Tandis que chez certains adolescents de son âge les années leurs permettaient de s’assagir, chez Blaze elles avaient eu l’effet étrange d’exacerber tout ce qui jusqu’alors l’habitait en sommeil. En bien comme en mal, le garçon avait gagné en courage et en volonté ce qu’il avait perdu en inhibition. Comme pris dans une course effrénée pour découvrir ses propres limites, jusque là encore jamais réellement atteintes, il franchissait une à une chaque frontières que la timidité, l’éducation ou la morale avaient un jour dressé chez lui.

Et il en était satisfait.

Poudlard était devenu son terrain de jeu, très littéralement. Il y jouissait d’une réputation assez flamboyante, d’un statut de préfet qui lui conférait une aura d’autorité et d’une excellente connaissance des lieux, construite au fur et à mesure des années, ce qui contribuait d’autant à renforcer ce sentiment palpable qu’il régnait sur le collège. Que rien de ce qu’il pouvait faire n’avait réellement de conséquences. A la simple force de sa volonté, il détrônait des directeurs, martyrisait ses ennemis et imposait au château toutes les idées qui lui passaient par la tête, à condition de se donner les moyens de les pousser jusqu’au bout. Il était tout simplement devenu inarrêtable.

Seule la fatigue entrainée par l’accumulation de devoirs en plus et les défaites au quidditch avaient parfois le don de le ramener un peu les pieds sur terre, mais il imputait la première à cet abruti de Sherwin et les secondes à son équipe, en somme ce n’était pas lui qui faiblissait, c’était le monde qui redoublait d’adversité à son égard, sans parvenir à l’abattre.

Ce sentiment de toute puissance chez Blaze était intimement lié à son histoire et à sa personnalité et notamment un trait de celle-ci que le temps n’avait fait qu’exacerber : un indécrottable narcissisme, heureusement bien camouflé derrière une naïveté de façade. Blaze n’aimait rien tant qu’être observé, haï ou désiré, et de jouer les andouilles, comme si cette aura qu’il dégageait n’était qu’un pauvre hasard, bien fortuit et inconscient chez lui, alors mêmes qu’il se donnait en vérité beaucoup de mal pour être toujours au centre de l’attention.

Ce besoin viscéral de reconnaissance l’avait rendu très attentif aux marques d’intérêts que les autres pouvaient lui porter. Il saisissait au vol les regards en coins et les murmures sur son passage, comme autant de petites douceurs pour son égo et n’aimait rien tant que faire l’objet des conversations, quitte à provoquer volontairement les gens à cette fin. Qu’on dise du bien ou du mal de lui importait peu, pourvu qu’il soit présent dans les esprits.

Ainsi, il n’avait pas pu passer à côté des regards de Sidney, d’abord fortuits avait-il pensé, puis leur récurrence avait confirmé à Blaze qu’il se passait quelque chose de ce côté-là. Le jeune homme fuyait son regard, baissait les yeux quand il l’apostrophait dans un couloir ou la salle commune, même pour dire des gentillesses. C’était étrange, mais ça lui rappelait un peu Rosalie, avec ses rougissements, en plus discrets et moins joyeux.
Blaze avait quelques expériences romantiques avec les filles, mais son cœur n’appartenait qu’à une seule personne. Ce qui ne l’empêchait pas d’apprécier les attentions. Être objet d’intérêt pour un garçon, quel qu’en fut la nature, était assez nouveau et malheureusement pour Sidney, Blaze adorait la nouveauté.

Son intérêt stimulé, il redoubla d’attentions et de tests, pour voir ce qu’il en était, mais sans parvenir à bien cerner l’effet qu’il produisait sur son camarade. Ce dernier semblait à moitié terrorisé à chaque fois qu’il lui adressait la parole, mais en même temps ne fuyait pas complètement le contact, ou d’une manière étrange, maladroite. Bizarre, vraiment bizarre.
Quelques semaines de ce régime suffirent à convaincre Blaze qu’il fallait pousser l’expérience plus loin. Inutile de se prendre la tête des heures avec des spéculations, c’était l’action qui était importante. Un peu d’investigation lui avait confirmé que Sidney retournait parfois à la salle sur demande, de manière solitaire, à croire que l’endroit l’avait marqué.

Une après-midi, Blaze se glissa dans son sillage. Il avait suffisamment d’expérience de sorties discrètes après le couvre-feu pour savoir se faire invisible dans Poudlard et attendit que son camarade pénètre dans la salle, s’étira, prêt à patienter une dizaine de minute. Une forme de méchanceté curieuse voulait surprendre Sidney, où qu’il soit, quoi qu’il fasse, parce que c’était toujours dans la surprise qu’on en apprenait le plus sur les autres, lorsqu’ils ne pouvaient plus se cacher derrière des mots et de la politesse évasive.

Les dix minutes écoulées, Blaze passa trois fois dans le couloir, formulant clairement dans sa tête les mots suivants « avec Sidney ». Un petit truc qu’il avait appris pour rejoindre quelqu’un sans savoir où celui-ci s’était rendu. Quand la porte apparu sur le mur, il la poussa tranquillement, d’un air de ceux qui sont perdus dans leurs pensées. Quel hasard se serait de se retrouver à deux là-dedans, n’est-ce pas ?

- « Tiens, salut. » salua-t-il son camarade d'un neutre geste de la main, comme si se croiser ici était la chose la plus naturelle du monde. « Je savais pas que t'aimais trainer dans le coin. »

@Sidney Driscoll

Ça n’a pas manqué. Il suffit d’adresser la parole à Sidney pour que celui-ci soit pris de tremblement, comme un réflexe pavlovien. Cela amuse Blaze, quelle qu’en soit la forme et malgré que Sidney soit timide avec tout le monde, le préfet apprécie de savoir qu’il impacte les autres. Écho immédiat et concret de son existence dans le monde.

Mais sur le coup, c’est moins la réaction de son camarade que le lieu dans lequel il pénètre qu’il l’intéresse. Une église ? C’est une église ? Ce temps que Sidney passe à l’abri de la salle sur demande, il le consacre à la prière ? C’est… original.

Blaze laisse trainer son regard sur la voute, les bancs, la croix, prend son temps pour répondre.

- « Non non, je voudrai pas te déranger. » hypocrisie cruelle pour celui qui ne rêvait que de ça. « T’es venu prier ? Je savais pas que t’étais croyant. »

La croyance est une chose courante chez les moldus, mais moins chez les sorciers, surtout ceux de sang-purs. Elevé sur le chemin de Traverse, Blaze tient plus du païen que du catholique et s’il fête noël c’est d’avantage les cadeaux que la naissance du Christ qui l’intéresse.

- « J’avais besoin d’un espace serein, visiblement la salle a dû se dire que ça pouvait coller. » dit-il d’un ton badin. « Même si je m’attendais pas à un endroit aussi sérieux ! »

Comme s’il était chez lui, il dépose sa besace sur un banc et s’y installe, les bras de chaque côté du dossier, le visage tourné vers les hauteurs, pris d’une curiosité sincère pour un lieu dont il n’a pas l’habitude. Décidément, Sidney se révèle de plus en plus intrigant.

Il y a quelque chose d’amusant et de reposant à discuter avec Sidney, le garçon est tellement malléable, offre si peu de résistance que Blaze peut se déployer dans la conversation sans faire attention à rien. Là où il veut mener la discussion, il lui suffit de quelques mots pour y être, c’est comme s’allonger dans un lit douillet et y prendre tout la place, sauf que le matelas serait fait de phrases.

Sidney initie une dénégation, sans doute pour expliquer qu’il n’est pas croyant. Mouais. Disons surtout qu’il ne veut pas l’avouer, ce qui est stupide vu qu’on ne va pas dans une église comme on entrerait dans un magasin de chaussures, il y a forcément une raison d’être ici et à part prier ou se recueillir, Blaze n’en voit aucune.

Quand Sidney lui demande s’il voulait travailler, Blaze esquisse un sourire, son regard s’abaisse sur le jeune homme, amusé.

- « Travailler ? Surtout pas ! » Il a un léger ricanement. « Justement, j’en peux plus du boulot, j’avais besoin d’une pause. »

Et la pause, c’est Sidney. Mais ça, il ne peut pas le savoir.

Pas fou, le garçon lui propose de le laisser seul. Une bien maigre tentative pour s’échapper. Comme un chat, Blaze coupe court à cet espoir.

- « Non t’inquiète, c’est sympa d’avoir un peu de compagnie aussi. » dit-il d’un ton doux, amical. « Les responsabilités ça crève tu sais ? »

Et de s’étirer d’une geste des épaules, accompagné d’une grimace, comme si son insigne de préfet pesait littéralement sur son dos, provocant des courbatures.

Puis, l’air de se confier :

- « Ce qui est bien avec toi c’est que comme t’es nouveau, il y a pas trop de pression tu vois ? Cette école c’est un vrai nid à ragots. » il rit. « Tu peux pas discuter cinq minutes sans que tout le monde soit au courant mais ici… » il désigne les lieux. « C’est calme. Et ça se voit que t’es pas du genre à chercher les embrouilles, c’est cool. »

C’est ce qui s’appelle caresser dans le sens du poil, ou souffler le chaud en attendant le froid. Blaze est devenu assez fort à ça.

Blaze commence un peu à cerner Sidney. Juste un peu. Il y a encore une grosse part d’ombre et de secret chez ce garçon, c’est certain, mais ça ne rend la chose que plus amusante. Comme avec Skyler, avec Judith, avec beaucoup de monde en fait, le jeune homme aime bien gratter un peu, parfois cruellement, parfois avec beaucoup de compassion, découvrir les autres, ce qu’ils cachent, les mettre en difficulté, les pousser à s’ouvrir… autant de modalités d’être en sociétés et toutes lui procurent beaucoup de joie. Il se sent comme un explorateur. Ou un marionnettiste amateur, qui tirerait sur toutes les ficelles à sa disposition pour découvrir lesquelles font bouger quoi.

Avec Sidney, il commence à comprendre, au moins superficiellement. Le garçon a besoin d’un peu de douceur, et un peu de brutalité, et un peu de douceur, et ainsi de suite. C’est un super moyen de jouer avec lui, et puisque le jeune homme semble réceptif, Blaze compte bien lui donner ce qu’il cherche. Donner à voir. Quoi ? Une fragilité mise en scène ? Pas complètement mise en scène, la fatigue est bien là, mais loin de chercher le repos dans la salle sur demande, c’est la stimulation, le jeu qui intéresse Blaze. Les devoirs en plus et ses responsabilités de préfet l’épuisent moins physiquement que par ennui : ce dont il a besoin c’est de reprendre le contrôle ! Et Sidney est le parfait client pour ça, pas difficile.

Ce petit tour semble marcher à merveille, encore mieux qu’il ne l’aurait imaginé. Son camarade, si distant d’ordinaire, pousse la hardiesse jusqu’à venir s’installer en face de lui, le menton au creux de ses bras croisés sur le dossier du banc. Demande si ça va. Touchant, ça lui rend Sidney sympathique qu’il s’inquiète, mais ne fait pas diminuer d’un degré son envie de s’amuser à ses dépens. Dans le logiciel de Blaze, se jouer des autres n’a rien de méchant, il les pousse simplement dans leur retranchement pour les faire sortir un peu de leur coquille, tout simplement.

- « Ouais ouais… » répond-il d’un ton distrait. « Vivement les vacances, hein ? » Il sourit, pose son regard sur Sidney. « Qu’est-ce que tu fais pour te détendre toi en général ? Je t’ai pas trop vu au sport ou ce genre de trucs… »

Sidney concède ce que Blaze sait déjà. Oui il suit les cours de quidditch – enfin de vol – mais ils ne sont pas dans le même niveau donc rarement ensemble, sauf quand le prof décide de faire de l’interclasse. Il hoche la tête, histoire de le laisser continuer.

La suite se révèle… surprenante. Si Blaze sait afficher un air neutre, voire carrément angélique quand il faut, il a aussi du mal à retenir certaines émotions et l’étonnement en fait partie. Écarquillant les yeux, un sourire amusé voire presque ravi d’une telle découverte se dessine sur son visage quand son camarade extrait de sa poche une boule de fil rose en avouant faire de la couture.

- « Sérieux ? »

L’idée est absurdement imprévisible, ce qui a le don de ravir Blaze.

- « Ouais un cochon, avec un peu d’imagination… ? » il dit ça goguenard, mais sans méchanceté, observant cette pelote qui ne ressemble à rien. Si ça se trouve ce n’est même pas l’ouvrage de Sidney mais juste sa réserve de fil en fait ?

- « Genre tu raccommodes des fringues et tout ? » Il hoche la tête d’un air impressionné. « Pratique en vrai, vu le nombre de fois où je me déchire des trucs, ma mère arrête pas de m’engueuler quand je rentre de Poudlard. »

Il dit cela en riant à moitié, en sachant très bien qu’elle perche il est en train de tendre, pêcheur, curieux de voir à quel hameçon mordra son poisson.

Puis, parce que Sidney lui a posé la question, il hausse une fois de plus les épaules, avec négligence, comme si toutes ces questions étaient bien triviales. De fait elles le sont, mais pour son camarade chaque révélation semble comme un saut de le vide, à voir ses hésitations.

- « Pff, je glande, je passe du temps avec ma copine quand elle est dispo, sinon il y a la salle de bain des préfets qui est pas mal pour se relaxer, tu connais ? »

La mention de Skyler n'est pas anodine. Blaze n'a pas perdu de vue son objectif premier en venant ici, tester un peu Sidney, et voir ce qu'il a dans le ventre.

Sous ses yeux, Sidney se déraidit un peu. Ca fait plaisir à voir, moins par altruisme que parce que ça confirme à Blaze qu’il parvient à pousser les autres à abaisser leurs barrières. Petite satisfaction personnelle, son camarade va jusqu’à oser presque – presque – le rabrouer pour sa plaisanterie.

Blaze répond d’un clin d’œil avant d’enchaîner sur cette histoire de couture. Sidney réagit comme une horloge, à croire qu’il suffit de presser certains boutons pour le faire aller directement là où on veut. C’est assez fascinant et franchement marrant, venant apporter de l’eau au moulin de ce sentiment de toute puissance qui habite le préfet et le pousse à penser qu’il évolue dans un monde où bien peu de gens sont à sa hauteur.

- « Oh tu crois ? Ce serait méga sympa ! » dit-il avec toute l’honnêteté du monde.

Il laisse la question en suspens, comme un fusil de Tchekhov, il aura l’occasion d’y revenir, il le sait. A la manière d'une acromentule, Blaze est capable de tisser une toile de mot.

Il évoque Skyler, la salle de bain des préfets, Sidney répond maladroitement, comme à son habitude. Blaze hoche la tête, d’un air satisfait.

- « Beaucoup mieux, et un peu grâce à toi mine de rien. »

Il lui sourit sincèrement. Tout va bien, la discussion est cool. Puis, d’un geste de la main, comme on tournerait la page d’un livre, il pense clairement « je veux la salle de bain des préfets » et à cet ordre silencieux la pièce se transforme, balayant sans formalité cette église qu’avait souhaité Sidney. Il est temps de reprendre un peu les choses en main.

Les colonnes laissent place à des fontaines et les lumineuses hauteurs de l’église sont remplacée par la lumière tamisée et bleutée de la salle de bain. Même le vitrail de sirène est là, sur le mur. Blaze sourit d’un air parfaitement innocent, comme s’il venait de rendre service.

- « Ça ressemble à ça. »

De l’église ne restent que les deux bancs où ils se tiennent assis. Lorsque Blaze se relève, celui sous lui s’évapore en fumée. D’un pas tranquille, le garçon fait quelques pas vers les robinets puis se tourne vers son camarade.

- « Chacun produit une sorte de bulles différentes, il y en a même un qui crache du champagne. » Il ricane. « Bon, c’est un délire de riche, mais pourquoi pas j’imagine ? »

Son regard se pose sur Sidney, scrutateur.

- « Du coup… si je te file ma chemise, tu pourrais repriser un accroc ? »

La tête que tire Sidney est hyper satisfaisante ! Mine de rien, Blaze aime bien faire découvrir des trucs aux autres : passages secrets, lieux étranges, sortilèges atypiques, un peu de leur aura rejaillit sur lui, indirectement, puisqu’il les connaissait avant tout le monde. Plus le truc est dingue et plus Blaze est valorisé de l’avoir connu et plus les autres sont reconnaissant de le leur avoir montré, c’est logique.

A la première question de Sidney, il hausse les épaules d’un air modeste.

- « Deux ou trois fois par semaines ? Si on y a droit c’est bien pour en profiter, même si avec ces putains de grades or faut partager maintenant. »

Le ton de sa voix s’est ait involontairement plus amer en terminant sa phrase, mais il balaie ce sentiment bien vite, content de pouvoir montrer à Sidney les robinets à champagnes, sans doute sortis de l’imagination d’un sorcier un peu bourgeois lors de la création de la salle de bain.

- « Haha, une fois ouais. Le vrai problème c’est que c’est froid en fait, et puis t’en sors plus dégueu qu’en entrant. »

Autant dire que c’est débile, c’est juste marrant de savoir que ça existe.

L’émerveillement de Sidney a quelque chose de touchant, Blaze ne peut pas manquer d’y voir un peu de naïveté. S’il n’a pas de plan bien précis en tête, le préfet sait quand même où il va, il n’a pas oublié la gêne de son camarade lorsqu’il lui a proposé, le lendemain de leur rencontre, de profiter d’un jacuzzi dans cette même salle. Et il se souvient des coups d’œil en coin qui ont motivé cette après-midi ici.

Rebondissant sur la proposition de Sidney, il lui demande s’il serait capable de réparer un accroc. La question est sérieuse, Blaze a tendance à bousiller ses fringues très vite, à force de courir partout ou d’avancer à quatre pattes dans les passages secrets du château. Les elfes refusent en général de faire ce genre de choses, ils ont beaucoup de boulot par ailleurs, alors si Sidney est capable de s’en charger…
Mais c’est surtout l’occasion de vérifier autre chose.

Blaze hoche la tête quand son camarade répond par l’affirmative.

- « Super. »

Ce dernier s’est rapproché des robinets à présent, en ouvre un qui laisse échapper une eau bouillonnante qui sent un mélange de rose et d’épices.

- « Je te la laisse du coup ? »

C’est une question qui n’en est pas une. D’un geste naturel, les mains de Blaze vont chercher les boutons de sa chemise qu’il ouvre et retire d’un mouvement souple avant de la tendre à son camarade avec un grand sourire honnête.

De manière terriblement prévisible pour Sidney, l’effet est immédiat. Alors que ce-dernier semblait quelques secondes plus tôt encore au sommet de l’émerveillement, son assurance vient d’être soufflée d’un seul coup, avec une simplicité cruelle. La face du jeune homme s’est immédiatement colorée d’un rouge satisfaisant et son élocution comme ses gestes sont redevenus tremblants, Blaze observe avec fascination les effets qu’un retournement de situation bien amené peuvent produire sur ses victimes. Il en jubilerait presque, mais garde contenance.

Sidney bafouille quelque chose, probablement en rapport avec son manque de matériel, que Blaze feint de ne pas comprendre. Être torse nu ne le dérange pas, moins en tout cas qu’il y a quelques années. Devant des filles, bon, c’est un peu différent, mais face à un mec il s’en fiche, les vestiaires sont collectifs après tout et il a partagé une chambre avec Cameron pendant des années alors ce n’est pas vraiment un sujet tabou. Pour Sidney toutefois, la pilule semble beaucoup plus difficile à avaler, comme Blaze l’avait supposé.

Dans un coin de sa tête, les indices tendent à se cristalliser : les regards en coin, l’échec de Bella à stimuler le jeune homme, sa timidité maladive vis-à-vis de ce genre de thématique, tout ça semble dessiner sinon des certitudes, au moins des hypothèses. Des hypothèses qu’avec toute la curiosité cruelle des adolescents, Blaze compte bien se servir pour embêter son camarade.

Ce-dernier a désormais les yeux rivés sur le sol, dans une fuite évidente de son regard et lui tend sa chemise, prétextant qu’il ne pourra pas sortir ainsi. Blaze balaie l’argument d’un haussement d’épaule.

- « J’ai juste à demander à la salle de m’en faire apparaitre une autre, tu sais ? »

En fait, il n’en est pas certain. Peut-on faire sortir des objets d’ici ? Ce n’est pas si sûr, de mémoire il n’a jamais essayé, ça pourrait être l’occasion, mais pour le moment vu l’état d’inconfort dans lequel le fait de se balader torse-nu a plongé Sidney, il ne compte pas se rhabiller tout de suite.

- « Hey mec, te mets pas dans cet état ça va ? » demande-t-il avec toute la naïveté du monde, allant jusqu’à poser sa main sur l’épaule de son camarade. « Pourquoi tu te stresses comme ça, tu t’es jamais changé dans un vestiaire ou quoi ? » ajoute-t-il d'un ton qui se veut amicale, sans jugement.

Blaze ne peut ignorer que la situation est tout de même assez différente, mais joue gentiment au con.

D’un pas rapide, il dépasse son pauvre camarade et s’approche de la cuve où le robinet d’eau parfumé a continué de couler, pose un genoux sur le rebord et y laisse tremper sa main.

- « De toute façon on allait pas se baigner en chemise hein ? »

A le regarder comme ça, Sidney semble vraiment… misérable. Une espèce de petit animal tremblotant, un lapin incapable de faire le moindre geste alors que le loup lui tourne autour. Pour un peu, Blaze fronce les sourcils quand son camarade lui demande d’un ton presque suppliant la permission de partir. Ce qui avait l’apparence d’une mauvaise blague, un peu sadique, un petit jeu pour pousser le jeune homme dans ses retranchements, prend une tournure cruellement réelle et crue.

Agenouillé près du bassin, sa main humide de l’eau mousseuse, Blaze prend le temps d’observer Sidney. Une poignée de secondes, longues, lourdes. Le garçon se tient droit, la nuque pliée le visage tourné vers le sol, ses doigts crispés sur la chemise comme si Blaze venait de lui coller son poing dans le ventre, prostré, attendant le prochain coup. C’est une sensation étrange, que d’avoir quelqu’un à ce point vulnérable, et sous son emprise. Il pourrait lui jeter un sortilège, ou vraiment taper dessus, il aurait l’impression que Sidney ne réagirait pas, incapable de s’enfuir ou de résister.

Blaze se redressa en soupirant, agita sa main dans les airs pour la sécher un peu et alla s’asseoir sur un rebord de cuve non loin de son camarade. Joignant les mains, il posa sur lui un regard sérieux.

- « Eh, Sidney. »

Son ton avait perdu de sa douceur, mais était également plus franc, plus froid.

- « T’as vu dans quel état tu te mets ? Sérieux j’ai l’impression que si je te cognais dessus tu bougerais même pas… »

Il secoue la tête.

- « Tu peux pas te laisser faire comme ça tout le temps, tu vas te faire bouffer mec. »

Pour la première fois depuis un bout de temps, Blaze est en roue libre. Il ne sait pas trop ce qu’il fait, il n’a pas prévu de jeter son camarade dans un tel état de détresse, ou peut-être réalise-t-il soudain que ce petit jeu auquel il s’amuse fait une victime. D’un autre côté, il n’est pas un bon samaritain non plus.

- « Regarde moi. »

Le ton est impérieux mais sans méchanceté.

Il pose son regard dans celui de son camarade.

- « C’est vraiment ça que tu veux être toute ta vie ? Une espèce de petit truc qui subit sans pouvoir te défendre ? Sérieux ça me fait mal au cœur pour toi, et je le dis pas pour la blague. »

Il soupire.

- « Franchement j’assume, ça m’amusait un peu de te faire tourner en bourrique, mais je reste ton préfet et je suis pas encore un connard absolu, alors te laisser comme ça c'est pas possible sérieux. Faut que tu te reprennes, tu comprends ? »

Blaze n’en attendait presque rien mais à sa grande satisfaction, ses derniers mots semblent réveiller un sursaut d’orgueil chez son camarade. Les larmes aux yeux, la gorge nouée, si Blaze n’était pas à ce point ivre de son adolescence, il pourrait presque sincèrement avoir de la peine pour Sidney. Mais il n’en a pas.

Il se contente d’éclater de rire, un rire sincère et joyeux quand l’autre se révolte, du moins tente misérablement de lui lancer sa chemise, le traitant de connard absolu.

- « Ouais t’as pas tort. » avoue-t-il, rayonnant.

Pourquoi se sent-il si joyeux, ce n’est pas la détresse du jeune homme qui le galvanise, non, c’est le sentiment d’avoir réussi à faire sortir quelque chose de lui, comme un dieu face à sa création – est-ce prétentieux ? – ou un jardinier contemplant le résultat de son travail. Finalement l’objectif se dessine, il a poussé Sidney à bout, l’oblige à se révéler dans sa fébrilité, sa colère, si misérable soit-elle.

- « Mais ça pourrait être pire. »

Il secoue la tête. Plisse les yeux, observe son camarade.

- « Parce qu’au fond je t’aime bien, je pense. »

Ce n’est pas une parole sans arrière-pensée, mais ça l’empêche pas d’être sincère. Le pauvre Sidney, il ne va pas survivre longtemps ici-bas, et même s’il y arrive, ce sera pour devenir quoi ? Un adulte sans substance, sans vie, une coquille pétrifiée, terrorisée par son ombre ? C’est pire que la mort, Blaze ne souhaite ça à personne.

D’un geste, il désigne la porte. Il continue de jouer, au fond Sidney ne peut pas vraiment lui échapper, mais il est curieux.

- « Si je suis vraiment un connard, va-t’en. Vas-y, personne te retient. »

S’il partait il serait un peu déçu, c’est vrai, mais ce ne sérait que partie remise.

- « Ou alors tu restes. Et tu m’expliques ce que j’ai « gâché » au juste ? » ajoute-t-il goguenard.

Un soupçon, une inspiration, un instinct étrange, le genre d’instinct qu’ont ceux qui vivent à travers le regard des autres et moins boulimiques que gourmets ont appris à savourer ce qu’ils y perçoivent d’eux. Il avait vu juste, quelque chose chez Sidney ne parvenait pas à passer la porte. Restait à savoir quoi exactement, mais au moins les choses étaient claires maintenant.

Avec un regard triomphant, mais pas cruel, le jeune homme observa son camarade laisser s’échapper un soupire à fendre l’âme et défait – ou libéré ? – se détourner de la sortie pour venir s’asseoir à ses côtés. Blaze hocha la tête, silencieusement. A quoi bon les mots, maintenant qu’il avait assis sa domination de manière complète et sans ambiguïté, que Sidney, pour son plus grand plaisir, avait volontairement consenti à ce petit jeu tortueux dans lequel ils s’aventuraient ?

A la phrase du garçon, Blaze sourit avec une forme de sagesse victorieuse.

- « Personne me fera ça à moi. » dit-il laconique. « C’est la différence entre nous j’imagine ? »

A ses côtés, Sidney ausculte sa chemise. Espérait-il réellement y trouver un accroc ? En cherchant bien, il en dénicherait peut-être un, mais rien n’était moins sûr. Lors de ses escapades, Blaze privilégiait les sweatshirts plutôt que les chemises d’uniforme, question de logique. En fait, il pouvait même se montrer plutôt soigneux avec ses affaires, après tout s’il devait jouer à l’enfant sage, il ne pouvait pas se présenter devant les enseignants avec des tâches et des trous partout.

Sidney semble également réaliser que de trou à raccommoder, il n’y en a jamais eu et sous les yeux de son camarade, agite sa main au-dessus de la chemise. Blaze met un instant à comprendre avant de regarder avec surprise son vêtement se lacérer sous ses yeux.
Cette fois c’est certain, Sidney n’a pas utilisé sa baguette et alors que le jeune homme lui jette les lambeaux de chemise sur les genoux d’un geste rageur, Blaze constate que celle-ci a bien été détruite.

- « Stylé. » souffle-t-il.

Il n’en demandait pas autant, son camarade est décidément plein de ressources.

- « Alors tu peux vraiment faire de la magie sans baguette ? »

Il hoche la tête, pensif. Décidément entre lui et Hayden, le dortoir de Serdaigle est rempli de surprises. Mais pour le moment, ça ne fait que l’amuser encore plus.

De sa poche, Blaze sort sa baguette magique.

- « Regarde. »

Il la pose sur le sol et, grâce au fait qu’elle soit lisse et ronde, l’envoie rouler quelques mètres plus loin sur le carrelage.

- « Tu vois, techniquement maintenant c’est toi qui a l’avantage. » dit-il d’une voix douce. « N’empêche que c’est quand même moi qui commande. »

Cette phrase à elle seule suffit à lui tirer un discret frisson de plaisir malsain, au niveau de la nuque. C’est lui qui commande, ouais. Plus jamais on ne l’enfermera dans un cachot, plus jamais on ne lui infligera des sortilèges doloris. Plus jamais. Il est pleinement maître de son destin. Quel pied que le pouvoir, quand même ! Qu’il soit magique ou de toute autre nature.

- « Mais du coup vu que t’as détruit ma chemise je vais devoir prendre la tienne, tu comprends ? Ça me semble logique. »

Il y a des choses qui n’ont pas besoin d’être explicitement formulées, non pas que cela soit dur à dire, mais les mots ont bien peu de poids par rapport à des certitudes qui vous remontent du fond des tripes, jusqu’à menacer de déborder dans un haut-le-cœur. Pauvre Sidney. Et chanceux aussi. Sa vulnérabilité le protège car s’il ne s’appartient plus à lui-même, Blaze détient désormais la responsabilité d’en faire quelque chose d’intéressant. Cette pulsion mégalomane qui sommeille chez le préfet, qui l’a poussé à ne pas laisser Sidney tranquille, alors même que celui-ci n’avait commis comme seul crime que de laisser promener un regard imprudent, cette pulsion a de grandes ambitions et paradoxalement, un devoir de protection.

- « Et c’est tout. » conclue-t-il simplement.

Les choses sont claires maintenant, cruellement claires, il n’y a plus vraiment d’endroits où se cacher, si ce n’est dans leurs derniers interdits d’adolescents immatures, tout le reste a été balayé. Parce qu’il a grandi dans le monde magique, Blaze accorde une certaine importance symbolique aux vêtements : ce sont eux qui lient et délient les serments des elfes de maison. Ils représentent un contrat de servitude, d’obéissance et de loyauté et nombreux sont les contes pour petits sorciers mettant en scène ces artefacts puissants, capables de sceller des pactes éternels.

Alors il réclame la chemise de Sidney, en rétribution pour la sienne qui vient d’être réduite en morceaux. Ce que l’autre refuse, enfin, il ne dit pas clairement « non », Blaze ricane.

- « J’ai pas dit que c’était pour la porter, j’ai juste dit que j’allais la prendre. » La symbolique est claire. « Enfin, plus exactement je veux que tu me la donnes. » rectifie-t-il.

Son regard est posé sur Sidney, apaisé. Inutile de faire une démonstration de force, celle-ci a déjà eu lieu, tout ce que veut Blaze c’est récolter les fruits de sa victoire, qu’il a légitimement arraché à son camarade lorsque celui-ci a acté qu’il ne désirait pas s’enfuir.

Sidney est tendu comme la corde d’un arc, à deux doigts d’exploser en vol on dirait. Blaze soupire, chaque seconde qui passe semble lui révéler plus clairement à qui il a affaire, ses réactions, ses hésitations, ses besoins aussi… si le jeune homme est resté près de lui, ce n’était pas par peur de représailles, mais bien parce qu’il désirait quelque chose. De l’attention ? Un regard ? Un égard ? Le sentiment de compter ? Difficile à dire pour le moment, mais Blaze va bien finir par trouver, trouver cette plaie que Sidney a au cœur, et pour en faire quoi ? Il n’en sait rien, il ne réfléchit pas jusque-là, cela nécessiterait de la maturité, cela nécessiterait de se rendre compte du poids de ses actes…
Blaze est un être curieux, et peu importe qu’il s’agisse d’un vilain défaut, peu importe le mal que cela fait.

Alors il tente, va à la pêche aux sentiment de Sidney. D’un léger mouvement du bassin, il comble la dizaine de centimètres qui les séparaient sur le bord de la baignoire et avec beaucoup de douceur, passe son bras sur les épaules de son camarades.

- « Tu sais quoi ? Si tu me files ta chemise, je te fais un câlin. »

Une espèce de silence un peu lourd règne dans la pièce désormais, seulement perturbé par l’eau du robinet qui continue de couler et qu’on a oublié de refermer. Enfin, lourd, pour Sidney sans doute. Blaze se sent très léger pour sa part. Ce n’est pas tant qu’il flotte sur un petit nuage mais plutôt qu’il se sent parfaitement à l’aise, complètement dans son élément. Même si le jeune homme n’est pas du genre timide, il n’empêche que le regard des autres compte, en tout cas comptait. A présent, c’est comme si l’avis de Sidney avait perdu tout son poids et qu’avec lui la pression qu'il pouvait autrefois charrier s’était envolée.

Prostré, ce-dernier reste muet. Comme fracassé de l’intérieur. Ce n’est pas très marrant. Blaze ne cherche pas à démolir les autres gratuitement, il veut les voir poussés dans leurs derniers retranchements, explorer et révéler des parties d’eux-mêmes dissimulées jusque-là. D’une certaine manière, c’est ce qu’à fait Sidney, en revenant s’asseoir à côté de lui, et dans un genre un peu plus prosaïque, en faisant de la magie sans baguette. Pour ça, Blaze lui en est reconnaissant. C’est bizarre, alors que n’importe qui d’autre éprouverait sans doute un mélange de mépris ou de pitié, lui ne ressent qu’une forme de joie diffuse, d’affection sourde tournée vers son camarade.

Merci Sidney d’être là. Merci de me laisser jouer avec toi. Merci de n’avoir pas franchi la porte, d’être un tel baume, une telle satisfaction pour mon narcissisme délirant. Merci de m’avoir fait confiance, bon gré ou mal gré, d’avoir remis ta petite existence pourrie, ton caractère médiocre, entre mes mains. On va bien s’amuser avec.

Voilà ce que pourrait penser Blaze, s’il était du genre à formaliser les choses. Mais non, il se content de profiter du silence, la tête vide, tout à ce plaisir nouveau qu’il ne connaissait pas encore quelques heures plus tôt, ou de manière très larvaire.

Alors d’un geste tendre, il passe sa main dans le dos de son camarade, le rapproche un peu de lui, pour qu’il pose sa tête sur son épaule. Ils sont sacrément proches maintenant, physiquement mais aussi spirituellement, Blaze en a bien conscience, comme si on lui avait offert un petit chiot blessé pour noël, il se sent responsable.

- « Ça va aller, t’inquiète. »

Ça main continue machinalement ses caresses sur l’épaule de l’autre, dans un geste de pur réconfort.

- « Il y a même moyen que ce soit cool en vrai. »

Il hausse les épaules, d’un ton amusé.

- « Enfin pour moi, c’est sûr, mais pour toi aussi tu sais ? »

Paroles immédiatement suivies d’une petite moue mitigée.

- « On va traverser ça ensemble, tu vas chopper les bons réflexes, le bon état d’esprit, essayer de pas trop te prendre la tête... »

Il ricane.

- « Ça ça sera le plus dur c’est clair, vu comment t'es tendu de partout, mais je suis sûr qu’on va y arriver. »