« Je n’ai pas grand espoir, monsieur le ministre. » Wenceslas reposa le verre sur le bord du grand bureau d’un geste lent et délicat. Son interlocuteur avait tenu à ce qu’ils discutent de vive voix, plutôt qu’au travers d’un feu de cheminée : il espérait sans doute bien trop de la table ronde, mais il était assez difficile avec lui de savoir s’il se contentait de feindre l’optimisme ou s’il était réellement naïf. Venant d’une personne qui avait été empoisonné quelques mois plus tôt dans la même école et dont l’épouse avait été destituée par l’actuel directeur, il penchait pour la première solution... mais qui sait ? Le principal demeurait qu’il était suffisamment attiré par cette perspective pour demander les détails de son organisation et l’ancien langue de plomb ne s’était pas fait prier pour citer les noms des élèves qu’il avait conviés. C’était toujours une assurance qu’il voulait leur accorder : ils ne figuraient pas clairement dans les papiers du ministère, mais des personnes haut-placées savaient qui prenait des risques. Et s’il ne pouvait être sûr que dans la perspective de conséquences néfastes pour eux, Appleton intervienne – en réalité, il était assez peu confiant en la matière – il préférait toujours se dire que ça n’était pas impossible.

Le verre du ministre enfin terminé, le message était clair : la discussion était close, le temps n’était plus aux expectations. Époussetant sa manche dans un geste machinal, il se leva et prit congé de son ancien patron, saluant au passage quelques anciens collègues qui travaillaient au même étage, avant de se diriger vers l’ascenseur. Il n’escomptait pas s’attarder plus que de raison au ministère ; il y avait déjà passé une partie de sa vie, étudiant des formes de magies méconnues et obscures, exécutant un néo-mangemort à quelques pas de la sortie... c’était ici que ses souvenirs prenaient places, mais ils n’étaient pas pour autant particulièrement nostalgiques. Ceux qui l’étaient se montraient par trop souvent porteur de douloureux souvenir qu’il préférait ne pas ressasser. Pour l’heure, c’était le présent qu’il l’intéressait et, chose rare, peut-être un peu l’avenir également. Longtemps sa vie c’était construite sur bien peu de choses ; s’il n’était pas dépressif, il en avait tout de même quelques caractéristiques. Une amère mélancolie qui se voyait quelque peu reléguer par son nouveau travail à Poudlard. Il suffisait d’un but dans sa vie, de jeunes générations à guider pour qu’il foule le sol de ce monde en homme nouveau. Qui l’eut cru ?

Cette forme étrange d’optimisme n’effaçait pas la réalité de l’actualité. L’entretien ne s’était pas tout à fait déroulé comme il l’escomptait : il avait en fin de compte bien peu de garantie quant à l’avenir et une fois de plus, il avait l’intuition qu’il ne pouvait pas trop compter sur le ministre et ses alliés les plus proches. Ils étaient tous pieds et poings liés et sans doute bien trop couard pour prendre des risques. Lui en tête.

Wenceslas pénétra dans l’ascenseur. À cette heure-ci, il n’y avait pas foule. La plupart partait manger et ils se racontait les derniers ragots. Au moins pour ça, il pouvait être reconnaissant à Appleton ne caser leur rendez-vous sur l’heure de midi ; cela lui évitait de trop avoir à converser avec d’anciens collègues bien curieux de savoir ce que le taciturne Aylmer pouvait bien faire dans l’école. Voyons, qui l’aurait réellement imaginé professeur ? Lui, l’homme qui n’avait pas d’enfant, pas d’épouse et dont la vie consistait principalement à travailler en solitaire, dans l’ombre étrange du département des mystères ! Par certains aspects, c’était assez drôle de les imaginer comprendre ses motivations. Mais il avait assez des commérages des élèves – et de leurs petits tracas stupides – pour supporter en prime ceux des adultes.

Ce fût un peu perdu dans ces pensées d’être solitaire qu’il croisa le regard d’une personne dont le visage lui était familier. Non pas un ancien collègue, mais un actuel. Le professeur Alexander n’était sans doute pas celui avec qui il s’imaginait le plus converser ; et d’ailleurs, à part pour quelques sobres discussions, bien loin des palabres de bien des gens du ministère, ils n’avaient jamais eu de réelles conversations. Trop jeune et trop gryffondor, sans doute. C’était étrange de noter qu’à Poudlard, il retrouvait un peu cet ancien souvenir de la discorde entre maisons. « Professeur Alexander. » Il pencha la tête en une sobre salutation, appuyant sur le bouton de l’ascenseur. « Voilà bien le dernier endroit où je m’attendais vous rencontrer. » Si Wenceslas passait plus souvent dans la salle des professeurs, sûrement aurait-il déjà eu maintes discussions avec lui, ne serait-ce que pas pure obligation sociale. Ignorer les gens n’était jamais poli, même pour une personne comme lui. « Vos gryffondors vous ont déjà rendu fous et vous cherchez un nouveau travail plus reposant ? » Il ne pourrait réellement lui reprocher. Si l’on oubliait que le pauvre homme enseignait une matière inutile – qu’on ne lui en veuille pas, puisqu’il était né-moldu, il n’y voyait là qu’une pauvre fascination exotique pour l’autre monde – et assez peu quémandé par les élèves actuellement – la faute à madame Appleton, sans doute – il devait bien se mordre les doigts de frustration devant les idioties de ses lionceaux.  

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Jamie & Professeur Aylmer

LOIN DES YEUX DU SERPENT

Le plus jeune professeur de l’école était nonchalamment accoudé contre le bord de l’ascenseur, presque caché par un autre sorcier qui quitta toutefois la petite cabine au moment où Wenceslas y entrait. Il était assez cocasse de voir que c’était en pareil lieu, dans un espace si réduit, qu’ils finissent par échanger quelques mots, alors que dans les couloirs de leur lieu de travail, ils n’avaient jusque-là jamais réellement pris le temps de faire connaissance. La faute au plus âgé sûrement ; il ne courrait pas après les relations avec ses collègues lorsqu’il n’était pas motivé par un but précis, et puisqu’Alexander était fort jeune, il voyait difficilement en quoi il pourrait lui être utile.

Un sourire froid fendit le visage de l’ancien langue de plomb. Ainsi donc, étaient-ils partis pour une bonne vieille discussion d’opposition puérile entre gryffondor et serpentard ? Il n’avait jamais eu beaucoup d’estime pour les rouge et or – à quelques exceptions près : après tout Fergal était relativement appréciable malgré son ancienne maison – mais il n’était pas assez bon défendeur de ses anciens camarades verts pour entamer pareille querelle. Pour autant, à son époque, les lionceaux étaient infiniment plus dissipés que les trois autres maisons... il peinait donc à prendre le jeune homme au sérieux lorsqu’il rétorquait qu’ils n’étaient pas pires que les autres. Une légère pointe de curiosité venait le titiller quant à la discorde que son collègue venait régler en ces lieux, mais le né-moldu n’était pas assez cavalier pour s’enquérir des détails, d’autant qu’il semblait que ce ne soit pas une question à poser.

En revanche, puisque Wenceslas était celui qui avait lancé les hostilités, sans doute ne pouvait-il pas refuser de répondre à son interlocuteur... quoique son âge devrait lui conférer une forme de priorité et s’il n’avait pas souhaité lui rendre la politesse, il n’aurait eu aucun scrupule à garder le silence. « Oh, je ne faisais que rendre visite à quelques anciens collègues, discuter pédagogie avec monsieur Appleton... » Il marqua une pause alors que l’ascenseur repartait dans une course folle vers l’étage supérieur. Pour sûr, ils ne s’étaient pas contentés que de discuter pédagogie ; les deux hommes n’avaient de toute façon pas la même vision de ce qu’était une bonne manière d’enseigner. Le ministre clamait de lui qu’il était en ce sens infiniment plus proches d’un Sørensen qu’il l’était de son épouse et ancienne directrice. « Mais c’est vrai que j’ai tendance à l’oublier... vous m’avez précédé à Poudlard, n’est-ce pas ? Vous avez donc connu l’école sous la direction de madame Appleton. » Et pourtant, il faisait si jeune. C’en était assez déconcertant pour le professeur de sortilèges, dont la mémoire était marquée par ses anciens enseignants ; à l’époque, lui-même aurait été l’un des benjamins, là où à présent, il faisait partie des séniors.

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LOIN DES YEUX DU SERPENT

Il était des heures où le ministère semblait presque se vider. Chaque jour, il passait d’une effervescence un peu fatigante au calme des couloirs de Poudlard, lors des rondes de minuit. Enfin pour peu que les élèves ne se sentent pas pousser des ailes de petits révolutionnaires. « C’est vrai, j’en viens à oublier que le professeur McGonagall a longtemps perduré directrice, après mon départ de l’école... naïvement, j’en venais à penser que vous étiez trop jeune pour l’avoir connu. » Manière indirecte de lui rappeler qu’il sortait encore de l’adolescence à ses yeux. M’enfin, c’était sûrement assez mesquin, il le reconnaissait. À trop avoir fréquenté le mépris, il finissait par en user assez naturellement lui-même. « Un excellent professeur et pour le peu que je l’ai connu comme directrice, elle n’était pas moins efficace à la tête de l’école. » Elle n’avait pas été sa directrice de maison, mais avait toujours su s’intéresser aux autres élèves autant qu’à ses gryffondors. Un sourire placide fendit le visage du professeur de sortilèges alors qu’il abandonnait ses brèves pensées nostalgiques pour revenir au cœur de leur discussion. « Je dois avouer que, de ce que j’ai pu entendre, la pédagogie de madame Appleton ne m’a guère beaucoup plus convaincu que les dernières mesures de notre actuel directeur. » La franchise était de mise, et pour cause : il n’avait rien à cacher. Que ce soit sa vision de l’ancienne tenancière du poste – son époux lui-même avait déjà entendu ce qu’il en pensait – et Sørensen ne devait pas être dupe un seul instant.

Il semblait que le monde se soit accordé pour laisser les deux collègues profiter seuls de leur ascension jusqu’au sommet, permettant une discussion plus paisible que s’ils avaient eu à partager leur cabine avec un quelconque employé de ces lieux. C’était en fin de compte assez bienvenue : la discussion tournait à des sujets brûlants qui, s’ils ne les évoquaient guère trop à Poudlard, méritaient d’être pris en compte. « Par sa toute dernière nomination, de qui parlez-vous ? Monsieur Sørensen, ou ma propre personne ? » Question en partie rhétorique, puisque la réponse était identique aux deux. « Sachez que le ministre ne nomme ni les professeurs de Poudlard, il s’agit d’une prérogative du directeur, ni le directeur lui-même. » Il marqua une pause, un peu comme lorsqu’il prenait un ton plus professoral pour s’adresser à ses élèves. Au fond, le professeur Alexander était bien plus proche des jeunes gens auxquels ils enseignaient tout deux que de Wenceslas... en âge, bien entendu. « S’agissant de ce dernier, il s’agit du Conseil d’administration de Poudlard. » S’il en avait été autrement, il y avait fort à parier que Sørensen n’aurait pu accéder à un tel poste. Mais le conseil était assez traditionnellement favorable à une certaine vision politique des choses, et pour peu que l’on sache en convaincre les membres plus progressistes, les nominations n’avaient plus beaucoup de secrets. Amitiés politiques ou pot de vins, le résultat était le même : la destitution de madame Appleton avait mis le sang-pur dans une position des plus favorables pour en récupérer le poste.

Sa petite leçon donnée, l’ancien langue de plomb se permit d’afficher un air moins strict. N’en déplaise à sa perception des choses, Alexander n’était pas un jeune estudiantin, mais bien un enseignant et ce faisant, ce finirait bien par être insultant de le considérer comme l’un de ces garnements. Quoiqu’il ne puisse jamais réellement percevoir en lui autre chose qu’un homme trop jeune pour guider des enfants, il devait bien admettre qu’ils n’étaient pas si différents. Non pas sur un pied d’égalité – l’âge et l’expérience conférait naturellement à Wenceslas un droit de primauté – mais assez pour lui adresser une certaine forme de respect. « Cela étant, je conviens qu’il serait inexact de dire que le ministre n’a joué aucun rôle dans ma nomination... » Un né-moldu aurait-il pu rejoindre les rangs du corps professoral sous Sørensen s’il n’y avait eu la pression du ministre de la magie ? Rien n’était moins sûr : en réalité, beaucoup trop de paramètres rentraient en compte pour désigner une unique cause. La seule certitude était que le directeur n’avait guère eu beaucoup de choix de candidats et c’était grâce à ça qu’Appleton avait eu son mot à dire.

La cabine de l’ascenseur bringuebala un peu avant de ralentir et de se ficher au sommet du ministère : le rez-de-chaussée. « Pour ma part, je m’apprêtais à quitter le ministère, m’accompagnez-vous ? » C’était une façon de lui faire comprendre qu’il était disposé à continuer cette conversation dans un lieu plus propice qu’une cabine d’ascendeur ou d’un hall bondé de ministère. Tout était toujours plus approprié que les couloirs bourrés de tableaux de Poudlard et il n’était pas particulièrement pressé, aussi pouvait-il accorder un peu de temps à son jeune collègue et apprendre à le connaître un peu mieux. Siwan serait fière de lui : une véritable commère en action.

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LOIN DES YEUX DU SERPENT

L’explication donnée d’un ton professoral par l’ancien langue-de-plomb sembla assez satisfaire son interlocuteur pour qu’il n’insiste pas plus et tous deux quittèrent finalement le grand bâtiment souterrain qui abritait le cœur de la politique sorcière de Grande-Bretagne pour s’aventurer dans un Londres déjà infiniment plus moldu, quand bien même certains de leurs confrères magiques étaient encore remarquables à leurs tenues parfois discutables. « Je ne vous fais pas l’insulte de vous demander si vous êtes familiers du milieu moldu. » La rue, dans laquelle ils se trouvaient, était encore assez peu fréquentée pour qu’il puisse utiliser pareil terme sans risquer que des oreilles indiscrètes de s’étonne de cet étrange terme. « Que diriez-vous de faire une petite escale dans un de leurs cafés de Londres ? Je n’ai guère eu l’occasion de fréquenter autre chose que les pubs sorciers depuis bien longtemps. » Il était soudainement épris d’un brin de nostalgie, comme si la présence de Jamie suffisait à elle seule à lui rappeler ce monde dont il était pourtant issu.

Les deux hommes s’éloignèrent un peu de l’entrée des visiteurs du ministère, retrouvant une allée plus centrale de la capitaine britannique. « Je suis curieux... avez-vous quelques retours des élèves de votre maison quant à la pédagogie actuelle ? » questionna finalement l’homme, un peu curieux d’entendre l’avis porté par ceux qui ne se confiaient pas à lui. Wenceslas n’étant pas le plus avenant et encourageant des enseignants, il avait rapidement remarqué que la plupart des jeunes préféraient aller voir des gens comme Siwan ou Fergal, ce qui était bien pratique dès lors que ceux-ci conversaient assez avec lui pour qu’il en retire quelques ragots de premier choix. Ceux qui venaient directement à lui étaient très différent ; des sang-purs cachant quelques antécédents magiques assez préoccupant, une née-moldue qui avait pris naturellement la tête des rares oppositions dans l’école... des profils différents mais qui avaient en commun de ne point chercher du réconfort ou un soutien psychologique particulier, mais bien des informations et une aide plus secrète.

Sans doute le professeur Alexander devait-il être également à la croisée de certaines confidences, profitant de sa jeunesse pour instaurer un climat moins formel avec ses élèves. Le professeur de sortilèges, dans toute sa tradition et ses souvenirs de sa propre scolarité qui ne comportaient que peu d’enseignants assez jeunes, ne voyait que peu d’avantage pour celui d’étude des moldus, qui devait tout de même peiner à instaurer de l’ordre et à trouver sa légitimité. Néanmoins il lui fallait reconnaître qu’il devait donner aux jeunes gens un aspect moins professoral assez propice à un certain type de confidences ; c’était au moins là un atout sur lequel il pouvait compter.

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Jamie & Professeur Aylmer

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