13h50. Il était temps de sortir de mon dortoir, de prendre les escaliers qui me mèneraient deux étages plus haut, dans le bureau du professeur de sortilèges. La convocation était tombée dans la matinée, implacable. Dès la semaine précédente, en contactant le concierge au sujet des retenues imposées par le professeur de potions – retenues complètement injustifiées s’il en était mais que j’avais accepté avec fierté, par esprit de contradiction, par douleur aussi d’avoir vu s’évaporer ma seule amitié – j’avais compris le problème que j’aurais dans le relai qui s’annonçait. J’allais devoir passer un mercredi après-midi sur trois avec le professeur Aylmer. Cela n’aurait pas dû paraître si terrible. Le professeur Aylmer pouvait se dire qu’il m’avait prouvé qu’il ne voulait pas me nuire, au contraire. J’en avais eu la preuve suite à l’explosion, une preuve que j’avais certes pris le soin de détruire mais qui restait vivante dans mon esprit. Alors, je pouvais considérer que j’étais en sécurité dans ce bureau où je m’apprêtais à pénétrer, plus en sécurité peut-être que partout ailleurs dans le château. Et pourtant, à l’instant de frapper à la lourde porte, je ne pouvais empêcher un mouvement de recul dû à mes hésitations. J’avais la preuve que le professeur ne me voulait pas de mal. J’avais aussi la preuve que je m’étais trompé sur son compte. Il le savait et moi aussi. Et je me doutais que contrairement à la semaine précédente, la retenue aurait en elle-même un autre enjeu que de peindre des murs.
Et pourtant, je ne pouvais pas me désister. D’une part, je n’avais pas le droit et n’avais pas envie de subir les courroux croisés du maître des potions et de son collègue de sortilèges. D’autre part, j’avais déjà refusé de me rendre à une retenue du professeur de sortilèges et cela s’était très mal passé, causant mes problèmes du moment. Le changement de dortoir n’était rien face à la perte dans la colère et la tristesse de mon seul ami. Il n’était pas mort mais ça aurait mieux valu presque. Là, il était simplement passé de l’autre côté. Il était remonté en grade, avait retrouvé son dortoir et les siens. Je le détestais pour cela, il me haïssait pour la bombe. Et si j’avais pu envisager à un moment essayer de discuter posément, admettre que je m’étais peut-être un peu emportée, sa remontée en grade réduisait cela à néant. J’avais tiré un trait sur Dmitri, m’était coupé de lui. Nous nous croisions peu, il m’évitait du regard, obstinément, sans que je sache si c’était la honte ou la peur que je fouille son cerveau qui dominait ses pensées dans ces instants. Alors, sans vouloir me l’admettre, je pleurais parfois de rage et de désespoir le soir.
Mais ce n’était pas le moment que les larmes me montent aux yeux, pas le moment de pleurer, de montrer ma faiblesse et ma tristesse. Je toquais à cette porte, sans plus me laisser le loisir d’hésiter, sans plus réfléchir. On m’intima d’entrer, je le fis. J’agissais par automatisme, m’asseyant à sa demande sans dire un mot, le laissant parler. La gorge nouée, les lèvres serrées, j’attendais de comprendre, de savoir, de saisir le sens de son alternative.
Par certains aspects, j’avais presque envie d’opter pour la première option. Par simplicité d’abord, car cela ne nécessitait pas de se poser de questions et d’y répondre. Par vague esprit de rébellion – ce qu’il en restait du moins – parce que je ne voulais pas montrer au professeur que je lui accordais ma confiance, dans un reste de fierté mal placée qui ne voulait pas reconnaître ses erreurs. Et pourtant, je tenais là une occasion en or peut-être, le moyen de rentabiliser cet après-midi, de comprendre en tout cas ce qui se tramait dans cet esprit que je ne comprenais pas. De trouver un allié, peut-être, aussi.
« Autant rendre ce moment utile… »
J’hésitais un peu en disant ces mots, comme si je craignais les suites de mes pensées. Le problème n’était pas dans ma volonté de préparer un plan pour l’avenir des nés-moldus, le problème était dans ma capacité à faire confiance à un professeur que j’avais à mot à peine couvert traité de traître.
« Comment préparer cet avenir ? »
Je n’osais pas être plus directe, lui demander s’il avait un plan et lequel. Je n’étais pas en position pour.

Le professeur ne semblait pas étonné de me voir choisir la seconde option. Je ne savais pas si son devoir à préparer était une réalité ou s’il m’aurait simplement fait trier des dossiers pendant quatre heures mais je pouvais estimer qu’il préférait lui aussi cette solution, sinon il ne l’aurait même pas envisagée, encore moins proposée. D’une certaine manière, il me laissait une chance. Pas tellement de faire autre chose, pas tellement d’échapper à la punition. Il me laissait surtout la possibilité de m’expliquer, de trouver quelque chose à dire aussi  Les interrogatoires ne tarderaient pas à tomber et je savais qu’on ne me ferait pas de cadeaux. Je ne savais pas ce qu’avait dit Dmitri, je savais seulement qu’il y avait des raisons pour tous ceux qui y étaient disposés de croire que j’étais coupable. Et les dispositions étaient simples à avoir. Je n’étais pas la personne la plus appréciée du château, j’avais un certain passif en matière de défense des nés-moldus – ou d’attaques des sangs-purs plutôt – et j’étais née-moldue moi-même. C’était une certaine aubaine que je me sois trouvée sur les lieux de l’attentat au bon moment. Cela allait donner – et donnait déjà – du grain à moudre à tous ceux qui voulait voir les nés-moldus désignés coupables. Si la pression que je me mettais était un peu retombée, si j’avais cessé de croire qu’à tout moment, mes nouveaux camarades de dortoir allaient m’étrangler dans mon sommeil, je ne restais pas moins sur mes gardes, dans l’attente du déroulé prochain de l’enquête. Je n’étais pas encore sûre de la marche que je suivrais, je n’étais pas sûre de le dire au professeur, qui s’évertuait à penser visiblement que j’allais vouloir clamer mon innocence, que peut-être je prendrais la stratégie inverse, par pur esprit de contradiction. À défaut d’avoir le moindre instinct de survie et la moindre logique.
Alors, avant même de songer à parler, j’écoutais le professeur, sans oser toucher à la tasse qu’il avait déposé devant moi. Il ne le saurait sans doute jamais, je ne l’avouerais jamais devant lui, mais j’avais apprécié qu’il n’utilise pas la magie pour cet acte d’une banalité extrême. Cela me rappelait l’avant Poudlard, cela me faisait oublier ma nullité manifeste en sortilège, cela me donnait l’impression, l’espace d’un instant, que la magie n’avait jamais gâché ma vie, que je pouvais encore croire à un retour en arrière, dans une vie où globalement, cela irait bien.
Je le laissais égrener ses questions, tâchant de me souvenir du moindre détail. Il y avait bien cette histoire de tableaux dont je n’étais plus sûre. Pourtant, je savais que je l’avais vu plusieurs fois, le paysan, celui avec son accent tellement étrange, presque incompréhensible. Dès le début, il m’avait paru plus gentil que les autres. Il se fondait moins dans la masse des tableaux de Poudlard, il se souciait un peu de moi. Et pourtant, je ne l’avais pas revu depuis, j’en étais presque venu à croire que j’étais folle, que c’était une hallucination. Voilà pourquoi je n’en parlais pas. Et aussi, je refusais de l’évoquer parce que j’avais peur qu’on me dise qu’il m’avait manipulé et que je ne voulais pas pouvoir y penser. Alors, je rebondissais plutôt sur la fin, par une question plus que par une réponse, le temps de réfléchir un peu.
« Vous croyez que c'est possible qu'on ne me mette pas en cause ? »
Je n'y croyais pas. Je n'avais jamais vraiment pensé qu'on puisse ne pas du tout me considérer comme suspecte. Et pourtant, il me semblait que Skyler et le professeur tente de me faire confiance et de me croire. En pensant à tout cela, je fixai ma tasse du regard, puis, un instant, relevais les yeux vers le professeur. J’hésitais à lui dire, j’hésitais à lui faire confiance. Et puis, brusquement, je me souvins de quelque chose qui n’avait pas vraiment de lien avec la discussion mais qui pouvait m’aider si je doutais de la fiabilité de mon interlocuteur. J’étais face à quelqu’un, j’avais tout le loisir de le fixer des yeux, il ne semblait pas décider à bouger. Contact visuel, proximité… Il était temps de mettre en application mes recherches. Ainsi, au lieu de répondre, je le fixai. Longuement, trop longuement sans doute. Et pourtant, il se passa quelque chose de différent, comme si, d’un coup, j’étais absorbé dans l’esprit de quelqu’un d’autre, comme si brutalement, je lisais quelque chose d’interdit.

Contrairement au professeur, je doutais qu’on me pense innocente facilement. Et puisque j’en doutais je ne faisais rien pour que ce soit le cas, à la manière de ces prophéties auto-réalisatrices qui se réalisent pas tellement par hasard. Et tandis qu’il me regardait fixer ma tasse, qu’il me rassurait sur son contenu, l’idée de tenter la légilimancie me vint. C’était un projet un peu fou ou franchement délirant. Si j’avais été raisonnable, je me serais souvenu de mes précédents échecs à répétition avec Azure, pour comprendre que c’était impossible de réussir face à un professeur de sortilège expérimenté. J’aurais peut-être eu aussi la décence de considérer que ce n’était ni le lieu, ni le moment, encore moins l’interlocuteur adapté, que face à quelqu’un qui se proposait de m’aider quand j’étais en si mauvaise posture, je ne pouvais pas me permettre de tenter et même de penser tenter pénétrer son esprit. Cela ne se faisait pas et pourtant, je pensais vraiment à le faire. Et malgré l’inconvenance, malgré la difficulté, mon regard fixe ne me laissait aucun doute, j’étais en train d’essayer. Ce n’était pas une bonne idée, non. Et pourtant, cela marchait. Brusquement, je saisis des lambeaux de pensées qui n’étaient pas les miennes et qui n’était visiblement pas issues de mon imagination. Il était question d’Azkaban et il me semblait percevoir que le professeur y avait été enfermé et qu’il craignait qu’il m’arrive la même chose. C’était fugace, assez déroutant. Et je n’étais pas sûre de vouloir en savoir plus.
L’enchantement se brisa à l’instant où, penaude, je détachai mon regard du sien. Des sentiments contradictoires m’assaillaient : la fierté d’avoir réussi, la honte d’avoir tenté, la crainte de la suite. Je replongeai mes yeux dans mon thé, laissant mon propre regard, mes iris noirs, se refléter dans la boisson. Dès lors, je n’osais plus regarder le professeur et, pour me donner une contenance, j’entrepris de porter à mes lèvres ma tasse. Gorgée après gorgée, le regard maintenant un peu fuyant, je laissais le professeur Aylmer poursuivre un instant, envisager une seconde de demander du veritaserum au maître des potions.
« Non, ce ne sera pas la peine. »
Le ton était cette fois plus assuré, sans que je sache ce qui brusquement me faisait envisager de lui faire véritablement confiance. Il n’avait rien dit qui change mon avis sur lui mais pénétrer ses pensées me faisaient me sentir étrange. Physiquement, j’avais la sensation d’être un peu nauséeuse, comme lors d’un voyage trop rapide. Mentalement, je sentais que j’avais franchi un point de non-retour, avec lui et avec tous les autres sur qui je pourrais tenter.
« Il y a eu le mot sur le tableau d’affichage annonçant la réunion… Et puis, j’ai croisé un tableau qui parlait de la tour privilège donc j’y suis allée. »
Sur l’explosion, j’avais tout dit. Il avait maintenant les derniers éléments. Je ne savais pas ce qu’il pourrait en faire, je ne voyais pas pourquoi j’avais opté pour le lui dire mais c’était fait. Alors, je m’enhardis un peu, revenant sur ce que j’avais vu sans nommer directement ce qui s’était passé.
« C’est terrible à quel point Azkaban ? »
Ce qu’il comprendrait des raisons de ma question ne me concernait plus, je n’avais plus vraiment de barrières. Mais j’étais inquiète qu’il y ait pensé, inquiète pour ma situation, pour les risques que je prenais maintenant et leurs conséquences. Et je n’avais aucune envie de fouiller la bibliothèque pour en savoir plus.

Le peu de réponse du professeur ne me permettait pas de déduire ses intentions. Je n’avais aucun moyen de savoir si ma réponse lui était utile ou pas, aucune possibilité de prévoir la suite de l’interrogatoire. La situation était étrange, je répondais à ses questions sans savoir vraiment si je le voulais vraiment, sans contrainte mais pas tout à fait librement non plus. Je ne m’étais pas attendu, quelques jours ou semaines auparavant, à subir sans franchement y résister un tel examen. Il y a encore deux semaines, j’étais à peu près convaincue que le professeur de sortilèges, bien que né-moldu, était de mèche avec Sorensen, d’une manière ou d’une autre. Et j’avais dû radicalement changer d’opinion, sans toutefois être en mesure de lui faire vraiment confiance.
Alors que j’envisageais sérieusement de lire ses pensées, je me rappelais de quelque chose que j’avais dit à Dmitri bien avant notre dispute, au moment où je cherchais à commencer la légilimancie sans savoir sur qui m’exercer. Parce que nous étions – à l’époque – amis, je me sentais obligée de le faire avec son accord, qu’il ne donnait pas. Notre amitié détruite, je me sentais absolument libre de tout tenter, ne l’ayant pas encore fait simplement parce que les conditions matérielles n’étaient pas réunies. Ici, c’était le même raisonnement, ou presque. Je ne faisais pas confiance au professeur, pas tout à fait. Alors je n’avais pas de scrupules à avoir.
Et pourtant, ce raisonnement tenait pour un essai, il était bien plus perturbant quand l’essai réussissait et me troublait suffisamment pour me dévoiler en partie, dévoiler une de mes craintes, en lien avec ce que j’avais vu et que je n’aurais pas dû voir. C’était une crainte qui préexistait à aujourd’hui, bien entendu. Je n’avais pas attendu l’esprit du professeur pour entendre parler d’Azkaban. Et si je n’avais jamais fait de recherche dessus, c’était plus par conviction qu’il valait mieux ne pas savoir ce qui m’attendait – puisque même l’entretien d’orientation m’avait défini cela comme futur – que par réelle incompétence à mener des recherches. Mais là, le fait d’être confronté à quelqu’un qui, peut-être, l’avait vécu, rendait les choses différentes et je me sentais obligée d’en parler.
« Désolée... »
Le professeur avait compris d’où me venait cette question soudaine. Et puisqu’il avait saisi que j’étais entrée dans son esprit, je me devais de m’excuser. Cela n’aurait pas dû se faire mais j’avais choisi de tenter. Et j’avais réussi, cette réussite m’occasionnant autant de désarroi que de fierté. Mais maintenant que j’avais décidé de poser la question, je me devais d’écouter les explications, de les comprendre et de les retenir. Cependant, je savais aussi bien que le professeur que le fond du problème n’était pas Azkaban, détraqueur ou non. Mon problème résidait dans mon désespoir, ce lui qui me faisait dire que même si j’étais innocente je serais condamnée.
« Souvent, je ne le pense pas... »
Souvent, pour ne pas dire tout le temps. Parce que j’ai l’impression de faire face à des êtres trop forts pour être vaincu, parce que Sorensen me paraît tout puissant, contrairement à ce que disait le professeur.
« Et parfois je me dis qu’il vaut mieux que je sois reconnue coupable. »
Peut-être que là, le professeur saisirait l’ampleur du problème.

Le professeur ne semblait pas courroucé, même s’il avait compris que je m’étais introduit dans son esprit. Il dodelina simplement de la tête face à mes excuses et s’empressa de continuer. Nous entrions dans le vif du sujet. Je venais d’admettre que je n’étais pas sûre de vouloir être disculpée, sans encore en donner les raisons qui étaient floues, même pour moi. Je m’attendais à une leçon de morale qui ne vint jamais. Le professeur me posa seulement deux questions, tâchant sans doute de comprendre ce que j’avais en tête en disant cela. Pourquoi ? La réponse était presque évidente. Je ne croyais pas à cette enquête, j’étais sûre que les résultats accuseraient un né-moldu. Et vu mon passif, vu ma position sur les lieux du crime, j’avais peine à croire que je ne serais pas inquiétée. Ce n’était que la première partie de mes arguments.
« C’est probable qu’on cherche à m’accuser et au moins, ils verront qu’il y a des gens prêts à s’opposer à eux. »
C’était peut-être ça le seul véritable argument. Ce n’était pas tellement la fatalité qui me poussait à raisonner ainsi. C’était peut-être aussi que j’aurais presque aimé en être capable. Je n’étais pas non-violente. Je n’étais pas assez violente pour provoquer une explosion mais la nuance était fine. Et surtout, cette explosion posait des problèmes aux sangs-purs, à la direction. Et dans un raisonnement simpliste, ce qui causait du tort aux sangs-purs n’était pas une mauvaise idée. Et pourtant, si cette idée avait été ma première réaction, celle qui m’avait valu la haine de Dmitri, j’avais eu un peu de temps pour aller au-delà et me rendre compte de ses limites. La direction semblait sortir renforcée de cette attaque, elle pouvait justifier ses mesures iniques et discriminatoires. Elle le ferait d’autant plus si j’avouais ma culpabilité. Et si j’avais dit un jour que j’avais déjà tout perdu, si j’étais presque prête à finir à Azkaban par esprit de contradiction, je n’étais pas sûre d’être prête à entraîner dans ma chute l’intégralité des nés-moldus.
« Vous avez raison, cela profitera aux Sorensen. »
Ils seraient ravis que j’avoue, au fond. Cela dit, je fis le choix de me taire, d’écouter le professeur Aylmer sans chercher à l’interrompre. Je voulais comprendre. Et pour comprendre, souvent il faut laisser l’autre parler. Et je n’avais pas besoin de parler pour laisser sentir ce que je ressentais dans les mots du professeur. Il vit sans doute la lueur d’incompréhension dans mes yeux quand il évoqua un événement, un certain David, un certain Goliath, que je ne connaissais pas. N’était-ce pas l’un de ses combats du passé dont les sorciers ont le secret ? Et pour le reste, je ne retins qu’une chose : il allait falloir la jouer collectif. Je n’y étais pas habituée, je faisais difficilement confiance, j’agissais plutôt seule mais je n’allais pas avoir le choix visiblement.
« Qu’attendez-vous de moi ? »
Je n’acquiesçais pas à ses propos, je me contentais de revenir au début, de comprendre les implications pratiques de ce qu’il voulait dire. Mais, c’était un bon point, je n’avais pas dit non, j’avais réfréné mon désir de lui dire que je ne ferais plus jamais confiance à quelqu’un, ni Dmitri, ni mes parents, ni aucun grade acier. Je commençais peut-être à envisager d’autres possibilités que l’action isolée. Et par cette simple question, déjà, j'acceptais de lier mon sort aux paroles d'un autre.

J’avais abandonné mon idée de départ. Non, je ne dirais pas que j’étais coupable. J’avais compris une chose : ils pourraient en tirer parti. J’avais encore des doutes tout de même. Ne tireraient-ils pas parti aussi de mon innocence ? N’avaient-ils pas encore une fois un coup d’avance qui, quoi que je fasse, leur ferait mener le jeu à leur convenance ? J’étais prête à écouter le professeur Aylmer. Je n’étais pas encore prête à lui faire confiance mais je pouvais écouter et prendre ce que je voulais de ses explications. Et, sans vouloir me l’avouer, je commençais à me sentir dépasser par les évènements. Alors, parfois, j’avais presque envie de me laisser porter par ce que disait un adulte qui avait l’air un minimum de savoir comment gérer.
Le professeur semblait vouloir me rassurer en m’expliquant que ce serait sans doute les hommes du Ministère qui m’interrogeraient, comme si ceux-ci étaient plus bienveillants que ceux de la direction. A première vue, cela pouvait sembler une évidence : il valait mieux des hommes désignés par un Ministre né-moldu que par un directeur absolument extrémiste. Mais je n’avais jamais considéré Appleton comme un allié, même pas temporaire, même pas timoré. Mon père m’avait appris une certaine méfiance de l’autorité. Et Ministre de la Magie était un poste qui conférait l’autorité. Donc, je n’avais aucune raison de me sentir rassurée, encore moins quand je savais que le Ministère n’avait rien fait contre Sorensen.
« Ce n’est pas spécialement rassurant. »
Et d’une certaine manière, la suite me donna raison puisque le professeur me conseilla de ne rien accepter en termes de boissons ou de nourriture, pour cause de veritaserum. Je ne connaissais pas cette potion, ou juste de nom. Je savais simplement ce que disait son nom, à savoir que je ne pourrais pas mentir. Et c’était toujours inquiétant de ne pas avoir le choix de dire ou non la vérité.
« Je n’avais rien prévu d’accepter. »
Je le disais avec d’autant plus d’aplomb et d’assurance que je me rendais compte que j’avais accepté la tasse sans me poser aucune question et que c’était une grossière erreur. Fixant ma boisson, je pris conscience que je faisais plus confiance au professeur qu’au Ministère. Au moins, le professeur de sortilèges avait été d’une certaine aide lors de l’explosion. Le Ministère, jamais.
Je le laissais finir sans plus trop comprendre ce que je devais faire le jour J et surtout, dans quel monde il vivait pour croire que je pouvais sérieusement laisser penser que j’étais simplement une élève comme une autre, avec ses amitiés et ses amis.
« Les histoires de sang font que je n’ai plus d’amis. »
Ou plutôt, que j’avais perdu le seul que j’avais.
« Je peux vous poser une question ? »
Je ne lui laissais pas le temps de me l’interdire.
« Pourquoi m’avez-vous dit de me taire après l’explosion ? »
Et pourquoi avoir insisté au -point de vouloir me faire mentir. Et pourquoi maintenant ce n’était plus valable ?

Les explications du professeur quant à son mensonge était claires mais c’était bien la seule chose dans ses propos qui ne glissait pas irrésistiblement sans atteindre mon esprit. Il tenta ensuite de me parler d’amis, de confiance… Il voulait me convaincre que je n’avais pas que des ennemis. J’en doutais sincèrement. J’aurais voulu le croire, j’aurais peut-être pu le croire deux ans auparavant. J’avais voulu faire confiance à ma famille, mes parents m’avaient abandonnée. J’avais voulu me faire des amis, Dmitri m’avait trahi. Dans les deux cas, j’estimais que la confiance que j’avais voulu accorder l’avait été à tort. Et même si la situation avec mes parents s’apaisaient, je ne pouvais oublié le tort qu’il m’avait fait. Je ne pouvais oublier mon errance tant physique que morale. Je n’avais pas pu faire confiance à ceux avec qui j’avais passé les premières années de ma vie, ceux qui m’avaient élevés. Je me voyais mal faire confiance à des inconnus au prétexte qu’ils dépendaient d’un Ministre prétendument de mon côté. Le professeur pouvait user de tous les arguments, la vie m’avait appris à agir autrement et désormais, à ne compter que sur moi-même.
Et pourtant, même en pensant cela, je doutais parfois. L’abandon de mes parents ne m’avait pas empêché d’espérer qu’avec Dmitri se serait différent. Et surtout ma présence actuelle dans cette salle, la discussion qui venait de s’écouler, les derniers évènements me faisaient douter. Le professeur de sortilèges n’avait aucun intérêt à chercher à m’aider. Et il savait qu’en le faisant, il s’attirait des ennuis, ennuis dont il était conscient. Il ne semblait pas agir par intérêt personnel ou alors il le cachait bien. Alors pouvais-je lui faire confiance ?
« Oui, une dernière. »
Je marquai une pause, afin de lui laisser le temps de m’empêcher de continuer s’il le désirait. Afin aussi, peut-être surtout, de rassembler mes idées, d’être sûre de vouloir vraiment une réponse à mes questions. Tout allait peut-être se jouer dans sa réponse. J’en avais conscience et vu mon ton grave, il pouvait s’en douter aussi.
« Pourquoi faites-vous tout cela ? Pourquoi vouloir m’aider ? »
Voilà, c’était dit. Et sa réponse déterminerait sans doute ma volonté de suivre ses conseils lors de l’interrogatoire.

Cette entrevue n'avait aucun sens. J'aurais dû le savoir dès le début, me contenter d'une retenue tout ce qu'il y avait de plus classique. Recopier à la main un manuel, refaire des dizaines de fois chacun des sortilèges que j'échouais lamentablement à chaque fois. J'aurais dû, ç'aurait été le plus raisonnable. J'avais fait l'autre choix, celui qu'on me donnait, celui qui paraissait le plus alléchant, le plus utile. Je n'avais pas opté pour la facilité. Si en apparence, chercher une solution à nos problèmes généraux semblait moins rebarbatif, cela n'en revenait pas moins à accepter de me livrer et à faire confiance à un professeur que jusque là je ne pensais pas compter parmi mes alliés. Alors tandis que notre discussion touchait à sa fin, je la prolongeai d'une ultime interrogation, dictée par une confiance suffisante en l'adulte pour croire à une réponse sincère et par une défiance tout aussi tangible pour me sentir obligée de la poser.
Longuement, il détailla sa réponse et je ne perdis aucun de ses mots. Plusieurs fois, j'hésitai à l'interrompre. Je ne le croyais pas quand il expliquait que c'était son travail. Il agissait différemment des autres, il le savait lui-même. Être professeur ne voulait pas dire inciter une élève à mentir pour la protéger. Il avait pensé me couvrir à ce moment et rien dans son contrat de travail ne l'y obligeait – ni ne le lui autorisait d'ailleurs. Et pourtant, alors que j'aurais pu couper court à ses explications, lui dire qu'il me mentait, m'estimer trompée, j'eus la patience d'attendre, j'eus la volonté de vouloir comprendre, jusqu'au bout, le fond de sa pensée. Lorsqu'il énuméra certains noms, cela s'éclaira. Sorensen, Sherwin, entendre ces noms m'emplissait de haine. Il évoqua van Aken, pour la même raison, sans susciter chez moi autre chose qu'un serrement au niveau de la gorge. Je voyais parfaitement où il voulait en venir et il n'avait pas choisi des noms au hasard. Il parlait de ceux que la vie, dans le monde sorcier avait toujours favorisé, ceux dont le nom seul ouvrait certaines portes, qu'on retrouvait des deux côtés du bureau. Parmi les sorciers, nul Özdemir pour m'aider. J'avais découvert cette partie de mon monde toute seule, ne pouvant compter que sur la bonne volonté de certains. Mais pourquoi celle du professeur Aylmer ? Qu'avais-je fait pour la mériter ? Il fallut le laisser se replonger dans ses souvenirs, l'entendre raconte Serpentard à son époque, la solitude du né-moldu en milieu hostile... Je n'avais pas besoin de beaucoup plus pour voir de quoi il parlait.
« Je crois que je comprends. »
Dans cette ambiance lourde, presque théâtrale, où les souvenirs pesaient de tout leur poids, je ne voyais rien à ajouter. Je levai un œil interrogatif vers l'horloge, comme pour vérifier que nous avions bien dépassé l'heure raisonnable d'une fin de retenue.
« Je... je n'ai plus rien à ajouter. »
Et maintenant j'appréhendais un peu moins le prochain mercredi en retenue chez lui.