ft. C. Junior d’Archambault et les autres

Accepter de me rendre à cette soirée ridicule m’avait été d’une difficulté monstrueuse tant et si bien que l’apparition de notes de nos capitaines respectifs avait eu le don d’assombrir la tranquillité de cet après-midi de paresse au soleil. Je détestais cette équipe au moins tout autant que je détestais cette victoire mais j’avais bien trop pris sur moi cette année pour tout foutre par terre pour une histoire de fête. Tant d’entraînements interminables, dirigés par l’Incapable en Chef, obligé de serrer les dents et de ravaler tout le mépris qu’il pouvait bien m’inspirer, lui et sa bande d’insectes… Il était bon de finir de la même manière : avec un sourire absent mais bien présent, pour offrir à cette équipe qui n’en avait jamais été une tout l’intérêt qu’elle méritait en ce grand jour… Est-ce qu’Erin savait à quel point cela me répugnait d’aller traîner avec tout ce qu’il y avait de plus indignes dans nos couloirs ? Sans le moindre doute… J’aimais à croire qu’elle n’en pensait pas moins, bien sûr, et qu’elle n’y allait que contrainte et forcée mais je savais pertinemment que non. Je ne prétendais pas qu’elle y voyait la meilleure soirée de tous les temps, ma meilleure amie avait normalement de meilleurs goûts que cela, mais elle y trouverait sans le moindre doute de quoi se divertir. Un soupir m’échappa alors que je terminai de boutonner ma chemise. Je ne savais pas dans quoi je me lançai encore mais il était évident que ça ne me plairait en rien. La porte de mon dortoir s’ouvrit derrière moi et je n’eus même pas à me retourner pour savoir de qui il s’agissait. Il fallait croire qu’on venait me cueillir directement sur place pour éviter que je ne me défile… ou que je laisse assez le temps filer pour que le retard devienne inacceptable… Elle n’avait pas tort, évidemment… Son regard glissa sur son reflet s’avançant dans le miroir, le détaillant avec autant d’attention qu’il m’était possible d’avoir. Elle était divine. Plus jolie que ça encore. Sûrement trop jolie pour la soirée qui nous attendait, en réalité… Je n’étais pas disposé à faire aussi bien, de mon côté. Ma seule présence à cette soirée de pacotille revêtait tous les efforts en ma possession, il n’en restait guère pour mettre la main sur une tenue à la hauteur de la sienne. Elle ne sembla pas s’en offusquer, laissant ses doigts glisser sur mon col pour le mettre correctement.

— Tu es d’une élégance sans parrreil.

Mes lèvres se fendirent d’un sourire avant de se poser doucement sur sa joue.

— Je ne suis pas certain que ce bas monde mérite tant de beauté, ma tendre amie, soufflai-je alors que je fourrai l’invitation (ou ce qui en faisait office) dans la poche de mon pantalon. Et puis tu risques de faire de l’ombre à notre héros du jour et je doute très sincèrement qu’il apprécie.

En réalité, je m’en fichais bien. Il n’y avait personne au monde dont je pouvais moins me soucier que de Capitaine Souillon et ses caniches volants… Il ne nous fallut malheureusement qu’un instant pour quitter mon dortoir et rejoindre le repères de la vermine… La porte eut à peine le temps de s’ouvrir qu’une décoration pitoyable entra agressivement dans mon champ de vision, rapidement suivi par la horde d’impurs tant attendue… Un sourire de circonstance se posa péniblement sur mon visage. Je n’avais aucune envie d’être là, tout ce qu’il y avait là me répugnait au plus haut point, mais il fallait rester digne et heureux de l’issue du championnat jusqu’au bout. Malheureusement, l’arrivée de Bradford, juste derrière nous, et l’apostrophe presque immédiate d’Erin firent déjà vaciller mes bonnes intentions. Je le reconnaissais le plus volontiers du monde, c’était une mauvaise idée. Peut-être pas autant que la venue de Pumpkin femelle qui faisait tache dans le décor tant par sa maison aux couleurs bien peu assorties aux nôtres que par son altercation avec certains Poufsouffles en fin de match précédent devant l’école toute entière, bien sûr, mais on ne pouvait pas attendre d’un Sang-de-Bourbe qu’il fasse preuve d’un minimum d’intelligence. Après, il fallait voir le bon côté, peut-être que le spectacle d’une bagarre au beau milieu de leur petite sauterie pitoyable se montrerait plus digne d’intérêt que la sauterie en elle-même. Heureusement, le divertissement de Madame ne nous fit pas longtemps l’honneur de sa présence et il disparut en un rien de temps. Je l’avais bien assez vu pour la soirée et craignais que ma meilleure amie ne finisse par s’enfuir également s’il restait dans les parages bien davantage… J’en avais déjà fait les frais, je connaissais la chanson. Je la suivis jusqu’à Shepherd sans opposer la moindre résistance, la saluant d’un sourire poli et d’une compassion tâchée de satisfaction feinte. Il na fallait pas oublier que nous avions gagné, que nous étions les grands vainqueurs de cette coupe dont les dorures étaient ternies par toutes les impuretés qu’on lui imposait.

— C’est toi la décorrration ? Trrrès… verrrt. Ça aurrrait été parrrfait en jaune et noirrr. Pourrrquoi est-elle là, celle-la ?
— Ne sois pas médisante, c’est parfait en vert, lâchai-je d’un ton gentiment railleur. C’était si parfait que ça en donnait la nausée… Comment ce sport sorcier avait-il pu tomber si bas ? Mon attention se reporta machinalement sur l’attrapeuse. Très réussi.

Qu’importe si je n’en pensais pas un mot, mes parents m’avaient assez bien élevé pour me laisser donner le change. Il était bien dommage qu’elle n’ait aucun talent, en tout cas ni pour le Quidditch ni pour la décoration, elle n’avait pas l’air désagréable. Ou du moins, elle l’était avant de se mettre à brailler comme Mansfield l’avait fait en pleine forêt la dernière fois… Bon, et bien il n’était plus question de fête mais de foire… Très bien. Pourquoi pas… Le discours avait au moins le mérite d’être fair-play. D’une naïveté presque touchante cela dit. Vous êtes tous des champions ? Sérieusement…? Il y avait la moitié des gens présents ici qui n’auraient jamais dû avoir le droit de monter sur un balai… Alors de là prétendre à un tel titre…! La suite, en revanche… On se serait cru dans un tripot miteux. Je n’attendais rien de particulièrement prestigieux ce soir, cela allait de soi, mais je n’avais pas supposé que nous mettrions les pieds dans les bas fonds de Poudlard… Je regardais ces gamines s’encanailler de la pire des manières, drapées d’une vulgarité désespérante à un si jeune âge lorsque la voix d’Erin me ramena à une réalité guère plus enviable : il y avait une soirée dont il fallait profiter. Puisque nous étions là…

— Tu veux boirrre quelque chose, champion ?
— Tout ce que tu voudras, il nous faudra bien ça pour supporter ce qui nous attend ce soir…

Mes quelques mots étrangers se perdirent rapidement dans le bruit de la fête, si tant est qu’on puisse appeler ça ainsi, tandis qu’Erin se servait de je ne savais quoi. Je n’étais pas certain qu’elle ait compris grand chose mais je ne doutais pas qu’elle en comprendrait l’idée générale. S’il aurait été simple de prétendre que nous n’étions pas à notre place au milieu de ces animaux déchaînés, je pensais plus sincèrement que c’était eux qui n’étaient pas à leur place sur notre territoire… Mais il était bien difficile de faire quoi que ce soit pour changer cela pour l’instant… Surtout avec la direction actuelle…

— Tu crois qu’elles s’écrouleront au bout de combien de verres au train où elles vont ?

Je récupérai celui rempli et tendu par ma meilleure amie, la remerciant dans un souffle presque inaudible avant de tremper mes lèvres dans la boisson. Je n’avais guère d’intérêt pour leur débilité mais je craignais que nous ne puissions rien espérer de mieux… Alors soit, fondons-nous dans la masse désespérante de la jeunesse douteuse de Poudlard…

ft. C. Junior d’Archambault et les autres

Si l’on m’avait dit, quelques mois plus tôt, que je me retrouverais là, à regarder de parfaits demeurés s’enivrer pour se donner l’impression d’être des héros, je ne l’aurais probablement jamais cru… Et même là, alors que j’étais au beau milieu de cette pièce décorée avec un goût des plus douteux, je peinais encore à le croire. Quelque chose m’avait largement échappé sur ce plan. Seule la présence d’Erin à mes côtés donnait un semblant de sens à ma présence ici. Et encore… Nous aurions sans nul doute été bien mieux ailleurs. Loin de la vermine qui braillait à s’en casser la voix, écorchant la politesse et assassinant la bienséance. Ça n’était pas dramatique pour autant. Nous pouvions boire un verre et repartir l’air de rien, oubliant jusqu’à l’existence de cette réunion affligeante. Je doutais très certainement que nos présences puissent manquer à qui que ce soit ici. Il y avait clairement un monde qui nous séparait de cette masse bruyante… Enfin, normalement… Je craignais Erin plus proche d’elle que je ne le voulais le croire. Après tout, Bradford y avait parfaitement sa place et je n’avais même aucun mal à supposer qu’il puisse appartenir à pire encore qu’une bande d’adolescents un peu idiots. Mais le programme déjà désespérant de cette soirée n’alla malheureusement pas en s’arrangeant.

— Bon les nazes, qui est chaud pour un jeu de la bouteille ?

Mon regard croisa machinalement celui de ma meilleure amie tandis que je haussai les épaules. Ça ne nous coûtait rien de nous rapprocher. Au pire, nous prendrions simplement la poudre d’escampette lorsque cela deviendrait trop désastreux pour être supportable. Mon verre dans une main, Erin à portée de l’autre, je rejoignis bon gré mal gré les coussins qui avaient été installés à même le sol pour l’occasion. Les règles furent rapidement énoncées, pas bien difficiles à intégrer. Autour de cette pauvre bouteille, on ne pouvait pas prétendre qu’il y avait que du beau monde… Néanmoins, rien de si ignoble que ça à ma connaissance… Si on excluait Mills, bien sûr. Jade se lança la première et fit tourner l’objet. Je voyais d’ici l’air ouvertement réprobateur qu’aurait eu ma mère si elle avait eu connaissance de cet égarement ridicule… et celui qu’aurait probablement Finnbjörn en apprenant que sa chère soeur se trouvait là également… Nous étions affreusement loin d’un vague outrage à un professeur pour être sortis un peu trop rapidement de sa classe, cette fois-ci ! La bouteille finit par pointer la sang-de-bourbe. Le hasard avait un drôle d’humour. Comme si quelqu’un pouvait avoir envie d’embrasser ça, même pour jouer…

— Bon, je refuse jamais un défi, mais là c’est une question de principes. Santé !

Si je ne connaissais pas vraiment ses principes, pour ne pas dire pas du tout, celui-là me semblait tout à fait louable. Cette gamine remontait faiblement dans mon estime. Certes elle ne nous avait pas offert la défaite et elle semblait être à l’origine de cette fête mais tout n’était pas bon à jeter chez elle. Elle plongea dans son verre et le vida à une vitesse hallucinante alors que ma coéquipière faisait tourner la bouteille à son tour. Je n’y fis pas particulièrement attention, plus occupé à observer les joues rougissantes de l’attrapeuse. Au train où elle allait, elle risquait de finir cette soirée dans un état lamentable… Ce qui n’était pas mon problème, en soi.

— On fête notre victoire Junior ?

Ça, ça l’était déjà bien davantage. Mon regard glissa le long du goulot qui me pointait jusqu’au visage de Sasha dont l’intonation me laissait dubitatif. Il aurait été assez simple de refuser, marcher dans les traces de l’organisatrice elle-même… Et durant une seconde, ça me sembla être ce qu’il y avait de mieux à faire… Mais en même temps, c’était un jeu, aussi pathétique soit-il, et le but restait de jouer. Je retins un soupir et me redressai légèrement.

— Trinquer aurait suffi, lâchai-je d’un ton raillant vaguement le sien sans, toutefois, que je ne daigne porter mon verre à mes lèvres.

Sa main glissa dans ma nuque, m’arrachant malgré moi un frisson désagréable, puis ses lèvres se posèrent furtivement sur les miennes. Dire que c’était un moment horrible aurait été mentir, bien sûr, j’avais bien conscience que nombre de garçons aurait donné cher pour être à ma place ce soir et si je n’étais pas véritablement en mesure de comprendre la « chance » qui était mienne tant elle m’avait toujours indifféré, il fallait bien reconnaître que je ne regrettais pas cette participation inconvenante. Néanmoins, je lui fus reconnaissant de ne suivre qu’à moitié les règles énoncées par Shepherd. Elle finit par retourner à sa place et je me réinstallai plus correctement à la mienne. À côté, Erin semblait s’être figée, m’offrant au passage l’ombre d’une culpabilité malvenue. Je m’agitai imperceptiblement, juste assez pour laisser mon bras frôler le sien. J’étais incapable de savoir si la distance immense que je sentais tout-à-coup entre nous était réelle ou seulement le fruit de mon imagination. Je ne savais pas ce qui était préférable, en réalité… La bouteille se remit à tourner mais le jeu n’était plus si amusant, finalement. Nous aurions certainement dû partir bien avant. Voire ne pas venir du tout. Mes deux coéquipières s’en donnèrent à coeur joie, me laissant craindre d’où les lèvres de Vicenzo avaient bien pu traîner jusque là… La bouteille tourna à nouveau… Il serait sûrement plus sage de partir rapidement. Du moins, c’était ce que je pensais avant qu’elle ne s’arrête sur Erin. Le sourire qu’afficha son camarade de maison me crispa brusquement.

— Baby, je sais depuis quelques temps que tu veux me pé-cho. Crois pas que j’ai pas remarqué tes petits regards pendant les entrainements. Ta chance t’a souri et ces lèvres sont à toi l’espace d’un instant, j’espère que tu vas en profiter un max.

J’aimais à croire que ça n’était qu’une plaisanterie de mauvais goût mais dans le fond, les doutes laissés pendant des mois par ma meilleure amie elle-même n’eurent aucun mal à revenir au galop… Et si…? Mon coeur loupa un battement. Il n’y avait jamais eu que deux prétendants potentiels mais finalement, un gros lourd en valait bien un autre, il pouvait y en avoir des tas que je ne soupçonnais même pas. Non… C’était idiot… Pourtant, elle ne semblait pas refuser invitation… Je trempai mes lèvres dans mon verre pour me donner l’impression d’avoir autre chose à faire que de les fixer sans ciller. Pourtant, au lieu de se laisser embrasser, elle ficha sa baguette sous la gorge de son coéquipier. Ça tournait au n’importe quoi. Qu’elle le rembarre, j’en étais ravi, bien sûr, mais tout de même… C’était un jeu stupide, rien de plus… Elle disait non et tout le monde passait à autre chose. Lorsqu’elle revint s’asseoir, elle vida son verre d’un trait. Mon regard glissa jusqu’à sa victime et se fit légèrement désolé, comme si j’étais responsable des bêtises de ma meilleure amie. La bouteille se remit à tourner alors qu’elle invectivait Sasha. Cela n’avait plus vraiment l’air d’un jeu, plutôt d’un règlement de compte… Elle semblait en avoir après la terre entière et l’envie de mettre les voiles se fit plus grande encore. Le hasard se joua d’elle, la poussant à remplir à nouveau son verre… Elle incita Bradford à jouer à son tour et s’appuya négligemment derrière elle. La situation nous avait largement échappé et je craignais que ça ne fasse que se détériorer par la suite. J’avais juste envie de l’embarquer loin d’ici sans trop savoir ce qu’il fallait fuir.

— Tu devrais ralentir un peu, lui soufflai-je d’une voix douce alors que Bradford embrassait Jade, et puis rien ne nous oblige à rester.

Ma main se posa sur la sienne un instant avant que la voix du Poufsouffle de me rappelle à la soirée qui continuait de vivre autour de nous. Je finis par m’exécuter et laissai mes doigts remettre en mouvement cette maudite bouteille. Dans le fond, ça n’avait plus grande importance. Qu’importe sur qui ça pouvait bien tomber, je refuserais et puis ça s’arrêterait là. Le jeu avait perdu son intérêt si seulement il en avait eu un un jour… Seulement… Seulement elle s’arrêta sur Erin. Il me fallut bien une seconde pour imprimer l’information et une autre pour oser relever les yeux vers elle. Je ne savais pas si je cherchais son approbation ou si je voulais au contraire qu’elle boive pour m’empêcher de faire une bêtise pareille. Pourtant, elle n’esquissa pas le moindre geste vers ce verre déjà bien maltraité jusque là. Il fallait se dire que je pourrai au moins lui dire qu’elle embrassait mal en toute connaissance de cause… Avant que ce qui me restait de bon sens en pleine possession de ses moyens ne parvienne à m’arrêter dans cette bêtise, j’assassinai la distance qui nous séparait et déposai presque timidement mes lèvres sur les siennes. Si jeu il y avait encore, je crois que je m’y perdis un peu, en tout cas, je m’y pliai le plus docilement du monde. Le goût d’alcool qu’avait sa bouche m’enivra et alors qu’il aurait été de bon ton de reprendre mes distances, mes doigts glissèrent dans son cou pour l’empêcher de fuir. Juste une seconde plus. Je supposai, sûrement à juste titre, qu’il n’y aurait jamais de prochaine fois, aussi je tenais à profiter de celle-là. Peut-être était-ce stupide mais cela sembla être la suite logique aux étreintes étroites qui ponctuaient chaque dispute et aux tendres cajoleries qui peuplaient nos têtes-à-têtes. Je ne doutais pas qu’elle le verrait autrement… Presque à contre-coeur, je finis par rompre ce baiser aux accents de trop peu et revins sagement à ma place. L’impression d’avoir fait n’importe quoi était tenace… renforcée, peut-être, par celle d’avoir offert à des yeux inconnus quelque chose qui n’aurait dû appartenir qu’à nous. Qu’importe… De toute façon, c’était fait… Mon regard finit par se reposer sur Shepherd avant que je ne lui désigne la bouteille d’un geste du menton.

— Cette fois, essaye de ne pas te débiner.

Enfin… Si elle retombait sur Mills, personne ne pourrait lui en tenir rigueur, évidemment…

ft. C. Junior d’Archambault et les autres

Feindre l’indifférence, du moins s’en rapprocher, s’avéra difficile. C’était idiot, pourtant, j’y étais parvenu dignement alors que tout ce que Poudlard faisait de plus ignoble se pressait autour d’un jeu pathétique et n’avais pas eu plus de mal après avoir approché d’un peu trop près ma coéquipière… Je ne prétendais pas que tout était d’une perfection sans égale mais je m’en tirais avec les honneurs. Là, pourtant, je m’en sentais incapable. Des gestes trop secs pour être détachés, un intérêt pour cette soirée trop présent pour paraître crédible et un regard trop fuyant pour laisser planer le moindre doute… C’était d’un ridicule affligeant et il était évident que j’aurais regardé un tel spectacle d’un air moqueur en jurant à qui voulait l’entendre que jamais je ne tomberais aussi bas… C’était de toute évidence un échec… Assez, je crois, pour que l’ivrogne de la soirée parvienne à mettre le doigt dessus avec une délicatesse qui n’avait rien à envier à celle d’un pachyderme…

— Ouuuuuh, j’crois qu’y en a qui feraient mieux de prendre une chambre… Vous voulez de l’intimité, Roméo et Juliette ?

Après tout, c’était à l’image de notre hôte : immature et vulgaire. Il n’y avait strictement rien à en attendre d’autre, c’était à la hauteur des pétasses de notre arrivée et des idées douteuses qu’elle avait pour occuper notre soirée… Mais dans le fond, elle n’avait pas vraiment tort. Oh, pas pour la chambre, bien sûr, mais l’intimité que nous connaissions d’ordinaire, celle-là même au sein de laquelle nous nous déchirions depuis des semaines, aurait été plus que bienvenue. Je doutais sincèrement qu’un tel égarement nous aurait pris s’il n’y avait eu aucun jeu, aucune ivresse ni regard dardé sur nous mais elle n’en était pas moins enviable pour autant. Jade laissa ses doigts remettre en branle l’objet de toutes les attentions alors que je sentais les jolis yeux d’Erin s’attarder sur moi. Est-ce que c’était lâche de feindre l’observation minutieux des tours interminables de la bouteille pour éviter d’avoir à lire quoi que ce soit dans ce regard-là ? Peut-être… Sûrement, en réalité. Nous trouverions certainement une explication logique d’ici demain, nous l’inventerions au besoin, je nous faisais confiance pour nous débarrasser avec une habileté toute enfantine de cette importune réalité, mais pour l’instant j’en étais bien incapable. Il n’y avait que cet échange aussi délicieux qu’effrayant, les souvenirs enfouis qui remontaient bêtement… La gêne, le silence, l’éloignement… Faire comme si de rien n’était empêcherait peut-être notre relation de retomber dans ce schéma déjà tenté…? La danse du verre ralentit doucement, doucement, puis s’arrêta, incertaine, jusqu’à pointer ma voisine. Je ne pus m’empêcher de me tendre malgré moi. Après tout, c’était le jeu, nous en avions accepté les règles puériles et n’étions restés que pour ça…

— Au moins, j’reste fidèle à ma team, ça resserre les liens pour l’an prochain.
— C’est comme ça que tu envisage de souder l’équipe ?

L’amusement qui se détachait dans sa voix alors qu’elle acceptait tacitement la décision du hasard semblait aller dans ce sens. C’était un jeu. Rien qu’un jeu… Le plus détestable d’entre eux. L’envie de quitter cette mascarade devenait de plus en plus forte à mesure que les centimètres mourraient sous leur stupidité et il me fallut tout le sang-froid du monde pour ne pas disparaître dans un claquement de porte capricieux alors que l’attrapeuse récupérait la place que je venais tout juste de laisser. Si l’échange fut bref, il n’en fut pas moins insoutenable. Un sourire absent tâchait de donner le change alors que je me perdais dans la contemplation du liquide ambré qui s’agitait à peine au fond de mon verre. J’avais envie de rentrer. Il n’y avait plus l’ombre d’un amusement ici. Rester ne me servait qu’à étouffer des espoirs vacillants sous les feux d’un rassemblement qui n’avait plus rien de ludique. Jade retourna à sa place s’égosillant en battant des mains pour enjoindre Vicenzo à prendre sa suite tandis que le poids d’Erin s’affalait doucement contre moi. Comme d’habitude… Exactement comme d’habitude… Qu’importe le lieu, qu’importe la compagnie, qu’importe ce trouble goguenard qui me nouait l’estomac… Ses doigts rejoignirent les miens, retissant à grand peine les parois rassurantes de notre bulle ordinaire. Pourtant, son efficacité laissait à désirer. Je ne doutais pas que demain ramènerait avec lui tout ce que nous avions toujours connu mais, ce soir, je peinais à me défaire des images de cette soirée. La sensation de ses lèvres sur les miennes était tenace… et dans le fond, j’espérais sûrement un peu qu’elle le reste. Garder en tête le souvenir vivace de cet échange là où le précédent n’avait perduré qu’un instant… Il fallut qu’une autre main s’empare de notre jouet du soir pour que je reprenne vraiment contact avec la réalité. Le goulot s’arrêta à nouveau sur ma meilleure amie, une habitude, mais celle-ci sembla à peine y faire attention. Son regard s’accrocha au mien et je m’y laissai prendre sans lutter.

— Tu disais que nous n’étions pas obligés de rrrester ?

Un haussement d’épaules m’échappa malgré moi. Non, nous n’étions obligés de rien. Nous avions fait bien plus d’efforts ce soir que nous n’en aurions jamais dû, il n’était pas inconvenant de finir par prendre congé.

— Tu avais l’air de bien t’amuser, lâchai-je à mi-chemin entre reproche et amusement, mais allons-nous-en.

Il n’en fallut pas davantage pour me laisser entraîner à sa suite. J’abandonnai mon verre sans l’ombre d’un regret et lissai d’un geste machinal un pli sur mon pantalon. Nous avions assez donné ici et, si je n’avais aucune idée de ce qui pourrait nous attendre dehors, je n’étais pas mécontent de tirer un trait sur cette assemblée méprisable.

— Merrrci pourrr cette soirrrée, Jade.

Je hochai machinalement la tête, la main d’Erin reposant toujours dans la mienne. Ça n’était pas vraiment ce qui me venait naturellement à l’esprit mais qu’importe. Si l’initiative venait d’elle, elle avait au moins le mérite d’être d’un fair-play incroyable et de m’avoir évité le tête à tête avec toute l’impureté de mon équipe…

— Amusez-vous bien. Et peut-être à une prochaine fois.

Je pris congé dans un sourire aussi amical que la crédibilité me le permettait et ne me fis pas prier pour passer la porte. Il était évident qu’il n’y aurait jamais de prochaine fois, bien sûr, fraterniser avec la plèbe n’avait jamais fait partie de mes intentions… Mais qu’importe… La porte finit par se refermer derrière nous dans un claquement sonore. Le silence qui survint se fit assourdissant. Un certain malaise revint au galop, craignant qu’on ne l’ait oublié entre-temps… Je retins un soupir et finis par me perdre dans la contemplation maladroite de ce visage familier qui venait de se tourner vers moi. Si les secondes se suspendirent une fois de plus, celle-ci n’avait rien de très agréable. Qu’Erin ne dise rien ne faisait accroître la gêne. Rares étaient les fois où elle ne se fendait d’aucune remarque désobligeante à l’égard de tout ce que Poudlard pouvait bien porter en son sein…

— C’était d’un pathétisme affligeant, soufflai-je à sa place alors que mes doigts effleuraient maladroitement sa joue pour repousser une mèche égarée dans un simulacre d’habitude, nous aurions largement pu nous contenter d’une soirée plus tranquille… D’autant plus qu’il nous en reste trente-neuf, si mes souvenirs sont bons.

Sans un regard en arrière, je l’entraînai le long du couloir sans jamais rendre à ses doigts la moindre once de liberté. Je tentais tant bien que mal de faire comme si de rien n’était, garder les mêmes gestes, les mêmes regards que nous nous offrions d’ordinaire mais, ce soir, l’entreprise était bien compliquée. J’avais plus que jamais envie d’assassiner distance et convenance pour l’enlacer et regarder la notion même d’amitié agoniser sur l’autel de ce baiser troublant. Mais je savais pertinemment que ça n’en valait pas la peine. Elle avait bu, nous étions pris dans l’élan des autres et rassurés par les autorisations ludiques qui nous avaient été accordées… Demain, ce serait différent et nous le regretterions sûrement. Je ne savais pas où nous allions, désormais. La logique aurait voulu que je me contente de la raccompagner, le couvre-feu était probablement dépassé, s’il ne l’était pas il n’y tarderait pas, mais l’envie n’était pas là…



Quelques étages plus bas, aux bruits étouffés de nos pas sur la pierre froide des couloirs du château s’ajoutèrent ceux d’un autre. Je ralentis machinalement la cadence, nous gardant tapis dans l’ombre vacillante entre deux torches alors qu’à quelques mètres de nous, tournant dans un couloir adjacent, se découpait la silhouette du Professeur Kendrick. Je la regardai s’éloigner sans un mot, filant sûrement tout droit vers ses appartements… Et puis, tout-à-coup, je lâchai la main de ma meilleure amie et, comme elle l’avait souvent fait, m’approchai doucement d’elle, juste assez pour pouvoir glisser quelques mots à son oreille sans briser le silence somnolant qui régnait aux alentours.

— Attends-moi une seconde, on va enfin pouvoir fêter cette victoire dignement : avec des ennuis pour la vermine.

Mes lèvres effleurèrent doucement sa joue avant que je ne l’abandonne éhontément derrière moi, accélérant la cadence pour rattraper mon professeur de Divination. Erin aurait sûrement été une alliée fidèle mais les verres qu’elle avait enchaînés risquaient de nous porter préjudice. Il était question d’avoir l’air innocent, irréprochable même.

— Professeur ! Professeur, attendez ! Il y a un problème dans la Salle sur Demande !

J’espérais que la lueur troublée qui subsistait au fond de mes prunelles claires jouent en ma faveur et laisserait entendre que tout ça ne me plaisait guère… Si on me demandait ce que je faisais là, si loin de la salle en question, je n'aurais qu'à prétendre que j'allais chercher l'infirmière pour quémander son aide.

— Ils ont organisé une soirée après le match, ça devait être bon enfant, je vous assure, c’est pour ça que je m’y suis rendu, mais ils ont commencé à sortir de l’alcool de je ne sais où… Ils ont fait boire la petite Jade, alors qu’elle doit avoir douze ou treize ans, elle n’avait pas l’air bien quand je suis sorti et il y a un garçon qui se montrait affreusement lourd avec elle ! un des poursuiveurs… je ne connais même pas son nom, je suis désolé ! Mais j’ai peur qu’il profite de son état pour… enfin… vous voyez…! S'il vous plaît... Ça va dégénérer...

Je repris mon souffle après ma tirade balancée à grande vitesse pour rendre compte de l'urgence et posais sur mon enseignante un regard suppliant. Il fallait qu’elle fasse quelque chose et qu’elle le fasse vite. Il était évident que tout ça était dans le seul but d’aider une camarade en détresse, quoi d’autre ? Qui pourrait m’en vouloir pour ça ? Je regrettais seulement que Capitaine Souillon ne soit pas là pour prendre avec Mills mais qu’importe… Il fallait se rassurer en se disant que Bradford prendrait à sa place. Ça n’était pas une cible principale mais il ne fallait pas non plus faire la fine bouche. Je la regardai disparaître dans le couloir toujours désert, visiblement attachée au triste sort d’une enfant (et probablement des autres également) et attendis d’être sûr qu’elle avait mis les voiles pour revenir sur mes pas. Peut-être que j’aurais une vague remontrance, demain, pour avoir eu le malheur d’être dehors après le couvre-feu mais il y avait plus important ce soir, comme éviter que des adolescents ne finissent ivres morts ou tripoter sans leur consentement. Qu’importe, j’étais certain que le jeu en vaudrait la chandelle. Ma meilleure amie n’avait pas bougé du coin sombre où je l’avais laissée. Je lui offris un sourire amusé. C’était dommage que nous ne puissions pas assister à cette deuxième partie de soirée…

— On devrait tout de même rentrer… Je te raccompagne ?