I's just crazy to see you

Les après-midis à Pré-au-Lard étaient toujours un moment privilégié. Or, Hayden avait décidé de ne pas se contenter de s’arrêter chez Derviche & Bang pour faire un brin de causette au vendeur ou repartir avec des pièces détachées qui donnaient toujours l’air d’être bonne pour la casse ; il avait rejoint les toilettes des filles, et après s’être assuré que personne ne venait, il s’était transformé. En plein jour, c’était risqué de se pavaner sous l’apparence de Haley… Mais au vu du tempérament studieux de cette dernière, il ne risquait pas de la croiser de toute façon ; il se méfiait plutôt de Rosalie, qui serait certainement à rôder avec ses copines dans les environs de Honeydukes. Après s’être montré remarquablement discret, dans ces vêtements pourtant bien masculins qu’il portait alors, il se faufila dans les escaliers, et passa la porte seulement après s’être assuré que personne ne venait. Seulement trois minutes s’étaient écoulées, et il se félicita mentalement pour avoir opté pour une chemise ample… Le haut corps de Haley semblait étouffer, souffrant d’une poitrine développée, tandis que ses jambes flottaient littéralement dans son pantalon. Accélérant d’un pas nerveux, il contourna les premières boutiques, veillant à n’adresser aucun regard aux autres élèves ; le moment était bien trop mal choisi pour attirer les soupçons. Il arpenta une ruelle, tourna au niveau de la poste, le regard rivé vers le sol encore humide des pluies des derniers jours, et actionna la vieille poignée de la porte de Gaichiffon, qui grinça bruyamment avant de le laisser passer. Il laissa échapper un soupir de soulagement, rassuré de ne pas avoir attiré les soupçons… et jeta un regard émerveillé aux dernières nouveautés, portées parr les mannequins de vitrine ou les bustes d’exposition. « Bonjour » lança-t-il d’une voix féminine qui lui sonnait toujours étrangère, malgré tout ce temps à imiter l’apparence d’une autre. La vendeuse, manifestement occupée, lui adressa un sourire tandis qu’elle débarrassait la vitrine et rangeait quelques articles. Il traversa alors la boutique avec cette démarche mal assurée, ses yeux s’égarant parfois sur une pièce ou une autre; il y avait ce blouson en jean brodé qu’il mourrait d’envie de faire essayer à ce corps qu’il se plaisait à emprunter - même si dérober serait le terme le plus adéquat - ou ce serre-tête à pois dans un style un peu rétro. Saisissant quelques cintres, il embarqua ses trouvailles en cabine, contemplant son butin comme un heureux voleur. Ces virées en magasin étaient toujours un petit plaisir coupable qu’il se plaisait à savourer, et il avait bien l’intention d’en profiter ; ce fut ainsi qu’il passa près d’une demi-heure à essayer une tenue, puis une autre, et encore une…

La petite clochette de la porte d’entrée tinta, signalant l’arrivée d’un nouveau client. Occupé à ses essayages, Hayden n’y prêta pas attention ; fasciné par la longue chevelure blonde inhabituelle qu’il arborait alors, et à la tenue qu’il portait sur ce corps emprunté. Un flux de sentiments contradictoires créa en lui une sorte de réaction chimique étonnante ; ce mal-être adolescent qui le dévorait souvent, au quotidien, semblait tout à coup s’être évaporé… C’était l’effet que lui prodiguaient souvent ses métamorphoses : comme un courant électrique qui lui rendait toute son assurance, toute son estime de lui-même. Il se plaisait à incarner Haley. Il ne savait rien d’elle hormis ce que Rosalie pouvait bien en raconter à table, et pourtant… C’était comme si elle faisait partie de lui, désormais. « Tiens, mademoiselle… je vous croyais partie en cabine ! C’est la fin de journée, la fatigue se fait déjà sentir. » lança la vendeuse dans le fond du magasin. Hayden ne réagit pas tout de suite, ne se préoccupant pas de cette mystérieuse interlocutrice inconnue qui venait de pénétrer les lieux. Tandis qu’il déboutonnait précautionneusement les boutons du corset de la blouse fleurie pour pouvoir essayer la veste rayée, il se figea soudainement en entendant les bruits de pas à quelques mètres, à travers le rideau. Quelqu’un déambulait près des rayons, tout près, et seul une étoffe de tissu les séparait. Quelqu’un que la vendeuse avait cru voir un peu plus tôt. Quelqu’un qu’elle avait potentiellement confondu avec lui. Avec elle. Et là, il réalisa soudainement : celle qui venait d’entrer dans le magasin, se pouvait-il que… ?

Sans réfléchir une seconde, la métamorphose opéra : les traits féminins que son visage avait pris se déformaient, et la longue chevelure blonde se rétrécit tout à coup. Un craquement sonore se fit entendre dans sa colonne vertébrale tandis que ses muscles s’étiraient, lui arrachant une grimace. Ce n’était pas spécialement douloureux, mais c’était une sensation à laquelle on ne s’habituait jamais. Il se vit dans le miroir, monstre androgyne en pleine transformation, coincé dans une enveloppe charnelle à la fois masculine et féminine, piégé par ses envies secrètes et sa recherche d’identité. Puis sa poitrine apparente finit par se résorber, ses épaules s’élargirent, et il retrouva son visage habituel ; celui de Hayden. La boule au ventre, il peina à ôter cette blouse fleurie qui était devenue trop étroite pour ce corps-là… Et une fois parvenu à ses fins, il se rhabilla en hâte, manquant de paniquer pendant qu’il cherchait une de ses chaussettes égarées. Puis, il tira le rideau, replaça les cintres sur le premier présentoir qu’il rencontra, et traversa quelques mètres. Sortir, vite. Mais sans savoir comment, il se retrouva planté face à elle. Elle qui se trouvait être son reflet dans le miroir, quelques secondes plus tôt. Haley, la vraie. Entrouvrant et fermant la bouche comme un écolier timide, Hayden ne sut comment réagir ; ils avaient beau être dans la même classe, il s’était toujours débrouiller pour l’éviter le plus soigneusement du monde… Et elle était là, devant lui, avec ces mêmes cheveux blonds bouclés qu’il aimait coiffer dans les bals, avec ces mêmes yeux qu’il empruntait sans qu’elle n’en sache jamais rien. « Salut… » lâcha-t-il finalement, avec une sorte de sourire gêné. S’il avait bêtement espéré que ce moment de solitude ressenti en cours de potions lorsqu’il avait eu un fou rire nerveux devant toute la classe était le pire moment de sa semaine, il était finalement bien loin du compte… Cette situation-ci la surpassait largement.

— Il était rare qu’Haley se rende à Pré-au-Lard toute seule. Rare voire inédit ! D’ordinaire, il y venait accompagnée d’Artemis et Rosa, et encore, ce n’était pas toujours de bonne grâce et encore moins une habitude. Le week-end était l’occasion rêvée pour prendre de l’avance sur son travail et préparer les cours de la semaine à venir. Mais aujourd’hui était un jour particulier. Non pas qu’il y avait un évènement particulier, mais parce qu’elle s’était sentie pousser des ailes : au diable le travail aujourd’hui, une petite excentricité ne lui ferait pas de mal, pour une fois ! En réalité, le cours de potions pour le moins atypique qu’ils avaient eu dans la semaine lui avait laissé un goût amer dans la bouche. Danser. Ou dansait-on si ce n’était dans des bals ? Elle n’était pourtant pas une si mauvaise danseuse que ça ; lorsqu’elle était jeune fille, elle s’amusait parfois avec son père à danser comme une princesse.

Une fois n’était pas coutume, elle se rendait donc dans le petit village voisin de Poudlard, délaissant une Rosalie particulièrement occupée par ses déclarations scandalisées à l’encontre de l’interdiction de magie. Le genre de choses auxquelles la poufsouffle ne se prêtait guère ; non pas qu’elle soutenait la directrice sur ce point, bien au contraire, mais parce qu’elle avait bien d’autres choses en tête. Et ses parents avaient assez insistés pour qu’elle se tienne à l’écart de ces histoires d’anonymes indignés...

L’adolescente poussa la porte de Gaichiffon, faisant tinter la petite cloche stridente. À part une employée, il n’y avait personne dans la pièce principale de la boutique, ce qui était pour le mieux. Elle détestait par-dessus tout devoir jouer des coudes pour atteindre le rayon de ses désirs, ou pire, voire que quelqu’un convoitait déjà le vêtement qui avait attiré son attention. Les foules piétinantes étaient aussi désagréables à l’intérieur des magasins qu’elles l’étaient dans les rues du village. Polie, elle adressa un sourire à la vendeuse, s’apprêtant à la gratifier d’une salutation. Mais celle-ci la devança, l’air passablement étonné. « Tiens, mademoiselle… je vous croyais partie en cabine ! C’est la fin de journée, la fatigue se fait déjà sentir. » Haley haussa légèrement un sourcil inquisiteur, soulignant une petite pointe de curiosité anodine ; cette pauvre femme devait en voir du monde pour être aussi tête en l’air et inattentive. Mais qu’importe, ça n’avait guère d’intérêt. L’employée était à nouveau affairée et ne lui prêtait plus d’attention.

La poufsouffle alla se perdre entre les rangées de vêtements, lorgnant sur quelques robes qui ne lui serviraient sûrement jamais... mais qu’elle mourrait d’envie d’essayer. Elle avait ce désir de féérie profondément ancrée en elle, comme une tentation à abandonner un peu ses ouvrages scolaires pour participer un peu plus à la vie des adolescents. Se saisissant de deux robes qui attiraient son regard, elle prit la direction des cabines, là où elle aurait dû se trouver selon les dires de la pauvre vendeuse. Elle n’y était bien entendu pas, ni elle ni même un vague sosie. En revanche, elle se retrouva nez à nez avec Hayden Lynch, un garçon de sa classe qu’elle ne fréquentait pas particulièrement, si ce n’était pas du tout, mais qu’elle connaissait de par ce que lui en disait Rosa. Son demi-frère et elle n’étaient pas en très bon terme, aussi Haley voyait en la personne du serdaigle un adolescent un peu benêt et au comportement étrange. Elle n’avait d’ailleurs jamais compris pourquoi le choixpeau magique l’avait envoyé dans la maison des érudits ; pour ce qu’elle en savait, il n’avait par particulièrement l’étoffe d’un aiglon. « Bonjour. » lui répondit-elle sobrement, mais d’un ton un peu pincé qui laissait entrevoir l’inconfort de la situation. Un silence gêné s’installa quelques secondes entre eux, l’un comme l’autre ne sachant comment réagir.

À présent qu’elle était en face de lui, en tête à tête, elle réalisait qu’en dehors de quelques banales politesses échangées en cours, elle ne lui avait jamais réellement parlé. En plus de trois ans, elle ne lui avait pas adressé la parole plus que de raison. D’une nature réservée, elle ne prêtait pas beaucoup d’intérêt aux mondanités, mais ça ne l’avait pourtant pas empêchée de converser avec d’autres camarades qu’elle ne fréquentait pourtant pas énormément. Mais lui... eh bien, il était le demi-frère de Rosa. Et pas un demi-frère très apprécié de la gryffondor, qui plus est. Et puis, lui-même ne s’était jamais vraiment montré très avenant à son égard : était-ce dû à une timidité maladive du garçon, ou elle qui le faisait fuir pour une raison qui lui échappait ? Naturellement anxieuse, la seconde solution lui apparaissait comme la plus probable, et sûrement aussi la plus gênante. Non qu’elle ait particulièrement envie de s’en faire un ami, mais tout simplement qu’elle n’appréciait pas l’idée d’être l’étrange fille un peu trop coincée qu’il valait mieux éviter.

Cette perspective en tête, elle hésita entre le contourner et aller se réfugier dans une cabine d’essayage ou... « Qu’est-ce qu’il y a ? Tu as vu un fantôme, ou tu te contentes juste de me reluquer bêtement ? » Ou se montrer provocante. Bravo, rien de mieux pour sociabiliser un peu en dehors de son cercle amical habituel que d’être méchante sans véritable raison. En réalité, être surprise dans cette boutique alors qu'elle s'apprêtait à essayer deux robes vraisemblablement prévues pour un bal la mettait particulièrement mal à l’aise. On ne la voyait jamais aux quelques réceptions annuelles de l’école et elle s’était, une fois de plus, dérobée à la dernière minute lors du bal de Noël. Elle se souvenait encore de cette frustration mêlée de colère que lui renvoyait le miroir de la salle de bain alors qu’elle ôtait la robe avant de se réfugier dans son lit avec un livre. Qu’allait-on penser d’elle si Hayden répétait l’avoir vue ici : la petite intello coincée rêve sa vie de princesse seule dans son coin ? Sûrement.

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Il n'avait pas envisagé ce cas de figure, pas dans l'immédiat tout du moins. La vraie Haley était l'objet de toute son admiration, tout comme elle était source de menace : si elle découvrait tout, alors son manège prendrait aussitôt fin, et il ne devrait se satisfaire que de son seul corps. Il étudia chacun de ses traits parfaitement réguliers, observa le moindre remuement de lèvres, le moindre mouvement, même imperceptible, sur ce visage gracieux qu'il connaissait pourtant déjà bien. Le regard qu'elle lui jetait semblait teinté d'indifférence, comme si elle ne le jugeait certainement pas suffisamment intéressant pour susciter son attention. Bien loin de lui en tenir rigueur, il se mit à réfléchir à toute vitesse, cherchant quoi dire, s'efforçant de faire disparaître cette nervosité qui animait ses gestes, qui le rendait probablement étrange aux yeux de la vraie Haley. Super... Voilà que maintenant, elle le prenait pour le roi des pervers : de mieux en mieux ! Il secoua aussitôt la tête, et fuit aussitôt ses yeux accusateurs, par volonté de la détromper. Non, elle ne comprenait pas... Mais avait-il réellement envie qu'elle le puisse ? « Quoi ? Non, pas du tout, j’étais pas en train de te regarder. C’est toi qui me regardes, là ! » répondit-il un peu sur la défensive, sentant ses muscles se contracter légèrement. Quel idiot... Il n'avait aucune idée de la manière dont il devait s'adresser à elle, parce qu'il avait tout fait pour que ce moment n'arrive jamais. En quatre ans, il s'était toujours débrouillé pour que son chemin ne croise jamais le sien, pour éviter de se retrouver placé à côté d'elle en classe, pour n'avoir à partager aucun devoir commun avec elle. Il avait largement préféré la perspective de pouvoir se tenir loin d'elle, et de l'admirer secrètement, sans qu'elle n'ait à s'intéresser à lui, comme s'il lui suffisait simplement d'exister, d'incarner ce prodige naturel qu'il se plaisait à contempler. Mais pour autant, il éprouvait vis à vis d'elle une certaine pudeur, comme s'il était trop difficile à supporter qu'elle puisse un jour franchir les limites qui existaient entre eux d'ordinaire, et ne découvre la vérité, toute la vérité... Il lui était secrètement reconnaissant de lui permettre - même sans qu'elle ne le sache - de revêtir son identité, le temps d'une soirée ou deux, le temps d'une danse, le temps de l'essayage d'une blouse rayée ou fleurie ; mais pour ces mêmes raisons, il se devait de la garder dans l'ignorance, et de conserver sa double vie recouverte d'un voile opaque, afin que jamais elle n'ait connaissance de son don.

Il aurait du partir, il le savait. Il aurait pu l'ignorer superbement, se faufiler dans un rayon, traverser l'entrée d'un pas sûr, et quitter la boutique aussi rapidement qu'il y était entré, l'abandonnant là avec ses questionnements. Il n'avait pas de compte à lui rendre, et jusqu'ici, il avait de bonnes raisons d'imaginer qu'elle ignorait encore tout de ses transformations... Mais pourtant, il ne bougea pas. Il se tint là, devant elle, comme paralysé, soutenant son regard, au beau milieu du magasin de vêtements, tandis que la vendeuse allait et venait pour reposer quelques articles sur les cintres. Il entrouvrit légèrement la bouche, légèrement perturbé par ce visage qu'il arborait parfois, qu'il maquillait les soirs de bal, dont il coiffait la longue chevelure comme si elle lui appartenait... Mais la curiosité que suscitait chez lui la véritable Haley était trop forte ; après tout, elle exerçait une certaine fascination sur lui, mais il ne la connaissait que par ce corps qu'il lui empruntait à son insu. Au fond de lui, il était réellement intéressé par elle, si bien l'idée de percer les mystères de sa personnalité était plutôt séduisante... Et l'occasion ne se représenterait probablement pas si de sitôt. « T’es une copine à Rosalie, non ? » Ce fut tout ce qu'il fut capable de lui demander, comme si tout le reste était trop personnel pour qu'il ose ne serait-ce que lui poser une question. Évidemment qu'elle l'était, il le savait déjà pour l'avoir déjà bien suffisamment observée. Dès lors que ses yeux s'étaient posés sur sa camarade en première année, assise en fond de classe et certainement trop concentrée sur son devoir pour se rendre compte qu'il existait, ça avait agi comme un électrochoc sur lui ; depuis, il s'était montré parfaitement incapable de réellement détacher ses yeux d'elle, de laisser son esprit s'éloigner un peu trop de cette image quasiment parfaite et immaculée qu'il avait d'elle. Tant qu'il se demandait parfois s'il ne l'avait pas un peu trop fantasmée, si à force il n'avait pas fini par altérer ce reflet d'elle, ce modèle presque inatteignable auquel nul ne pouvait prétendre. Et malgré tout... Il l'avait copiée. Il s'était senti renaître, dans ce corps qui n'était pas le sien, il s'était senti vivant une seconde fois, jouissant de l'apparence idéale de cette fille envoûtante ! Il parvenait à vaincre cette timidité paralysante, à franchir des murs, à s'échapper de lui-même. Et maintenant, au beau milieu d'une boutique de fringues de Pré-au-Lard, il lui était confronté, et s'apprêtait à faire ce qu'il craignait le plus : la découvrir.

— La situation était d’un banal sans nom. Il n’y avait rien d’extraordinaire ou de féérique à croiser un camarade de classe à l’intérieur d’une boutique réputée du village avoisinant l’école. Tout aurait pu s’arrêter à une simple salutation, tout au plus quelques politesses échangées avec une légère gêne. Haley aurait pu se ruer dans une cabine d’essayage et oublier cette histoire aussi vite que leur entrevue avait duré. Mais elle en fut incapable, paralysée qu’elle était par cet étrange mélange de sentiment : cette curiosité d’une part, et l’impression de louper quelque chose d’autre part. Comment pouvait-elle prétendre enfiler un jour l’une des robes accrochées aux ceintres qu’elle tenait et se présenter à un bal si elle n’était pas même capable d’échanger quelques mots avec l’un de ses camarades ? Il n’était pas un élève d’une autre classe qu’elle ne voyait jamais, qu’elle n’était pas amenée à fréquenter, mais bien un garçon de sa classe, arrivée dans l’école en même temps qu’elle. Ils allaient être diplômés en même temps... enfin peut-être pas d’ailleurs. Du peu qu’elle en savait de lui, il n’était pas le meilleur de sa classe et elle ne serait pas tout à faire surprise qu’il redouble sa quatrième année. Ou plus probablement, qu’il rate ses BUSES l’année prochaine, mais qu’importe. Le fait était qu’elle rêvait d’un peu plus de mondanités sans même avoir daigné adresser la parole à certaines de ces personnes qui côtoyaient les mêmes salles de classes qu’elle. C’était tout bonnement absurde.

La poufsouffle cligna un peu bêtement des yeux, surprise qu’il lui retourne son accusation de la sorte. Pourquoi le regarderait-elle ? Il ne l’intéressait pas, il n’était après tout que le demi-frère de Rosalie... ou peut-être que si en réalité. Peut-être qu’elle était un tantinet curieuse à son égard, car au fond, elle ne connaissait de lui que ce qu’en avait dit sa meilleure amie. Ils étaient pourtant dans la même classe depuis plus de trois ans, mais n’avaient jamais réellement conversés ensemble. Il était si fuyant avec elle qu’elle ne pouvait que trouver son comportement étrangement intéressant, un mystère à résoudre, à l’image des cours les plus obscurs qui résistaient à son esprit logique et qui en devenaient donc d’autant plus intéressants qu’ils revêtaient le caractère du défi. « Mais non ! C’est absurde, pourquoi je te regarderais ? » riposta-t-elle toutefois, vexée d’avoir ainsi l’illusion de devoir justifier sa présence ici. Elle avait tout autant le droit que lui de venir essayer des vêtements, alors pourquoi se sentait-elle comme prise en faute ? Elle ne commettait aucune bêtise, et pourtant, elle ressentait une forme de culpabilité qui puisait sa source dans deux raisons diamétralement opposées. La première était bien entendue celle d’avoir délaissé l’espace de quelques heures ses devoirs pour se pavaner dans une boutique de vêtement en rêvant de robes de princesse et sûrement du bal qui allait avec. La seconde était beaucoup plus prosaïque : Hayden était le demi-frère insupportable de sa meilleure amie, celui que cette dernière critiquait abondamment. Discuter avec lui, sans même envisager l’idée d’aller jusqu’à sympathiser, lui donnait l’impression de trahir Rosalie. Elle se rendait sans elle à Pré-au-Lard et, comble de la traitrise, conversait avec l’ennemi ! Enfin, converser était sûrement un bien grand mot, mais la substance de son délit était la même.

Comme s’il lisait dans ses pensées – était-ce pour ça qu’il la regardait avec insistance quelques secondes plus tôt ? – il la questionna sur ses liens avec celle qui était la demi-sœur de l’un et la meilleure amie de l’autre. Pourquoi cette question ? Était-ce parce qu’elles étaient amies qu’il semblait l’éviter ? Pour avoir eu le droit à d’innombrables plaintes de la gryffondor à l’encontre de l’étrange garçon, elle savait que les deux adolescents ne s’appréciaient pas le moins du monde, peut-être haïssait-il la jeune fille avec tant de force que cette aversion rejaillissait sur Haley. « Oui... » répondit-il d’une voix légèrement hésitante, presque comme si elle craignait de voir ladite Rosalie surgir de derrière un rideau d’une cabine d’essayage pour lui reprocher de discuter avec le serdaigle. C’était idiot, jamais elle ne lui avait demandé de ne pas lui adresser la parole. Il avait toujours été tellement distant, tellement... inexistant, dans sa vie qu’elle n’avait pas pu imaginer avoir un tête-à-tête avec lui. « Et toi, tu es son demi-frère, c’est ça ? Rosa m’a parlé de toi. » En mal. Il aurait été particulièrement impoli, et tout aussi gênant, de le préciser. À cette pensée, ses joues se colorèrent légèrement d’une teinte rougeoyante, trahissant l’embarras qui l’habitait. Elle détourna le regard de lui quelques instants, espérant masquer l’expression visuelle de sentiments qui ne le regardaient nullement. Ses yeux se posèrent sur les mains du garçon, vides. Elle fronça subrepticement les sourcils, avant d’accorder à nouveau son attention au serdaigle. Elle n’était pas une fille très sociable et ne savait absolument pas comment aborder les gens qu’elle ne connaissait pas bien ; il n’était pas un total inconnu à qui elle pouvait demander quelques banalités pour briser la glace, et en même temps, elle n’était pas assez proche de lui pour discuter de choses et d’autres en sa compagnie. Tout ce qu’elle savait d’Hayden lui avait été raconté par une autre personne, en réalité, elle n’était pas censée savoir certaines choses de lui, comme le fait qu’il passait un temps interminable dans la salle de bain, et pourtant elle le savait. Elle s’était même moquée de lui dans les courriers qu’elle envoyait à Rosa durant l’été de l’arrivée du garçon chez elle. Il y avait en revanche une chose qu’elle ne savait pas de lui, ou pour être plus exact, qu’elle ne comprenait pas. « C’est parce que je suis amie avec elle que tu m’évites ? » La question avait fusée, passant la frontière de ses lèvres sans qu’elle ne puisse réellement expliquer pourquoi elle n’avait su se retenir de la poser ainsi.

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Honnêtement, quelles étaient les chances ? Que leurs chemins respectifs les amènent à se croiser, dans une boutique de vêtements, à quelques centaines de mètres de l’école… ? À quelques minutes près, Haley aurait pu tomber sur lui. Ou plutôt sur elle, sous sa forme métamorphosée. Ils se seraient retrouvés nez-à-nez, devant le rideau d’une cabine d’essayage, lui arborant la longue chevelure blonde ondulée qu’il aimait tant lui emprunter, les mains remplies de jolies tenues aux imprimés colorés. Et puis, tandis qu’il lui faisait face, il se mit à songer à ces infimes détails : peut-être avait-il laissé derrière lui quelques traces ou preuves accablantes… peut-être avait-il laissé dans la cabine des vêtements féminins, ou que la vendeuse saurait démasquer la supercherie. Il ignorait comment, mais une sorte de poids naquit dans son ventre, tandis qu’il s’imaginait condamné, mis face à ses responsabilités sous le doigt accusateur et le ton réprobateur de Haley. Si elle savait… Sur la défensive, il réagit vivement lorsqu’elle l’accusa de se montrer trop observateur. Bon sang, il ne manquait plus qu’elle le prenne pour un pervers… Il était vrai qu'elle n'avait aucune raison de le regarder particulièrement, ni d'attirer son intérêt. Après tout, il était plutôt transparent comme individu, contrairement à elle... Désemparé, il se mit aussitôt à la recherche d’une explication sur sa présence, comme si se retrouver ici, face à elle, était un tort en soi. « J’en sais rien, t’as jamais vu un mec s’acheter des fringues ? » répondit-il nerveusement. Il s’en voulut aussitôt : il n’avait pas voulu employer ce ton. Il n’avait pas la moindre intention de se montrer irritable avec elle… Mais pour autant, elle avait ce pouvoir si déstabilisant sur lui ; c’était comme si une autre personne répondait à sa place, le forçant à sortir de ses gonds, comme s’il ressentait de la part de Haley une certaine forme d’hostilité. Alors, ils étaient là, à se confronter, s’étudiant en chiens de faïence, comme deux animaux curieux et sauvages…

Il haussa un sourcil étonné lorsqu’elle mentionna Rosalie. Ah bon, elle avait parlé de lui... ? Il n’imaginait même pas en quels termes, mais doutait que ce soit réellement élogieux... Sans que ce ne soit de la haine, ils ne s’appréciaient pas franchement, et ce n’était un secret pour personne. Ce n’était pas franchement une guerre ouverte, aucun d’eux ne revendiquait une quelconque hostilité ouvertement... Mais à Poudlard, ils avaient pris le parti de s’ignorer, laissant cette situation étrange s’installer ; jamais ils ne traînaient avec les mêmes groupes, et ils faisaient en sorte de ne pas interagir, à moins de ne pas avoir le choix. « On n’a pas les mêmes parents, nos pères sont ensemble, c’est tout. » la corrigea-t-il par réflexe. Ce terme de "demi-soeur" donnait l’impression qu’ils appartenaient à la même famille, mais ce n’était pas le cas… Ils étaient tout simplement obligés de cohabiter ensemble, et de composer avec la présence de l’autre. « On est pas exactement en très bons termes elle et moi, alors j’imagine que c’était pas pour dresser un portrait flatteur. » ajouta-t-il, avec un sourire poli. Il n’avait pas particulièrement pour intention d’instaurer un malaise dans leur semblant de conversation, mais c’était comme ça : leurs rapports étaient tendus, et il ne s’imaginait pas feindre l’inverse, alors que la situation était déjà surréaliste. C’était comme une impression de converser avec son reflet dans le miroir…

La question le prit complètement au dépourvu... Finalement, il semblait que la distance naturelle qu’il observait avec la jeune fille ne passait pas inaperçue. Sans savoir quoi dire, il demeura interdit quelques secondes, cherchant un prétexte, une excuse, qui lui permettrait d’échapper à cette situation inconfortable. Ce n’était pas vraiment à cause de Rosalie. Avant même qu’il n’apprenne la relation qui existait entre leurs pères, Haley avait toujours exercé sur lui cette fascination inexplicable... Il ne connaissait rien d’elle, mais cette prestance dans sa démarche, cette fermeté dans son regard, cette beauté énigmatique qui émanait d’elle, lui prodiguant une certaine assurance, avait suscité tout son intérêt dès lors qu’il l’avait découverte. Alors il pouvait déplorer qu’elle ne soit guère plus qu’une inconnue, il savait pourtant pertinemment qu’il était nécessaire que jamais, ils ne deviennent plus proches qu’ils ne l’étaient. Si un jour elle se mettait à faire attention à lui, alors il n’était guère impossible qu’elle découvre un jour la vérité... Et alors, il devrait définitivement renoncer à ses métamorphoses. Or, cette perspective était suffisamment déplaisante pour qu’il souhaite absolument l’éviter... « Non, c’est pas vrai, je t’évite pas... » se justifia-t-il malheureusement, en massant son coude, s’efforçant de camoufler sa gêne. Bien sûr que si. Il faisait en sorte de se placer à l’opposé de sa position lorsqu’ils se plaçaient en classe, il se portait volontaire pour travailler en duo avec n’importe qui, pourvu que ce ne soit pas avec elle... Il pouvait toujours jouer la carte de la coïncidence, mais il était évident qu’il avait toujours fait en sorte de ne jamais se retrouver seul avec elle. Le temps d’un instant, il hésita sérieusement à tourner les talons, à franchir les caisses, et disparaître de la boutique, en la laissant sans réponse. A la place, il réfléchit un instant, planté au beau milieu du rayon, face à elle. « Je sais pas trop comment ça expliquer. C’est juste que t’es... plutôt impressionnante. Et brillante. Ça paraît difficile de t’approcher. » Ce n’était pas la vraie raison, mais c’était toutefois un réel ressenti qu’il avait vis à vis d’elle, et qu'il décrivait avec sincérité. Certes, Haley s’était toujours imposé comme un modèle face à lui, mais elle n’en paraissait pas moins froide et hautaine. Évidemment, il était bien loin de le lui reprocher ; après tout, il ne la connaissait pas, au-delà de l’image d’elle qu’il dérobait, en revêtant son apparence les soirs de bal. Soudainement embarrassé de lui avoir fait part de ces impressions, il détourna timidement le regard, le reportant sur les piles de vêtements qui se trouvaient à côté d’eux. Il se sentait ridicule, comme un lapereau piégé devant les yeux avides d’un prédateur...

— Si on lui avait dit qu’en allant, une fois n’était pas coutume, à Pré-au-Lard, elle allait finir par accuser l’un de ses camarades de classe d’être une graine de pervers, elle ne l’aurait sûrement pas cru. Rien ne présageait qu’une telle rencontre s’éternise et dépasse le stade de la simple salutation cordiale, quoiqu’un peu froide, qu’elle réservait d’ordinaire aux élèves de sa classe qu’elle ne fréquentait guère. Mais cette sensation étrange, qui parcourut brièvement l’échine d’Haley lorsqu’elle se retrouva face à face avec le serdaigle, avait été suffisante pour créer un silence gêné entre eux. Silence qu’elle s’était empressée de combler par la première remarque accusatrice qui lui était venu à l’esprit.

À nouveau, elle se braqua en écoutant Hayden qui lui renvoyait ses amabilités à raison. « Si ce n’était pas le cas, ce n’est visiblement pas aujourd’hui que je vais commencer. » répondit-elle en haussant les épaules, son regard détaillant les mains vides d’articles du garçon qui sortait vraisemblablement d’une cabine. « On dit que les filles sont difficiles, mais toi, tu m’as l’air bien pointilleux. » Elle employait un ton sec, sans être toutefois réellement énervé, comme si elle était aux prises avec une forme d’indécision. Il pouvait tout aussi bien être un pervers qui regardait les filles se changer dans des cabines d’essayage et les reluquait en cours qu’un garçon simplement timide et réservé. Un peu comme elle en soit. Malgré leurs différences évidentes, quelques similitudes dans leurs attitudes respectives laissaient la jeune fille circonspecte, incapable de réellement cerner l’autre adolescent.

Sans réelle surprise, la relation amicale qu’elle entretenait avec la gryffondor fut rapidement mise sur le tapis. Elle était, après tout, la seule réelle chose qui les liait réellement : ils ne pouvaient pas prétendre se fréquenter en cours ou même s’adresser régulièrement la parole. Elle hocha la tête. Elle connaissait la situation familiale de sa meilleure amie presque aussi bien que s’il s’agissait de ses propres parents ; elle lui en avait tellement raconté et Haley l’avait écouté, ou lu ses courriers, avec une certaine appréhension, craignant au fond qu’une telle chose arrive à sa famille. Pour rien au monde, elle n’aurait aimé être à la place de la gryffondor, et selon toute vraisemblance de celle d’Hayden également. Elle lutta pour ne pas laisser ses joues se colorer d’une lueur rougeoyante lorsqu’il souligna ce qui, justement, avait traversé son esprit, et d’un haussement d’épaule tenta de désamorcer la situation, ou tout du moins d’éviter un sujet si glissant. « Elle m’a surtout parlé du divorce de ses parents, à vrai dire. » Ce qui, par la force des choses, amenait évidement à évoquer les conséquences qu’il avait eu, dont l’arrivée de nouvelles personnes dans son cercle familial. « Mais qu’importe. » La dernière chose qu’elle désirait était bien de dévoiler le contenu des confidences que Rosalie lui avait faites, particulièrement alors que son interlocuteur en faisait partie. Ces choses faisaient partie de leur jardin secret.

À l’instant même où elle l’avait questionné sur le peu de contact qu’ils avaient, l’accusant de l’éviter, elle avait regretté ses paroles. Elle demeurait arquée sur cette position légèrement passive-agressive comme d’un mécanisme de défense face à une situation qu’elle ne contrôlait que trop peu. L’inconnu l’effrayait, attisant une anxiété naturelle qui lui donnait cet air froid, presque hautain. Sans en avoir réellement conscience, elle savait pourtant que son regard scrutateur pouvait être perçu comme une intrusion ; elle semblait déshabiller les gens des yeux, alors qu’au fond, elle n’était qu’en quête d’éléments familiers qui puissent la mettre en confiance. La réaction du garçon, si elle ne la comprit pas tout à fait, la piqua au vif. S’il ne l’évitait pas, peut-être était-ce elle qui l’ignorait ostensiblement depuis quatre ans ? Dans un nouvel haussement d’épaules, elle se corrigea. « Si tu le dis... c’est juste que j’ai l’impression de jamais te voir, alors qu’on est dans la même classe depuis quatre ans. » Sûrement que si Rosalie n’était pas liée avec lui par leurs pères respectifs, elle serait tout juste capable de dire comment il s’appelait.

Elle fut, cette fois-ci, tout bonnement incapable de retenir la gêne qui était la sienne de s’exprimer sur ses pommettes, celles-ci s’empourprant d’une légère teinte vermeille. Ce fut d’abord une certaine fierté qui l’envahie alors qu’elle savourait cette courte déclaration. Elle était brillante. Ce genre de remarque ne laissait jamais insensible les gens, encore moins alors lorsqu’il s’agissait de la consécration d’un but qu’elle s’était fixée il y a plusieurs années déjà : au-delà de la reconnaissance des professeurs et de la fierté de ses parents, être décrite par ses camarades comme quelqu’un de brillant ne pouvait que la faire s’enorgueillir. Mais plus que la petite consécration que les propos du serdaigle avaient provoqués en elle, ce fut le premier adjectif qu’il avait utilisé pour la décrire qui la fit tiquer. Elle resta un temps bouche-bée, réellement surprise que quelqu’un puisse la décrire comme impressionnante. Elle n’avait jamais perçu les choses ainsi, pas plus qu’elle ne se doutait qu’Hayden puisse l’éviter pour ça. « Tu me trouves impressionnante ? » répéta-t-elle toujours hébétée. Était-ce réellement ainsi qu’elle était perçue par ses camarades ? Comme quelqu’un de difficile à approcher, qui imposait par sa manière d’agir une distance aux autres ? Il était vrai qu’elle ne fréquentait pas beaucoup de monde mais il ne s’agissait, à ses yeux, que d’une conséquence du temps relativement important qu’elle passait à travailler. Puisqu’elle devait abattre beaucoup de travail en peu de temps, afin de satisfaire aux attentes scolaires qu’elle-même et ses parents avaient, elle ne pouvait pas s’épancher en relations sociales. Un rat de bibliothèque qui jamais ne fréquentait les festivités ne pouvait être impressionnant : c’était là l’un des regrets que l’adolescence commençait peu à peu à insinuer en elle. « C’est absurde. » Elle préférait se dire qu’il l’évitait à cause la proximité affective qu’elle entretenait avec sa demi-sœur quand bien même cette excuse ne s’appliquait pas à leurs premières années. À nouveau sur la défensive, elle secoua la tête comme pour rejeter l’argumentaire du garçon. « Comment pourrais-tu savoir que je suis difficile à approcher si tu n’as jamais essayé ? »

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Comme lors de tout événement imprévu, Hayden se sentait piégé, mis à mal par cette rencontre inopportune. Approcher Haley, la vraie, d'aussi près n'était guère facile pour lui... Mais c'était encore pire alors qu'il venait de revêtir son apparence, de traverser cette même boutique à peine quelques minutes plus tôt, flottant dans cette blouse à motifs, galvanisé par ce goût de la transformation. Comme animé par une sorte de pudeur adolescente, il cherchait tous les moyens d'échapper à cette confrontation... « Pas du tout. Je cherchais une chemise, n’importe laquelle m’ira. Je perds pas mon temps dans mes magasins, c’est pas du tout mon truc... le shopping. » précisa-t-il avec empressement, comme s’il souhaitait urgemment se délester d’un poids. Certes, il se basait sur cette idée reçue profondément ancrée selon laquelle c'était principalement les filles qui faisaient les boutiques, et lui... eh bien, il n'était pas une fille. Pas aux yeux du monde. Il en devenait une secrètement, comme s'il revêtait une seconde peau, une fois qu'il était bien certain de se trouver à l'abri des regards. Un peu gêné, comme s'il avait été pris en flagrant délit, il cherchait un échappatoire, ses yeux navigant de Haley au reste du magasin, comme si la présence effacée de la vendeuse ou les piles de vêtements étaient susceptibles de lui fournir une excuse pour échapper à cette conversation... « Et toi, tu cherches un truc particulier ici ? » finit-il par demander, camouflant toutefois l'intérêt qu'il portait à sa réponse. Lorsqu'il revêtait son apparence, il s'habillait avec un peu tout ce qu'il trouvait, parmi les quelques fripes féminines qu'il parvenait à dégoter... Parfois, il avait un peu cette impression honteuse de la trahir en lui imposant des goûts vestimentaires qui n'étaient pas les siens, sans que jamais elle n'en ait connaissance. Mais au fond, qu'aimait-elle réellement, elle... ? Qui se cachait sous cette enveloppe corporelle qu'il ne connaissait que parce qu'il l'empruntait à son insu ?

Comme il s'y attendait, Haley se montra plutôt discrète quant aux confidences que Rosalie avait bien pu lui faire ; cela n'était pas un problème, il refusait de rentrer dans ces histoires-là. Sa belle-soeur et lui, ça n'avait jamais collé, et il ne ressentait pas particulièrement le besoin de faire évoluer leurs rapports houleux dans un quelconque sens. Alors savoir qu'elle avait été affectée par le divorce de ses parents... « Ouais… c’est jamais facile. » se contenta-t-il simplement de répondre en haussant les épaules. Il n'avait pas envie de s'étendre sur le sujet. Oui, la vie de Rosalie était probablement difficile, tout comme celle de milliers d'autres enfants issus de parents divorcés, et oui, comme tous ces enfants-là, elle aurait probablement préféré que ses parents restent ensemble. Il ne connaissait même pas sa mère à elle... Il n'était pas certain de l'avoir vue une fois à la maison. Hayden se mordit sa lèvre inférieure : lui aussi, il aurait préféré. Il aurait voulu que son père se contente simplement de rentrer chez eux lorsqu'il l'avait amené à la gare, au lieu d'aller boire un café avec Archie, et de se laisser draguer par le premier type venu. Mais c'était comme ça, on n'avait pas toujours ce qu'on voulait... Et maintenant, lui et Rosalie étaient coincés dans la même maison. Pour un bon moment. Il n'était pas dupe, il se rendait bien compte que la situation était délicate pour elle : lui faire face alors qu'un engagement implicite la liait à sa meilleure amie ne devait pas être évident. Il était même étonnant qu'elle ait encore le droit de s'adresser à lui...

Soulagé de pouvoir changer de sujet au lieu de s'étendre sur Rosalie, alors que c'était sa meilleure amie qui se trouvait en face de lui, il fut surpris par les interrogations - pourtant légitimes - de cette dernière. En effet, ce n'était pas un hasard, s'il n'avait jamais cherché à l'approcher. Au contraire, il avait toujours plutôt fait en sorte de se tenir bien loin d'elle... De l'observer attentivement de loin, d'apprendre cette démarche si particulière qui était la sienne rien qu'en la regardant. Ne serait-ce qu'en déambulant simplement, ou par ses prises de parole assurées, Haley Strauss était une jeune fille dont la présence semblait éclipser toutes les autres ; comme si elle était la seule qui vaille la peine d'être remarquée dans une pièce, et que les autres ne faisaient que de la figuration... Hayden ne s'était pas attendu à ce que elle, elle le remarque ; il avait une certaine tendance à préférer que leurs existences à tous les deux soient bien dissociées l'une de l'autre... « On me dit souvent que j’suis un peu passe-partout. C’est pas trop mon truc de me faire remarquer… c’est mieux comme ça. » se justifia-t-il, un peu péniblement, sur la défensive. Il n'avait pas envisagé qu'un jour, il doive lui rendre des comptes... Leurs rapports devaient demeurer inexistants, et leurs seuls échanges devaient se limiter à celui qu'ils avaient en ce moment-même. Se rapprocher d'elle se révèlerait bien trop dangereux pour lui et son secret... Mais il ne put échapper à la question qu'elle lui posa, yeux dans les yeux. Elle semblait si soucieuse de savoir pourquoi ! Alors, il entrouvrit la bouche... « Je sais pas… c’est une impression. Quand tu réponds à une question du prof, t’as l’air de mettre tellement de cœur à l’ouvrage, de t’investir dans tout ce dans quoi tu te lances. On dirait que tu connais même pas la demi-mesure… C’est comme si tu refusais tout résultat, à moins d’avoir approché la perfection. Ça force le respect, j’trouve. » Il était spontané dans ses mots, se reposant sur ces longues minutes où il s'était retrouvé distrait après l'avoir longuement observée en classe. Se demandant s'il en avait trop fait, il marqua quelques secondes d'un silence gêné, reportant son regard sur les cintres en hauteur, qui soutenaient quelques robes de printemps. « Mais je me plante peut-être. On se connaît même pas, de toute façon. » conclut-il, comme pour rappeler les faits. Et ça ne devait pas changer. Jamais.

— Hayden dénigra sa remarque, clamant qu’il ne venait que pour acheter une chemise et qu’il ne comptait pas s’attarder plus que de nécessaire. Comment en étaient-ils venu à débattre ainsi pour savoir lequel des deux se comportait le plus bizarrement à l’encontre de l’autre ? À les regarder ainsi se renvoyer de telles amabilités, l’on pourrait croire que l’échoppe était trop petite pour qu’ils puissent tous deux en parcourir les rayons ; à moins que ce ne soit parce que les deux adolescents ne pouvaient décemment pas fréquenter les mêmes endroits.

Elle devrait se contenter de tourner les talons. Pourquoi perdait-elle ainsi du temps à discuter avec ce garçon qui, jusque-là, ne l’intéressait pas le moins du monde ? L’idée d’être aux yeux de ses camarades une élève studieuse qui demeurait un peu trop enfermée entre les quatre murs de la bibliothèque, à parcourir des ouvrages scolaires, l’irritait de plus en plus, mais elle n’était pas obligée de rompre cette réputation en discutant un peu avec lui. En réalité, il n’était d’ailleurs pas le meilleur candidat pour ça ; il n’était pas tout à fait le genre d’adolescent populaire et fêtard qui pouvait l’ôter un tant soit peu de son environnement familier. Rosalie et Artemis étaient, à bien des égards, des candidats parfaits pour ça. Il lui suffisait de les accompagner au prochain bal. Mais c’était lui qui se tenait en face d’elle alors qu’elle était venue, en proie à un caprice vestimentaire qui répondait à des rêves aux allures princières. Elle se rêvait une autre vie que celle de l’adolescente studieuse, une existence fait de paillettes et d’autres choses que d’un uniforme dont les couleurs juraient atrocement avec son teint. Le jaune ne lui allait définitivement pas le moins de monde, mais cet idiot de choixpeau avait décidé de l’envoyer dans la seule maison dont l’emblème ne s’accordait pas avec son apparence. Elle avait déjà les cheveux bien blonds, nul besoin de rajouter une telle teinte. « Non pas vraiment... » répondit-elle, anormalement sur la défensive. Pourquoi avait-elle l’impression qu’il l’agressait lorsqu’il lui demandait ce qu’elle était venue chercher ? D’un haussement d’épaules, elle se décida toutefois à répondre avec une certaine franchise, se donnant malgré tout quelques airs de princesse. « Je manque de robe. Ce n’est tout de même pas vêtu de l’uniforme de l’école que je vais aller au prochain bal, n’est-ce pas ? » Elle releva légèrement le menton, comme pour souligner son port de tête altier. Une personne avertie saurait sûrement su qu’elle ne mettait jamais les pieds aux bals, quels qu’ils soient, mais puisqu’elle doutait fortement qu’Hayden y participe régulièrement – elle n’avait d’ailleurs jamais entendu Rosalie mentionner sa présence à l’un d’eux – elle pouvait bien prétendre ce qu’elle voulait devant lui.

Rapidement, et inévitablement, la discussion dériva vers un sujet qu’elle aurait préféré éviter, quand bien même elle en avait été l’instigatrice. Par réflexe, elle avait fait le lien entre Hayden et sa meilleure amie, sûrement parce qu’à force d’entendre les quelques plaintes de cette dernière, elle ne pouvait imaginer adresser la parole à ce garçon sans penser au fait qu’il était lié à Rosalie. Dans une magistrale fuite en avant, elle se montra évasive sur le sujet, laissant clairement comprendre que le moment n’était pas venu d’en parler. Aucun moment ne le serait de toute façon : sans qu’il y ait une véritable guerre entre les deux adolescents désormais beau-frère et belle-sœur, trop s’impliquer reviendrait à donner des armes à l’ennemi. Haley se trouvait dans une no man’s land et elle avait tout intérêt à en sortir au plus vite. Pour autant, si elle connaissait bien le point de vue de la gryffondor à ce sujet, elle était curieuse de savoir ce que pouvait bien ressentir l’aiglon. « Ça ne l’est pas pour toi non plus j’imagine... » Une question déguisée. Elle scrutait, de ses iris semblables à l’océan, la réaction de son interlocuteur. Elle connaissait si peu ce camarade de classe, moins encore que d’autres qu’elle ne côtoyait pourtant pas énormément ; si son comportement discret, presque mystérieux, l’avait un temps laissée désintéressée, elle commençait peu à peu à se poser des questions à ses son égard. L’attitude fuyante qu’avait le garçon face à elle contribuait fortement à instituer chez la poufsouffle l’envie de le cerner un peu mieux ; après tout, il était presque de la famille de sa meilleure amie, ne devait-elle pas le connaître pour mieux comprendre les critiques et autres désappointements de Rosalie ? Il avait beau prétendre ne pas l’éviter, le peu de fois où ils s’étaient adressé la parole témoignait contre lui. Certes, elle n’avait jamais elle-même cherché à converser avec Hayden, mais ce n’était pas elle qui déclarait le trouver impressionnant et difficile à approcher.

La réponse du serdaigle ne pouvait que toutefois que l’enorgueillir. Elle avait effectivement une aversion toute particulière pour les résultats qui n’étaient pas exempt de tout reproche ; évidement, personne n’aimait l’échec et la réussite était glorifiante pour tout un chacun, mais elle mettait un point d’honneur à insister sur cette dernière et se le faire ainsi remarquer avait quelque chose de relativement jouissif. « C’est... » Elle n’avait pas vraiment les mots pour répondre à un tel florilège d’éloges. Elle appréciait d’entendre ces choses, mais elle ne s’était pas attendu que cela vienne de la bouche du beau-frère de Rosalie. En réalité, si elle avait dû choisir, elle aurait préféré que de tels compliments soient faits par une toute autre personne... n’importe qui, mais pas lui. En acceptant la flatterie de ce garçon, elle avait l’impression de trahir sa meilleure amie. « Je ne savais pas que je donnais cette impression... mais c’est flatteur, merci. » Ses joues s’étaient discrètement teintées d’une couleur vermeille. Elle se sentait à présent coupable de lui avoir donné l’impression d’être invisible. Il la trouvait impressionnante et elle arrivait à lui dire que c’était comme s’il n’existait pas dans leur salle de classe ! Mais elle ne pouvait décemment pas revenir en arrière, lui renvoyer quelques compliments pour donner le change... Et à l’écouter, il aimait ne pas se faire remarquer. Était-ce vraiment possible de se satisfaire ainsi de rester dans l’ombre ? Haley avait besoin du regard des autres. L’échec lui était si insupportable car elle se sentait humiliée devant ses pairs, la réussite était une consécration que chacun pouvait observer... et espérer atteindre. Elle voulait briller et ne pouvait pas comprendre que l’on puisse aimer rester dans l’ombre. « Ça ne te dérange pas qu’on dise que tu es passe-partout ? Tu ne voudrais pas qu’on te remarquer un peu plus... qu’on t’admire ? » Le manque d’ambition d’Hayden était, au mieux, très surprenant à ses yeux, au pire méprisable. Et parce qu’elle ne le comprenait pas, il lui fallait des réponses. Une nouvelle petite énigme venait s’ajouter à cet amas d’inconnu qu’il représentait pour elle.

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La situation était, d'un point de vue extérieur, plutôt cocasse ; ils étaient là, à se détailler comme deux drôles de bêtes sauvages qui se découvraient pour la première fois, avec une curiosité mal dissimulée... La vendeuse semblait occupée ailleurs, et la boutique était désertée de sa clientèle. Quant à la discussion... n'importe qui aurait pu croire qu'ils cherchaient mutuellement à se piéger ou à se mettre en difficulté, plutôt que de chercher à apprendre à se connaître. Hayden, mis à mal par la présence de cette jeune fille qu'il copiait dès lors que l'occasion se présentait, ne savait comment se comporter en sa compagnie et multipliait les maladresses... Pourtant, il avait cette désagréable impression qu'elle parvenait à lire en lui ne serait-ce qu'en le regardant. Comme si, en un seul regard, elle était capable de comprendre la raison qui l'avait secrètement poussé à pénétrer dans ce magasin, revêtant ses traits et empruntant son corps... Alors, il l'avait interrogée sur les motifs qui l'avaient poussée à venir, elle. « Tu… toi ? Tu vas au bal ? » manqua-t-il de s’étrangler. Il ne s'était pas attendu à cette révélation. « Pour quoi faire ? » ne put-il s’empêcher d’ajouter, comme si elle venait de lui annoncer qu’elle comptait prochainement se raser le crâne ou se faire pousser des écailles. Parce que c'était une information qui le touchait personnellement, il avait toujours veillé à ce qu'elle soit occupée ailleurs les soirs de fêtes, pour s'assurer que jamais ils n'auraient à se croiser, lorsqu'il se transformait en elle... Mais si cette fois elle comptait imposer sa présence, alors la donne changeait pour lui aussi. Certes, il avait déjà pensé à se métamorphoser en quelqu'un d'autre, de préférence en copiant les traits d'une fille qu'il ne croiserait jamais ; mais ce n'était pas si simple. Aucun réceptacle n'était à la hauteur de celui que lui offrait la Poufsouffle, par laquelle il était indubitablement fasciné.

Entrouvrant la bouche, il demeura coi en se demandant ce qu'il était censé répondre. Si on lui avait dit qu'un jour, il se retrouverait à évoquer ses soucis familiaux devant Haley Strauss au beau milieu d'une boutique de fringues... Pour autant, il gardait bien à l'esprit que ses interrogations n'étaient certainement pas aussi innocentes qu'il n'y paraissait. Elle n'était rien de moins que la meilleure amie de sa belle-soeur, et se hâterait probablement d'aller répéter à cette dernière tout ce qu'il pourrait bien lui dire... Alors, il pinça les lèvres, reportant son regard sur une pile de vêtement entreposée sur une étagère à sa gauche. « Non. Mais on s’en fout, c’est pas grave. Chacun a déjà ses problèmes. » se contenta-t-il simplement de répliquer. Elle avait déjà probablement la version de Rosalie sur la question, et il n'estima pas nécessaire de lui livrer la sienne. Ils ne se connaissaient même pas, de toute façon... Il avait déjà bien eu du mal à aborder la chose avec Michaela, et ne confiait pas ces problèmes-là avec ses autres camarades, considérant que la Gryffondor avait déjà sa place au sein de leur classe ; qui serait-il pour lui porter préjudice, parce que leurs points de vue sur la question différaient ? « Comme quand on a une mère qui bosse au département de la justice, j’imagine. » lança-t-il en jaugeant sa réaction, ne sachant trop si cette situation lui posait problème. Il n'avait fait le lien que parce que les articles de la gazette faisaient régulièrement mention de cette femme que l'on disait stricte et ambitieuse, mais n'avait pas la moindre idée de ce que cela impliquait pour la jeune fille. Au fond... son père répétait souvent qu'on s'habituait à tout, et si la jeune fille avait grandi dans cette atmosphère, entre les différents événements touchant à la justice magique sans ne jamais souffrir de la place particulière qu'occupait sa génitrice au sein de la sphère magique, alors en effet, leurs situations n'avaient rien à voir l'une avec l'autre.

Il avait taché de lui répondre aussi spontanément qu'il le pouvait, cherchant à retranscrire ses impressions la concernant. Difficile de garder le recul nécessaire, et les idées claires, lorsque lui connaissait la position si particulière que cette fille avait dans sa vie... Sans qu'elle n'en sache rien, il l'avait intégrée à son quotidien, et lui prêtait une attention toute particulière. Cependant, si un jour elle découvrait la vérité... elle le prendrait certainement pour un malade. Il déglutit en imaginant son regard réprobateur, le considérant comme un monstre informe... « C’était pas pour te flatter. » avoua-t-il sans mal, comme pour garder contenance. En effet, même s'il s'était laissé allé à quelques éloges, il comptait toutefois bien conserver la distance qui existait entre eux. Envisager de devenir proche d'elle un jour, ce serait... bien trop bizarre, lorsque l'on savait qu'il se faisait passer pour elle à la moindre occasion. Pour la première fois depuis qu'il usait de son talent de métamorphomage pour emprunter son apparence, il se surprit à se sentir réellement mal à l'aise vis à vis de cette fille. C'était probablement le fait de se retrouver face à face, si proche de son visage... Il avait l'impression de se voir dans le miroir lors de ses transformations, lorsqu'il se cachait à la vue de tous, cherchant à reproduire parfaitement cette expression faciale, les taches de rousseur à peine perceptibles, ce regard sincère, et la forme unique de ces lèvres rouges... D'ordinaire, en se tenant suffisamment éloigné d'elle, il parvenait à échapper à toutes les considérations extérieures. Il se mordit la langue lorsqu'elle l'interrogea en retour ; presque chacune de ses phrases sonnait à ses oreilles comme un piège, comme si la moindre parole de travers était susceptible de le compromettre. Au fond... peut-être qu'elle savait, lui susurra une petite voix intérieure. « Non, honnêtement, ça me dérange pas. La course au mérite, faut avoir les épaules pour… et c’est pas pour moi, c’est tout. » répondit-il le plus honnêtement possible, passant une main dans sa nuque d'un air gêné. Reconnaître qu'au fond, il était bien différent d'elle alors qu'il dérobait régulièrement son apparence corporelle était plutôt étrange, pour lui : ce n'était pas elle qu'il cherchait à imiter, seulement son aspect physique. Et en dehors de cela, Haley Strauss demeurait à ses yeux une parfaite étrangère. « Mais toi… ça te va bien. » se permit-il finalement d'ajouter. Contenir le flot d'émotions contradictoires qui l'habitait alors était une épreuve plutôt difficile ; se confronter à son modèle était un défi qu'il ne s'était pas imaginé devoir surmonter... Et la Poufsouffle dégageait autour d'elle une aura qui ne le laissait certainement pas indifférent.

— Hayden était, à ses yeux, un bien étrange garçon. Très discret, presque invisible, il semblait ne jamais rester dans son champ de vision bien longtemps. Si elle avait pu, un temps, imaginer que ce soit à cause de Rosalie et des relations très sommaires qu’il entretenait avec elle, force était de constater que cela remontait à avant que leurs pères respectifs ne se mettent en couple et qu’il fallait en trouver la raison ailleurs. Le serdaigle était donc naturellement réservé, si ce n’était fuyant. Comment penser alors, qu’il puisse être un habitué des festivités estudiantines organisées par l’école ? Il semblait pourtant réellement surpris d’entendre la jeune anglaise parler de ses participations – totalement fictives – aux bals de Poudlard. « Je sais pas moi... » fit-elle en feignant de réfléchir alors qu’un sourire un brin moqueur vint fendre son visage. « Pour danser, peut-être. Danser ailleurs que dans des cachots sous les yeux d’un vieillard, j’entends. » Elle faisait évidemment référence au cours de potions le plus étrange qu’elle ait connu. Un souvenir qui éveillait en elle un complexe mélange de gêne et d’amusement ; ce cours était sûrement celui qui lui avait valu la plus mauvaise prestation en potions – et sûrement dans toutes les disciplines scolaires réunies – mais lorsqu’il y repensait, certains détails ne cessaient de lui arracher un sourire comme le fait, si saugrenu, d’être incitée à danser par un homme dont l’âge et les genoux ne semblaient guère se prêter à la moindre valse. « Et pourquoi je n’irai pas au bal ? » Le ton de sa voix était exagérément – et volontairement – offusqué. Elle avait l’impression d’être prise la main dans le sac, à fanfaronner au sujet des quelques réceptions que l’école donnait parfois et auxquelles elle ne participait jamais. Se pourrait-il que lui y aille et, pire, qu’il ait remarqué son absence ? L’idée paraissait presque saugrenue, il n’avait pas l’air d’être une personne très friande de ces soirées, mais son esprit se faisait bien des films dès lors qu’il était question de bal. Peut-être devrait-elle demander, à l’occasion, à Rosalie si elle avait déjà vu son beau-frère s’y rendre. Au moins pour avoir le cœur net. Mais à la perspective qu’il ait pour habitude de s’y rendre, alors qu’il se complaisait dans son rôle de garçon un peu effacé, la mettait mal à l’aise car cela soulignait sa propre faiblesse, incapable qu’elle était de prendre son courage à deux mains et de quitter quelques heures ses précieux manuels pour simplement... profiter de son adolescence.

La remarque sur le travail de sa mère la prit de court, elle ne s’était pas attendue à ce qu’il retourne le sujet sur elle. Un instant, elle fut même surprise de réaliser qu’Hayden connaissait l’emploi de sa génitrice. Ça n’était certes pas un secret, et la jeune fille ne cachait pas particulièrement la profession parentale ; au contraire, elle en était assez fière pour en parler autour d’elle, mais elle ne l’avait jamais fait – à sa connaissance – devant le serdaigle. Et si après tout, il avait pu voir le nom de Maureen Strauss figurer de ci de là dans la presse sorcière – elle y avait déjà été mentionnée à quelques reprises lors d’affaires particulièrement retentissante –il avait tout de même fallu qu’il y prête une attention particulière et fasse le lien avec la poufsouffle. « Je suis pas certaine de voir le rapport... » Elle haussa les épaules. Ses parents vivaient l’amour parfait ; du moins c’était l’image qu’elle se plaisait à avoir d’eux et elle faisait son mieux pour chasser de son esprit les quelques jours de conflits intenses qu’ils avaient connus quelques années auparavant. Non, jamais ils ne pourraient divorcer, jamais elle ne connaitrait ce que Rosalie avait vécu : elle ne le permettrait pas. Et de toute façon, leurs travails respectifs étaient bien trop prenants pour qu’ils envisagent d’aller voir ailleurs si l’herbe y était plus verte. Alors bien sûr, ils la délaissaient parfois un peu... elle aimerait qu’ils soient plus présents, qu’ils partagent plus de chose avec elle. D’autres choses que leurs débats politiques ou leurs déboires divers avec d’autres employés du ministère. Malgré tout cela, elle ne désirait pas s’épancher sur la question avec lui ; décrire les quelques reproches qu’elle avait à l’égard de ses parents serait les rendre plus vrais. Le silence était plus simple. Et il partageait peut-être une partie de la vie de Rosalie, ça ne faisait pas pour autant de lui un aussi bon confident. Seule sa meilleure amie était digne d’écouter ses petits tracas d’adolescente. « Que ma mère soit au magenmagot n’est pas un problème. Ou gênant. C’est juste comme ça. » Bien entendu, il y avait la pression de ne pas faire honneur à sa mère, d’être décevante et de manquer de talent. La réussite était une question de famille et pouvait parfois se révéler être oppressant, mais Haley ne connaissait que ça et avait besoin de ce poids sur ses épaules pour lui servir de motivation. La réussite maternelle – plus que celle paternelle, quoique son père ne soit pas en reste – était un véritable exemple et un but pour elle.

« Si tu le dis... » concéda-t-elle après quelques instants de silence. Il était incontestable que cette course au mérite, comme il le disait, jouait une part importante dans sa vie. La réussite était tant un but qu’une forme de drogue et cette satisfaction d’être plus performante que d’autres ou d’avoir de meilleures notes valait tous les efforts du monde. Elle ne craignait pas la concurrence et avait parfois tendance à mépriser le manque d’ambition de ses pairs, comme celui qui caractérisait cruellement le serdaigle. Qu’il soit un concurrent potentiel de moins ne traversa d’ailleurs pas le moins du monde son esprit. « Mais du coup, si tu ne cherches pas le mérite... tu as bien un but, quelque chose qui t’intéresse assez pour... » Elle hésita quelques instants. « ... donner le meilleur de toi, non ? » Si ce n’était la réussite, qu’est-ce qui l’animait ? Qu’est-ce qui le faisait se lever tous les matins avec une lueur d’espoir et une envie de vaincre ? Était-elle à ce point une énergumène pour plonger corps et âme à ce point dans ses études ? Rosalie était une battante, une héroïne en devenir, mais lui, s’il n’était ni l’un ni l’autre, qu’était-il ?

Perdue dans ses pensées aux relents de mauvaise philosophie, elle en oubliait presque qu’elle discutait avec un garçon qu’elle ne fréquentait d’ordinaire jamais et dont la seule raison de cette conversation reposait sur une rencontre hasardeuse dans un endroit qu’elle n’avait pas pour habitude de fréquenter. Une bibliothèque, ou dans le parc du château aurait été bien plus coutumier, mais cette boutique pourtant ordinaire n’était pas une lieu propice à la rencontre de l’autre aux yeux de la poufsouffe.

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Pour la première fois, Hayden se sentait comme un adolescent stupide et mièvre, tant la simple présence de la véritable Haley l'inconfortait. Elle dégageait une certaine aura, imposant un respect naturel qu'il lui vouait volontiers... Elle le rendait plus timide et réservé que d'ordinaire, lui ôtant toutes ses facultés à communiquer comme un individu normal. Alors, il ne sut exactement comment réagir lorsqu'elle lui avoua son désir de se rendre au bal... C'était comme si le monde s'effondrait. La bouche sèche, Hayden reporta son attention sur la vendeuse, qui remplissait les rayons en piochant quelques fripes à la mode chez les sorcières contenues dans les cartons. Puis, il osa finalement ouvrir la bouche : « Tu sais danser ? » Aussitôt, il se mit à songer au bal de Noël, où il avait emprunté son apparence, et dansé avec Mallory, puis avec Rosalie. Il avait passé une soirée merveilleuse, flottant dans cette belle et longue robe noire... Et maintenant, c'était comme si Haley souhaitait lui voler cette chance. Lorsqu'elle l'interrogea à nouveau, elle semblait plus suspicieuse... Hayden déglutit rapidement, humectant son palais, et se massa la nuque sans réellement savoir ce qu'il était bon de répondre. « Je sais pas… c’est pas terrible, les bals. La musique est naze, les profs font la police… enfin, c’est ce qu’on dit. » Ce n'était pas franchement convaincant, mais il était certain d'une chose : la présence de la Poufsouffle ne lui inspirait rien de bon. Il était toujours parvenu à composer avec son absence, et il avait le désagréable sentiment qu'à son tour, elle allait lui voler quelque chose.

Finalement, il s'était quelque peu dévoilé, sans trop en dire. Rosalie avait déjà du tout lui raconter, concernant leur situation familiale, alors il n'était pas franchement utile de revenir dessus... Lâchement, il avait tenté d'esquiver le sujet en évoquant la haute fonction de Mrs. Strauss, ce qui sembla l'étonner. « Ok… tant mieux hein. Je me disais juste que ça devait être prenant, comme job. » lâcha-t-il en haussant les épaules, feignant l'indifférence. Il ne voulait surtout pas lui renvoyer l'impression selon laquelle il était déjà un peu renseigné sur elle, ou qu'il la connaissait plus qu'il ne le prétendait. Attirer les soupçons de la jeune femme était bien la dernière chose qu'il recherchait... Alors, il était nécessaire de la maintenir à distance, comme une simple camarade de classe. Après quelques instants de silence, seulement troublé par les tintements de la porte d'entrée et le bruit des rideaux des cabines, il reprit : « C’est ce que t’aimerais faire aussi ? » osa-t-il finalement demander, n'ayant aucune idée de ce qu'il en était. Il était parfois courant chez les sorciers que les enfants prennent la relève de leurs géniteurs, et avec le travail colossal que fournissait Haley en classe, il y avait peu de chance qu'elle soit incapable de parvenir à cet objectif. Le droit sorcier était complexe, labyrinthique, et certainement peu attrayant... Pourtant, il y avait chez la jeune femme cette forme de rigueur sévère, et cette exigence froide, qui allaient bien avec cette fonction.

Oui, il y en avait un. La quête d’identité dans laquelle il s’était plongé dès son plus jeune âge était longue et tortueuse, si bien qu'elle semblait franchement décourageante. Cependant, il serait à jamais le seul à le savoir... Devenir une fille n'était pas franchement bien vu, et encore moins lorsqu'il dérobait l'apparence d'une camarade pour se glisser dans sa peau. Il était bien loin de vouloir s'en vanter, surtout auprès de Haley... « Bah… on a qu’à dire que pour l’instant, le but c’est d’avoir mes BUSEs, le reste on verra. Peut-être conduire une moto aussi, ça serait cool. » avoua-t-il, avec un petit sourire. Ce n'était pas tout à fait vrai : son réel objectif, il se trouvait devant lui. Il espérait qu'un jour, il parviendrait à concilier ces deux parties de lui-même... Peut-être que dans un monde idéal, il pourrait enfin cesser d'avoir honte d'user de son aptitude à emprunter des corps féminins. Malheureusement, cette réalité-là était encore bien lointaine... Hayden savait pertinemment que ses parents voyaient d'un très mauvais oeil sa capacité à se métamorphoser, et encore davantage celle de reproduire l'apparence d'une fille. Alors, il avait choisi la voie de la facilité, celle du secret, du mensonge, de l'inavouable. Et Haley, qui est la principale concernée, ne devait surtout jamais l'apprendre. Le regard perdu sur ce visage de porcelaine, qu'il connaissait bien pour l'avoir arboré plusieurs fois, il enchaîna alors : « Et toi, qu’est-ce qu’il y a, au bout de tout cet acharnement ? » A nouveau, il avait la désagréable impression de marcher sur des oeufs avec elle, de se frayer maladroitement un chemin pour pouvoir l'approcher de plus près, comme s'il s'agissait d'un petit animal sauvage susceptible de prendre la fuite à chaque instant.

— L’inconfort qui était initialement le sien alors qu’elle entamait une conversation qu’elle n’avait pas imaginé tenir avec le beau-frère de sa meilleure amie s’était désormais évaporé, laissant place à une certaine forme de curiosité à l’égard du garçon. Il demeurait assez cocasse qu’ils en viennent à débattre de l’intérêt des bals, alors même qu’aucun des deux ne semblaient les fréquenter assidument. Haley avait toujours eu de bonnes excuses pour les louper ; un devoir à perfectionner, son alphabet runique à réviser ou une note pas assez élevée à son sens à digérer. Longtemps, ces occupations studieuses avaient suffi à la satisfaire, mais à mesure que le temps faisait son œuvre et qu’elle grandissait, que l’adolescence modifiait son corps et avec lui, sa personnalité et ses aspirations, elle se sentait de plus en plus délaissée les soirs de fêtes. Un étrange sentiment de vide l’avait imprégné tout le soir durant lors du bal de Noël, alors qu’à la dernière minute, après avoir enfilé sa robe et s’être joliment apprêtée, elle s’était résignée à demeurer dans son dortoir, avec ses ouvrages de botanique. Si elle sentait la déception poindre lorsque qu’elle était la seule de ses amis à ne pas se rendre au bal, pourquoi en serait-il différent pour Hayden ? Ce serait tellement injuste qu’il puisse demeurer dans son dortoir sans se sentir seul ou avoir l’impression de louper quelque chose, alors que lui n’usait vraisemblablement pas de ce précieux temps pour réviser ou faire ses devoirs !

Et voilà qu’en plus, il posait la question fatidique ! Comme si son absence aux festivités ces quatre années durant avait tellement marqué les esprits que même lui – qui ne la fréquentait pourtant pas et la connaissait tout juste – avait noté ses absences répétées. « Oui, bien sûr ! » répondit-elle avec plus de hargne que nécessaire, un poil vexé qu’il lui pose la question. Osait-il douter de ses talents de danseuse ? Peut-être qu’il avait remarqué Haley durant l’étrange cours de potions et savait donc ce dont elle était capable... ou incapable en l’occurrence. Balivernes ! Le peu de maîtrise dont elle avait fait preuve durant l’enseignement de potions pouvait tout autant être dû à ses talents en danse qu’à ceux de son partenaire, ou plus prosaïquement, de la nécessité de confectionner une potion tout en valsant. « J’en déduis que tu n’étais pas au bal de Noël ? » demanda-t-elle alors qu’il dénigrait abondamment leur intérêt. À l’écouter, elle ne loupait pas grand-chose et ferait sans doute mieux de rester dans son dortoir afin de réviser. « Au moins, je ne suis donc pas la seule de la classe à avoir loupé l’empoisonnement du ministre... » Elle eut un petit rire qui dénotait un certain inconfort. Évoquer ainsi l’incident était presque glauque ; un homme, voire tout le jury, avait manqué de perdre la vie, disait-on ! Elle avait trouvé un peu frustrant d’écouter ses camarades lui parler de la fin du bal de manière quelque peu cryptique, comme s’ils connaissaient tous le déroulé exact de la soirée. Puisqu’elle n’avait pas assisté à l’empoisonnement de ses propres yeux, les autres pourraient tout de même faire un effort pour raconter clairement ce qui s’y était passé ; même Rosalie s’était montrée assez avare en détails, ce qui n’était pas son genre dès lors qu’il fallait raconter des histoires aussi rocambolesques que l’empoisonnement d’une personnalité si importante ! À croire que tous considéraient que les détails croustillants étaient accessoires et coulaient suffisamment de source pour ne pas les mentionner.

Sans qu’elle ne comprenne réellement comment ils en étaient arrivés là, toujours était-il que désormais, le sujet de leur discussion avait glissé vers le terrain familial d’Haley. À l’instar du serdaigle, elle n’était pas tout à fait à l’aise à l’idée de trop parler de ses parents, plus par pudeur que par réelle méfiance. « Peut-être... » Elle haussa les épaules, d’un air incertain. Elle désirait suivre les traces de ses parents quant à la réussite de leurs carrières respectives, mais elle était bien loin de savoir par quel chemin passer. « Il y a tellement de choses que j’aimerai faire. Le magenmagot, ça fait un peu rêver, mais il n’y a pas que ça... le département de mystères me fait de l’œil aussi. » fit-elle finalement, presque sur le ton de la confidence quand bien même ça n’en était pas réellement une. Certains de ses amis connaissaient déjà ses intérêts et ses rêves d’avenir, Rosalie et Artemis en première ligne ! Elle avait tant parlé de ses projets avec la rouge et or, et secrètement, elle se disait même que le don de voyance de l’écossaise méritait d’être savamment étudié : c’était un peu l’image qu’elle avait des langues-de-plombs. Des sorciers de hauts-vols qui découvraient le fonctionnement des magies les plus mystérieuses, les moins connues et maîtrisées... l’avenir et la voyance en tête !

À trop poser de questions, il fallait s’attendre à ce qu’il les lui retourne. Et ça n’avait pas manqué. Les pommettes de la jeune fille se rosirent légèrement alors qu’elle réalisait le caractère très personnel de cette question. Après avoir poussé Hayden à se confier sur ses propres raisons, elle se sentait comme mue par un devoir de répondre. « Eh bien... » Quelles étaient les raisons derrière cette volonté de réussite, cet acharnement au travail parfois excessif ? Elle n’était pas certaine d’y avoir déjà réfléchi auparavant. Son attitude et ses désirs de réussite semblaient jusque-là presque couler de source, mais à présent qu’elle devait s’y penser plus en profondeur, ses motivations demeuraient incertaines. « J’aime ça. C’est gratifiant de réussir. » Elle mettait au défit quiconque de lui soutenir l’inverse. Même quelqu’un si peu intéressé par la réussite que le serdaigle devait trouver du plaisir à se voir couronné de succès, d’une quelconque façon que ce soit. « Peut-être qu’avoir des parents au ministère pousse un peu à la réussite aussi... ils seraient déçus si je me satisfaisais d’un niveau trop médiocre. » Cette fois-ci, la confidence en était réellement une. Non parce qu’elle cachait cette vision des choses aux autres, mais simplement parce qu’elle n’avait jamais réellement eu l’occasion d’en parler, de l’exprimer verbalement... ou même d’y réfléchir plus en profondeur. Pour une adolescente qui se posait beaucoup trop de questions, qui réfléchissait aux tenants et aboutissants de chacun de ses actes au point que ça en devenait maladif, elle n’avait pourtant pas poussé cette réflexion plus en amont. Étrange que ce soit un camarade si peu fréquenté, comme Hayden, qui la pousse à s’exprimer à ce sujet.

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Le terrain glissant du bal venait tout juste d'être évoqué, et la colonne vertébrale de Hayden s'était raidie d'un coup. Il se sentait légèrement pris au piège, dans cette conversation sur laquelle il n'avait pas de contrôle... Les interrogations de Haley semblaient innocentes, et dénuées de mauvaise intention, pourtant il ne pouvait s'empêcher d'y voir une tentative de le coincer. Il se trouvait notamment qu'au dernier bal, il s'y était rendu : dans une belle robe longue, les cheveux détachés, sous son apparence. Il était venu en Haley, et il tenait tout particulièrement à ce qu'elle n'en sache jamais rien. « Non non, j’y étais pas. Mauvaise grippe. » se justifia-t-il en reportant son regard sur les piles de vêtements à sa gauche, comme pour mieux éviter le sien pendant qu'il était en train de lui mentir ouvertement. C'était également ce qu'il avait raconté à Noah et Daria, afin de ne susciter autant soupçon... Et jusqu'à aujourd'hui, personne ne s'était encore posé de questions sur ses changements d'identité. Heureusement pour lui, la principale concernée se trouvait devant lui, et ne semblait au courant de rien... « Ouais… et crois-moi, c’est pas une mauvaise chose. Ça nous a même sûrement évité un paquet d’ennuis. » répliqua-t-il aussitôt, espérant que cela suffirait à la dissuader de se rendre au prochain événement organisé par l'école.... Ces soirées où il lui empruntait son apparence à son insu lui étaient précieuses, et il n'était pas prêt à y renoncer, quand bien même le désir de Haley de se rendre au bal était légitime. Au moins, cela lui laissait quelques mois jusqu'à la prochaine soirée pour trouver une solution... Avec un peu de chance, elle renoncerait même à cette idée d'ici là. Au fur et à mesure qu'ils discutaient, ils semblaient se décrisper, au point que le ton se détendait, et que son malaise se dissipait progressivement. Certes, la Poufsouffle n'était pas spécialement chaleureuse, ni même bavarde ou entreprenante, mais cette retenue dans laquelle elle se complaisait avait quelque chose de charmant... Il se risqua à lui poser quelques questions sur son avenirs, auxquelles elle répondit sans surprise. Le Magenmagot... ben tiens. En ce qui concernait le département des mystères, il était moins informé... « Ah ouais ? Pourtant, il porte bien son nom, j’arrive même pas à imaginer toutes les bizarreries qu’on peut trouver là-bas… » répondit-il d'un ton évasif, se rappelant simplement de l'évocation de ce département lors de quelque cours d'histoire de la magie. Il n'avait jamais cherché à se renseigner sur le sujet, peu intéressé par ce que l'on pouvait trouver là-bas... « Mais je suis sûr que tu ferais du super boulot. » ajouta-t-il, comme pour tenter de la rassurer. Il n'en doutait pas ; après tout, elle était de loin la plus bosseuse de leur classe, la plus impliquée d'un point de vue scolaire, la plus acharnée. Seule Michaela, qui avait sauté une classe, pouvait rivaliser avec elle en terme d'érudition, mais en effet, il ne nourrissait pas la moindre inquiétude pour la fille de la présidente d'audience du département de la justice magique...

La suite de la conversation le surprit, et le déstabilisa même un peu... Il ne s'était pas spécialement attendu à ce qu'elle réponde avec autant de sincérité. Le temps d'un instant, il se questionna, se demandant même si par hasard, elle n'était pas tout simplement en train de se moquer de lui. Après tout, c'était bien possible ! Elle était copine avec Rosalie, et les deux filles s'étaient peut-être donné pour défi de lui arracher quelques confidences en lui comptant fleurette... Un peu embarrassé, il se mordit la lèvre, le regard perdu dans le magasin tandis que le temps semblait s'être figé autour d'eux. Comme si l'espace qu'ils occupaient les confinaient dans une petite bulle hors du monde extérieur... Alors, il décida qu'il avait envie d'y croire. « Ouais, je comprends. La pression c’est pas facile à gérer. » répondit-il avec cette impression désagréable de ne répondre que de plates banalités. Elle était pourtant là, en face de lui, à s'ouvrir à lui, peut-être de manière superficielle et sans trop s'étendre... Mais elle lui apparaissait plus vraie que nature, plus vraie que lorsqu'il l'avait rêvée ou que lorsqu'il l'avait fantasmée. Et sans crier gare, comme pris par une pulsion, il eut cette étrange envie de s'ouvrir à elle en retour... « Je déçois ma mère en permanence, alors j’en sais quelque chose. » lâcha-t-il simplement, en haussant les épaules, comme si ce n'était rien, comme si ça ne l'affectait pas. Pourtant, ce n'était pas vrai... « Mais t’as pas de raison de flipper, je pense que la tienne doit voir tous les efforts que tu fais. Je sais pas ce qu’elle pourrait espérer de mieux… » Un léger sourire encourageant naquit timidement sur ses lèvres, comme si cela pouvait suffire à la faire adhérer à ses propos. Malgré les apparences, malgré ce qu'il croyait savoir, il ne connaissait pas Haley Strauss, ni sa famille, ni sa vie à Poudlard. Peut-être que dans un autre univers, elle aurait pu être une amie. Peut-être qu'elle aurait pu être même davantage... Mais elle était son modèle, et cette conversations ne faisaient que lui renvoyer à la figure leurs trop fortes différences, comme pour lui rappeler qu'ils ne venaient pas du même monde, ne nourrissaient pas les mêmes ambitions. D'ailleurs, contrairement à elle, il n'en nourrissait pas tout court... « Bon, je vais y aller. Bientôt l'heure du repas. » déclara-t-il finalement, feignant d'être soudainement intéressé par la question, indiquant d'un geste du coude l'horloge accrochée au dessus du comptoir, comme pour donner un peu plus de poids à son excuse, aussi bancale soit-elle... Il la dévisagea une dernière fois, détaillant avec attention chaque élément de son visage, comme s'il était conscient qu'il ne pourrait pas la revoir avant bien longtemps. « Salut, Haley. » lui adressa-t-il, en esquissant un signe de main maladroit en guise d'au-revoir, et en la contournant, se dirigeant vers la sortie. Curieusement, il avait le sentiment de ne pas s'en être mal sorti, quand bien même la conversation n'était pas à son avantage... Mais il était clair qu'un tel face-à-face ne l'avait pas mis bien à l'aise. Et ce ne fut qu'une fois sorti de la boutique, les mains dans les poches, qu'il s'autorisa à respirer de nouveau ; regagnant le chemin menant au château, il ne pouvait s'empêcher de jeter quelques coups d'oeil en arrière, là où il l'avait laissée. Maintenant, il se demandait quand est-ce que le destin aurait l'audace de les réunir à nouveau...

Hors-jeu: