La fable de l'aiglon et du louveteau

Il était là depuis presque une semaine maintenant et il n’avait pas fallu longtemps à Thomas pour que la fascination qu’avait provoqué chez lui la vue des citrouilles géantes du jardin de Benjamin Duncan ne se dissipe au profit d’autres sujets de curiosité, à commencer par cette foutue forêt interdite qui lui faisait de l’œil depuis des années. Elle était l’objet d’un grand nombre de fantasmes de ses cousins qui lui avaient raconté toutes sortes de choses à son sujet : on pouvait y voir des fées, des centaures et même des licornes disait-on, autant de créatures que Thomas avait toujours rêvé de croiser et qui se trouvaient désormais à portée de main. Ou plutôt, à portée de cloture parce que Duncan n’avait pas trainé à lui coller une bêche dans les mains : « Retourne moi ça le temps que l’administration t’organise un emploi du temps. » et paf il s’était retrouvé à labourer la terre du potager, coincé entre les citrouilles et l’orée des bois.

Autant dire que des deux, la seconde occupait beaucoup plus son attention que les premières.

Thomas ne se définissait pas comme un garçon « physique ». Il avait la vigueur de son âge, et aussi la flemme qui allait avec, petit banlieusard habitué aux environnements urbains et une fois de temps en temps les virées en vélo dans la forêt pas loin. En général, plus un prétexte pour fumer un pétard que réellement faire des descentes en VTT, de toute façon son bolide à lui remontait à Mathusalem, était trop petit et déraillait tous les kilomètres ce qui limitait un peu les expéditions à deux roues dans les sous-bois.

N'empêche que s’occuper des plantes et des animaux, ça lui plaisait plus que faire des maths, surtout dans l’ombre de Poudlard toute activité devenait soudain bien mystérieuse et fascinante. Et tant pis si les poireaux qu’il plantait n’étaient pas magiques du tout, il pouvait toujours se dire que si.

Assez rapidement, toutefois, Thomas avait pris le réflexe de tirer-au-flanc quand Duncan n’y regardait pas, planqué entre deux citrouilles pour rêvasser au soleil et se remettant frénétiquement à bêcher dès qu’il entendait les pas du garde-chasse retentir quelque part non loin. L’avantage de n’avoir pas encore terminé sa croissance était qu’il pouvait aisément passer inaperçu dans le champ de tubercules et jouer sur le manque de visibilité de son tuteur pour prétexter travailler dur hors de son champ de vision et se remettre à glander dès qu’il tournait le dos.

Le seul problème à tout cela était le froid. Si certaines journées ensoleillées rendait la chose largement supportable, des jours plus nuageux avaient vite-fait de vous pénétrer les vêtements et vous geler la couenne de manière insidieuse. Plus d’une fois Thomas avait retrouvé son lit grelottant, heureusement qu’il faisait plutôt bon dans le château. Un château dans lequel il n’était pas entré tant que ça, à dire vrai. Pour le moment les choses étaient encore assez flou quant à son intégration concrète au cursus scolaire et si ce n’était des profs qui avaient gentiment fait la démarche de venir le rencontrer par eux-mêmes, pour le moment le gros de ses journées consistait à assister Duncan qui était certes une mine de savoirs pratiques mais travaillait la plupart du temps dehors à l’entretien du parc, si bien que forcé de se trainer dans son ombre, Thomas n’avait encore réellement découvert de Poudlard que son domaine et assez peu ses intérieurs.

Ce n’était pas faute d’avoir planifié des petites excursions d’exploration pendant son temps libre mais plusieurs obstacles étaient venu se mettre en travers de sa route, à commencer par la fatigue qui après une longue journée de boulot à crapahuter dehors en portant les outils du garde-chasse le laissait sur les rotules et lui soufflait l’envie de grimper cinquante escaliers pour explorer des couloirs vides.
Ensuite, il y avait cette histoire de couvre-feu qui inquiétait un peu Thomas, qui ne redoutait rien de plus que de se faire renvoyer chez lui après seulement quelques jours à Poudlard. Autant dire que s’il s’autorisait à glandouiller avec Duncan, il évitait quand même de se faire remarquer.

Enfin, aller se promener tout seul dans le château, c’était un coup à croiser d’autres étudiants, des petits magiciens et un mélange de timidité et d’appréhension lui faisait redouter cette idée. Il n’avait rien contre se faire de nouveaux petits camarades, loin de là, d’ailleurs il aurait certainement aimé avoir quelqu’un d’autre à qui parler que le taiseux Benjamin, mais n’empêche que l’idée de s’aventurer tout seul au milieu des autres enfants, tous dotés de pouvoirs magiques, ça ne lui disait trop rien. Il comptait sur la reprise des cours pour se faire des amis en douceur, sans trop forcer.

Ce matin-là, Duncan avait à faire dans la forêt interdite. Thomas aurait été ravis de l’accompagner mais apparemment « c’est trop dangereux pour toi » du coup il devait se contenter des citrouilles géantes et des poireaux à planter. Pas vraiment un début de journée passionnant, donc.

Il s’était allongé sur l’une des tubercules et fixait le ciel en se demandant s’il trouverait quelqu’un à l’école pour accepter de le laisser monter à l’arrière de son balais quand un bruit de pas, plus légers que ceux du garde-chasse, attira son attention dans le potager.

La fable de l'aiglon et du louveteau
‟ Thomas & Dmitri „

Si certains rebondissements venaient agrémenter de temps à autre la monotonie de Poudlard, le château restait une école et le propre de ces lieux était que tout était écrit d’avance : chaque élève connaissait l’emploi du temps qui rythmerait toute son année dès le premier jour, et mis à part quelques évènements inattendus, comme une démonstration inopinée des talents artistiques d’un élève dans la grande salle, il ne fallait pas s’attendre à beaucoup d’action. Les rumeurs allaient donc bon train dès lors qu’une nouveauté, même anodine, donnait un prétexte pour répandre quelques bruits de couloirs. Aussi lorsqu’un cracmol avait été admis dans le château, il n’avait fallu guère du temps avant que l’information ne remonte aux oreilles de Dmitri.

L’existence de ce garçon était à elle source de questionnement, particulièrement sous le gouvernement de Sørensen. L’aiglon ne pensait pas un seul instant qu’il ait été accepté de bonne grâce par le directeur, ce qui faisait une bonne raison pour s’en faire un ami. Ou en tout cas, pour aller lui parler. Tout ce qui pouvait irriter le directeur était bon à prendre, quand bien même il n’en avait pas connaissance ou s’en moquait. Tant que le deuxième année avait l’illusion d’embêter quelqu’un, ça lui allait.

Délaissant donc son uniforme au profit d’une tenue plus décontractée – un pantalon en tissu qui tenait chaud, une chemise et un épais pull, le tout surmonté de sa cape d’uniforme, qui avait tout de même le mérite de l’abriter du froid écossais – il quitta le confort de sa salle commune pour descendre dans le parc. Les couloirs de l’école n’étaient pas encore trop bondés : certains élèves occupaient la grande salle, finissant leur petit-déjeuner ou travaillant sur un quelconque travail, tandis que d’autres se préparaient déjà pour aller à Pré-au-Lard. Il trouvait un peu injuste que l’accès au village soit interdit aux élèves des deux premières années ; l’année précédente, il avait pu s’y rendre à deux reprises – pour le mariage de l’aîné des Sørensen et lors d’un unique autre week-end à l’occasion d’un escape game – mais n’avait pu que trop peu en profiter. C’était tout juste assez pour lui donner envie d’y retourner et voir plus qu’un chapiteau monté pour une réception ou un jeu passager.

À défaut de pouvoir crapahuter dans les ruelles du village voisin, il allait donc devoir se satisfaire d’autres distractions. Bien sûr, il n’en manquait pas, mais depuis que les entraînements de quidditch avaient été déplacés en semaine – la faute à ce satané badge – ses week-ends se déroulaient beaucoup trop dans des espaces clos. Et le petit citadin de Prague s’était rapidement fait aux plaisirs bucoliques des parcs écossais ; celui de Poudlard était infiniment plus accueillant que celui des Hébrides – plus de verdure, moins de vent et des arbres qui n’avaient pas l’air de vouloir concurrencer le vieux propriétaire de l’île pour savoir lequel serait le plus rabougri – aussi aimait-il toujours s’y aventurer, même lorsque le temps se faisait peu clément.

Mais aujourd’hui, le frileux – et un peu douillé – tchèque n’avait pas de quoi se plaindre : le vent était frais, mais pas aussi vigoureux que l’air marin de l’île des van Aken et le ciel ne menaçait pas encore de cracher une de ces averses dont l’Écosse avait le secret. C’était donc d’une humeur plutôt enjouée qu’il dévala les marches, évitant les caprices des escaliers avec une inhabituelle facilité.

Abritant ses mains sous les rabats de sa cape et son frêle cou dans l’écharpe bleue et bronze, il trottina vers la forêt, dardant ses yeux tout autour de lui en quête de distraction, quoiqu’il eût une idée très précise de celle qu’il espérait trouver. Le terrain de quidditch semblait vide, ce qui n’était pas très étonnant : des quatre équipes, seule celle de poufsouffle avait encore la possibilité de s’entraîner le samedi et il lui semblait bien avoir aperçu les blaireaux y virevolter le week-end dernier. Nulle lumière ne traversait la fenêtre de la cabane du garde-chasse et l’absence de fumée s’échappant du conduit de cheminée témoignait jusqu’à l’autre bout du parc : Duncan n’était pas dans sa bicoque. Il n’y avait plus qu’à espérer qu’il n’était pas parti dans la forêt avec son nouveau compagnon, sinon Dmitri allait devoir rentrer bredouille. C’aurait été dommage de traverser tout le parc pour rien.

L’enfant contourna la maison, longeant le potager aux imposantes citrouilles, lorsqu’une forme humaine attira son regard. Beaucoup trop petite et fine pour être celle du préposé au jardinage. « Bonjour. » Un bref instant, il avait été tenté de lui demander de but en blanc si c’était bien lui le cracmol dont tout le monde parlait mais ça n’aurait pas été très poli et c’était assez évident pour qu’il s’évite pareille maladresse. Le garçon semblait un peu plus grand que lui, même si depuis son perchoir, c’était assez difficile à dire. Une tignasse noire et un visage encore un peu juvénile... il ne devait pas être beaucoup plus âgé que l’aiglon et pourtant, il était persuadé ne jamais l’avoir vu. Ce ne pouvait qu’être lui, le fameux nouvel arrivant. « Le garde-chasse n’est pas là ? » S’il lui paraissait peut-être moins désagréable depuis quelque temps, le laquais du parc n’en devenait pas pour autant la plus agréable des personnes. Et par principe, il représentait l’autorité, alors s’il pouvait se tenir loin de lui, ça n'était pas plus mal.

Et tout de même, parce que la question lui brûlait les lèvres, il s’aventura à la lui poser... quoique de manière moins abrupte. « C’est toi le nouvel... assistant de Duncan ? » À sa manière de détourner un peu le regard, comme s’il trouvait ce potager digne d’être le décor d’une peinture, un aveugle pourrait discerner une certaine gêne. Il n’était pas timide par nature, mais demeurait un gamin parfois impressionnable face à l’inconnu et lorsque son éducation un peu protocolaire ne semblait plus lui suffire, il se retrouvait facilement démuni.

design ϟ vocivus

S’il y avait au moins une chose dont Thomas était sûr, c’était que ce n’était pas Ben Duncan qui se rapprochait. Le garde-chasse avait une démarche assez reconnaissable et souvent lourde à cause de sa grande taille, de sa carrure et des outils qu’il transportait quand il venait travailler dans le potager.
Ces pas-là étaient feutrés, légers, presque hésitants, cherchant leur chemin dans le dédale de citrouilles. Les yeux toujours fixés vers le ciel, allongé sur la tubercule géante, Thomas se plaisait à s’imaginer que maintenant qu’il était lycanthrope, peut-être que son ouïe avait gagné en précision. Non attendez… les loups avaient un bon odorat. Il enfouit son nez dans le col de son manteau, n’y décela que l’odeur de sa propre peau assortie d’un vague fumet de sueur. Est-ce que ça prouvait quoi que ce soit ? Sûrement pas, il travaillait dehors depuis le début de la journée.

En entendant le salut, Thomas se laissa rouler sur le côté et glissa du sommet de la citrouille pour découvrir un petit garçon haut comme trois pommes qui le fixait avec autant de curiosité que lui-même.

« Le garde-chasse n’est pas là ? » Thomas secoua la tête.

- « Non. »

C’était le premier élève à qui il adressait la parole depuis son arrivée quelques jours plus tôt. Il n’avait jusque là pas été tenté par l’expérience et l’occasion ne s’était de toute façon pas présentée, n’ayant pas encore repris les cours. « C’est toi le nouvel... assistant de Duncan ? » Il esquissa un sourire par pur réflexe. Thomas se doutait bien qu’à présent le secret de son arrivée à l’école ne devait plus avoir grand-chose de confidentiel, il avait simplement espéré pouvoir jouir d’un peu de tranquillité malgré tout, le temps de prendre ses marques.

- « C’est ça. »

Il jeta un œil aux alentours comme pour s’assurer que l'intéressé n'allait pas débarquer d'une minute à l'autre. Leur champ de vision était largement obstrué par les citrouilles. Son regard revint se poser sur l’enfant, les yeux plissés, amusés.

- « Tu ne veux pas le croiser ? » demanda-t-il simplement.

Il ignorait tout des histoires de l’école et de la réputation des enseignants auprès des élèves mais pour avoir fréquenté le garde-chasse plusieurs jours, l’idée qu’on cherche à l’éviter n’était pas saugrenue. Il sourit.

- « Je m’appelle Thomas Chastel, je préfère te prévenir, je suis un loup-garou. »

Et disant cela, il ouvrit la bouche et fit claquer sa mâchoire avant de sourire à pleines dents.

Quitte à ne posséder aucun pouvoir, au moins pouvait-il se prévaloir d’appartenir au monde magique, même si certains ne manqueraient pas de juger cela infamant. Sans compter que puisqu’il était potentiellement contagieux, il préférait que les choses soient claires dès le début.

La fable de l'aiglon et du louveteau
‟ Thomas & Dmitri „

Maintenant qu’il s’était laisser glisser de son perchoir, l’évidente différence de taille frappait Dmitri avec ce sentiment toujours assez désagréable de se savoir plus petit que tout le monde. Si lui n’avait pas encore eu de réel pique de croissance, le garçon des citrouilles l’entamait déjà plutôt bien. Le maître incontesté du potager était donc bien parti vaquer à d’autres occupations, laissant son nouvel apprenti seul avec les tubercules. Merlin que ce devait être long de passer ses journées là ! Seul ou en pareille compagnie, d’ailleurs, difficile de dire ce qu’il préférerait à sa place. « Pas spécialement. » Il haussa les épaules d’un air dédaigneux. Si le garde-chasse se révélait moins intrusif depuis le voyage scolaire, il n’en demeurait pas moins – à ses yeux – un adulte qui était susceptible de courir prévenir son aïeul pour le moindre pas de travers de l’enfant. Ou Sørensen, ce qui n’était pas beaucoup mieux. Duncan lui avait après tout clairement avoué se permettre de dire plus de choses depuis le changement de direction, aussi n’était-il pas certain de voir à quel point il se délectait de la nomination de son nouveau patron. « Ce n’est pas l’adulte le plus sympa du coin. » Il serait bien en peine de dire lequel remportait ce prix : l’inconvénient de s’être forgé une mauvaise réputation, c’était que tous les professeurs en venaient à se méfier de ce qu’il pourrait bien faire. « Tu ne lui diras pas que j’ai dit ça, hein ? » L’air faussement inquiet et un sourire vaguement goguenard sur le visage, il donnait l’air de s’en moquer plus qu’autre chose, même si au fond, ça ne l’amusait pas tant que ça de s’attirer les foudres de tous les détenteurs d’autorité à Poudlard.

Le plus grand fut finalement le premier à se présenter, tirant un rire à son cadet lorsqu’il le vit claquer des dents. « Je retiens, ne pas te fâcher donc. » Cette attitude désinvolte et candide à l’évocation de sa lycanthropie avait quelque chose de rafraichissant. Dans le milieu de Dmitri, ça soulèverait au mieux des grimaces dédaigneuses – comme tout ce qui sortait un peu des normes d’un autre temps – mais lui ne voyait pas les choses du même œil. Au-delà de son attrait pour ce qui lui paraissait être un charmant exotisme, il était simplement un enfant plutôt sociable qui s’ennuyait un peu trop facilement et voyait dans l’arrivée d’un nouveau camarade une occasion de passer le temps. « Dmitri van Aken. » Il marqua une brève hésitation, accompagnant sa salutation d’une main tendue, prêt à serrer celle de Thomas, puisque tel était son nom. Quand même, serrer la patte d’un loup-garou, c’était plutôt classe ! « Je ne suis rien de particulier. » En temps normal, se présenter ainsi l’aurait sûrement vexé et il se serait bien targué d’être un peintre de talent, ou de posséder un don particulier – ce qui n’était pas tout à fait faux, puisqu’il était censé être fourchelang – mais pour une fois, il ne se sentait pas le besoin de se grandir ainsi, peut-être parce qu’il était face à un cracmol. Et de toute façon, il avait été incapable de reparler la langue des serpents depuis Durmstrang.

Les iris brillant d’une intense lueur curieuse, il se risqua une fois de plus à lui poser une question sans doute un peu cavalière. « Tu es un loup-garou depuis longtemps ? » Mansfield lui avait bien parlé, l’année dernière, d’un autre lycanthrope présent dans l’école et d’aventureux projets qui avaient savamment attisé la flamme de l’aventure chez le tchèque, mais les expériences avaient tournées court avec – pour ce qu’il en avait compris – le départ du cobaye.

design ϟ vocivus

Le garçon qui se tenait à présent en face de lui semblait avoir une opinion assez tranchée sur Benjamin Duncan, ne pu s’empêcher de constater Thomas avec un certain amusement. Bien que ne fréquentant le garde-chasse que depuis moins d’une semaine, il souscrivait assez bien à la juste analyse de son cadet « pas l’adulte le plus sympa du coin » était une bonne manière de le décrire. Surtout après avoir rencontré le joyeux professeur Alexander et l’enthousiaste Fergal Armitage, Duncan faisait à côté d’eux un peu figure d’épouvantail. S’il n’y avait pas eu la promesse des créatures magiques, Thomas en aurait presque été tenté d’écrire à Stanley pour se faire muter en apprenti-concierge, au moins peut-être ses journées seraient-elles un peu plus joyeuses, à défaut d’être amusantes.

- « Haha non t’inquiète ! » répondit-il très premier degré lorsque Dmitri lui demanda de ne pas répéter ses paroles. « Je ne suis pas une balance. »

Il préférait préciser. Ça aurait été dommage de se taper une sale réputation dès le premier jour, même auprès d’un élève plus petit que lui. Préférant laisser de côté le sujet Duncan – qui l’intéressait moins pour ses qualités humaines que pour le gigantisme de ses citrouilles et la promesse de rencontrer bientôt des créatures magiques – et se présenta d’un coup de dent dans le vide.

Cette façon de faire réussit à faire rire le garçon ce qui fit plaisir à Thomas.

- « Mais sympa quand même. » là aussi, il préférait préciser pour éviter tout malentendu.

Thomas ne souhaitait pas cacher sa nature – de toute façon cela aurait été difficile étant donné qu’elle était la raison de sa présence à Poudlard – mais ne savait également pas très bien comment celle-ci serait perçue. Il avait vaguement compris que les loup-garoux pouvaient être un sujet de peur chez les sorciers et souvenir d’histoire d’enfance avec ses cousins dont ces créatures étaient les protagonistes malveillant, se glissant par les fenêtres des maisons pour dévorer les petits enfants.

- « De toute façon la tour de Serdaigle est trop haute pour passer par la fenêtre. » expliqua-t-il sans réaliser qu’il avait un peu perdu le fil de ses pensées.

Il se saisit de la main tendue de son nouveau camarade, avec un sourire pour ce geste dénotant un certain formalisme guindé.

- « Salut Dmitri ! »

Puis il sera le poing et le lui présenta fermé pour qu’il check. Chacun sa manière de se présenter.

Sans saisir le double-discours derrière le fait de « n’être rien » il hocha la tête l’air de dire qu’il comprenait et d’un bond en arrière alla s’installer sur l’une des tiges de la citrouille derrière lui, suffisamment large et épaisse pour supporter son poids sans grand frémir.

- « Environ un mois et demi. »

Il agita la main l’air de dire « plus ou moins ».

- « Et toi ? Tu es rien depuis longtemps ? »

L’idée le fit sourire mais sujet à la distraction, il réenchaîna sur la conversation précédente.

- « J’ai déjà eu une transformation. C’est pour ça qu’on m’a fait venir ici, apparemment ils savent gérer ce genre de chose, du coup… » il haussa les épaules « …eh ! Aucun danger ! »

Vraiment, s'il y avait bien une chose qu'il ne souhaitait pas, c'était effrayer les autres enfants.

La fable de l'aiglon et du louveteau
‟ Thomas & Dmitri „

Dmitri ne prenait pas beaucoup de risques à critiquer Duncan ; il n’avait encore jamais rencontré un élève qui l’apprécie suffisamment pour louer sa grandeur et s’offusquer de ses remarques. L’homme n’était pas assez jovial pour emporter la sympathie de tous ; il n’était peut-être pas le plus détesté – sûrement que beaucoup le préféraient au maître des potions parce qu’il avait le bon goût de ne pas trop se mêler de la vie des étudiants – mais demeurait l’homme dont on pouvait le plus facilement se moquer sans risquer quoi que ce soit. Le nouveau venu ne faisait donc pas exception à la règle, promettant de ne rien dire. Bien, problème réglé, donc. Pas de garde-chasse dans les parages et un garçon à l’allure somme toute très sympathique en comparaison de celui auquel il avait été confié.

C’était d’ailleurs ainsi qu’il semblait se présenter : un loup-garou sympa. « Pas besoin de passer par la fenêtre. Pour rentrer dans notre salle commune, il faut seulement résoudre une énigme, même pas besoin de mot de passe ! » Tous les élèves des autres maisons ne le savaient peut-être pas, mais ça n’était pas un secret pour autant. Et à sa connaissance, rares étaient ceux d’autres maisons à se risquer de pénétrer chez les aiglons, ne serait-ce que parce que l’entrée était située au carrefour de beaucoup trop de tableaux pour prendre le risque d’être vu. « Mais si jamais te venait l’envie de te faire un casse-croûte avec mes camarades, préviens moi avant, que j’évite les lieux. » Il haussa les épaules d’un air nonchalant, comme s’il ne faisait mention de guère plus qu’une petite farce anodine dont seraient victimes ses coreligionnaires.

Dmitri imita le plus âgé et, poing serré, lui rendit son salut. Il avait déjà vu bien d’autres élèves agir de manière similaire, aussi n’était-il pas totalement pris de court mais il demeurait un brin hésitant, comme un enfant qui ne comprenait pas tout à fait le sens de ce qu’il faisait.

Tandis que le loup-garou s’asseyait sur une épaisse tige, le tchèque se hissa sur la barrière en bois qui délimitait le potager, remuant machinalement les jambes dans le vide. « Un peu plus de douze ans. Et je ne suis rien ici depuis un peu plus d’un an ! » C’est que mine de rien, il grandissait le garçon. Lentement, certes, mais il y tenait ; il n’était plus le benjamin de l’école, ce qui était une avancée considérable. D’ici quelques temps, il ferait partie des grands !

Fasciné par la plus petite chose dénotant un peu de l’ordinaire, il buvait les paroles de l’autre garçon avec attention. À douze ans, il était encore capable de s’émerveiller très facilement et il lui restait tant à découvrir qu’il ne lui était jamais bien difficile de trouver quelque chose qui sorte un peu de son quotidien. Un cracmol, c’était encore assez banal même s’il n’en avait jamais vraiment fréquenté, mais un lycanthrope, ça c’était de la nouveauté ! Et quelle nouveauté ; de ses livres pour enfants aux élucubrations de ses frères, il avait souvent connu ces humains maudits comme de formidables antagonistes aux histoires les plus passionnantes. « Comment ils gèrent ça ? Ils te donnent des potions ? » Il marqua une hésitation, tâtant intérieurement le terrain puis finalement conclut avec lui-même que si Thomas avait assez de recul pour rire de son état, il ne prendrait sûrement pas mal ses questions. « Ils t’enferment quelque part, les soirs de pleine lune ? » À la réflexion, il devait effectivement avoir des potions... et savoir que son grand-oncle était probablement celui qui devait les préparer pour un cracmol l’amusait beaucoup.

design ϟ vocivus

Quand Dmitri lui expliqua qu’il n’y avait pas besoin de passer par la fenêtre pour entrer dans la salle commune de Serdaigle, Thomas hocha la tête avec amusement. Ça va, ils étaient sur la même longueur d’onde.

- « Donc je peux entrer quand je veux ? Si je suis assez malin ? »

Il se pensait malin. En tout cas, pas moins que les autres. Ce n’était pas parce qu’on avait des difficultés en cours qu’on était bête après tout et puis avoir de bonnes notes en maths n’était vraiment pas un grand signe d’intelligence de son point de vue. Tous les intellos à lunettes qui excellaient dans cette matière étaient de vrais crétins.

- « Ok ! » répondit-il avec enthousiasme à sa proposition de pique-niquer un de ces quatre avec ses camarades de classe. « De toute façon c’est que à la pleine lune donc il n’y a rien à craindre. »

Hissé sur une tige de courge, il observa ce petit bonhomme faire de même sur la barrière du potager, les jambes dans le vide. Il ressemblait un peu aux intellos de son ancien collège, avec ses vêtements qui faisaient chic, mais le vent l’avait complètement décoiffé et lui avait donné un air franchement canaille.
Thomas se demanda à qui il avait affaire. « Rien » d’après ses propres dire. C’était amusant.

- « Tu es quand même un sorcier, ce n’est pas si rien non plus. Tu as une formule préférée ? »

Et d’enchaîner sans même attendre la réponse sur les questions de l’aiglon, pris d’une passion de conteur pour ce qu’il estimait – certainement à raison – être l’expérience la plus originale et intense qu’il ait jamais vécu de sa vie.

- « C’est ça ! C’est… comme un médicament ! Ça te fait rester lucide. »

Il plissa les yeux.

- « Pas de risque de manger les enfants. Enfin... » Il hausse les épaules. «En théorie. J’ai bien hâte de voir ce que ça va donner, j’aurai aimé pouvoir courir dans la forêt mais non, il faut rester… quelque part. »

Avait-il si hâte que ça ? Pour le moment, oui. Thomas percevait l’échéance, qui se comptait pourtant en journées, comme encore lointaine. Et puis, c’était le seul pouvoir que lui, cracmol, avait réellement dans cette école étonnante. Sa seule petite once de magie, alors bien sûr il se demandait parfois si la transformation était douloureuse, ou s’il n’allait pas avoir des poils dans la bouche, mais au fond, il était quand même curieux.

- « Tu as déjà vu un loup garou en vrai ? »

La fable de l'aiglon et du louveteau
‟ Thomas & Dmitri „

Le plus jeune se prenait assez rapidement à la discussion avec ce presque inconnu. En fait, il se révélait assez sympa de prime abord, un peu atypique sans doute avec sa gestuelle qui tranchait de celle du tchèque, et sa manière presque excentrique de présenter sa condition de lycanthrope. Ils venaient incontestablement de milieux différents, mais ça n’était pas comme avec Zeynep... le caractère plus léger et sans doute infiniment moins obsessionnel de Thomas faisait de lui une personne plus accessible pour le garçon fier et borné qu’était Dmitri. « Oui ! » affirma-t-il d’un ton qui oscillait entre l’amusement et la discrète fourberie d’un comploteur en herbe. Ils avaient presque un plan sorti de nulle part, improbable et totalement absurde, mais un peu rigolo à imaginer. Un casse-croûte dans la salle commune de serdaigle avec un sac à puce imperméable aux sortilèges. « Enfin officiellement, les élèves n’ont pas le droit d’entrer dans les salles communes des autres maisons, alors c’est un peu risqué. Tu risquerais de te faire voir par un tableau, et crois-moi, le directeur n’est pas commode. » Son visage c’était sensiblement assombri. Il avait déjà attiré trop d’ennuis à son amie de poufsouffle et voilà qu’il poussait un autre – dont le statut de sang n’était guère plus reluisant – à s’en attirer également. Son penchant naturel pour les bêtises lui revenait trop facilement face à la menace Sørensen très pesante... voire la menace van Aken. Il doutait que son aïeul soit le plus enchanté du monde de voir un loup-garou dénué de capacité magique se balader dans les couloirs de l’école.

Lorsque la discussion dériva sur la condition de sorcier de l’aiglon, celui balaya symboliquement la remarque d’un revers de la main. Il aimait la magie et être un sorcier, mais il trouvait presque décevant de n’être que ça. Écrasé par l’existence de trop de frères et de cousins, il se sentait un devoir de se démarquer... et un désir d’être conforté dedans, qualifié d’unique et félicité pour ça. Pour l’heure, il n’avait réussi qu’à subir des roustes de son père pour ses frasques, des sermons et sortilèges de son grand-oncle et des punitions publiques de tous les directeurs de l’école qui se succédaient. « Chez moi, ça n’a rien d’extraordinaire, d’être un sorcier. » Sans se rendre compte qu’une telle affirmation devant un cracmol pouvait être un peu maladroite, il haussait des épaules nonchalamment, ses jambes s’agitant toujours dans le vide. Son expression était neutre, il n’affirmait qu’une réalité sans sentiment – ou ressentiment – à cet égard. Une vérité énoncée le plus simplement du monde et d’un ton très naturel, quoiqu’un regard attentif pourrait peut-être y déceler une très légère forme de déception ; celle de ne pas connaître plus exotique dans son entourage que des sorciers. Si ce n’était à se pavaner à la manière d’un Sørensen, il n’avait rien de particulier à vanter. Et les sang-purs n’impressionnaient plus grand-monde depuis longtemps. « Avoir un loup-garou dans la famille, ça doit être génial ! Plus personne ne t’embête. » À défaut d’être le plus distingué – selon ses standards familiaux – ça avait le mérite d’être atypique et sacrément menaçant.

Tout de même, il balaya tranquillement du regard le potager de Duncan, cherchant une idée de sort amusant ; parce qu’après tout, on lui donnait l’occasion de fanfaronner un peu, il n’allait pas refuser pareille occasion ! Il ferait bien un bûcher des citrouilles, mais le garde-chasse risquerait de ne pas apprécier et ça retomberait sur ce pauvre Thomas, qui ne s’attendait sûrement pas à ce qu’il le mette dans un sale pétrin si vite. « Ça dépend... tu me fais confiance ? » Une autre idée lui trottait dans la tête, plus innocente et sympathique. Plus complexe aussi : faire flamber quelques courges, c’était une chose assez simple et dans ses cordes, mais il se laissait tenter par un sort qu’il n’avait encore jamais lancé et qu’il avait simplement lu dans le manuel de sortilèges de Zeynep, lorsqu’ils tentaient tous deux d’amenuir la liste de devoirs supplémentaires que leurs grades respectifs imposaient.

Le cracmol continuait sur sa lancée, évoquant la transformation et les exigences de l’école. Rester enfermer, ne pas pouvoir se gambader dans la forêt... « C’est nul ! Ça doit être drôlement marrant de pouvoir aller dans la forêt interdite en pleine nuit... et d’en être le roi ! » Bercée par une innocente passion, il en finissait presque par trouver que la vie de loup-garou devait être amusante et enviable. N’était-ce pas plus simple ? Être suffisamment craint pour que l’on ne veuille pas venir ennuyer un lycanthrope, et surtout, sorciers comme créatures magiques étaient moins puissants !

Dans le potager, en plein soleil et à plusieurs jours de la pleine lune, il pouvait se plaire à imaginer ce que ça devait faire. Une curiosité vraisemblablement partagée par l’autre garçon, quoique lui ne tarderait pas à savoir ce qu’on ressentait effectivement. Dmitri, quant à lui, était condamné à s’imaginer combien ce devait être grisant. Un imaginaire qui se voyait accru dès lors qu’il se savait proche – physiquement parlant – de l’une de ces créatures, celle-ci ne tardant d’ailleurs pas à lui demander s’il en avait déjà vu en vrai. « Non. » Il semblait presque penaud. Et déçu. « Mais j’ai failli en voir un, l’année dernière ! » Failli. Une école qui s’emballe un peu, un projet de soigner la lycanthropie qui aurait fait connaître son nom... au moins comme assistant, ça n’était pas rien ! Ça avait été une proposition un peu folle et sûrement irréaliste, mais il s’était plu à l’imaginer réalisable.

design ϟ vocivus

- « Oh, je vois… » fut la réponse de Thomas lorsque Dmitri le mit en garde contre la sévérité du directeur.

Sans être un grand fan d’autorité – principalement parce que l’autorité avait tendance à lui demander de bosser et qu’il n’aimait pas cela – Thomas ne se sentait ni cœur ni caractère de rebelle et surtout, puisqu’il était à Poudlard depuis, ne voulait donner aucun prétexte à quiconque de le renvoyer chez lui. Ca aurait vraiment été un coup de massue.
Il ne s’approcherait donc pas du dortoir des Serdaigles, ni d’aucun antre, et tant pis pour sa curiosité.

La conversation dériva heureusement sur un sujet tout aussi passionnant aux yeux de Thomas, la condition de sorcier de son nouvel ami. Après tout faute de connaissance à Poudlard, il était prêt à considérer le premier venu qui lui accorderait de la sympathie comme quelqu’un de fiable. Du reste, Thomas n’était pas d’un caractère très méfiant. Au mieux, il se montrait assez peu concerné et d’éventuels tours qu’on pouvaient lui jouer se terminaient souvent en désillusion pour ses agresseurs, le jeune homme prenant toujours tout avec une certaine légèreté flegmatique.

- « C’est vrai. » confirma-t-il quand Dmitri expliqua qu’être un sorcier n’était pas très original dans sa famille.

Chez lui aussi, c’était assez courant en fait, enfin, du côté de son père en tout cas. C’étaient plutôt les cracmols qui faisaient figure d’exception, même si Thomas ne s’était jamais vraiment senti spécial à cause de ça. Après tout, 90% de l’humanité partageait sa condition, elle n’avait donc rien d’exceptionnel.

Tout en continuant de fixer Dmitri qui balançait ses jambes dans le vide, il le laissa développer, curieux de savoir ce que pouvait bien penser le garçon. N’étant pas familier des élèves de Poudlard et des magiciens en général – il ne connaissait que ceux de sa famille et de l’hôpital – il préférait se taire pour le moment.

Dmitri, de son côté, rebondit sur sa question, expliquant qu’avoir un loup-garou dans la famille était assurément plutôt cool. Cela fit plaisir à Thomas. « Génial » il avait dit. C’était pas rien, ça, « génial ».

- « Hm. T’as raison. » répondit le jeune homme avant de porter un regard encore plus intrigué sur Dmitri. « Il y a des gens qui t’embêtent ? »

Le collège pouvait être cruel parfois, surtout avec les plus petits et Dmitri n’avait quand même pas trop une tête de caïd.

Même s’il avait l’air marrant quand même ! Pour preuve : lorsque Thomas lui demanda quel était son sortilège préféré, l’aiglon répondit par une phrase mystérieuse, lui demandant s’il lui faisait confiance.
Ce qui fit éclater de rire Thomas.

- « Non ! »

Et il haussa les épaules.

- « Mais je veux bien voir quand même. »

Dmitri avait vraiment l’air sympa ! Plus la conversation avançait plus Thomas l’appréciait, il avait une bonne énergie, ça se sentait qu’il avait du caractère et pour quelqu’un d’un peu effacé parfois comme le cracmol, il appréciait se couler dans la dynamique d’un autre. Ce qui impliquait toutefois de le rassurer : certes Thomas était un loup-garou mais il n’était pas dangereux ! Il fallait que les gens le comprennent, sinon c’était foutu pour se faire des potes…

Lorsque Dmitri rebondit sur ses explications pour déplorer qu’il ne puisse se promener seul dans la forêt, Thomas abonda vigoureusement de la tête.

- « C’est clair ! Mais peut-être qu’il y aura moyen de négocier ? De toute façon si je prends une potion, ça change quoi que je sois enfermé ou pas ? Rien ! On est d’accord, donc c’est stupide. Je vais en parler avec Duncan, je suis sûr qu’il sera d’accord. »

Dis comme ça, ça paraissait un plan assez infaillible. Le garde-chasse ne pourrait pas s’opposer à un tel argument de bon sens.

La fable de l'aiglon et du louveteau
‟ Thomas & Dmitri „

La mise en garde contre le directeur semblait avoir passablement refroidi Thomas. Il valait sans doute mieux que ce soit ainsi : pas de bêtises inconsidérées signifiait pas d’ennuis qu’il regretterait amèrement... quelque part, Dmitri était presque déçu de constater que tous n’avaient pas sa fougue excentrique, mais puisque lui-même commençait à envisager sérieusement l’idée de ne plus trop faire de vagues – parce qu’il avait beau être plutôt bon élève, les devoirs supplémentaires ne le rendaient pas joyeux pour autant – il pouvait comprendre la prudence de l’apprenti du garde-chasse. « D’ailleurs... tu es dans quel dortoir ? » Il ne fréquentait pas celui des aiglons, ça il l’avait compris et en tout état de cause, il l’aurait aperçu rapidement s’il le faisait. Ça laissait trois possibilités, mais puisqu’il n’arborait aucune couleur et qu’il n’avait pas eu droit à une répartition devant toute l’école, il n’avait pas le moindre indice.

Le petit sorcier s’était peut-être présenté d’un air presque humble – ce qui n’était pas tout à fait la qualité qu’on lui donnerait au premier coup d’œil – il aimait tout de même parler de lui. En réalité, il avait besoin de sentir l’attention des autres sur lui, alors celle du cracmol était bienvenue. Ça n’était pas aussi impressionnant que d’être un loup-garou, et il ne cachait pas son intérêt pour la chose, assumant sans rougir qu’il trouverait fort plaisant d’en avoir un dans la famille ; ça en imposait ! « Quoi ? » Son visage se para d’une expression un peu offusquée – surtout vexée – à l’idée qu’il puisse donner l’impression d’être incapable de se défendre et de faire une cible. Il avait vécu à la dure, lui ! Certes, dans le confort citadin d’une famille pouvant compter sur la magie pour faire et ranger la vaisselle, mais à la dure tout de même. Ce n’était pas tout le monde qui pouvait targuer d’avoir survécu à ses frères aînés. « Non ! » Enfin si l’on oubliait le chantage de Maxwell – mais c’était de l’histoire ancienne – et quelques anicroches avec des plus âgés, comme ce russe de poufsouffle... ou le bizutage des serdaigles, mais c’était encore une histoire différente. Quoi qu’il en soit, il s’était toujours défendu avec plus ou moins de succès et était plutôt fier de pouvoir dire qu’il n’avait pas besoin de faire appel à l’aide de plus grands – ou de lycanthrope – pour se défendre.

Non sans orgueil, et dans l’espoir puéril de démontrer qu’il n’était pas le petit garçon de l’école que l’on pouvait embêter sans conséquences, il saisit avec plaisir la perche tendue par le plus âgé, prêt à montrer ce dont il était capable avec une baguette. L’enfant se rembrunit subrepticement face à l’éclat de rire de Thomas et l’élan d’honnêteté qui l’accompagnait – ce qui était compréhensible, ils ne se connaissaient que depuis quelques minutes à peine – mais son visage s’éclaira aussi vite qu’il s’était éteint. Il n’était pas contre une petite expérience de magie ! Excité à l’idée de montrer ce dont il était capable, il tira sa baguette de sa poche en clamant un « Cool ! » fort satisfait. Sa baguette était élégamment taillée dans un beau bois rougeoyant – du prunellier – et était relativement fine. Quelques motifs étaient taillés au niveau de la poignée, rien de trop extravagant, mais suffisamment pour qu’il en soit toujours très fier, même après plus d’un an.

Baguette en main, il partageait assez joyeusement – et avec cette même candeur qui ne le quittait plus – la peine du loup-garou, que l’on tenait en laisse chaque pleine nuit. C’était en tout cas l’image qu’il avait en tête : une créature imposante, comme dans les illustrations de livres de son enfance, restant paresseusement à côté d’une niche, un air qui devait sûrement être un peu triste sur le museau. « Si ça peut se négocier, je veux voir ça ! » Là, il commençait à être réellement excité. À Durmstrang, ils n’avaient pas de loup-garou ; Igor et Krystof pourront prétendre tout ce qu’ils veulent, jamais ils n’auront l’occasion de voir un lycanthrope. « Tu penses vraiment que Duncan va vraiment être d’accord ? Je veux pas jouer les rabats-joies, mais il est toujours un peu... disons, désagréable ? » Et de ce qu’il savait du garde-chasse, il n’était pas tout à fait un ami des créatures en tout genre. Un cracmol loup-garou, ça ne devait pas être placé bien haut dans sa liste des personnes respectables. « Enfin, j’imagine que tu le connais mieux que moi, vu que tu le supportes tous les jours. » acheva-t-il en rigolant. Par habitude, l’aiglon s’était toujours méfié de celui qu’il percevait comme le laquait de son grand-oncle. Le fait qu’il ait assumé à demi-mot avoir été très proche des mangemorts ni changeait pas grand-chose, si ce n’était que sa vision de la politique de l’école en était devenue plus flou encore. De garnement contestant tout ce que sa famille pouvait clamer, il avait commencé à mettre un peu d’eau dans son vin au contact d’Alexander et de Finnbjörn... avant que punition et révélations de Duncan ne viennent semer à nouveau le trouble.

« Bon, je te le montre, ce sortilège ? » Dmitri se laissa joyeusement glisser de sa rambarde. « Promis, ce n’est pas dangereux. C’est même tout le contraire. » Enfin, il présumait. Le sortilège d’alégresse était censé procurer – comme le laissait si subtilement entendre son nom – une sensation de bonne humeur pendant un certain temps. Le souci demeurait qu’il ne l’avait encore jamais tenté sur un cobaye humain. Il se racla la gorge dans un attitude dont il espérait qu’elle lui donne un air d’expert – mais au fond, il n’était guère plus qu’un enfant singeant les adultes d’une manière assez peu convaincante – et pointa sa baguette sur l’autre garçon, proclamant d’une voix claire l’incantation.

Il eut un petit crépitement, comme s’il tentait de lancer un lumos, puis plus rien. Nul rayon extraordinaire de magie, même s’il doutait fortement que le sort fonctionnait ainsi, ni impression particulière. « Alors ? Tu sens quelque chose de différent ? » Il n’avait plus l’air aussi sûr de lui que quelques instants plus tôt ; sa voix était colorée d’une légère hésitation.

design ϟ vocivus

Le dé de la nullité:

L’espace d’un instant, Thomas avait interprété cette histoire d’un loup-garou pour ne pas se faire embêter comme une espèce de perche tendue, pas complètement un appel à l’aide mais enfin quelque chose qui s’en rapproche. Il fallait dire qu’avec sa tête de premier de la classe et son accent étranger, le jeune homme n’avait pas beaucoup de mal à s’imaginer Dmitri avoir des ennuis avec les autres élèves. Dans son ancien collège, en tout cas, quelqu’un avec un manteau aussi cher aurait eu des ennuis.

Bien sûr, il ne s’attendait pas à ce que le serdaigle avoue facilement un problème un peu honteux comme ça, aussi quand celui-ci dénia vivement avoir le moindre soucis avec ses camarades, Thomas hocha la tête d’un air entendu. Il en parlerait quand il se sentirait prêt, d’ici là ce n’étaient pas ses affaires.

Ca n’empêchait pas qu’il avait bien envie de voir un sortilège ! Thomas était toujours partant pour voir les autres faire de la magie. Après tout, quitte à être dans une école de sorciers, autant que cela se concrétise autrement que par quelques citrouilles de la taille d’un carrosse. Le sujet dériva néanmoins sur la possibilité qu’avait – en l’occurrence n’avait pas – Thomas de pouvoir profiter librement de son apparence de loup.

Le sujet était complexe et le laissait pensif, en proie à des pensées contradictoires, mélange d’impatience et d’appréhension quant à ce qui se passerait cette fameuse nuit de pleine lune. En tout cas Dmitri était vraiment sympa puisqu’il lui annonça tout de go vouloir assister à la transformation. Thomas le dévisagea avec curiosité.

- « C’est vrai ? Ça te plairait ? Faudra peut-être que je fasse des invitations alors, et des places réservées. »

L’idée le fit rire, rire vite douché par les doutes qu’exprima Dmitri sur le fait que Duncan serait d’accord pour un tel spectacle. C’est vrai que le garde-chasse faisait plus rabat-joie que gros fêtard…

Thomas haussa les épaules.

- « Qui ne tente rien n’a rien, hein ? Et puis si ça se trouve un de ces quatre je lui sauve la vie dans la forêt et du coup il m’en devra une ! »

C’est vrai, c’était possible ça ! On ne savait trop jamais ce que le destin vous réservait après tout… Mais d’ici à ce que ça arrive, ils ne pouvaient faire que des spéculations. Dmitri balaya leurs doutes pour proposer de montrer le sortilège en réponse à quoi Thomas hocha la tête vigoureusement.

Il accompagna le geste de son cadet qui venait de se glisser par terre, comprenant à ses paroles qu’il allait visiblement servir de cobaye sur ce coup-là. Ca ne le dérangeait pas. Ses cousins lui avaient lancé plein de sorts quand il était petit et jamais des bien méchants. Quelques cheveux qui changent de couleur, lui faire sortir un tout petit oiseau de la narine gauche ou léviter dix centimètres au-dessus du sol… des bons souvenirs.

Docilement il vint se placer bien droit devant Dmitri qu’il dépassait d’une courte tête et releva le menton façon « garde à vous », un petit sourire aux lèvres. Ça allait être marrant !

Son camarade se racla la gorge avant de pointer sur lui la baguette et prononcer une formule qu’il ne connaissait pas, aussitôt suivie d’un crépitement de lumière, comme un plomb qui disjoncte. Thomas fixa le bout de la baguette en se demandant si c’était tout ?

En tout cas c’était un peu décevant, et à cette pensée il sentit sa gorge se serrer un peu. C’était bête mais il aurait bien aimé voir un vrai tour de magie, là, il s’y était préparé et tout et voir que le truc foirait comme ça… Thomas voulu répondre à Dmitri que non, il ne ressentait rien mais il eut ce pressentiment honteux que s’il tentait de dire quelque chose sa voix allait se casser en vol. Il ravala ses paroles en déglutissant difficilement.

Sentant les émotions lui remonter doucement du ventre et avec elle l’impression un peu flippante qu’il allait peut-être se mettre à pleurer en public et ça la foutait sacrément mal quand même si tout le monde le traitait de pleurnicheur ! Cette idée vint rajouter de l’eau au moulin et toujours incapable de dire quoi que ce soit il tourna la tête vers la forêt interdite, dans l’espoir de dissimuler à Dmitri qu’il avait maintenant les larmes aux yeux.

- « C’est bon… t’inquiète. »

Il esquissa un reniflement discret et fit trois pas vers la cloture où il alla s’accouder, profitant de tourner le dos à son nouvel ami pour se passer une main sur le visage. Merde alors, le déménagement devait l’avoir pas mal affecté pour qu’il perde ses moyens aussi vite, comme ça…

Le temps de s’assurer qu’il affichait un visage présentable il se tourna timidement vers l’aiglon pour lui adresser un maigre sourire.

- « C’était quoi ton sort ? »

La fable de l'aiglon et du louveteau
‟ Thomas & Dmitri „

L’entendre dire qu’il adorerait assister à sa transformation en grosse bestiole sembla mettre en joie le cracmol. Une joie assez communicative qui s’étala sur le visage de Dmitri, se fendant d’un sourire excité face à telle perspective. « Bien sûr ! C’est un peu comme si les histoires qu’on me racontait quand j’étais petit se réalisaient ! » Parce que petit, il ne l’était plus ! Et il interdisait quiconque de prétendre le contraire. D’ailleurs s’il assistait réellement à la transformation d’un loup-garou, c’était bien qu’il était passé de l’âge des histoires sur les lycanthropes à celui de la réalité. Plus il y pensait, plus l’envie de voir Thomas un soir de pleine lune grandissait en lui. Le souci était encore que l’entreprise ne fût pas sans embûches. Le principal intéressé étant consigné quelque part, il fallait pouvoir s’en extirper et d’en obtenir l’autorisation. Si ça ne tenait qu’à tchèque, il se passerait bien de demander quoi que ce soit à qui que ce soit : les adultes étaient toujours rabat-joie et ne comprendrait pas l’intérêt de la chose. « Peut-être que si tu lui proposes une place de choix, il acceptera ! » Savoir que ce projet tenait en grande partie de la générosité pédagogique de Duncan avait le don de saper un peu sa joie, mais l’on ne savait jamais ce que l’avenir leur réservait. Si l’on avait dit à Dmitri que le garde-chasse allait un jour lui sous-entendre de manière assez peu subtile qu’il avait eu des accointances avec des mangemorts, il n’y aurait pas cru. Et pourtant, c’était bien ce qu’il avait fait il y a de cela quelques mois... peut-être même pouvait-il envisager de faire pression sur lui grâce à ces informations pour lui faire accepter une petite escapade nocturne de loup-garou ? L’espoir était vain. D’autant qu’il ne voyait mal accepter de laisser le petit neveu du professeur de potions crapahuter dans les bois avec une créature comme Thomas.

Toujours est-il qu’il opina du chef face à l’optimisme de l’autre garçon. Il pouvait toujours tenter et au pire, ils verraient bien pour une autre solution plus tard. Il ne le connaissait pas encore assez pour lui suggérer un quelconque plan un peu plus détourné, et tant que la surveillance était si accrue à Poudlard – et particulièrement sur l’aiglon qui savait bien que ses ancêtres peints le gardaient à l’œil depuis la première heure et que la multiplication de leurs tableaux ne faisait qu’accroître la chose – il valait mieux ne pas trop tenter le mage noir. En attendant, il était bien décidé à s’amuser un peu et, pourquoi pas, montrer au plus âgé ce dont il était capable, lui aussi. Il n’était pas un loup-garou, mais un sorcier, et ça n’était tout de même pas rien, même si c’était plus commun.

Son cobaye se posta bien sagement face à lui, plutôt bon joueur et visiblement peu inquiet à l’idée qu’un presque étranger lui lance un sort. À sa place, il n’était pas si sûr de faire preuve d’autant de courage. Il prononça la formule distinctement, pointant le bout de sa baguette vers le torse de sa cible... et attendit patiemment, le temps de voir les effets. Aucun cri de joie, de sourire particulièrement resplendissant ou signe d’une quelconque manifestation de gaieté. Au lieu de ça, Thomas se détourna, dos à lui. Le bras du sorcier retomba le long du corps, baguette toujours en main. « Tu vas bien ? » demanda-t-il d’un ton inquiet, ce à quoi il lui répondit d’une voix plus molle qu’avant. Même lorsqu’il se retourna vers lui, son sourire n’avait rien de si sympathique... « Un sortilège d’allégresse. C’était supposé te rendre joyeux. » Mais il n’avait pas l’air si resplendissant que ça, à tout bien y réfléchir. « Je présume que ça n’a pas marché ? » Il parlait d’un ton vaguement penaud, et particulièrement déçu. Il tenait là une occasion de fanfaronner un peu et de se mettre en valeur... mais cet échec le rendait au mieux inintéressant, sinon pathétique. « Je n’avais jamais essayé de le lancer, ce n’est pas un sort qu’on apprend dans mon année. » tenta-t-il d’expliquer. Il valait toujours mieux qu’il passe pour trop ambitieux que pour un incapable. Malgré tout, à cet instant, il aurait bien aimé être la cible d’un sortilège d’allégresse ; il fallait au moins ça pour lui remettre un peu de baume au cœur. Le cracmol ne semblait pas beaucoup mieux que lui, d’ailleurs. Sûrement devait-il être déçu de la prestation. « Ou alors, c’est peut-être parce que tu es un loup-garou ? » avança-t-il avec espoir. « Peut-être que tu résistes mieux à la magie ! » L’idée était infiniment plus plaisante et sans doute pas sans inspiration un peu fantasque des histoires de sa plus tendre enfance. Les lycanthropes étaient ces créatures fortes que même les meilleurs sorciers ne pouvaient vaincre si aisément. La magie n’avait pas la même prise sur eux et c’était ce qui rendait toute hypothèse de guérison si complexe. Oui, ce devait être ça !

design ϟ vocivus

D’une manière un peu étrange, Dmitri semblait en connaitre d’avantage que Thomas à propos des loups-garous. Si ce dernier avait reçu un bref briefing à Sainte-Mangouste, le reste de sa culture générale se limitait à des films et des séries télés moldus et rien ne garantissait qu’elles soient fidèles à la réalité du monde sorcier.
Pour son camarade, les choses étaient différentes : ayant été élevé dans la magie, même sans y avoir été confronté directement il était plus naturellement familier des questions de lycanthropie, ou du moins celles-ci paraissaient lui évoquer des souvenirs assez concerts.

Rien d’étonnant dans ce cas à ce que le jeune homme se montre enthousiaste à l’idée de voir de ses yeux une transformation, c’était un peu comme si on avait un jour proposé à Thomas de rencontrer le Père Noël en vrai. Sûr qu’il aurait dit oui tout de suite !

N’empêche qu’une fois encore, le principal obstacle à tout ça était Benjamin Duncan. Thomas n’avait rien contre le garde-chasse, même s’il fallait bien reconnaitre qu’il n’était pas trop du genre rigolo, après tout ce-dernier lui avait quand même appris tout un tas de choses utiles dès son arrivée et puis s’il ne se montrait pas spécialement amical il n’était pas non plus injuste ou désagréable.

Ne pouvant se prononcer sur si oui ou non l’ombrageux Duncan donnerait son accord, les deux garçons préférèrent focaliser leur attention sur ce qu’ils étaient certains d’avoir le droit de faire : lancer des sorts ! Après tout on était quand même dans une école de magie.

Thomas ne savait pas ce qu’avait essayé de faire Dmitri mais une chose était certaine : le sortilège avait échoué et cette idée provoqua chez lui une déception immense. Au point de lui serrer la gorge douloureusement et il se sentit même monter les larmes aux yeux, à croire que ça l’affectait plus qu’il ne l’imaginait.

Quand son camarade lui avoua qu’il avait tenté de jeter un sortilège d’allégresse, Thomas fut pris d’une espèce de hoquet à mi-chemin entre le sanglot et le rire.

- « Bof… » dit-il avec un petit sourire désolé. Clairement c’était pas la grosse éclate là tout de suite. « Mais c’est gentil d’avoir essayé. »

L’intention qui compte, tout ça.

- « Heureux d’avoir pu servir de cobaye alors. »

Ce n’était pas un reproche, même plutôt une tentative d’humour, mais clairement le cœur n’y était pas. C’était comme si les sentiments positifs qui d’ordinaire affluaient facilement au prix de quelques stimulation, se trouvaient bloqués quelque part et ne restait qu’une forme diffuse de mélancolie qui lui donnait envie de s’assoir dans un coin et de mettre sa tête entre ses bras en attendant que ça passe.

Dans un meilleur état que lui, Dmitri semblait plutôt préoccupé ce qui aurait pu inquiéter Thomas si toutes ses émotions n’étaient pas déjà accaparées par la tristesse. Alors que ce-dernier ne pensait plus à grand-chose, ses idées ayant du mal à correctement s’agencer au milieu des émotions négatives, Dmitri proposa pour sa part que peut-être sa résistance à la magie était lié au fait qu’il était un loup-garou.

Mine de rien et parce que Thomas n’était jamais le dernier quand il s’agissait de se dégoter des super-pouvoirs cachés, il plissa les yeux pour tâcher de se concentrer.

- « Peut-être… »

Son regard se reporta sur son camarade, légèrement gagné par la curiosité.

- « Essaye autre chose pour voir ? »

Si vraiment il résistait à la magie, c’était plutôt cool ! Comme Wolverine et d’ailleurs, Wolv et wolf, c’était presque pareil non ?

La fable de l'aiglon et du louveteau
‟ Thomas & Dmitri „

Après l’excitation de voir un loup-garou – un vrai ! – sous sa forme brutale, Dmitri avait mis tout son cœur dans sa petite démonstration de magie ; il avait un spectateur, plutôt bon public, pour admirer ce dont il était capable, valorisant un peu l’égo du tchèque, ce qui ne faisait jamais de mal. Et puisqu’ils discutaient plutôt joyeusement, un sortilège d’allégresse aurait dû être simple : la moitié du travail était déjà faite, après tout. Mais non. Thomas avait l’air plus triste que radieux et parlait d’une voix moins vive qu’avant. C’était un bel échec, au point où son camarade, pris par la déception, avait perdu la joie simple qu’il semblait arborer plutôt.

Comme une éponge, l’aiglon absorbait ce changement de ton et sentait son propre cœur habité d’une émotion toute triste. Il ne voulait pas penser que ça ne soit que parce qu’il avait été parfaitement nul : il y avait forcément une explication plus logique. Un loup-garou, cracmol qui plus est, devait bien subir la magie différemment des autres, non ? Certes, les moldus et les cracmols la subissaient tout autant que les sorciers – quoique sans le percevoir de la même manière – mais les créatures hybrides comme lui, ça devait sûrement être différent ! Fort de cette idée – qui l’arrangeait quand même plus – il avait retrouvé un semblant de confiance. « Autre chose, oui... » Son esprit s’emballa, à la fois anxieux de se retrouver face à un nouvel échec que de parvenir à lancer le sort, et devoir ainsi assumer que sa première tentative échouée ne l’était sans doute pas à cause des caractéristiques de lycanthropes de Thomas. Et quel sort essayer cette fois-ci ? Il avait presque l’impression d’entendre ses neurones se bousculer dans sa tête, comme une machinerie moldue se mettant en branle avant de démarrer. Seuls des maléfices lui venaient tête : il avait toujours trouvé ça intéressant que de transformer des scarabées en bouton de manchette. Et puis, de toute façon, il n’y avait pas de scarabée en Écosse. Il n’allait tout de même pas tenter de lui brûler la peau ; il n’était peut-être pas un expert en la matière – trop habitué à se bagarrer avec ses frères pour ça – mais en général, attaquer les gens n’était pas la plus brillante des idées pour se faire des amis.

« Ah ! Je sais quoi faire. » Il brandit à nouveau sa baguette sur l’autre garçon, prêt à lancer le sort... mais se ravisa à la dernière seconde, la rebaissant quelques secondes. « Promis, cette fois-ci, c’est un sort que j’ai déjà lancé. Tu n’es pas mon cobaye. » Il agrémenta sa remarque d’un clin d’œil qui, sur son visage encore poupon d’enfant, lui donnait plus l’air mignon que véritablement complice. « Anteoculatia* ! » Un rayon lumineux fusa de sa baguette pour venir toucher le torse du cracmol, puis disparaître, comme absorbé par son corps. Un court instant, l’idée qu’effectivement, il était immunisé à la magie traversa son esprit. Puis ses yeux se posèrent sur des bois qui commençaient à émerger de sa tignasse, lui arrachant un « Oh ! » excité. À mesure que les secondes défilaient, les ramures se firent plus grandes et visibles sur la tête de Thomas. Un loup-garou avec des bois de cerfs, c’était assez amusant comme idée, en fin de compte. Ça n’était pas la première fois qu’il le lançait, mais il ne s’était pas encore séparé de cette candeur naturelle qui agrémentait son regard d’une pluie d’étoiles lorsqu’il voyait sa magie faire son œuvre. Son côté artiste devait y trouver une forme de satisfaction et il fut un temps traversé par l’idée qu’avec ces cornes, ça ferait un beau portrait à peindre. Il y avait un petit quelque chose de poétique qu’il aimait bien... du moins jusqu’à ce qu’il réalise ce que signifiait la réussite de son sort.

Son visage se para d’un voile de déception, chassant l’instant d’émerveillement qu’il avait eu en voyant le résultat. « J’imagine que ça veut donc dire que je me suis juste raté sur le premier sort... » fit-il d’un ton tout penaud. Il ne se targuait pas d’être le meilleur élève de sa classe – ce serait faux – mais il n’était pas le plus mauvais du lot, particulièrement en sortilèges et en défense contre les forces du mal. Les métamorphoses, c’était encore une autre histoire. Il avait échoué au premier essai, réduit à admettre qu’il était parfois trop ambitieux avec la magie et qu’il n’était encore qu’un enfant. C’était nul, comme constat. « Désolé. » Il eut un petit sourire contrit. « Mais les bois de cerfs te vont bien. »

design ϟ vocivus

Sans qu’il ne s’en explique bien la raison, la tristesse qui l’avait saisit soudainement refluait désormais doucement et Thomas se sentait prêt à tenter autre chose pour se changer les idées. Faute de pouvoir faire de la magie, en être l’objet lui plaisait pas mal ! C’était sa manière à lui de participer, en quelque sorte, et tant que ça ne faisait pas mal il trouvait amusant tous les effets des sorts, même quand ils étaient parfois un peu ridicules. Déjà avec ses cousins les plus âgés il avait pris plaisir à découvrir les effets de leurs sortilèges, soit en les regardant faire, soit en se portant volontaire pour expérimenter physiquement ce que ça pouvait donner – non sans quelques catastrophes d’ailleurs…

- « T’inquiète ! » répondit-il à l’adresse de Dmitri, en réponse à son clin d’œil. Il lui faisait plutôt confiance mine de rien, même si rien ne le prédisposait à cela, Thomas n’était pas vraiment du genre méfiant.

Le jeune homme pointa sa baguette sur lui pour la seconde fois et prononça une formule en latin que Thomas ne comprit pas, mais dont le trait de magie le toucha de plein fouet ce qui le fit instinctivement reculer d’un pas.

Puis il ne se passa… rien, tout d’abord. Une espèce de silence pesant où Thomas croisa les doigts pour que le sort ait réussi, moins pour lui que pour Dmitri qui serait certainement un peu gêné s’il échouait pour la seconde fois. Quoique cela signifierait peut-être que lui, Thomas, était bel et bien immunisé à la magie ce qui était à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle et ah non c’est bon !!

Avec l’étrange sensation que son crâne devenait le centre d’une excroissance, le jeune homme sentit sa peau tirer mais sans lui faire mal alors que soudain sa tête devenait de plus en plus lourde. Comprenant ce qui se passait au regard émerveillé de Dmitri juste au dessus de son front, Thomas porta sa main au sommet de son crâne où il découvrit ce qui devaient être deux cornes, ou plutôt des ramures de cerfs, à la manière qu’elles avaient de se diviser quand il lui suivait du bout des doigts.

Pris d’un réflexe idiot il chercha d’abord à pencher la tête en arrière pour voir les bois de ses propres yeux mais ceci n’eut pour effet que de les faire basculer aussi et lorsqu’il comprit qu’il allait être impossible de voir ce que ça donnait, le constat le fit rire. Les restes du sortilège précédent s’étaient évanouis.

Dmitri lui aussi paraissait pris de sentiments contradictoires et passé l’excitation d’avoir réussi son sort, il confessa ses conclusions sur le sortilège d’allégresse.

- « Tu sais pas. Tous les sorts ne fonctionnent pas pareil, non ? » demanda Thomas qui continuait de palper ses cornes avec un plaisir amusé. « Celui-là a l’air hyper réussi en tout cas ! »

Sin crâne avait certainement doublé de poids et dès qu’il le bougeait il prenait le risque que les bois imposants ne l’emportent dans leur élan mais cela n’empêcha pas Thomas d’agiter un peu la tête de droit à gauche, à l’image de ce qu’aurait pu faire un cerf, ou un chien qui s’ébroue.

- « Faut que je fasse gaffe sinon je vais te filer un mauvais coup. » dit-il en riant, visiblement ravis de sa métamorphose. « Tu crois qu’ils vont rester longtemps ? »

Il adressa un sourire au garçon quand celui-ci lui dit que ça lui allait plutôt bien. Thomas n’en doutait pas, les bois, c’est super impressionnant.

- « Ils sont grands comment ? Si je pouvais faire ça, j’en mettrai à tout le monde je pense. Ce serait marrant toute l’école avec des cornes sur la tête ! Genre ça devient une nouvelle mode ! »

La fable de l'aiglon et du louveteau
‟ Thomas & Dmitri „

La capacité de Thomas à accepter que quelqu’un de plus jeune et qui lui était inconnu quelques minutes plus tôt teste des sorts directement sur lui était assez surprenante : il avait une confiance qui frôlait presque l’inconscience. À moins qu’il ne considère Dmitri comme d’un incapable et qu’il se dise qu’il ne risquait pas de lui causer le moindre dégât, voire de réussir le moindre sort. Cette pensée toutefois, n’effleura qu’à peine son esprit et juste parce qu’il craignait d’avoir effectivement échoué à son premier sort. Le précédant essai avait été un peu trop ambitieux, il pouvait le reconnaître, là il avait pleinement confiance en lui : il connaissait le sort pour l’avoir déjà utilisé et puisque le cracmol était un cobaye relativement calme, il ne craignait pas de mauvaises réactions.

Tâchant de trouver en lui toute la certitude que nécessitait la magie – il avait toujours estimé qu’il suffisait en grande partie de se croire capable de choses pour y parvenir – il pointa sa baguette sur sa cible et lança son sort. Le temps qu’il fasse effet lui sembla presque interminable, assez pour que sa confiance s’amenuise peu à peu... pour revenir au grand galop lorsque les premiers centimètres de bois commencèrent se hisser sur le crâne de l’autre garçon. Le jeune tchèque passa de l’extase à la déception. L’amusement de son camarade eut néanmoins tôt fait de lui redonner le sourire, particulièrement lorsque celui-ci se mit à vaciller en secouant la tête, sous le poids des bois. « Ils sont lourds ? » C’était tout autant une question qu’un constat, en voyant le plus âgé se dandiner joyeusement pour jouer avec ses longues cornes. « On aura l’air malin, si on doit aller à l’infirmerie. Toi pour enlever tes bois, et moi embroché. » L’idée le fit rire. Cette pauvre infirmière avait dû voir Dmitri plusieurs fois chez lui, à la suite de bagarre ou de bêtises qui tournaient mal. Il prétendait le plus souvent avoir trébuché dans un escalier – ou toute autre excuse aussi peu probable – pour expliquer comment il avait pu se faire autant de bleus aux omoplates et sur les genoux. Mademoiselle Gray ne devrait guère être dupe : depuis ses excuses peu convaincantes le lendemain de sa bagarre avec Bradford, l’année dernière, elle devait savoir à quoi s’attendre avec lui. « Je ne sais pas trop... ça dépend un peu de l’efficacité du sort. Mais je crois savoir comment les retirer plus vite, si tu veux. » Il agita sa baguette vers le haut, l’air de dire : avec la magie, rien n’est impossible.

À nouveau, il laissa échapper un éclat de rire, charmé par l’idée d’une école remplie d’élèves arborant des bois de cerfs. « Ne me tente pas, j’ai déjà assez de problèmes comme ça avec la direction. » Pas sûr que Sørensen et son oncle apprécient autant l’expérience que le cracmol. « Ils sont... » Il plissa les yeux en essayant de déterminer une longueur, mais force était de constater qu’il aurait un peu de mal à lui donner un ordre de grandeur vraiment parlant. « Attends, je crois que j’ai une idée pour que tu les vois par toi-même ! » Baguette toujours en main, il abandonna son nouvel ami pour aller chercher un sceau, qui traînait non loin. Il devait sûrement servir à transporter de la nourriture pour des animaux, ou de la terre. Rien de bien important, et surtout pour l’instant, ce qui l’intéressait, c’était qu’il fût parfaitement vide. Le jeune sorcier revint auprès de son camarade en posant le récipient entre Thomas et lui, puis il pointa sa baguette vers le fond. « Aqua eructo ! » Habité par un regain de confiance et par cette joie assez simple de l’enfant qui commence à s’amuser, son sort fonctionna à merveille... un peu trop, en réalité. Un jet d’eau fusa de sa baguette, mais trop puissant pour qu’il parvienne à viser correctement le fond du sceau. Le liquide percuta le bord de ce dernier, à sa base, et fit l’effet d’un levier. Propulsé par la puissance de l’eau, l’objet s’éleva dans les airs, son ascension n’étant ralenti que par la tête du cracmol, qui avait vraisemblablement le malheur de s’être trop penché pour observer ce que faisait Dmitri. À moins que ce ne soit simplement parce que ce dernier était une catastrophe ambulante, trop dangereux pour qu’une personne saine d’esprit reste à proximité de lui. « Oh pardon ! » s’exclama-t-il en voulant s’approcher de lui pour voir s’il allait bien. Il fut rapidement ramené à la réalité par le constat que sa baguette n’avait pas daigné cracher de l’eau et que ce faisant, il les éclaboussait abondamment tous les deux. « Finite ! » Sa voix exprimait cette fois-ci une certaine colère, si bien que l’on pourrait croire qu’il engueulait sa baguette. Celle-ci, enfin, daigna lui obéir, l’eau cessant immédiatement d’en couler.

L’aiglon était trempé et penaud. « Je t’ai pas fait mal, j’espère ? » Il darda un regard inquiet sur la pauvre victime de ses accidents magiques. Pour une première rencontre, il pouvait difficilement faire plus percutant.

HRP : je me dédouane de toute responsabilité, c'est le dé qui a choisi qui se prenait la sauce Ange

design ϟ vocivus

Thomas secoua la tête.

- « Non, pas trop lourds. »

En fait, certainement qu’au bout de quelques heures à porter ça sur la tête il aurait un peu mal à la nuque, mais sur le moment le jeune homme n’y pensait même pas. Il voulait surtout éviter que Dmitri lui propose de les lui retirer.

Évoquant son possible embrochement, le garçon se mit à rire, et Thomas l’accompagna. Une scène assurément dramatique mais qui restant au simple stade de la plaisanterie, se révélait très amusante.

Ne pouvant s’empêcher de passer ses mains sur ces excroissances de corne qu’il ne pouvait évidemment pas voir, Thomas demanda combien de temps le sort durerait de l’avis de Dmitri. Lui n’était pas pressé de les voir disparaitre. S’il ne pouvait pas faire de magie, en faire l’objet était une sorte de lot de consolation.

Cette idée en amenant une autre, Thomas se dit qu’il était dommage d’être le seul à en profiter, ce à quoi Dmitri répondit cette fois qu’il ne voulait pas de soucis avec la direction. Le lycanthrope fronça les sourcils.

- « Pourquoi ? Tu crois qu’elle serait contre ? C’est juste une mode. »

Quoique dans son collège, on avait interdit les pantalons taille basse aussi, même si c’était la mode. Cornes de cerf et pantalon taille basse, même combat ? Pendant qu’il réfléchissait, son camarade revenait avec un seau qui servait à nettoyer les outils mais qui était vide. Thomas comprit tout de suite où l’aiglon voulait en venir. Lui-même s’était plus d’une fois amusé à troubler son propre reflet dans l’eau brunâtre quand, gagné par l’ennui et lassé de la monotonie des tâches agricoles, il cherchait un peu désespérément à s’occuper d’une manière ou d’une autre.

La tête toujours tanguant un peu sous son poids, il se rapprocha du seau vers lequel Dmitri avait déjà pointé sa baguette. La formule jaillit, l’eau également et Thomas se prit tout en plein visage, reculant par réflexe il manqua de tomber à la renverse, emporté par ses cornes.

- « Eh ! »

La catastrophe ne s’arrêta pourtant pas là alors que, croyant bien faire, Dmitri acheva de les éclabousser, cette fois tous les deux, de son sortilège qui n’en finissait pas de déverser comme un pommeau de douche un puissant jet d’eau claire.

Le sortilège cessa et après s’être essuyé les yeux, Thomas constat l’ampleur des dégâts. Dmitri dégoulinait littéralement et lui ne devait pas être dans un meilleur état. Comment un simple sortilège pouvait-il être aussi redoutable !

Thomas soupira.

- « Tu es. »

Il s’était rapproché du Serdaigle.

- « Une catastrophe. »

Se saisit du seau.

- « Ambulante. »

Et profitant qu’il faisait dix centimètres de plus, lui déversa le fond de flotte sur la tête.

Puis il éclata de rire.

- « Mais avec de l’entrainement tu pourrais devenir plombier ! »

Il se passa la main dans les cheveux, les mèches trempées lui tombaient devant les yeux, c’était agaçant.

- « Ou bien travailler pour une ONG. » ajouta-t-il plus sérieusement. « Dans mon collège on avait fait un spectacle pour aider des gens qui creusent des puits en Afrique. » expliqua-t-il, pensif. Le sortilège de Dmitri leur aurait été assurément bien utile. « Il faudra juste penser à prendre de la crème solaire si tu vas en Afrique ! »

Avec sa petite tête pâlichonne d'européen de l'Est, il allait cramer c'était sûr.

La fable de l'aiglon et du louveteau
‟ Thomas & Dmitri „

Rien dans le règlement n’interdisait effectivement de faire pousser des cornes sur les têtes de ses camarades, mais il devait bien y avoir une mention quelque part sur le fait d’expérimenter des sorts sur eux. Ce qu’il trouvait parfaitement idiot : puisqu’ils étaient dans une école de magie, c’était bien pour en faire, non ? Appleton avait voulu les brider, ça c’était mal passé pour elle... Tout de même, si l’idée était très tentante de créer une armée d’élèves dotés de cornes, il ne fallait pas être un géni pour se dire que quelqu’un aurait forcément des doléances à faire. « Je ne sais pas pourquoi le directeur pourrait être fâché, mais on n’a pas tout à fait le même humour alors... » Il haussa des épaules. « Mieux vaut considérer qu’il n’aimerait aucune initiative qui ne vient pas de lui. » Ou rien qui provienne de Dmitri, peut-être. Avec des antécédents comme les siens, il était sans doute légitime de s’attendre au pire venant de lui, mais tout de même, l’enfant trouvait ça un peu injuste. Pour un simple dessin – un peu moqueur, certes – il était désormais relégué au rang des élèves problématiques. À bien y réfléchir, Thomas avait au moins l’avantage de ne pas subir la pression des grades : il n’en avait tout simplement pas. Ni camarade avec qui partager le dortoir – la chance – ni badge infâmant à épingler sur son torse. En prime, il avait des cours et des devoirs en moins.

Loin d’exprimer la moindre jalousie mal placée, l’aiglon préféra s’attarda sur les bois qu’arborait désormais le cracmol. Le fruit de son travail, de sa magie. De quoi l’enorgueillir un peu et de fanfaronner gaiement tandis que son cobaye tentait de se faire une idée de ce qu’il avait désormais sur la tête. Pris d’une confiance nouvelle, il ne doutait plus désormais de ses capacités : il n’était pas nécessaire de s’appeler Merlin l’Enchanteur pour parvenir à remplir un seau d’eau qui pourrait renvoyer aux deux garçons leurs reflets. Enfin ça, c’était en théorie. Si dans son esprit, il s’était imaginé une exécution simple et réussie d’un enchantement assez basique, l’exécution se révéla plutôt catastrophique, arrosant les deux jeunes gens et manquant presque d’assommer le plus âgé. Le lycanthrope ne semblait pas souffrir de sa collision avec le récipient, mais il n’avait pas été épargné par le torrent d’eau. Un peu penaud, Dmitri ne fit même pas attention au fait qu’il se rapprochait de lui, désormais armé du seau égrainant une affirmation un peu vexante. Il ouvrit la bouche pour protester – il n’était pas si catastrophique en temps ordinaire ! Du moins pas involontairement – mais n’eut le temps que de pousser un « Eh ! » vaguement défensif lorsque le peu de liquide se déversa sur sa tête. Ça ne changeait clairement pas grand-chose, mais c’était quand même un peu humiliant. « Je ne suis pas une catastrophe ambulante. » Difficile de paraître crédible avec les vêtements et les cheveux dégoulinants d’eau. « C’est juste ma baguette qui... est parfois un peu capricieuse. »

Frustré, il ne suivit pas Thomas dans son éclat de rire, se contentant de presser un peu sa chemise pour l’égoutter. Puis il releva la tête, mue par une curiosité nouvelle. « C’est quoi, une... » Il hésita. « haut-haine-get ? » Il découpa les trois mots avec une hésitation palpable : il connaissait plusieurs objets créés par les moldus, comme les fusées et les armes à feu, ces sortes de baguette capable de tuer quelqu'un mais qui n'avait pas d'autre usage, mais cette chose dont il parlait, il n'en avait jamais entendu parler. De toute façon, il n’avait pas envie de creuser le moindre puit, encore moins en Afrique. Lui, ce qu’il voulait, c’était être peintre. Rien de très surprenant là-dedans, depuis qu’il avait commencé l’apprentissage de la peinture magique avec son aïeul, il se plaisait à s’imaginer perpétrer le nom des van Aken dans ce savoir ancestral. Et pourquoi pas révolutionner le genre ! Mais pour cela, encore fallait-il qu’il puisse enchaîner deux sorts sans l’arroser ou assommer son nouveau compagnon.

design ϟ vocivus

Voilà, au moins maintenant étaient-ils à égalité et ce n’était qu’un juste retour des choses ! Pour Thomas il n’y avait vraiment pas mort d’homme – et c’était certainement pour cela qu’il s’était permis de rendre la pareille à son camarade – mais ce-dernier lui sembla être plus sur la défensif, protestant d’une voix qui trahissait un fond d’indignation.
Thomas se sentit un peu bête, ayant vaguement l’impression d’être allé trop loin tout d’un coup et s’apprêtait à présenter ses excuses, à dire que son geste était déplacé et qu’il avait pensé que ce serait une bonne blague, quand rebondissant sur ses paroles Dmitri lui demanda la signification du mot ONG.

Le garçon mit quelques secondes à trouver la réponse.

- « Organisation… » il séchait sur les deux dernières lettres. « Heu, c’est genre une association pour aider les gens. »

Dans son collège, il en avait vu défiler un paquet avec des slogans qui se ressemblaient tous pas mal : « épargnez les baleines » pour Seasheperd et « épargnez les migrants » pour Amnesty International et « épargnez chez l’écureuil » pour la Caisse d’Épargne. Enfin bon il ne s’y était pas particulièrement intéressé mais les petits flyers qu’on leurs distribuait dans le préau étaient suffisamment explicites grâces aux images. On y voyait des gens de leurs âges ou un peu plus âgés, en train de réaliser des missions humanitaires pour aider des animaux ou des Africains.

- « Il n’y a pas ça à Poudlard ? Par exemple pour visiter un autre pays. Avec des pouvoirs de sorciers vous seriez super utile je dis. »

Il hocha la tête, sur de son fait. Si lui-même avait eu des pouvoirs, il les aurait probablement utilisé pour aider les gens, façon Mary Poppins, même si la référence était un peu démodée aujourd’hui.

Quelque part au loin, une brise se leva et le fit frissonner, rappelant qu'ils étaient tous deux trempés.

- « Bon viens on va réparer tes... » il n'ajouta aucun mot. Il n'avait pas envie de vexer encore plus Dmitri. « On va se sécher. »

Heureusement que Duncan entreposait de grandes serviettes dans son établi, pour les jours où ils devaient travailler près du lac de Poudlard, les pieds enfoncés jusqu'au dessus des genoux dans l'eau et pour Thomas, ça lui grimpait jusqu'à la ceinture.

Pas très agréable, il fallait bien le dire.

moon & howl

La fable de l'aiglon et du louveteau
‟ Thomas & Dmitri „

Lorsque cela touchait à sa compétence en matière de magie, Dmitri avait toujours été assez susceptible. Un reste des moqueries enfantines de ses frères, de ses fois où ils fanfaronnaient sur leurs pouvoirs alors que lui n’en avait toujours pas et – pire ! – lorsqu’il arriva à un âge où le reste de sa fratrie en avait déjà manifesté, mais que lui ne parvenait pas à soulever ne serait-ce qu’un cheveu par un vent de magie. Cette frustration passée résonnait dans sa voix alors qu’il protestait contre les propos de Thomas, vexé sans pour autant réellement en vouloir à l’autre garçon. C’était plus contre lui qu’il était énervé et contre sa baguette qui faisait des siennes.

Heureusement, les blagues du lycanthrope avaient le mérite d’attirer son attention sur autre chose. S’il pouvait facilement comprendre ce qu’était un plombier – les sorciers avaient bien des sorts pour réparer les plomberies de leurs sanitaires, les moldus devaient donc avoir l’équivalent non magique – l’autre nom lui était infiniment plus obscur. « Aaaah » fit-il en comprenant. « Si, si, on en a... enfin a des fondations, en Tchéquie. Ça a l’air d’être la même chose. » Ça n’était peut-être qu’une question de nom, après tout. L’aiglon ne s’était jamais considéré comme anglais, son éducation étant en grande partie le fait de sa mère et de sa grand-mère, toutes deux natales de Prague, il ne s’était jamais trop intéressé au fonctionnement de la Grande Bretagne sorcière. Du moins pas tant qu’on ne lui imposait pas.

Dmitri aurait volontiers proposé à son compagnon d’utiliser la magie pour les sécher tous deux, mais la crainte d’échouer à nouveau dans son sort et de créer un accident plus gros encore l’en empêcha, aussi se contenta-t-il d’hocher la tête. « Bonne idée, je te suis. » Il n’avait pas spécialement envie de devoir retourner jusqu’au château dans cet état, alors si Thomas avait une solution plus proche, il n’allait pas la bouder.

HRP : je pense qu'on peut archiver là ?

design ϟ vocivus

**Contenu sponsorisé** À SAVOIR DETAILS EN PLUS