Après-midi automnal

Quelques semaines se sont écoulées depuis la cérémonie de répartition, et je sens déjà l’agréable vent du changement souffler dans cette école. Depuis que Grand-Père est aux commandes, je parade dans les couloirs fier comme un paon, convaincu que le meilleur reste à venir. Bien sûr, dans un monde parfait, les sangs de bourbes qui peuplent encore cet établissement seraient aussitôt expédiés dans un train retour vers Londres, mais chaque chose en son temps. Et tandis que l’après-midi tire à sa fin, je quitte le cours de défense contre les forces du mal : l’idée de rejoindre Erin pour nous exercer un peu à l’art du duel me traverse l’esprit, mais elle semble avoir filé si vite que j’imagine sans mal qu’elle est allée traîner je-ne-sais-où avec Junior… J’envisage un instant de remonter dans mes quartiers pour écrire à Grand-Mère, mais la présence intempestive de mon camarade de dortoir m’en dissuade finalement. Alors, je laisse mes pas me guider nonchalamment vers l’extérieur, à l’heure où la luminosité baisse et où le ciel se teinte de rose. Un épais manteau en vison recouvrant mon uniforme, les cheveux tirés en arrière, je traverse la cour pour me rendre à l’orée de la forêt : j’y ai aperçu une couleuvre à collier dans le potager il y a quelques jours, au milieu des potirons, et j’ai pour espoir de récolter un peu de mue de serpent... Pour mon plus grand plaisir, je ne croise pas grand monde, si ce n’est quelques idiots sur le chemin de retour de Pré-au-Lard qui séchaient manifestement un cours, et la professeure de botanique qui range encore son matériel. Les feuilles craquent sous mes pas, et cette balade automnale n’est pas sans me rappeler celle que Bluebell et moi avions faite l’an dernier… Et tandis que je me surprends à y songer, je me recentre : la nostalgie est une émotion parasite.

Mais tandis que je poursuis mon chemin, contournant les serres, voilà que je tombe sur une gamine de ma maison, assise sur un bout d’étoffe dans l’herbe, comme si elle faisait l’aumône. Elle a le regard perdu vers les sommets qui s’élèvent au-dessus du lac, à travers les nuages… Arrivé à son niveau, je m’arrête, sourcils légèrement froncés. « Qu’est-ce que tu fais à même le sol… ? » demandé-je, avec une réelle perplexité. Je la dévisage sans pudeur, tandis qu’elle est installée sur son bout de couverture devant moi... Entre elle et nos nouveaux préfets, c’est à croire que les éléments de notre maison se prennent pour des saltimbanques cette année. Aussi, je finis par me demander si elle ne s’est pas établie là pour attirer l’attention, ou pour faire du trafic de fournitures… Je croise mes bras contre mon torse. « Tu n’es pas sans savoirrr que le trrroc et la mendicité ne sont pas autorrrisés, même dans le parrrc. » lui fis-je remarquer, avec un geste du menton en direction des statues de gargouilles. Elle a de la chance : Grand-Père commence à peine à mettre en place ses nouvelles mesures… D’ici quelques semaines, elle aura certainement intérêt à faire attention à ce qu’elle fait : l’indulgence n’aura plus sa place entre nos murs. Il faudrait commencer à cesser de confondre cet établissement de prestige avec un camp de sauvages, ou avec les bonnes œuvres… L’ère de laxisme qui s’est éternisée dans le périmètre de ce collège de sorcellerie est désormais révolue, même si tout le monde ne semble pas encore en avoir pris note. Mais puisque la brigade n’a pas encore été formée, je décide de ne pas laisser cette petite originale altérer ma bonne humeur. « Cependant, tu as de la chance, je suis dans de bonnes dispositions aujourrrd’hui. Voilà dix noises pourrr toi. » lancé-je en déposant sur sa nappe deux petites pièces aux allures rouillées, juste devant elle. C’est plutôt une manière de me débarrasser de la petite monnaie qui traîne dans ma poche depuis des semaines, il n’y a même pas de quoi s’acheter un chiffon à baguette avec ça, mais il faut croire que ce geste insignifiant est destiné à devenir une bonne action. Après tout, ces prolétaires n’ont guère la même vision des choses que nous autres, héritiers de sang noble… Je ne doute pas qu’elle saura s’en montrer reconnaissante ; après tout, il n’est pas dans nos habitudes d’accorder la moindre once d’intérêt aux jeunes sang-mêlés dans son genre.

Après-midi automnal

Les lèvres de la gamine s’étirent ; j’ignore ce qu’elle trouve amusant dans la situation, mais elle n’accepte pas mon modeste présent. Cela ne me dit pas davantage pourquoi elle reste sur cette fichue couverture, mais j’ai accepté l’idée que beaucoup de choses incongrues pouvaient me dépasser, au sein de cette société. De toute façon, si elle me ment, les statues le sauront tôt ou tard… et j’aurais tout le loisir de lutter contre toute forme de trafic plus tard. « Ah bon. » fis-je remarquer d’un ton dépourvu d’émotion. Sans me faire prier, je m’empare donc des quelques noises que j’ai déposées devant elle et les fourre dans la poche de ma robe. J’hésite à reprendre mon chemin comme si de rien n’était, sans m’intéresser davantage à cette petite nomade dont j’ignorais parfaitement l’existence jusqu’ici… Après tout, il reste bien un peu de temps avant le dîner, et je l’emploierais à bien meilleur escient en me mettant en quête d’une peau de serpent. Mais sa proposition me surprend… A nouveau, je la dévisage, me demandant si elle se moque de moi. On ne se connait pas, mais elle parle comme si elle savait parfaitement qui j’étais… Je ne doute pas que notre patronyme doit attirer l’attention, mais j’ignore comment elle a pu entendre ce que j’ai murmuré à l’oreille de Maxton lors de cette maudite soirée d’intégration. Peut-être est-elle pourvue de quelque don de légilimancie, mais cela m’étonnerait fort, pour une simple sang-mêlé. Je baisse les yeux dans sa direction, puis les relève, sceptique, vers le ciel… « Pourquoi veux-tu le rrregarrrder ? Il a lieu tous les soirrrs, celui-ci a quelque chose en parrrticulier ? » demandé-je en me tournant vers l’astre rougeoyant, dont la forme disparaît progressivement à travers les nuages. C’est un phénomène naturel qui a lieu tous les jours, aussi je ne suis pas sûr de bien saisir la visée exacte de cette observation céleste… Je n'ai pas entendu parler d'éclipse lunaire à venir. Décidément, ces enfants au sang à demi-souillé sont bien étranges. D’un geste de la main, je décline sa proposition : nous ne baignons pas dans la même eau. « En effet, je prrréfèrrre rrrester debout. C’est du velourrrs côtelé. » précisé-je en désignant le tissu de mon pantalon ; n’importe qui comprendrait que dans ces conditions, il est absolument exclu que je m’abaisse à le recouvrir d’échardes et de morceaux de feuilles mortes. Et puis, il est mauvais pour mon image ainsi que pour mon état mental de côtoyer trop longtemps des êtres impurs, quoi que dise Grand-Père sur notre intérêt stratégique à un éventuel rapprochement. Rien ne me contraint à demeurer là, à faire la conversation inutilement, et l’idée de savoir que je peux m’en aller quand je le souhaite m’est fort agréable. Ce n’est pas comme si je ne côtoyais pas suffisamment les éléments défectueux de notre maison… Pourtant, je reste. « Et donc, tu viens rrrégulièrrrement joncher à même la pelouse... ? » demandé-je, l'air suspicieux. N’y voyez aucun mépris, j’essaie surtout de comprendre. Je sais bien que ces sang-mêlés de classe inférieure ont de drôles de mœurs, qu’il est souvent difficile de décoder… Mais j’ai un peu de temps à tuer devant moi, donc pourquoi ne pas s’adonner à une petite leçon d’anthropologie. Je me demande si c’est une amie de Özdemir, mais si c’était le cas, cela expliquerait bien des choses.

Après-midi automnal

J’aurais pu poursuivre mon chemin sans m’arrêter, ignorer sa présence, comme je le fais très souvent lorsque je n’ai pas envie de croiser la route des individus peu recommandables que l’on trouve régulièrement dans cette école. Pourtant, me voilà en train d’interroger une gamine qui donnait l’air d’être impliquée dans une affaire de trafic ou je ne sais quoi… Mais sa réponse me stupéfait davantage : à croire qu’elle s’est postée là, au beau milieu du parc, pour une leçon d’astronomie en plein jour. « Et cela détend, de fixer le ciel sur une serrrviette de table sans aucun but ? » répété-je, toujours sans être certain de bien saisir. Plusieurs fois, je me retourne en direction du soleil couchant en me demandant ce qu’il peut bien avoir de captivant, mais je ne parviens pas vraiment à comprendre les intentions de cette jeune élève. Je me suis pourtant fait une raison le soir de cette fameuse soirée d’intégration… A l’exception de Maxton, il n’y a plus rien à sauver dans cette maison. C’est probablement pour relever le niveau déplorable de Gryffondor que le Choixpeau m’a fait envoyer au sein de leurs rangs, mais il est souvent difficile pour moi de me fondre dans cette masse… Et elle pense que cela peut me surprendre ? « Oui en effet. Cela me semble extrrrêmement étrrrange. Tu es la perrrsonne la plus bizarrrre qu’il m’ait été donné de voirrr aujourd’hui. » déclaré-je avec une certaine franchise, d’un ton placide. Nulle volonté d’être désobligeant, je n’ai rien contre cette demoiselle, mais son attitude est suffisamment déconcertante pour m’interpeler. Et pourtant, Merlin sait que j’en côtoie, des énergumènes. Je pourrais écrire un tome entier de mémoires relatant mes rencontres avec tous les ahuris que l’on trouve dans ce château, mais je crains d’y passer des jours et des jours.

Elle se présente sous le nom de "Azure", et ça ne me dit franchement rien. Cependant, au vu de ses us et coutumes, je conclus facilement qu’elle n’est pas issue de la haute société. Son éducation a probablement été faite par des gens douteux, même si, heureusement, elle doit compter au moins un parent sorcier dans sa famille pour compenser ses tares génétiques … « Finnbjörrrn Kaspærrr Sørrrensen. » Très honnêtement je préfère qu’elle reste à sa place et m’appelle "monsieur", mais les règles de courtoisie élémentaires me contraignent à décliner mon identité. Nous ne sommes ni amis ni proches de le devenir, et une distance minimale doit être respectée entre nous afin de me préserver de la présence nocive de ces êtres au sang douteux, c’est la règle. Elle n’est pas méchante, seulement mentalement dérangée… Mais on ne prend jamais suffisamment de précautions. Pour autant, je ne m’attendais pas à ce qu’elle me propose de sa nourriture de comptoir, j’ai du mal à camoufler mon profond scepticisme. Avec un geste de recul, je lève la main dans sa direction en signe de refus : « Oh non. Merrrci, mais non merrrci. » réponds-je aussitôt, avec un léger ricanement. Ce n’est pas pour paraître impoli, mais avouez que la situation est tout de même comique… « Nous autres nous ne mangeons pas de ce pain-là. » C’est la pure vérité ; ce serait une insulte aux œufs de cailles et aux tranches de truite fumée que d’accepter n’importe quoi de la part de n’importe qui. Qui sait où cela a bien pu traîner, avant de finir entre ses mains de sang-mêlé… Je préfère honnêtement ne pas le savoir, que Merlin me préserve de ces choses-là.

Et puisque je n’ai pas l’intention de faire la conversation toute la soirée ou de parler de la pluie et du beau temps, j’incline la tête dans sa direction… Elle semble jeune, avec des idées bien arrêtées et des convictions d’un autre temps. Je plante mes yeux dans les siens, et la dévisage avec insistance. « Maintenant, si tu me parrrlais de tes amis rrrévolutionnairrres ? » Je ne sais pas si elle peut m’apporter quoi que ce soit, ou si elle côtoie réellement Özdemir et sa petite bande de dégénérés… Mais après tout, je ne serais pas surpris d’apprendre qu’elle fait partie de ce réseau. Je ne les perçois pas réellement comme une menace, plutôt comme des fourmis que l’on pourrait écraser d’un bon coup de chaussure… mais afin que Grand-Père puisse mener ses opérations à bien, je vais faire en sorte de mettre le feu à la fourmilière avant que ces insectes ne polluent notre environnement.

Après-midi automnal

Déjà plus de quelques minutes que nous conversons, et je ne saisis toujours pas le but de fixer béatement l’horizon, à part peut-être celui de perdre un temps précieux. La jeune fille qui me fait face semble relativement sûre d’elle, convaincue que sa démarche a un sens, ce qui est probablement le propre du fou… Je le lui fais remarquer, et voilà qu’elle me renvoie la balle, ce qui n’est pas sans me surprendre. « Je ne vois sincèrrrement pas ce que tu peux me trrrouver de bizarrrre. » répliqué-je en haussant les épaules. Je fais l’effort de me comporter normalement avec elle, ignorant les frontières sociales qui existent pourtant bel et bien entre nous. De nous deux, c’est elle qui affirme rêvasser devant un crépuscule parfaitement anodin, pas moi. Je sais bien que ce n’est qu’une enfant, mais personne ne semble lui avoir inculquer le respect de ceux qui lui sont naturellement supérieurs, et je trouve cela profondément inquiétant pour notre société. Nous ne venons pas du même monde, elle et moi… Pourtant, je me montre courtois et parfaitement distingué tout en rappelant les différences génétiques qui nous opposent, et je regrette que Grand-Père ne puisse constater combien je nous fais honneur. Non, définitivement, si quelqu’un n’est pas normal ici, ce n’est pas moi : ce sont évidemment tous les autres.

Et puisque nous sommes là à évoquer des sujets sans importance, je trouve l’occasion parfaitement appropriée pour l’interroger sur ses fréquentations, très certainement douteuses. Je ne serais guère étonné d’apprendre qu’elle est impliquée dans tout un tas de machineries particulièrement suspicieuses, mais encore une fois, elle réfute… et se met soudainement à rire. Je reste à la regarder, un peu perplexe, attendant avec un léger agacement qu’elle ait terminé. Pendant que madame gausse à pleins poumons, je lève les yeux au ciel, me demandant si elle ne serait pas en train de nous faire une asphyxie au gaz hilarant… Ce qui impliquerait d’appeler l’infirmière, et je n’ai pas toute la soirée devant moi. « Je n’ai rrrien dit de drrrôle, ma question était trrrès sérrrieuse. » déclaré-je d’un ton sans émotion, avant d’ajouter un commentaire personnel sur la situation. « Je crrrains que tu ne sois tombée surrr la tête. » En tout cas, c’est mon diagnostic. Cela expliquerait pourquoi ses propos n’ont ni queue ni tête, et pourquoi son attitude est aussi étrange. Bien sûr, je pourrais attribuer ses fantaisies aux impuretés qui se sont mêlées à sa circulation sanguine puisque des études très sérieuses avancent que les sorciers avec un parent moldu ont plus de chances de souffrir de déficiences cérébrales. « Et j’ai aussi l’imprrression que tu te moques de ma diction. Est-ce le cas ? » demandé-je, un sourcil arqué. En six ans, j’ai déjà croisé quelques petits malins qui ont pris du plaisir à imiter notre accent nordique, réduisant nos efforts d’apprendre l’anglais à une sorte de plaisanterie. Personnellement, cela ne m’amuse pas : ces ignares n’ont probablement aucune idée de ce que notre famille représente, et il me tarde qu’ils rampent devant nous en nous implorant une fois qu’ils auront constaté leur malheureuse erreur.

Une fois qu’elle a fini de glousser, je reprends mes investigations, sans me laisser déconcentrer par cet air goguenard qu’elle affiche. Mes yeux rencontre les siens, et mon esprit tente une approche forcée : je m’attaque à la barrière mentale qu’elle a construit autour de ses pensées. J’essaie une percée, afin de m’emparer de quelques bonnes informations… Mais sans succès. J’interromps le processus, et reviens à la réalité. « Donc, tu ne connais perrrsonne qui aurrrait pu parrrticiper à ces petites opérrrations… vrrraiment perrrsonne ? » insisté-je, me rapprochant d’elle, suffisamment pour arriver à sa hauteur. « Tu sais, j’ai une bonne mémoirrre. Et je ne manquerrrais pas de me souvenirrr que tu as donné ta contrrribution, lorrrsque l’heurrre serrra venue de choisirrr les plus mérrritants… » Elle ne semble pas particulièrement encline à aller dans mon sens, mais je suis confiant : si elle refuse de me donner des informations, je les obtiendrais autrement. Je sens que le nom de Özdemir et de ses petits camarades aspirants terroristes sont certainement sur le point d’émerger, et je ne voudrais certainement pas manquer une aussi belle occasion de me rappeler à leur bon souvenir.

Après-midi automnal

Je fixe mon interlocutrice, à la fois dubitatif et las de son étrange attitude. J’ai l’impression qu’elle cherche à me provoquer, mais je ne saisis pas les sous-entendus à travers ses traits d’humour, si tant est qu’elle en fait usage. J’ai l’impression de m’être attardé déjà bien trop longtemps auprès de cette élève insignifiante, quand bien même ses intentions n’étaient pas aussi suspectes que j’ai pu le soupçonner. Tout au pire, elle est simplement bien atteinte… « Je n’ai rrrien de charrrmant. Tu te fourrrvoies. » répliqué-je d’un ton direct. Mon frère et ses grandes manières princières peut-être, mais en ce qui me concerne, je trouve ce qualificatif extrêmement peu approprié. Je ne suis pas agréable, et n’aspire pas à le devenir. J’aspire à la paix que nous méritons, ma communauté et moi-même, afin d’évoluer en tant que sorciers légitimes, ce qui n’implique pas de faire la politesse auprès des sangs-mêlés quelconques.

Je suis tenté de pénétrer à nouveau son esprit, mais renonce finalement : à quoi bon ? Cette gamine ne m’apportera sans doute rien de bien constructif. Une petite mise en garde fera l’affaire, et si je la recroise, je prendrais mes dispositions. « Bien. Je ne voudrrrais pas que l’on perrrturrrbe à nouveau le bon fonctionnement de cette école… » Maintenant que l’ère du laxisme est révolue… Jamais il ne m’a particulièrement tenu à coeur de garantir l’ordre de cet établissement de seconde zone ; lorsque les sangs de bourbes y pullulaient et y paradaient comme des rois, j’aurais volontiers laissé ces taches ingrates aux larbins qui servent de préfets. Mais maintenant que Grand-Père occupe le poste de directeur, j’estime qu’il est de mon devoir de le seconder… Elle prétexte ne rien à voir avec ces gens, mais je demeure sceptique. À la croire, elle ne serait là que pour étudier… « C’est une bonne mentalité. » réponds-je simplement en la toisant, avant de désigner le petit badge en argent épinglé sur ma poitrine. « Mais si tu disposes d’un rrrenseignement qui peut nous êtrrre utile, alorrrs… n’oublie pas que tu es là pourrr étudier, et seulement pourrr étudier. » C’est déjà un grand privilège, pour une petite sang-mêlé. Elle nous est inférieure, mais nous sommes magnanimes au point d’accepter qu’elle puisse cohabiter avec nous… du moins, tant qu’elle ne nous donne pas de raison de la prendre en grippe. Au vu de la politique scolaire qu’a décidé d’adopter Grand-Père, elle ferait certainement mieux de se tenir à carreaux dans les prochains mois, et, pourquoi pas, nous fournir quelques bonnes informations. Après tout, plus les corbeaux ont d’yeux, plus ils parviennent à anticiper la moindre inconvenance…

Sa question me surprend… Mais puisque nous sommes là, et que je ne vois guère d’intérêt à dissimuler la vérité, j’expose mes intentions sans filtre : « Je cherrrche de la mue de serrrpent. Elle entrrre dans la composition de ma gomme pourrr les cheveux. » lancé-je naturellement, en désignant l’orée de la forêt, passant une main sur mon crâne, soulignant les reflets brillants de ma chevelure bien peignée. Cependant, je crois bien que je ferais mieux d’y renoncer pour ce soir : l’heure du dîner approche, et je n’aurais certainement guère le temps de fouiller les hautes herbes.

Après-midi automnal

J’ai bien conscience de ne pas toujours saisir l’essence des mots au sein de mes interactions sociales. Le second degré m’échappe un peu, le sarcasme également, même si je suis habitué aux piques de ma soeur. Aussi, je ne sous-estime pas la possibilité selon laquelle mon interlocutrice pourrait se jouer de moi… Après tout, cela me paraîtrait plus cohérent que ces histoires de pique-nique en observant le soleil couchant. Elle a de si curieux comportements que je ne peux m’empêcher de l’observer comme un animal curieux… Je côtoie tant les gens de ma caste que lorsqu’il arrive que je rencontre les autres élèves de cette école, j’ai l’impression de faire face à une autre civilisation, au tempérament sauvage et imprévisible.

Elle semble s’étouffer avec son pain, si bien que je me demande si je suis censé appeler quelqu’un, ou si au contraire il ne faudrait pas que je ne prenne le large. S’il y a un incident et qu’elle se retrouve asphyxiée par inadvertance, je ne souhaite pas être associé à cela… Mais elle semble retrouver sa respiration, et je m’aperçois qu’elle riait simplement de ma réponse. Je hausse un sourcil interrogateur dans sa direction… « Pas des serrrpents, seulement leurrr mue. Je ne vois pas ce qui constitue un prrroblème là-dedans. » La plupart des ingrédients des potions sont des matières visqueuses souvent d’origine animales, et en ce qui concerne mon cuir chevelu, j’ai souhaité me tourner vers une concoction d’excellente composition. Après tout, les gens de mon rang ne se montrent pas en société sans avoir soigné leur apparence avec méticulosité, et j’aime comment la peau écailleuse des reptiles peut se mélanger à la bave de crapaud pour me donner un air bien apprêté. Je ne m’attendais pas à ce que cette information la trouble autant, et je dois dire que son étonnement exagéré me rend quelque peu perplexe… Allons donc, on ne peut même plus s’accorder de soins capillaires dignes de ce nom sans recevoir les jugements de la basse populace. Maintenant, elle est en train de me conseiller l’usage de plantes… je cligne plusieurs fois des yeux, me demandant si elle est réellement en train de remettre en cause nos recettes maison. « Non, et s’il se trrrouvait que tu puisses fourrrnirrr de meilleurrrs conseils capillaires que ma grrrand-mèrrre, qui se trrrouve êtrrre une éminente potionniste et experrrte en herrrbologie, je n’hésiterrrais surrrtout pas à te le fairrre savoirrr. » me contenté-je de répondre en appuyant bien sur chacun de mes mots. Décidément, ces sang-mêlés sont de bien curieux êtres difficiles à appréhender. Je sais bien que leur connaissance du monde est limitée, et qu’ils ne comprennent pas la moitié du temps à qui ils s’adressent…

J’ai beau me fouiller les méninges en me demandant ce que je pourrais bien faire d’elle, je ne vois pas vraiment ce que je pourrais en tirer. Elle n’est ni particulièrement coopérative, ni particulièrement hostile… Sa personnalité atypique me laisse de marbre, il est difficile de savoir comment se comporter avec les originaux. Aussi, je me redresse, étirant ma colonne vertébrale dans un craquement sonore, bien décidé à aller jeter un oeil à l’orée de la forêt. « Bien, je ne voudrrrais pas trrroubler davantage ta contemplation. Puisses-tu trouver dans ce ciel d’automne les réponses que tu cherches. » Je doute très sincèrement que ce soit possible et que l’horizon lui apporte quoi que ce soit : après tout, si fixer longuement la couleur diffusée par la lumière de l’atmosphère terrestre avait pu permettre de résoudre les mystères de ce monde, je pense que cela serait de notoriété publique. Je lui adresse un regard inexpressif, que je détourne finalement en direction de la cime des arbres qui se dessine au loin, et oriente mes pas sur cette voie. Je ne sais trop que penser de notre étrange échange… Les personnes comme elle demeureront certainement pour moi à jamais incompréhensibles, mais il n’est pas impossible que nous ayons à nous recroiser, à l’avenir.

HJ: