Chaque jour que je passe dans cette école est pire que le différent. Depuis l'interrogatoire, j'ai l'impression de creuser encore et encore. C'est une horreur, vraiment. Et là... Les mots de Sørensen tournent en boucle depuis qu'il les a prononcés : « des projets révolutionnaires en train de mûrir au sein du dortoir acier », « le courrier contrôlé », « forêt interdite ce soir », « la nuit entière »...  « Renvoyé ». Renvoyé... J'ai essayé de partir, il y a quelques jours. Je voulais me barrer. À n'importe quel prix. Qu'est-ce qui m'empêche de... de refuser de faire cette retenue ? De me faire virer...? On me renverrait à la maison et puis après ? J'aurais plus le droit de revenir...? C'est pas comme si j'en avais envie... Mais avant que je n'ai le temps de me décider à faire quoi que ce soit, Monsieur Armitage nous rassemble. Je suis désolé qu'il soit encore obligé de faire le sale boulot... et désolé d'être encore dans le lot... J'imagine que si je refuse de le faire, c'est lui qui va devoir gérer ça en plus du reste. J'ai pas envie de lui donner du travail en plus ni qu'il ait potentiellement des ennuis. Il était prêt à m'aider l'autre jour, je veux le faire aujourd'hui. Mais c'est stupide. C'est vraiment stupide. C'est la forêt. La dernière fois que j'ai mis les pieds dans la forêt en pleine nuit... L'odeur de la bouse me revient comme si j'en étais encore couvert. Le froid, la honte, la peur... Je frissonne mais suis docilement le groupe. C'est un mauvais moment à passer. Rien qu'un mauvais moment à passer... Mais ils le sont tous... Bêtement, j'espère que Blaze acceptera qu'on soit dans le même groupe. C'est bête parce que la dernière fois, il... mais... mais j'ai envie de croire que c'est différent maintenant. Il a dit qu'il me prendrait soin de moi et là, ça ressemble au moment où jamais, vraiment. Je me fais pas d'illusions, je vais mourir dans cette forêt. Littéralement. Mais il y a Skyler dans les grades acier alors sûrement qu'il préférera rester avec elle et... Mon regard se pose sur elle et l'observe une seconde. Je ne sais pas trop ce qu'il lui trouve. Depuis qu'elle s'est mise à crier sur lui au début de l'année, j'ai du mal à la voir comme autre chose qu'une folle, un peu. C'était mérité, d'accord, mais... mais quand même. Sauf que quand on s'arrête, on nous laisse pas vraiment le choix. Les groupes sont fait d'office et je suis appelé en même temps que Maxwell Carter. Je ne le connais pas personnellement mais c'est le préfet de Poufsouffle. Le genre de gars populaires, parfaits... dans une série, il aurait joué au football américain et serait sorti avec une fille comme Daisy... et aurait sûrement enfermé un gars comme moi dans son casier juste pour faire rire ses copains... J'aime pas vraiment l'idée de passer la nuit avec lui dans la forêt en fait... On... on peut pas changer ? S'il vous plaît...? Son sourire disparaît en me voyant me rapprocher. C'est pire que ce que je pensais... Je me sens pas très bien...

— S-salut, je chuchote à peine en enfonçant nerveusement les mains dans la poche ventrale de mon sweat.
— J’ai envie de crever.

Ça a le mérite d'être clair... Je baisse honteusement les yeux et m'agite un peu, mal à l'aise. Qu'il se rassure, moi aussi. Quand on nous donne l'ordre de partir dans la forêt, j'attends qu'il fasse le premier pas et l'imite à contre-coeur. Honnêtement, s'il y a un truc, quoi que ce soit, qui sort de quelque part, je hurle et je le laisse se faire bouffer ! Enfin... ça, c'est le plan sans la panique... Sinon, je sais exactement comment ça se passerait... Comme ça se passe quand je suis une proie... J'ai déjà tenté et... je cherche machinalement Blaze des yeux mais il n'y a que des troncs, autour de nous. On entend encore la voix des autres, au loin, mais il n'y a plus que nous. L'angoisse me noue l'estomac.

— Il casse les couilles le dirlo, on va se geler les boules là dans cette forêt pourrie… tu sais ce que c’est toi la veauda-jesaispastropquoi ?

Je secoue la tête. Je sais ce que c'est qu'un veau. J'en ai jamais vu en vrai mais je visualise... Je ne sais pas pourquoi ça me fait penser à Charles et à ses vaches. J'espère qu'il saura pas, pour la retenue. J'ai pas envie qu'il s'inquiète encore... J'accélère un peu le pas pour rester près de mon binôme. Je veux pas être tout seul là-dedans. C'est mort. Même si je dois lui courir derrière toute la nuit, même pas il espère se débarrasser de moi.

— Un... bébé vache poilu...?

Puisqu'il faut deux crins, 'fin... voilà quoi... Je sais même pas si un veau ça a des poils dans le vrai monde. S'il était là, sûrement qu'il saurait ce genre de trucs. C'est bête mais même s'il y a quelqu'un avec moi – une armoire à glace, même, ça devrait me rassurer mais pas trop – la solitude se fait plus pesante encore que d'habitude.

— Est-ce que tu... tu sais où on va...?

Parce que moi non et j'ai aucun sens de l'orientation et j'ai pas très envie qu'on se perde à tout jamais dans une forêt flippante et interdite avec sûrement plein de bestioles dangereuses pour nous bouffer... Je retire tout ce que j'ai pu penser ces derniers jours, je veux pas mourir !

Si j'avais dû choisir quelqu'un, Maxwell Carter aurait sûrement été l'un des derniers vers qui je me serais tourné. Je le trouve intimidant. Vraiment. Le genre de gars qu'on regarde à peine de loin, qu'on laisse passer dans les couloirs. Et pourtant... le choix, je l'ai pas eu, et je suis là, comme un abruti fini, à suivre à le suivre à la trace. Parce qu'honnêtement, c'est exactement ce que je fais. S'il fait un pas à droite, je fais un pas à droite, s'il accélère, j'accélère. Je ne suis pas vraiment son binôme dans cette forêt, je suis son ombre... et je suis littéralement terrifié. Pour l'instant, j'arrive à peu près à gérer l'angoisse. Il ne se passe rien et en dehors de mauvais souvenirs, je ne dois pas me battre contre grand chose. Mais je sais que ça pourrait arriver. Et je crois que c'est pire que tout. De s'y attendre, d'imaginer, de le craindre... Chaque seconde pourrait être la dernière... J'ai pas envie de finir encore à l'infirmerie. Pas pour ça. Pas alors que j'ai rien demandé à personne... C'est injuste. Comme si j'étais capable de fabriquer une bombe, sérieux... Comme si j'étais capable d'aller la mettre dans une tour où j'ai pas le droit d'aller... Comme si j'étais capable de t-… Ma réflexion s'arrête là, coupée par la voix du Poufsouffle et je crois que c'est tant mieux. Ça m'aurait pas plus de toute façon. À la place, je me risque à lâcher mes vagues déductions sur le veau de la lune qu'on cherche, ou je sais plus quoi exactement. J'y connais rien, en bestiole magique. Vraiment rien. J'ai même pas la matière, c'est pour dire. Mais ça me semble logique. Un veau, c'est un veau quoi...

— Tain’ je suis con, j’avais même pas capté qu’on devait chercher un animal.

Un sourire hésitant passe vite fait sur mes lèvres. J'ai pas envie qu'il pense que je me fous de lui... et en même temps j'ai pas envie qu'il pense que j'ai pas d'humour... C'est sûrement vrai, et je sais même pas si c'était une plaisanterie... Je me sens minable. Obligé, si on s'en sort, il ira se foutre de moi avec ses potes en mode « je suis tombé sur le plus gros bouffon de l'école »... peut-être même que dans ses potes, il y a Blaze et... et je me sens plus mal encore à cette idée.

— Tu crois qu’on va devoir se taper un p’tit rodéo pour récup’ les poils de la bêbête ?
— Qu-quoi ?! Non ! je m'étouffe. Non...?

Passée la surprise – le désespoir !– mes convictions ressemblent finalement plus à une supplication.  Il peut pas dire des trucs comme ça ! Mais en même temps, y'a un monde dans lequel c'est possible. Un frisson me glisse dans le dos. Ça y est, je sens l'angoisse qui arrive. C'est pas le moment... c'est pas le moment... Il se passe rien, là, merde ! Et puis, c'est un veau qu'on cherche. Ça fait pas peur, un veau. Au pire, il fera meuh – ça fait meuh, un veau ? – il essayera de courir pour nous échapper et puis voilà. À deux, on gérera... Si Charles avait été là... Mais je le chasse de mes pensées avant qu'il n'ait eu le temps de s'installer. Il n'y est pas, point. Le reste attendra. La seule chose que je peux faire pour l'instant, c'est de croiser les doigts pour trouver une touffe de poils de veau de la lune par terre. Zéro risque. Et on pourrait rentrer, au moins. Enfin... ça pourrait se passer comme ça si seulement on savait où trouver le veau. Mais, perso, j'en ai aucune idée... et quelque chose me dit qu'il n'est pas plus calé que moi... Je veux dire... s'il pensait vraiment partir à la recherche d'une plante ou d'un caillou... mais peut-être qu'il connaît la forêt ?

— Aucune idée bro. En vrai ils abusent, ils auraient pu au moins nous donner le chemin à prendre non ? On fait quoi du coup ? On continue à avancer ?

Aucune idée. Bro. Je ne sais pas ce qui me fait le plus buger. Le fait qu'on va se perdre dans moins de dix minutes si on continue comme ça... ou qu'il me parle comme si on était potes...? Maxwell Carter, le préfet de Poufsouffle, le Troy Bolton de Poudlard ou un machin comme ça vient de me donner un surnom qui n'a rien d'insultant... Si c'était pas les dernières heures de notre vie, sûrement que je me serais senti pousser des ailes... Il me faut bien trois secondes pour comprendre qu'il m'a posé une question... qu'il attend mon avis... Oh, sûrement qu'il s'en fout, que c'est juste pour la forme mais... quand même... Il a l'air presque sympa, ce gars. Pour l'un des Rois de l'école, je veux dire.

— Euh... bah... Oui...?

De toute façon, si on avance pas, on trouvera jamais le veau et on passera la nuit ici... Rien que l'idée me donne envie de pleurnicher. Je veux pas rester dans cette forêt toute la nuit. Je veux  vraiment pas...

— On... on devrait marquer par où on passe... s-si jamais faut... si jamais on doit faire demi-tour... enfin... si tu veux.

Si on trouve rien d'ici x temps, par exemple... histoire d'éviter d'aller déranger toutes les créatures dangereusement sanguinaires qu'il doit y avoir pour pas grand chose... ou de pouvoir courir jusqu'au château si par malheur ça arrive.

Chaque jour qui passe dans  cette école est pire que le précédent. Pourtant, à chaque fois, je me dis que ça pourrait pas être pire, qu'on a touché le fond, et bah on creuse encore. Et là, je crois que c'est pire que tout... je ne sais pas ce qu'il y a dans cette forêt, je sais juste qu'on va sûrement droit dessus. Au début de l'année, ils avaient balisé, au moins... Je sais pas s'ils savaient vraiment où ils nous faisaient mettre les pieds mais bon... on avait un chemin à suivre. Là, on va se paumer. On le sait. Même Maxwell Carter l'a avoué. C'est méchant, peut-être, sûrement même, mais j'ai pas très envie de passer les dernières heures de ma vie avec lui. Il est probablement sympa, enfin, il a pas l'air méchant en tout cas mais... mais voilà quoi... Du peu qu'il en a montré jusque là, il fait vraiment joueur de foot populaire des séries. Un peu homme-crevette quoi... Et ça me fait encore plus flipper que la forêt. Parce que s'il nous arrive un truc, je dois compter que sur moi... et je sais pertinemment que je suis la dernière personne au monde sur laquelle j'aurais envie de compter. Le seul plan A que je peux avoir, c'est de laisser les créatures sanguinaires le bouffer en premier pour espérer avoir le temps de fuir pendant leur digestion... P'tain, ça fait pitié.

— Ouais pas bête le type. Ça serait con de se retrouver totalement paumé au milieu de bestioles qui veulent nous bouffer.

Je hoche la tête. Ouais, ce serait con... Après, je sais pas trop comment on pourrait faire ça. Avec de la magie, sûrement qu'il y a moyen... mais je connais pas de sort qui laisse des traces... et pour un peu qu'on se loupe, on risquerait de foutre le feu à la forêt. Alors ok, ce serait radical pour éviter de se faire bouffer mais on risquerait d'y rester au passage – et un veau de la lune cramé ça a sûrement plus trop de poils... Il aurait fallu prévoir des petits cailloux, comme dans le conte... Je sais plus comment il se finit, d'ailleurs... bien, j'espère... Et si jamais c'est pas le cas, j'imagine que c'est mieux d'avoir oublié. J'ai pas le temps de chercher plus longtemps une solution potable qu'un bruit se fait entendre pas loin de nous. Mon coéquipier a l'air de l'avoir entendu aussi, il est sur la défensive... moi, je suis à deux doigts de tomber dans les pommes tellement la peur est violente. Je me cache littéralement derrière lui, dans son ombre, faisant mon possible pour me faire oublier... C'est à peine si je respire encore.

— Bonsoir messieurs.

Et là, soulagement intense, c'est « juste » Monsieur Armitage. Mes épaules s'allègent d'un poids et je sors de ma « cachette » de fortune.

— Oh putain, j’ai grave eu la trouille.

Pas un pour rattraper l'autre, sérieusement... on est dans une merde pas possible. Je sais pas dans quel état on va finir cette soirée... ni même si on va la finir... Au premier truc louche, on va se barrer en hurlant, ce qui va réveiller tous les autres trucs dangereux et on va se faire bouffer. Un truc comme ça. Pourquoi je suis pas tombé avec Blaze, hein ? J'aurais passé un mauvais moment, comme d'habitude, il en aurait profité pour se foutre de moi, pour m'humilier, comme d'habitude, mais au moins, j'aurais pas été trop en danger. Enfin, le danger ça aurait été lui, pas le reste. Le reste, il aurait sûrement géré.

— Je ne vous demande pas si la promenade vous plaît, je pense qu’on s’en passerait tous bien.

Le sourire que je lui adresse se fait désolé. Désolé qu'il soit là alors qu'il a pas envie, désolé qu'il soit toujours dans mes galères, désolé que sa soirée soit aussi pourrie que la nôtre... Mais non, clairement, la promenade me plaît pas. J'aurais préféré pas de promenade du tout.

— Je suppose que je ne vous apprends rien si je vous dis que le veaudelune est gros à poil ras et vit dans un terrier et n’en sort qu’à la pleine lune.

Un gros truc à poils ras... D'accord... Qui sort qu'à la pleine lune, alors que c'est pas la pleine lune... Le regard que je jette à Maxwell en dit long sur ce que je pense de cette information... Quelque chose qui, si je l'avais verbalisé, aurait sûrement ressemblé à « il nous fait chercher un truc qu'on peut pas trouver, c'est juste pour qu'on se fasse bouffer ». Si c'est un accident, peut-être qu'il aura pas de problème, le Directeur. Quand on faisait des sorties, avec l'école, ça racontait toujours qu'on pouvait perdre un certain pourcentage d'élèves, que c'était autorisé... peut-être que là aussi. Il a peut-être le droit d'avoir un certain pourcentage de morts accidentelles sans que ça soit considéré comme une faute grave. Après des mois passés ici, je ne sais toujours pas où sont les limites... je ne suis même pas sûr qu'il y en ait.

— J’en ai déjà vu sous les haies avec des baies.

Sous les haies avec des baies...

— Merci m’sieur.
— M-merci...

J'ai l'impression qu'on est encore plus dans la galère qu'avant son arrivée... On savait pas trop où chercher mais au moins on s'attendait à trouver... Là, on sait où chercher mais y'a zéro chance qu'on trouve... J'ai envie de rentrer me coucher. C'est n'importe quoi cette retenue, ça n'a aucun sens ! Qu'est-ce qu'on s'en fiche des veaux de la lune, en plus ! Ils peuvent pas y aller tout seul les jours  de pleine lune, non ?

— Tiens regarde il y a un buisson, vas-y met la main dedans pour voir si y’en a ou pas, je t’attends là.

Je hoquette de surprise et pose sur lui un regard paniqué.

— Qu-quoi ?! Moi ?!

J'espère qu'il va dire que c'est une blague, qu'il va le faire parce que clairement c'est lui le mâle dominant de nous deux, tout ça tout ça. Je veux bien jouer la demoiselle en détresse s'il faut, j'ai aucun problème avec l'idée tant que j'ai pas à mettre la main dans ce buisson... mais visiblement, il plaisante pas. Je m'entends couiner le plus pathétiquement du monde avant de jeter un regard désespéré à la haie. Mon cœur bat plus vite encore qu'il ne l'a fait jusque là, je ne savais même pas que c'était possible. Je m'approche. J'ai la nausée. Je m'accroupis devant, parce que les terriers c'est creusé même si j'ai conscience que pour fuir ça va être compliqué... Je sais pas si y'a plus de chance que je me mette à pleurer ou que je rende mon dîner. Réfléchis pas, vas-y. Réfléchis pas... mais quand même... Je renifle un peu, au bord du malaise. Réfléchis pas ! Et dans un élan de courage – d'inconscience, un relent d'envie suicidaire sûrement – je m'exécute. Mes doigts ne mettent pas longtemps à rencontrer quelque chose qui n'a l'air ni gros ni à poils ras... quelque chose qui bouge en tout cas...

— Hiiiiii y'a un truc vivant ! je hurle, cédant totalement à la panique, arrachant ma main du buisson, tombant sur le derrière avant de reculer tant bien que mal – assez mal d'ailleurs.

Je me sens pas très bien. J'ai chaud, j'ai froid. J'ai sûrement dû pâlir... peut-être que je pleurniche un peu je sais même pas. Mon cerveau déconnecte à moitié. Je veux rentrer chez moi !

Les informations données par Monsieur Armitage sont sûrement précieuses, hein, je dis pas... mais ce qui nous aurait vraiment été utile, c'est qu'il cherche avec nous. Il sait à quoi ça ressemble, déjà, les gros veaux à poils ras, et puis il doit connaître la blinde de sorts pour réussir à attraper des crins et tout... Honnêtement, peut-être que Maxwell Carter est un génie de la magie, hein... mais c'est pas tant l'effet qu'il me fait. Il fait un peu cliché du mec populaire... Sympa, canon, sûrement doué  pour faire la fête... mais avec même pas deux fils qui se touchent... Je suis désolé si je me trompe hein mais... c'est toujours comme ça dans les séries alors... alors je me dis que ça peut pas venir de nulle part. Le concierge parti, il faut reprendre notre exploration. Et là où une armoire à glace comme mon camarade aurait dû jouer les gars courageux et prendre les devants... il décide de m'envoyer fouiller les buissons à sa place. Sur le coup, je m'attends à une blague. Je veux dire... il peut pas vraiment attendre de moi que je fasse un truc comme ça... J'arrive déjà même pas à faire un pas tout seul ! Mais visiblement, si, c'est exactement ce qu'il attend... Je suis à deux doigts de tomber dans les pommes, je vous jure... Pourtant, je m'approche quand même du buisson. Je sais pas si c'est par courage ou par peur... des représailles si je le fais pas...? de passer tout le reste de la nuit ici...? Sûrement un truc comme ça. En tout cas, je prends sur moi, ça me demande des efforts surhumains, mais je finis par fourrer ma main dans le buisson en priant pour ne rien trouver... mais c'est évidemment trop demander. Le bout de mes doigts entre en contact avec je ne sais quoi. Un je ne sais quoi qui bouge. Je hurle malgré moi. Je suis sur le point de m'évanouir. Cette soirée est une horreur, la pire angoisse du monde. Je recule maladroitement, je tremble tellement que je n'ai même pas la force de me relever. Si je n'ai pas été ni mordu ni griffé, je m'attends presque à ce qu'un truc sorte de là pour me faire payer de l'avoir dérangé !

— Relax, tant que ça t’as pas bouffé, ça passe.
— Bah t'avais qu'à le faire, je feule d'une voix à mi-chemin entre une panique tenace et une colère un peu lâche.

C'est trop simple de m'envoyer faire le sale boulot pour prendre ses grands airs après ! Il avait pas l'air plus courageux que moi y'a rien que trois secondes ! Ce type est un crétin. Mais un crétin qui finit par prendre les choses en main – maintenant qu'il sait que c'est pas un danger mortel dans le buisson, ça veut jouer les gros bras ! – et relève ses manches avant de s'approcher à son tour. J'ai presque envie qu'il se fasse sauter dessus par je sais pas quoi... mais ça voudrait dire être en danger, de voir aller chercher de l'aide tout seul et me perdre et jamais sortir de là... Alors ça calme vite mes ardeurs et envies de vengeance... J'ai pas envie de risquer ma vie dans cette forêt. Pas pour deux poils de veaux. Il sort finalement sa baguette et lance un sort en direction de la haie avant d'en tirer une araignée géante... Le machin, il fait au moins la taille d'un pigeon ! Je me sens pas bien. Je me sens vraiment pas bien. J'ai chaud mais une sueur glacée me coule dans le dos. Ma respiration devient sifflante, plus anarchique. On va mourir. Je suis sûr qu'on va mourir dans cette forêt. Il faut que je me calme. Ils ont pas le droit de nous tuer ce soir... mais en même temps els droit ici, tout le monde s'assoit dessus !

— Ah vas-y ça me dégoute c’est juste un araignée bien dégueulasse là.

« Juste » ?! Mais je vais la lui faire bouffer son araignée ! Mais avant, il faut qu'on sorte de là. Franchement, je préfère être collé tous les jours jusqu'à la fin de l'année plutôt que de passer rien qu'une seconde de plus avec lui et ici. Pourquoi on m'a pas mis avec Blaze, hein, sérieusement ? On aurait déjà trouvé, il m'aurait pas laissé risquer de perdre une main aussi bêtement et tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes !

— Vas y ça me gonfle cette chasse au trésor pourrie. On peut pas juste faire un accio et se barrer ?

Je hoche la tête. Le monde tourne un peu, mes doigts s'agrippent à la tête qu'il y a partout autour de moi dans l'espoir de stabiliser un peu quelque chose... mais c'est un échec. Je crois que je vais rendre mon dîner... pourtant, je fais l'effort de tirer quand même ma baguette. Je sais que c'est risqué, que je la maîtrise très mal, que je sais mieux faire sans... mais là où je le fais instinctivement avec mon préfet, lui m'inspire tellement pas que je préfère pas me risquer à faire genre « t'as vu, je fais des trucs pas normaux avec la magie »... Je l'agite. Je tremble toujours, mes gestes sont secs, hachés, nerveux... Le résultat est loin d'être à la hauteur.

— A-ac-cio.

Sans surprise, tous les paramètres sont réunis pour que ce soit un échec... donc c'est un échec... Il ne se passe rien, ma baguette ne réagit pas... du coup je panique encore plus. Ma vue se trouble un peu, je commence à voir des petits points dans mon champ de vision... j'ai des fourmis dans les doigts... l'air a l'air de se faire un peu plus rare.

— J'te jure on- on va y rester.

Et si ça sonne pathétique, honnêtement, il n'y a rien qui puisse avoir l'air plus vrai que ça ce soir. C'est sûrement notre dernière soirée et il faut qu'on la passe ensemble. Je déteste cette école moisie.