Il y avait des moments où Dmitri regrettait tout particulièrement son pays natal. Ce jour en était un ; l’air déjà bien humide s’était alors gorgé d’eau, le ciel déversant un interminable déluge sur le château et ses environs. Un temps où il ne faisait pas bon de sortir, particulièrement pour un enfant qui avait grandi dans des contrées où l’hiver était certes rude, mais néanmoins bien moins humide. Mais une étrange lubie l’avait toutefois poussé à sortir, profitant d’un emploi du temps clairsemé. Équipé d’un coupe-vent imperméable que sa mère, mue par une nature prévoyante et l’expérience des six enfants précédant, avait glissé dans ses affaires, il s’était donc aventuré dans ce parc déserté. Trop de monde dans le château, aucune place de libre dans la salle commune et des salles bondées pour ceux voulant faire usage de magie... une ambiance qui l’exécrait tant et si bien que la perspective d’affronter le vent et la pluie lui paraissait plus agréable.

Bien sûr, il n’était pas assez désespéré pour s’aventurer sous la pluie ; il escomptait rester sous le préau et s’amuser à lancer quelques sorts, travaillant par la même occasion ses cours de sortilèges. Rien de mieux qu’un peu de pratique et beaucoup de solitude ; aucun risque qu’un professeur, ou même un préfet, ne débarque à pareil endroit avec une telle météo. Car même sous son abri, il était parfois dérangé par des bourrasques intempestives ou des éclaboussures particulièrement sournoises. Autant dire que si ce n’était pour fuir la masse bruyante et sauvageonne des écoliers, nulle personne équilibrée ne se serait aventurée dehors. Sans doute d’ailleurs que même pour des raisons si justifiées, une telle excursion était la preuve d’un caractère particulièrement instable.

Mais il n’était pas le seul à s’être aventuré à l’extérieur du château ; pire encore, la silhouette qu’il apercevait quelques mètres en contrebas n’était pas le moins du monde protégé de l’averse. L’aiglon fronça les sourcils, circonspect et un tantinet curieux. Quelle raison pouvait bien pousser une personne à scruter ce ciel presque apocalyptique sans la moindre protection ? Une pointe de curiosité naquit en lui, croissant au fil des minutes ; la silhouette ne semblait pas prête de bouger, scrutant le ciel avec un intérêt qui ne laissait pas le jeune tchèque indifférent.

Posant le bord de sa main sur son front pour protéger ses yeux de la pluie, il quitta son abri pour s’aventurer plus en amont dans le parc. La pluie froide s’abattait sur les quelques parcelles de peau qui n’étaient pas protégées par ses vêtements, lui faisant instantanément regretter son choix ; mais il ne servait plus à rien de faire demi-tour, le temps qu’il retourne là où la pluie ne pouvait l’atteindre, il sera déjà trempé jusqu’aux os. Foutu pour foutu, autant aller voir ce qui intéressait tant l’autre élève. « Salut » fit-il en arrivant à son niveau, sans savoir si sa voix portait assez pour qu’il l’entende malgré la pluie. Arrivé à sa hauteur, la silhouette se transforma en un garçon qu’il connaissait déjà ; enfin connaître était un bien gros mot. À part durant le banquet de début d’année et la soirée d’intégration des serdaigles, il n’avait pas eu l’occasion de le fréquenter.

Il se risqua à regarder le ciel et cligna des yeux en grommelant lorsque de grosses gouttes vinrent embuer sa vision. « T’as vu un sombral, ou quoi ? »

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Dmitri était presque surpris que l’autre serdaigle l’ait entendu tant le bruit que faisaient la pluie et le vent sur sa propre capuche l’assourdissait. Il n’était en revanche pas étonné d’être appelé par son patronyme, celui-ci ayant rapidement soulevé des questions de la part de Blaze le jour de sa répartition. D’ailleurs, il avait peut-être même totalement occulté son prénom ; au fond, il était persuadé que pour un bon nombre d’élèves, voire professeurs, il était connu comme le petit van Aken. « Tu es plus grand que moi ; si l’un de nous deux doit se prendre la foudre, ce n’est pas moi. » rétorqua-t-il, du tac au tac. Pour une fois que sa taille était un avantage. Cela dit, avec les hautes tours du château, si l’un d’eux prenait effectivement la foudre, ça ne serait vraiment pas de chance.

Le garçon tourna furtivement la tête vers le cinquième année, subitement intéressé, lorsqu’il mentionna un augurey. Il y a quelques jours de cela, on lui avait volé ses plumes pour les remplacer par d’autres provenant de l’animal dont il était question, alors forcément, entendre parler d’un tel oiseau ne pouvait qu’attirer son attention. Il se risqua une fois de plus à lever les yeux au ciel, cherchant ledit oiseau voleter quelque part au-dessus de leurs têtes. Espérait-il vraiment pouvoir le garder à l’œil par un temps pareil ? Il fallait être dérangé ou sacrément motivé pour rester immobile, la tête en l’air, en quête d’un animal qui se fondait beaucoup trop dans le décor ; ce n’était pas pour rien qu’ils étaient considérés comme porteur de mauvais présage, il n’était pas si fréquent d’en croiser, même lorsqu’ils étaient de sortie.

Le plus jeune abandonna presque aussitôt sans recherche infructueuse, baissant à nouveau la tête pour rester abrité sous sa capuche, alors que l’aîné le chambrait à nouveau. « Quelque chose comme ça... » fit-il en haussant les épaules. « ‘Paraît qu’il faut s’intégrer quand on arrive dans un nouveau pays, et en te voyant, ça avait l’air parfaitement normal de rester planté sous la flotte. Je me suis dit que c’était peut-être une tradition locale. » Il fallait tout de même reconnaître que la vision d’un élève en plein milieu du parc par une averse pareille, ça avait le mérite d’être surprenant. Alors deux élèves, ça devenait presque inquiétant. Pourvu que le garde-chasse ne regarde pas trop par la fenêtre de sa bicoque, il serait bien capable de croire qu’ils manigançaient quelque chose. Quand bien même ils n’étaient pas en train de préparer un mauvais goût, Dmitri n’était pas particulièrement pressé de le voir à nouveau ; il ne gardait pas spécialement de bons souvenirs de l’homme, encore moins depuis qu’il savait que celui-ci s’était empressé d’aller compter ses escapades au maître des potions.

« Pourquoi tu joues les nounous pour augurey, au fait ? » En temps normal, il ne se serait peut-être pas autant intéressé à cette histoire d’oiseau, il ne serait d’ailleurs sans doute pas resté très longtemps sous la pluie ; l’humidité et lui, ça faisait deux. Il était prêt à parier que dès le lendemain, il allait regretter son escapade et s’il n’attrapait pas la crève, c’était un miracle. Mais cette histoire de plume le taraudait, et trouver un élève en quête d’augurey, un serdaigle qui plus est, réveillait en lui ses désirs de vengeance. Au-delà du moment très désagréable qu’il avait passé, durant un cours, à chercher une plume qui daignerait faire son œuvre sans repousser l’encre, il était très rapidement passé à autre chose : il n’avait d’ailleurs pas vraiment eu le choix, les soucis d’Amaïa avec une écharpe récalcitrante et l’altercation qu’elle avait eue avec un de leurs camarades avaient occulté le reste. Et comme ses ancêtres peints ne pouvaient lui être d’aucune utilité, ceux-ci n’ayant pas accès à la salle commune où avait eu lieu le méfait, il était certain de ne pas pouvoir trouver le coupable. Mais à présent qu’il avait trouvé un oiseau dont pouvait provenir les plumes incriminées, une certaine fierté personnelle l’incitait à creuser un peu plus cette question. Il ne voulait tout de même pas qu’on vienne lui dire qu’il se laissait si facilement marcher sur les pieds !

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S’agissant de l’Écosse, le garçon ne pouvait qu’acquiescer. À croire que la région avait décidé de lui faire subir toutes les tempêtes qu’elle avait en réserves dès son arrivée, car à l’instant même où il avait posé sur les pieds sur l’île où résidaient les van Aken, le vent et la pluie s’étaient joints à la partie. En revanche, la mention des loups-garous le fit tiquer, piquant sa curiosité au vif. « Des attaques de loups-garous ? » Peut-être qu’il se payait simplement sa tête ; du peu qu’il avait pu cerner du personnage, il était bien le genre à se moquer de la naïveté des plus jeunes. L’évocation des mages noirs, quant à elle, était bien moins surprenante ; il fallait bien avoir grandi dans une grotte pour n’avoir jamais entendu parler des quelques locaux qui s’étaient illustrés en la matière et c’était sans compter le passif familial en la matière. « En tout cas, si le but, c’est d’être élu pays le moins accueillant, ne changez rien, vous êtes en bonne voie ! » Dmitri n’avait plus qu’à espérer que l’autre serdaigle n’était pas trop susceptible ou trop fier de son pays, encore qu’il pût bien blesser son ego d’anglo-saxon, il n’en avait pas grand-chose à faire.

Et parlant de pluie, le plus grand était en quête de l’augurey dont il était, selon ses dires, le maître. « Impressionnant... » railla-t-il sobrement, le ton plus moqueur que réellement impressionné. S’il avait effectivement un augurey qui lui obéissait, il reverrait peut-être son jugement, mais pour l’heure, il n’y avait pas le moindre oiseau dans les environs. Il regarda un instant le ciel, la main positionnée en visière sur son front. « Et juste comme ça, tu l’as déjà sorti avant ? Parce que si c’est la première fois, tu devrais sérieusement envisager l’idée qu’il s’est fait la malle, ton augurey. » Au fond, il espérait bien que ce n’était pas le cas : s’il restait planté ici comme un idiot, c’est tout de même pour voir le fameux oiseau !

Il tourna la tête vers l’intéressé, au moment où celui-ci lui donna un coup sur l’épaule. Il resta un instant circonspect. Depuis le temps, il avait presque oublié cette histoire de feuille de chou, d’autant qu’il lui semblait qu’aucun élève de première année n’en avait fait les frais depuis un certain temps. « Ou alors mon grand-oncle a juste trouvé un moyen de m’imperméabiliser. » fit-il en haussant les épaules, un discret sourire moqueur sur les lèvres. « Mais ça, j’imagine que tu ne le sauras jamais... » S’il s’était quelque peu préoccupé de l’article fait sur Kovit, appelant les autres à chahuter le serpentard déjà peu friand des contacts physiques, il se moquait bien de ce que pouvait déclarer le petit crôasseur à son sujet. C’était au moins l’avantage d’être dans une famille nombreuse : il s’attendait naturellement aux moqueries puériles et autres coups-bats. Il ne s’en formalisait donc pas tant que ça, du moins tout qu’il trouvait un moyen de renvoyer les amabilités à ceux qui se jouaient de lui. « En tout cas, je n’ai pas l’impression que grand monde lise ce torchon, vu que personne n’a tenté de me balancer dans le lac ». Il pouvait toujours se permettre de fanfaronner à ce sujet, ils étaient assez loin du lac pour qu’il ait le temps de voir arriver le moment où Mansfield chercherait à lui faire prendre un bain. Et de toute façon, compte tenu de la météo, ça ne changerait sûrement pas grand-chose.

Si personne n’avait tenté de l’envoyer dans le lac, ou même de lui lancer un verre d’eau en pleine figure, il avait en revanche quelques comptes à rendre avec l’inconnu qui lui avait piqué ses plumes ; ses désirs de vengeance étaient d’autant plus fort qu’un tableau s’était permis de sous-entendre qu’il se laissait faire par le premier imbécile venu. Alors il restait là, en plein milieu d’un parc où l’herbe semblait s’affaisser peu à peu à mesure que la pluie s’abattait dessus, en quête d’un animal qu’il espérait légèrement déplumé, sans même savoir ce qu’il ferait s’il s’agissait effectivement de l’« arme du crime ».

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Au moins, le plus âgé ne semblait pas mal prendre les piques du benjamin sur l’attrait tout relatif que pouvait avoir l’Écosse aux yeux des étrangers ; il n’était pas susceptible ou trop patriotique, c’était déjà ça de gagné. Le pays était peut-être très beau mais encore fallait-il pouvoir en distinguer quelque chose à travers le vent et la brume et dès lors qu’il fallait critiquer sa terre d’accueil, Dmitri pouvait se révéler très imaginatif. Ou pour être plus exact, à partir du moment où l’on attendait de la mauvaise foi et des moqueries, le garçon était toujours au rendez-vous. « Ouais des loup-garoux, la pluie ça suffisait pas pour éloigner tous les touristes alors les loup-garoux ça finit le travail. » Il n’avait aucun mal à croire que ça puisse en dissuader plus d’un. Tant la pluie que les loups-garous d’ailleurs. « Si ça te dis, je t'en présente un à l'occase', mais faut pas faire ta flipette par contre... » Il tourna la tête vers Blaze, d’un air circonspect. Là, aucun doute, il se payait sa tête. Comment pourrait-il en être autrement ? Il était tout de même assez rare de croiser des loups-garous et l’on touchait à l’improbable dès qu’il s’agissait d’un loup-garou assez ouvert d’esprit pour le clamer sur les toits et accepter d’être un objet de curiosité. « Ça dépend. Un soir de pleine lune, un loup-garou en liberté, ça ne me fait pas rêver. » Autant directement sauter du haut de la tour d’Astronomie, ce serait plus rapide et moins douloureux. « Et le reste du temps, ça n’a pas des masses d’intérêt... après s’il a pris une potion tue-loup et en prime, s’il est enfermé, ça peut se discuter. » On n’était jamais trop prudent, et il avait assez de frères plutôt retords pour se méfier des garçons un peu plus âgés que lui qu’il ne connaissait pas beaucoup. Et même de ceux qu’il connaissait bien d’ailleurs. Il était peut-être un peu parano sur les bords, mais si ça pouvait lui éviter quelques déconvenues, ça valait le coup.

Mais ils n’étaient pas sous la pluie pour parler de loups-garous. Ce qui les intéressait et qui justifiait la présence plutôt saugrenue du cinquième année dans le parc par un temps pareil, c’était l’augurey dont il se disait le maître. Mais pas le moindre oiseau en vue : entre la pluie et le vent, il était difficile de distinguer quoi que ce soit dans le ciel et l’animal devait s’être éloigné d’eux. En attendant, fidèle à lui-même, le tchèque prit un malin plaisir à railler Blaze : si celui-ci se foutait comme d’une guigne de l’entendre râler au sujet de la météo écossaise, il appréciait moins ses moqueries au sujet de l’oiseau. Puisqu’il semblait certain de récupérer son augurey, ça valait peut-être le coup d’attendre un peu plus longtemps sous la pluie. Mine de rien, Dmitri n’en avait jamais vu en vrai et l’occasion ne se représentera peut-être pas de ci-tôt.

Sûrement pour passer le temps, Blaze le chambra un peu sur les ragots colportés par la feuille de chou de l’école. « Ba, si tu veux des vrais infos, tu t'abonnes à la Gazette, ou tu publies le tien... » Le benjamin haussa des épaules d’un air désintéressé. « Non ça ira, j’ai autre chose à faire et on a déjà assez du croâsseur pour pas rajouter un nouveau journal. »

« Le voila, il va pas tarder à revenir. » En effet, lorsque le garçon leva les yeux au ciel dans la direction que pointait l’ornithologue amateur, il put y distinguer une forme sombre et mouvante traverser un fugace rayon de lumière. Ça n’était pas trop tôt ! Au moins, il avait maintenant la preuve que son aîné n’était pas totalement un affabulateur. « Dis moi van Aken, toi aussi tu peins des trucs comme le vieux ? » Il détacha son regard du vol de l’augurey, un peu surpris par la question. Il venait de mettre le doigt sur le genre de choses qu’il ne fallait pas lui demander : depuis qu’il avait fait ses premiers pas en peinture vivante, il nourrissait une fierté toute particulière à ce sujet et pour peu qu’on le laissât faire, il serait capable d’en parler des heures. Puisque ça flattait son égo, c’était toujours bon à prendre. Le souci étant que tout le monde n’était pas aussi patient ou intéressé que pouvait l’être Amaïa sur ce sujet. Mais après tout, puisqu’il n’était pas celui qui avait abordé la question, il pouvait bien se permettre de fanfaronner un peu. « Oui, j’ai commencé mon apprentissage en début d’année. » répondit-il en bombant le torse d’un air fier. Si la différence n’était sûrement pas très flagrante, entre l’imposante veste imperméable qu’il avait sur le dos et sa carrure de freluquet, l’intention y était. « C’est une tradition familiale. On se transmet l’art de la peinture vivante depuis des siècles. » expliqua-t-il avec passion. Pendant que d’autres passaient leur temps à écrire des sottises dans une feuille de chou, lui peignait. « Pourquoi cette question ? Tu t’intéresses à la peinture ? »

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Si on lui avait dit, plus tôt dans la journée, qu’il allait se voir proposer un plan comme celui du cinquième année, sous une pluie battante, il n’y aurait pas cru. Il se serait sûrement moqué de l’imagination débordante de la personne qui osait envisager une telle possibilité. Pouvait-il seulement croire Blaze ? Il semblait être d’une nature mutine, tout devrait porter à croire qu’il se payait sa tête et pourtant, au fond de lui, Dmitri y croyait. « Un antidote ? Tu penses réellement que ton plan a des chances de réussites ? » Il peinait à masquer la curiosité dans sa voix. Il connaissait à peine le plus âgé et il était question de loup-garou, ça n’était ni anodin ni dénué de tout risque, mais après tout, si ladite amie prenait une potion tue-loup, elle ne pouvait pas être bien dangereuse, n’est-ce pas ? Et l’école ne laisserait pas un loup-garou se balader librement s’il n’y avait pas de sérieuse garantie de sécurité. « Mettons que je sois intéressé, c’est pour faire quel genre de choses que t’aurais besoin d’un assistant ? » demanda-t-il avec une méfiance teintée d’un indéniable intérêt. Il se moquait bien de fanfaronner devant ses camarades de première année, ce qui l’intéressait, en revanche, c’était de pouvoir le faire devant ses frères. Si l’on faisait abstraction du double-sens des propos de Blaze, qu’il n’avait d’ailleurs pas saisi – sûrement trop accaparé qu’il était par les machinations de son aîné et parce que ces questions étaient à mille lieues des préoccupations d’un petit garnement de onze ans comme lui – nul doute qu’aucun d’eux ne pourrait se vanter d’avoir participé à une entreprise telle que celle que lui proposait le serdaigle. Et si, en prime, celui-ci trouvait réellement un antidote, quel bel exploit ce serait que d’y avoir pris part si jeune ! Il n’y serait certes pour pas grand-chose, mais ça tout le monde n’était pas obligé de le savoir.

La discussion avait presque chassé le sujet principal qui intéressait jusque-là le benjamin. Il n’en oubliait pas totalement l’augurey et ses satanées plumes, mais à côté d’un lycanthrope, l’oiseau faisait bien pâle figure. Mais pour comme se rappeler à leur existence, il daigna finalement apparaître dans le ciel chargé de nuages, portant avec lui les prémices de nouvelles manigances de son maître. À mesure que celui-ci parlait, le tchèque devait tendre l’oreille pour ne pas en perdre une miette. « Les portraits c'est les gardiens de l'école, super dur de te balader dans les couloirs sans qu'ils soient au courant, mais du coup je me demande si il y a pas moyen de les acheter... » Il pouvait difficilement le contredire là-dessus. Qu’il essaie un peu d’être le petit neveu du propriétaire d’un nombre certain de peintures vivantes avant de se plaindre de ne pouvoir bouger le petit orteil sans qu’ils ne le voient. L’aiglon aimerait bien pouvoir se vanter d’être devenu maître dans l’art d’esquiver les espions de son aïeul, mais il était forcé d’admettre que la chose était relativement complexe et il avait bien rapidement abandonné l’idée de les prendre de court. « C’est techniquement possible de les modifier... » fit-il, étrangement plus hésitant que lorsqu’ils parlaient du loup-garou. Nul besoin de réfléchir longtemps à la question pour savoir que son grand-oncle n’apprécierait sûrement pas d’apprendre que Dmitri modifiait des tableaux vieux de plusieurs siècles pour son propre intérêt et, pire encore, qu’il divulguait une partie de leur savoir à un étranger.

Il devait bien être envisageable de peindre quelques modifications mineures qui ne touchaient pas à la substante de l’œuvre entière et qui se révélaient plus éphémère, mais toucher au décor, c’était une autre paire de manche. « Le souci, c’est que tu ne peux pas le faire avec n’importe quelle peinture. » Il avait suffisamment observé celle dont il usait pour savoir qu’elle était soit ensorcelée, soit procédait d’une confection particulière digne d’une potion. Jusqu’à présent, il s’était toutefois contenté de garnir sa palette de la peinture fournie par son aïeul et n’avait pas la moindre idée de son processus de création. Ça n’était toutefois pas l’obstacle le plus insurmontable, avec un peu de débrouillardise, de recherches ou d’un larcin, il pouvait bien espérer remédier au problème. « Et si tu modifies trop ou mal la peinture, tu risques de la dénaturer... et donc de la détruire, en quelque sorte. » Cette fois-ci, se fut à son tour d’afficher un sourire captieux. « Enfin si tu modifies... façon de parler. Je ne vais pas te montrer comment faire, je tiens bien trop à la vie pour ça. Mieux vaut pour moi affronter ta pote sans potion tue-loup que de t’apprendre ce genre de choses... » Il était évident que si jamais il s’associait avec Blaze, il ne comptait pas tout lui dévoiler. Non seulement, ce serait trahir la promesse qu’il avait faite à son aïeul – l’une des rares qui lui tenait un tant soit peu à cœur – mais ce serait également se départir de son principal atout dans ces prémices de collaboration.

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Pas sûr que l’argument de « l’élève le plus malin » de l’école soit des plus rassurant, mais celui touchant à la sécurité avait au moins le mérite d’équilibrer les choses. Dmitri rendit son regard au plus âgé, ne tiquant pas le moins du monde sur la notion d’obéissance. Quiconque le connaissait un tant soit peu saurait qu’il n’était sans doute pas le candidat idéal pour obéir sans poser de questions, mais Blaze n’avait pas besoin de le savoir. Il était d’ailleurs capable de se montrer obéissant, lorsque ça allait dans son intérêt et que ça ne lui coutait pas.

Le tchèque opina pensivement du chef à l’écoute du plan. Présenté ainsi, la solution paraissait si simple qu’il était étrange que personne n’y ait pensé avant. Mais rares étaient les sorciers qui s’étaient réellement penchés sur la question des loup-garou, ces derniers n’étant que très peu acceptés, l’on ne s’était pas préoccupé outre mesure de les soigner. Tant qu’ils avaient une potion pour éviter de sauter à la gorge de la première personne voulue, tout allait bien dans le meilleur des mondes. Peut-être était-ce également à cause de la simplicité du procédé que personne ne s’était penché dessus, à moins bien entendu que quelqu’un ait déjà tenté l’expérience, sans succès. Après quelques minutes de réflexion somme toute très superflues – fidèle à lui-même, le garçon avait pris sa décision bien avant d’entendre la marche à suivre – il se décida finalement à prendre la parole. « Vendu ! J’en suis. »

Son grief originel à l’encontre de l’inconnu qui s’était amusé à substituer des plumes d’augurey à celles qu’il utilisait d’ordinaire pour écrire s’était désormais envolé. Il avait bien plus important en tête et rien ne lui prouvait que le serdaigle ait un quelconque lien avec le larcin, n’importe qui pouvait très bien acheter des plumes d’augurey. Et puisqu’il avait renouvelé son stock avec l’argent de son aïeul, il se foutait bien du prix que ça avait couté. Ses petits désirs de vengeance personnelle n’étaient rien comparé aux deux plans de Blaze : loup-garou et maintenant tableaux vivants. S’agissant de cette dernière requête, Dmitri se montrait plus prudent : cet héritage était sien, il ne comptait pas le partager avec un élève qu’il ne connaissait que très peu, quand bien même guérir une personne de sa lycanthropie pouvait éventuellement nouer d’indéfectibles liens. Cela étant, il demeurait intéressé par les machinations du cinquième année ; sous couvert d’effectuer quelques modifications picturales pour ce dernier, il pouvait lui-même escompter en tirer parti.

Mais avant qu’il n’ait le temps de répondre et d’entamer d’âpres négociations, l’animal qui faisait l’objet de toute l’attention du plus âgé revint finalement vers eux. L’aiglon n’avait jamais vu d’augurey en vrai – c’était relativement rare de pouvoir s’en vanter – et en apercevoir un d’aussi près était, il fallait bien le reconnaître, très impressionnant. « Finalement t’avais raison, il s’est pas fait la malle... » Son ton légèrement railleur cachait une forme de compliment, le mieux qu’il puisse accorder à Blaze. Il emboîta finalement le pas de l’ornithologue amateur, regardant l’animal avec une certain intérêt. Il n’avait toutefois pas oublié leur discussion, et encore moins la seconde proposition de l’aîné. « Pour les tableaux, ça peut se faire. Mais les modifier, c’est un travail assez conséquent... sans compter qu’il va me falloir un certain temps pour obtenir la bonne peinture. » commença-t-il d’un ton presque solennel. En réalité, il rechignait un peu à l’idée d’en subtiliser à son aïeul, ne serait-ce que parce que le risque qu’il se fasse prendre la main dans le sac était très grand ; le souci de voler un peintre et possesseur de nombreux tableaux, c’était bien que lesdits tableaux veillassent au grain. Le mieux restait encore d’en produire soi-même. « Laisse-moi quelques jours pour réfléchir à comment je peux faire ça... tu peux aller à Pré-au-Lard toi, non ? » À force d’entendre parler du village avoisinant, il commençait à trouver particulièrement frustrant de ne pas avoir le droit d’y aller. « J’aurai sûrement besoin que tu te procures quelques ingrédients là-bas... à tes frais, bien entendu. »

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