur les genoux de Sidney. Puis fait de même avec l’autre. Ça pourrait être un geste tendre, presque intime. Ca pourrait aussi faire repose-pieds. Chacun interprétera comme il veut.

Blaze ne dit rien, même il a cessé de regarder son camarade, comme si le geste n’avait aucune importance. Comme s’il l’avait fait sans réfléchir.

- « Ah mon tour. » dit-il les yeux rivés vers l’autre berge, lointaine, très lointaine, bordé par la forêt interdite. « Je pense que… t’as eu des problèmes dans ta vie d’avant, et que du coup tu te méfies de tout le monde. »

Paf. Directement dans le plat. En même temps Blaze n'a jamais été quelqu'un de très patient.

Son regard est discrètement revenu se poser sur le jeune homme. Un regard curieux mais sans méchanceté. Un regard ambiguë, un peu voyeur mais qui invite à répondre quand même, parce qu’intéressé.

Lorsqu’il pose les pieds sur les jambes de Sidney, la réaction du jeune homme est telle qu’il l’attendait. Une gêne qu’il étouffe tandis qu’il remue un peu pour que ce soit plus confortable. Parfait. D’une manière un peu bizarre, cette position arrime Sidney à la barque, comme les mâchoires d’un piège à loup. Un piège à loup peut-être pas désagréable, mais un piège à loup quand même.

Maintenant que le piège est refermé, Blaze pose sa question. Pas encore LA question, mais une question qu’il a sur le bout des lèvres depuis un moment. Alors qu’un instant plus tôt il observait le paysage, son attention est maintenant toute focalisée sur son camarade dont la réaction – comme d’habitude – est parlante.
Visiblement il a touché juste. Haussement d’épaule, regard fuyant et voix mal assurée. Ce « plus ou moins » mitigé dissimule à grand peine que Blaze vient certainement de mettre le doigt sur quelque chose. D’un autre côté, il a visé large. Des « problèmes » ça ne veut rien dire en soit, tout le monde a des problèmes et à l’adolescence, tout le monde se méfie de tout le monde. Poser cette question c’est faire de la pêche au gros, à la dynamite.

Mais au moins il a pêché quelque chose.

- « Ok. » répond-il laconiquement. Et puis, parce qu’il aime jouer le chaud et le froid : « J’insiste pas. T’en parleras quand tu te sentiras prêt. »

Le regard qu’il lui adresse est d’une neutralité clinique, médicale.

- « Je me dis juste que les emmerdes, faut pas les garder pour soi. »

Et il le pense, en plus. Il s’imagine vraiment comme un foutu sauveur, son échec à aider Misha ne lui a pas appris grand-chose, Blaze reste persuadé que si on lui expose les problèmes clairement, calmement, rationnellement, il suffira d’y réfléchir un peu pour trouver une solution. Bêtise simpliste de ceux qui n’ont pas de problèmes, ou qui sont dans leur déni.

A nouveau son regard se perd dans l’eau. Il remue un peu les jambes, pour se réaffirmer sur Sidney.

- « Je pense que… » il réfléchit. « T’aimerais bien essayer le quidditch mais t’es jamais monté sur un ballais ! »

Il désigne le panier dans la barque.

- « Il y a des madeleines si tu veux. »

Cet espèce de va-et-vient constant entre provocation et sympathie amuse beaucoup Blaze qui prend un plaisir enfantin à se sentir marionnettiste. Tout n’est pas cyniquement calculé dans son attitude, pour beaucoup il y va à l’instinct, mais il y a quelque chose d’incroyablement satisfaisant au fait de parvenir à mener les autres d’un état émotionnel à un autre, par quelques gestes et le pouvoir des mots.

« Un jour promis. » dit Sidney. Blaze n’en doute pas. S’il veut lui arracher les vers du nez, il n’aura pas trop de mal à le faire. N’empêche que, honnêtement, découvrir si oui ou non le jeune homme se faisait piquer son goûter en maternelle lui importe assez peu. C’est par l’action, en allant de l’avant qu’on se dépasse soi et ses démons, le préfet en sait quelque chose, l’ombre de Blackman, il l’a exorcisée. Il est devenu plus fort, c’est un destin similaire qu’il faut à son camarade.

Mais ce n’est pas un jour pour penser à tout ça. La journée est trop tranquille pour avoir des idées martiales, il sera toujours temps d’apprendre à Sidney à se défendre une prochaine fois. Avec sa capacité à faire de la magie sans baguette Blaze ne doute pas de parvenir à mettre au point quelques stratégies de duel pour surprendre ses adversaires. Mais de manière générale, c’est le tempérament du garçon qu’il faut dresser, toute la puissance du monde ne vaut rien sans le mental et de ce point de vue-là c’est zéro.

- « Surtout te gêne pas, fais comme chez toi. »

Blaze ouvre un œil puis le referme avant de souffler du nez, amusé par la remarque. Il ne sait pas trop si Sidney saisit bien la portée de ce qu’il dit... fallait-il y voir une plaisanterie innocente ou la réaffirmation de ce qui s’était joué quelques semaines au paravent, dans la salle sur demande ?
En tout cas le garçon a l’air plutôt joyeux et, quoi qu’on en pense, ça fait plaisir à voir. Un Sidney larmoyant et terrorisé a son utilité, mais surtout ses limites. Si Blaze doit prendre un peu à sa charge le destin du jeune homme, cela ne pourra pas se faire uniquement par la terreur.

- « Ok, je le ferai. » répond-il simplement. C’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd en tout cas mais d’abord c’est à lui de jouer.

Un instant il quitte sa position couchée, se redresse un peu pour récupérer une madeleine que lui tend Sidney, avant de se réinstaller confortablement. L’intérêt d’être amateur de pâtisserie magique c’est qu’on a facilement ses entrées aux cuisines de Poudlard et les elfes ne posent plus trop de questions en l’y voyant fureter. Si besoin, le mot de Kendrick lui sert de garantie. A un moment Blaze a envisagé de mettre du veritaserum dans les madelaines mais outre les difficultés pour s’en procurer – les flacons qui circulent ont beau n’être que des versions altérées pour ado, il n’en reste pas moins compliqué de mettre la main dessus – il lui a semblé que faire sans serait plus intéressant.
De manière un peu surprenante, son hypothèse sur le quidditch trouve une fin de non-recevoir. S’il s’imaginait que son camarade serait peu porté sur le sport – sans doute une idée un peu stéréotypée – il est curieux d’apprendre que ce-dernier prend des leçons avec Armitage.

- « Il est sympa Fergal. » répond-il comme une ponctuation. Vraiment, le soleil et le balancier de la barque n’appellent pas aux longs discours. « Du coup t’intègres l’équipe de serdaigle l’année prochaine ? » demande-t-il en plaisantant.

C’est à Sidney de poser la question suivante et celle-ci est étonnement intéressante. Blaze rouvre les yeux de suite et se redresse dans la barque un peu, ce qui la fait légèrement tanguer.

- « Bonne question ! »

Joignant ses mains au niveau de son ventre, il se met en position de réfléchir. Métamorphose ? Indiscutablement c’est une de ses matières préférées. La plus difficile, la plus élégante, celle qui propose les sortilèges les plus amusants et qui lui permet de briller face aux autres élèves. Dumbledore était professeur de métamorphose, si ce n’est pas un signe de grandeur, ça !

D’un autre côté, s’il faut n’en choisir qu’une…

- « C’est pas pour tricher mais… non. Je pense que je garderai défense contre les forces du mal. » il hoche la tête, désormais sûr de son choix. « Je dis pas la méta c’est cool mais rester en vie, c’est mieux. J’ai pas envie de me faire bolosser par le premier épouvantard venu parce que j’ai séché les cours tu vois ? »

Surtout, Blaze reste fidèle à ses ambitions : devenir l’un des sorciers les plus puissants au monde, être capable – seul s’il le faut – de tenir tête aux personnes qui voudraient prendre le pouvoir sur lui. Et pour ça, la DCFM est un incontournable.

- « Après je pense que c’est vraiment une question de sensibilité genre méta c’est plus solitaire comme magie et défense c’est si tu veux travailler au contact. »

Au final, ce sont un peu les deux faces d’une même pièce, liés par les cours de sortilèges. Le reste, potion, soin aux créatures, botanique, histoire, ce n’est que de l’enrobage. Le vrai pouvoir est dans la magie brute et le talent nécessaire à la mettre en œuvre.

- « A moi. » Maintenant qu’il s’est un peu redressé, il fixe de nouveau Sidney avec curiosité. « Est-ce que t’aimes les mecs ? »

Sidney prenait la confiance et c’était très bien. C’était très bien parce que de la confiance il lui en faudrait pour affronter ce monde et sa cruauté.
… ok ça faisait un peu hôpital qui se fout de la charité de dire ça, mais n’empêche que Blaze n’avait pas tort. Et puis, si Sidney s’autorisait à le chambrer un peu, c’était plutôt une bonne nouvelle. Le préfet de Serdaigle n’éprouvait pas de plaisir particulier à inspirer la crainte aux autres, il préférait l’admiration, ou l’agacement. Plus amusants, plus potaches aussi pour ce petit narcissique refoulé. La crainte, c’était bon pour les Sorensen et autres tarés de la baguette, lui voulait juste rayonner et que son aura illumine le reste du monde sorcier !
Sidney compris.

Sans vraiment accorder d’importance à l’air un peu inquiet de son camarade lorsque la barque s’était mise à tanguer doucement, il lui répondit sur la matière qu’il voudrait garder, en détaillant un peu sa répondre au passage, parce qu’il aimait bien parler de lui et qu’on l’écoute le faire.
Puis ce fut à son tour de poser une question. Blaze aurait pu continuer dans un registre sympathique encore quelques tours mais la patience n’était pas son fort et déjà une pointe d’ennui pointait le bout de son nez. Il avait envie de s’amuser. Et tant pis si ça outrepassait un peu la forme du jeu.

- « Non ! »

La réaction viscérale de son camarade lui arracha un éclat de rire sans méchanceté. C’était juste comique de le voir paniquer, comme si on lui avait crié « bouh ! » par surprise au creux de l’oreille.
Le regard de Blaze est scrutateur. Curieux. Sans méchanceté. Pour qu’il y ait de la méchanceté il faudrait qu’il veuille faire mal mais ce n’est pas le cas. Sidney est trop faible pour qu’on veuille s’en prendre à lui, non, c’est simplement l’ordre des choses, le fort s’impose

- « J-je... je sais pas... »

Blaze hoche la tête. La réponse de Sidney pourrait passer pour un aveu déguisé, mais le ton de sa voix sonne comme une défiance. Cela, ça plait moins à Blaze. Sidney n’a pas le droit de lui résister, ça fait partie du deal !
Le regard du garçon croise le sien, redevenu soudain suppliant. La rébellion n’aura pas duré longtemps.

- « T’es pas drôle, on avait dit qu’on disait la vérité. » répond-il d’un air sincèrement déçu. « Maintenant tu vas te taper un gage. »

Limite, il est triste pour lui. Limite. Dans le bateau, il se remet en position de somnolence, clôt les yeux et joint les mains sur son ventre, comme s’il s’apprêtait à piquer un somme.

- « Moi je suis plutôt filles tu vois ? Bon, j’assume hein. »

En même temps vu comment il était fier de son couple, ce n’est pas vraiment un secret pour Poudlard, et pour Sidney encore moins.

- « C’est la vie j’ai envie de te dire. »

Il ricane.

- « Bon on te donne quoi comme gage ? »

Comme cette fois dans la salle sur demande, lisant les expressions fugaces mais éloquentes de son camarade, l’espace d’un instant Blaze se demanda si ce qu’il faisait était bien honnête. Assurément que c’était discutable. Puis la culpabilité s’évanouit devant le plaisir brut que lui procurait sa propre supériorité. Jouissance narcissique qui le grandissait en miroir de Sidney et comme un écho lui renvoyait toute l’étendue de sa force.

- « Aucun. J-j'ai plus envie de jouer. »

Le ton n’est pas assuré, le garçon s’est recroquevillé un peu, au moins moralement. Alors que quelques instants au paravent il semblait s’ouvrir, rayonnant timidement en se montrant presque sûr de lui, Sidney n’est soudain plus que l’ombre de ce qu’il était.
Dans un coin de sa tête, Blaze note la facilité avec laquelle il peut balayer toute joie chez son camarade, mais aussi la fragilité de celui-ci. C’est là-dessus qu’il faudra travailler s’il veut progresser. Ne pas être un simple fétu de paille balloté par les autres. Sidney doit apprendre à s’imposer.

- « F-faut que je finisse mes devoirs... on... on peut rentrer...? s'il te plaît...? »
- « Ah non ! »

Blaze s’indigne, un peu. Pas question d’en rester là, on commence à peine à mettre le doigt sur le nœud du problème.

Il soupire, fixant Sidney. Qu’est-ce qu’il va bien pouvoir faire de lui… ?

- « Le but c’est que tu t’endurcisses, t’as oublié ? Faut pas te laisser abattre comme ça dès que je t’embête un peu… »

Il le dit avec une espèce de franche bienveillance, teinté d’un peu d’humour. Blaze se plait à jouer méta.

- « Et puis c’est pas parce que je suis plutôt fille en général que je t’apprécie pas toi. » ajoute-t-il l’air de rien, entrelaçant de nouveau ses doigts au niveau de son ventre.

Puis, pensif :

- « Bon, un gage, un gage… »

Qu’est-ce qu’il pourrait bien trouver qui soit à la fois amusant et serve ses intérêts, là tout de suite ? Quelque chose qui fasse avancer la situation et Sidney par la même occasion.

Son esprit vagabonde, des idées cruelles, alambiquées ou juste puériles lui traversent la tête. Il prend son temps, comme un gamin dans une confiserie, le poing fermé sur les pièces de monnaie dans sa poche, certain qu’il ressortira avec un bonbon, mais lequel… ?

Son regard se plisse, il fixe Sidney.

- « Je sais. On va inverser les rôles, ok ? Ton gage c’est toi qui va me donner un gage. »

Il hausse les épaules.

- « Ce que tu veux. Tant que ça se fait maintenant sur la barque. Le but c’est d’essayer de ME mettre en difficulté, d’accord ? Tu peux voir ça comme une vengeance, pour toutes les fois où j'ai été un connard ou je sais pas quoi, promis je le fais. » Il sourit, persuadé que son camarade se dégonflera. Sinon, ça promet d’être intéressant… « Je veux te montrer ce que ça fait que d’avoir le pouvoir. Je suis sûr qu’il y a moyen que ça te plaise. »

Il est mortellement sérieux.

Blaze était plutôt fier de lui. Sans se vanter, il avait un don pour aller chercher dans les tréfonds de son imagination la matière à agacer, provoquer, stimuler, mettre en difficulté les gens, choisissez celui que vous préférez. Il fallait également reconnaitre que Sidney était particulièrement bon client de ce genre de frasques, sans forcer on pouvait le faire rougir ou blêmir, perdre ses moyens, bégayer, voire pleurnicher en y allant un peu fort. Mais Blaze ne voulait pas de ça aujourd’hui, il n’éprouvait pas de désir sadique envers son camarade, simplement le pouvoir qu’il exerçait sur lui était comme un pommade délicieuse sur ses blessures narcissiques, mais à part ça il désirait sincèrement voir Sidney s’améliorer. Comme son augurey qu’il avait entrainé souvent pour en faire un piaf de compèt’, si son camarade fendait un peu sa coquille, prenait confiance en lui, le préfet aurait éprouvé la fierté et la satisfaction d’avoir accompli un sacré exploit.

Voilà pourquoi il le mettait au défi, voilà pourquoi cette fois ce serait lui qui devrait prendre une initiative, cesser de se laisser porter, dominer, ballotter là où on le soufflait. L’obliger à sortir de sa zone de confort, quitte à l’y forcer.

Blaze ne s’attendait franchement à rien, aussi fut-il assez surpris lorsqu’il se passa quelque chose.

Alors qu’il avait jusque là soigneusement maîtrisé ses gestes et sa posture, il se redressa un peu dans la barque, dans un mélange de curiosité et d’indignation. Vexé, Sidney avait réussi à le vexer. Blaze avait sincèrement fini par se persuader que son camarade était ici de son plein gré, d’ailleurs la dernière fois il n’avait pas quitté la salle sur demande, alors pourquoi maintenait essayait-il de revenir sur le chemin accompli ? Sur sa parole ? Comme si les efforts, l’attention de Blaze ne comptaient pour rien ?

Le jeune homme avait froncé les sourcils et fixait désormais son camarade avec une certaine âpreté.

- « C’est vraiment ça que tu veux ? » Il souffla du nez. « Finalement tu prends la porte ? »

Blaze supportait assez mal la vexation. Il avait des projets pour Sidney, il s’était rarement amusé autant qu’en sa compagnie, senti aussi puissant, aussi redoutable, et voilà que l’autre voulait lui reprendre son jouet…

D’un geste presque négligent, il sortit sa baguette de sa poche et la leva au niveau de son nez.

- « Accio chemise. »

Il faudrait probablement plusieurs minutes avant que celle-ci ne réussisse à s’échapper du tiroir où il l’avait rangée et n'arrive jusqu'ici en volant.

- « Tu vois, moi quand je m’engage dans une voie je m’y tiens. » lui dit-il d’un ton de reproche qui trahissait un peu malgré lui sa déception.

Puis comme pour montrer que malgré tout ça ne l’impactait pas tant que ça, il se réaffala une nouvelle fois dans la barque, quoique peut-être un peu plus brusquement que les fois précédentes. Il garda le silence… trois secondes, puis balança d’un air boudeur.

- « T’es pas la contre ton gré, tu peux arrêter quand tu veux. Ce que j’essaye de faire avec nous deux, c’est quelque chose d’unique, d’original. T’en connais beaucoup des gens qui font ce qu’on fait ? On peut aller super loin, explorer des trucs de dingue, tu pourrais devenir tellement… »

Le mot lui manquait. Beaucoup pouvaient faire l’affaire mais aucun ne le satisfaisait complètement. Tellement puissant ? Tellement talentueux ? Tellement original ? Tellement indépendant ? Tellement flamboyant ? Pff. Tout ça à la fois. Même si au fond c’était de Blaze que Blaze parlait, ce projet là était pour lui, mais il ne voyait que des avantages à entrainer les autres dans son épopée.

Pour peu qu’ils ne se montrent pas ingrats.

Est-ce que Blaze boude ? On pourrait presque penser que oui, renvoyé à sa puérilité fondamentale, comme un gamin à qui on refuse son jouet. Bon, c’est sans doute un peu plus compliqué que ça… mais quand même.
Apprenti sorcier, savant fou, amateur d’expériences sociales toxiques et plus globalement aventurier, le jeune homme ne recule devant pas grand-chose pour se stimuler, apprendre, gagner en force et en pouvoir. Alors forcément quand on lui dit qu’on ne veut pas participer à son délire, il ne comprend pas. Il ne comprend pas comment on peut refuser ça. Et tant pis si ‘ça’ implique de se faire humilier, rabaisser, agresser… ? Tout ça n’a pas d’importance pour Blaze, il faut serrer les dents, se dévouer à la cause, se dévouer à l’aventure, avec son lot de désagréments, tant pis si ce n’est pas toujours agréable, c'est le prix à payer.

Evidement Sidney ne comprend rien, il est à des années lumières de tout ça, lui, c’est désespérant. L’espace d’un instant Blaze se sent un peu seul. Il n’y a peut-être que Judith qui soit capable de saisir un peu son état d'esprit, au fond, peut-être… en tout cas là-dessus. Sur son ambition, sa curiosité. Pour le reste, par contre, elle n’est pas plus douée que les autres.

Comme un gamin qui boude, Blaze fixe l’eau, laissant promener ses pensées. De l’autre côté de la barque, Sidney s’explique d’une voix peu assurée. Il ne veut pas être un elfe, il ne veut pas que Blaze se foute de sa gueule… à quoi bon ?
Finalement, le mot est lâché. « Ami. » Pour un peu, ce serait presque touchant. Mais Blaze ne veut pas d’un ami, il en a plein des amis, et des beaucoup mieux que Sidney, ça c’est sûr.

Il lâche un soupire las. Fais chier. Son regard revient sur Sidney, sérieux, et aussi un peu fatigué. Les cours, Poudlard, le grade acier, ça lui tape sur le système, et cette putain d’adolescence, il a l’impression de devenir dingue.

- « Des amis tu peux en avoir plein Sid. » dit-il d’un ton neutre. « Et pour parler franchement je suis pas sûr d’être la personne la plus adaptée pour ça, tu te fais trop facilement marcher dessus, faut que tu traines avec des gentils. »

Il prend le temps de réfléchir à ses paroles, de construire son propos.

- « Moi ce que je peux faire c’est te tenir ferme, tu comprends ? Avec moi tu vas t’endurcir, tu vas t’affirmer, tu vas devenir un grand sorcier, un type à l’aise, t’auras plus peur. Et tu sais pourquoi ? Parce que je serai dans ton ombre Sid, je serai ta colonne vertébrale tu vois ? A chaque fois que tu seras flippé d’un truc tu te diras « t’inquiète, Blaze est là pour me rattraper si ça se passe mal » et ouais mec, c’est ça. »

C’est un exercice compliqué de formuler clairement des impensés. Blaze fonctionne plus à l’instinct, au talent et à la chance qu’à la théorie, mais s’il doit s’expliquer, alors…

- « C’est ça qui se joue entre nous tu piges ? Des promenades en barque des piques niques avec tes potes tu vas en faire cinquante dans ta vie, enfin je te le souhaite, mais là c’est pas un voyage en barque, c’est une putain d’aventure. »

Il se galvanise avec ses propres mots, une ombre de sourire lui revient au visage.

- « C’est normal que tu sois pas à l’aise, si tout était sécurisant tout le temps on se ferait chier, on apprendrait rien, on serait pas… vivant. »

Vivant c’est le bon mot. Avec Sidney, Blaze se sent vivant, comme dans un duel ou face à un péril. Vivant.

Un ploc le surprend. A côté de la barque, le tissu blanc de la chemise flotte à la surface de l’eau, projeté depuis les airs. Du bout de sa baguette, Blaze l’attire et le sort, trempé, avant de le déposer sur le bord de la barque, pensif.

- « Peut-être pour le dire plus clairement… si tu restes avec moi, je vais te foutre dans la merde. Sérieux. Des situations compliquées, humiliantes, tu vas m’en vouloir, des fois ce sera sympa aussi je dis pas, mais autant être cash non ? Je vais te foutre la misère. Par contre… »

Il plante son regard dans celui de Sidney.

- « Ce sera toujours bien fait, t’as ma parole. Tu seras jamais en danger, ok ? Et à la fin tout ce que tu subis, ça te renforce, ça te donnera l’occasion de t’affirmer tu vois ? D’apprendre des choses sur toi aussi. »

Il n’était pas certain que son programme soit si clair que ça, somme toute. Mais c’était la meilleure manière qu’il avait trouvé de le formaliser.

- « Enfin bref, tu peux récupérer ta chemise, moi j’ai dis ce que j’avais à dire. »

Et joignant le geste à la parole, il ferme une fois de plus les yeux, visiblement décidé à profiter du soleil.

Alors que Sidney s’était dans un premier temps recroquevillé sur lui-même, comme un réflexe d’huitre qui lui était propre et que Blaze connaissait bien dès qu’il se mettait à souffler le froid après le chaud, le garçon avait ensuite commencé à montrer des signes d’intérêts pour ce qu’il lui racontait. Un regard vaguement curieux, une lueur qui n’exprimait pas uniquement la contrition dans les yeux avaient suffit à faire espérer à Blaze que tout n’était pas juste foutu en l’air. Que peut-être, au bout du compte, Sidney pourrait partager ses ambitions ?

Mais il préférait ne pas se faire trop d’illusions tout de même, achevant ses explications d’un ton neutre et revenant s’avachir dans le fond de la barque, pour donner le change. Il n’aimait pas trop ce qu’il venait de dévoiler malgré lui à son camarade, une forme de fébrilité, les espoirs qu’il mettait dans ce projet, le plaisir qu’il en tirait… cela le rendait vulnérable, aussi, révélait un moyen de le vexer, de l’atteindre. Or pour asseoir son ascendant sur son camarade, il semblait à Blaze qu’il devait se montrer inflexible, puissant et fort autant que lui se montrait faible et mou.

Mais peut-être pas, finalement ?

Les yeux à demi clos, Blaze entend plus qu’il ne voit le long soupire de son camarade, expression d’une lassitude nerveuse compréhensible.

- « Tu m'apprécies pour de vrai...? ou ça aussi c'était un mensonge...? »

C’est le point faible de Sidney, le fêlure qui a permis à Blaze de s’engouffrer dans sa vie. Bizarrement complémentaires, chacun venant combler les besoins de l’autre, carences affectives pour l’un, narcissisme maladif pour l’autre. Il esquissa un sourire.

- « Il y a pas beaucoup de gens pour qui je me donne autant de mal dans cette école, franchement. Bon tu passes derrière Skyler et Misha, déso, mais t’es facile dans mon top cinq. »

Ça se voulait gentil ? Disons que ça éludait un peu la question.

- « Ça... ça faisait longtemps que j'avais pas passé un aussi bon moment, tu sais...? 'fin... au début... parce que maintenant... Et j'avais pas l'impression d'être moins... moins vivant ou de moins apprendre, de moins... m'affirmer ou... ou je sais pas... au contraire... »

Blaze hoche la tête de nouveau. Malgré les airs d’expert en psychologie qu’il se donne, il commence doucement à réaliser qu’il y a peut-être d’autres moyens d’agir avec Sidney. Un peu moins brutaux peut-être ? Comment dire… Compliqué cette affaire.

- « Ouais, peut-être. » Il réfléchit. « C’est certainement une question d’équilibre… »

Dans sa tête, Blaze passe en revue une foule d’idées. Quel est le meilleur moyen de pousser Sidney à gagner en assurance ? Certainement pas le dorloter sans cesse, non. Et puis ce ne serait pas amusant. D’un autre côté le jeune homme semble avoir soif de ces moments de douceur et de tranquillité qui ont dû lui faire défaut par le passé. Psychologie de comptoir, mais psychologie quand même.

Au fond, ce qui pose problème, c’est que Sidney fait de la résistance. La moindre attaque le fait se replier sur lui-même comme un mollusque, au lieu de provoquer une réaction, une rébellion, ou au contraire de se laisser aller au jeu… non, dès que les choses se corsent, il veut tout de suite en sortir.

- « En fait, je me dis qu’il faut voir ça comme un entrainement. » Il pense en parlant. « Quand je t’embête, t’as tendance à surréagir sur la défensive, à vouloir esquiver, mais ça ça va te poser des problèmes dans la vie tu vois ? L’idée c’est qu’en te mettant ponctuellement dans des situations compliquées, tu vas finir par apprendre à y répondre. Genre là je te demande tranquille si les mecs t’intéressent, dans le fond c’est pas une agression, mais t’as bloqué dessus et ça a tourné au vinaigre. Alors que ce serait mieux si juste t’avais assumé, ou que tu m’avais envoyé me faire foutre, au choix, non ? »

Il sourit à son camarade, avec une forme de philosophie bonhomme, plutôt content de sa réflexion.

- « Et si t’avais fait ça, on aurait continué à passer un bon moment, c’est du renforcement positif en vrai. »

Cet enthousiasme qui avait monté en lui pendant son monologue est toujours là. Il sent qu’il touche à quelque chose d’intéressant, de plus harmonieux mais aussi avec plus de… potentiel.

- « Est-ce qu'on peut rentrer, s'il te plaît ? »

Blaze hoche la tête tranquillement.

- « On peut. Mais je t’embêterai pas plus aujourd’hui, alors si tu veux on peut rester aussi. » et d’ajouter un brin moqueur. « Et je remets mes pieds sur tes jambes. »

Alors que quelques minutes plus tôt encore Blaze avait eu l’aigre sentiment que les choses venaient vraiment de se terminer, que Sidney, dans toute sa couardise et sa mollesse, avait trouvé la force de lui fermer la porte au nez, réclamer sa chemise et basta, finit, adieu les efforts et les projets, adieu cette excitation malsaine qu’il ressentait en présence du garçon, ce sentiment de pouvoir le piloter à sa guise et ce désir sincère de le modeler dans un sens qui lui convienne, de le rendre plus fort, plus brillant. Tout cela aurait pu tomber à l’eau dans la barque. Cela aurait été un désastre et une frustration terrible, mais que pouvait-il y faire ?
Blaze n’était pas fou au point de refuser à Sidney son droit de se désengager. Pas assez cruel, pas assez sadique, ou peut-être juste pas intéressé. Il avait envie que l’autre l’admire, qu’il vienne à lui de son plein gré, pas qu’il y soit forcé par la peur ou les sortilèges. Quel intérêt cela aurait eu, franchement ? Ce qu’aimait Blaze, c’était cette lueur de fascination qu’il provoquait chez les autres, ou de haine aussi, et Sidney prodiguait les deux.

Comme dans la salle sur demande, la porte est là. Ouverte. Il suffit que Sidney la prenne, qu’il prenne sa chemise, demande à être ramené sur la berge. Blaze n’aurait pas posé de problème, au mieux le voyage du retour se serait-il déroulé dans un silence amer.
Mais non, son camarade étouffe un léger rire et lui propose une madeleine. Pas besoin d’en dire plus, Blaze attrape le gâteau avec un hochement de tête. Le geste est éloquent.

Celui qui suit l’est également, Sidney se repositionne dans la barque et un peu timidement tapote ses genoux comme pour inviter à y grimper. Ce tapotement arrache un sourire de satisfaction sincère à Blaze. Voilà, les choses reprennent leur cours, avec la force supplémentaire qu’elles se sont dites franchement. Il n’y a pas tromperie sur la marchandise.
Avec la nonchalance de sa satisfaction, il vient donc remettre ses jambes sur celles de Sidney, position alanguie et confortable dans la barque qui continue de flotter tranquillement à la surface de l’eau.

- « Je sais pas si... 'fin... si les mecs m'intéressent... j-je m'étais jamais posé la question avant... Je suis pas sûr d'avoir envie de savoir. 'Fin... je veux dire... imagine c'est le cas...? J-je veux pas. C'est pas comme ça que... 'fin... j'ai envie d'avoir une copine et tout... un truc normal quoi. Pas... pas ça. »

Blaze hoche la tête. Ce ne sont pas vraiment des angoisses qui le travaillent, mais il est assez malin pour les comprendre. Il lui semble que, le concernant, il aurait très bien pu être gay que ça n’aurait rien changé à sa vie. Il se serait imposé, tout simplement, et personne n’aurait rien trouvé à y redire.

- « Je vois oui. » dit-il, sincèrement pensif. « D’un autre côté plus vite tu seras fixé mieux tu pourras réagir, non ? »

Il lui faisait un peu penser à Hayden, soudainement, avec ces questions lourdes qu’il se trimballait sans oser les confronter en face. Sans doute que c’était plus simple d’un point de vue extérieur de pousser les autres à ne pas mettre sous le tapis leurs problèmes. Après tout Blaze avait toujours refoulé ses tendances cleptomanes et assumait difficilement cette petite boîte pleine des fruits de ses forfaits qu’il dissimulait sous son lit.

- « Et puis d’expérience, en vrai tu peux être qui tu veux si t’es capable de l’assumer et de le défendre ça se passe bien. Les gens trouvent n’importe quel prétexte pour emmerder les autres mais au font le prétexte importe pas, ce qui compte c’est de sentir des fragilités en face. »

Il parlait VRAIMENT d’expérience. N’était-ce pas sa préoccupation première d’ailleurs, traquer ces faiblesses, ces fragilités chez les autres et appuyer dessus, comme ça, pour le plaisir de voir ce qui allait se passer ?

Il réfléchissait quand la question de son camarade le surprit un peu. Puisqu’on en était aux confidences, après tout…

- « Franchement, je te le dis à toi, ce qui m’intéresse surtout chez les autres c’est quand il y a du mystère à percer, tu vois ? On cache tous plein de trucs en nous et ça me fait kiffer de découvrir. Les gens sont passionnants souvent. »

Il rigole doucement.

- « Après, l’attirance physique, c’est empirique, non ? »

Son regard se reporta sur Sidney. Le garçon n’était pas très beau, maigrelet et le visage un peu creusé. Pas laid non plus, mais enfin. L’espace de quelques secondes, Blaze se demanda s’il devait jouer cette carte ou non. D’un côté il semblait que la dynamique qu’il engageait avec Sidney avait pris un tournant plus franc depuis quelques minutes, d’un autre il aimait profondément l’idée de pouvoir susciter le désir chez ses camarades.

Non, décidément, il n’avait pas la maturité pour se priver volontairement d’une telle source de plaisir.

- « Certains gars ont plutôt une belle gueule. » lança-t-il évasivement, et de rouvrir une porte qu’il avait pourtant fermé un peu plus tôt. « Misha, non ? »

Il esquissa un sourire.

- « Bon Maxwell c’est hors concours. »

Son regard revint se poser sur Sidney, avec une bienveillance vipérine.

- « Suffit que tu t’écoutes toi-même, tu verras bien si quelqu’un te plait ou pas et tu seras fixé. »