Judith et Finn s'exercent

Soyons honnêtes, je ne me souviens pas des trois quarts des gens qui peuplent ce château : pour certains, je suis parvenu à coller des noms sur des visages, et certaines familles importantes me sont devenues familières. Je réapprends progressivement, mais en tout cas, j’ai développé une certitude : je ne supporte pas la moitié de ces pestiférés bavards et souillons, dépourvus de tout savoir-vivre. Aussi, l’idée de s’en servir pour cobaye peut être parfois séduisante… « Tu devrrrais en parrrler avec Alexanderrr, je suis cerrrtain qu’il apprrrécierrra hautement cette idée. » Je souris, en imaginant Alexander, professeur de potions et vieil ami de la famille de surcroît, prendre cette requête au sérieux : oh, je ne doute pas qu’il le fera. Après tout, en tant qu’expert potionniste, je le vois mal passer à côté d’une telle occasion d’expérimenter un peu quelques philtres… Mais après tout, je ne veux rien de moins que ce qui est le mieux pour ma soeur : la possibilité de s’exercer, et mettre ses talents au service de la science magique. Or, des nés-moldus ignorants et parasites, il en court les couloirs du château, il n’y a qu’à prendre un dans le tas, et bien des recettes d’élixir pourraient être essayées ! Enfin, j’imagine que Grand-Mère doit être plutôt sceptique face à une telle idée… Judith évoque l’idée de développer d’autres compétences lorsque j’évoque la légilimancie, et je hoche furtivement la tête, avant de hocher les épaules. Trop s’éparpiller peut conduire à une perte de temps, mais dans mon cas, j’ai choisi une manière de l’optimiser. Peut-être que ma soeur pourrait finir par trouver la sienne… « Peut-êtrrre. Dans cette famille, le mérrrite est une courrrse contrrre la montrrre. » C’est un fait. Seuls quelques mois d’observation m’ont permis de le confirmer : nous sommes tous les quatre traités avec égalité, avec la même exigence, la même rigueur, et poussés vers l’excellence. Nos aïeuls savent se montrer durs, mais également justes et impartiaux avec nous : nous sommes rarement punis, mais mis en compétition les uns avec les autres… En tout cas, lorsque j’ai récupéré l’usage de ma mémoire, je n’ai pu m’empêcher de percevoir en la personne de ma soeur jumelle une rivale qu’il me serait impossible d’affronter avant un bon bout de temps. Et pour Judith, qui se trouve être la dernière née, séparée de nous par deux années à Poudlard, j’imagine que cette sensation doit être fortement amplifiée…

Finalement, notre confrontation se conclut, lorsque le corps de ma soeur s’immobilise : ses traits se figent comme si elle était soudainement recouverte d’une fine couche de givre, et son corps dur comme la pierre retombe sur le sol. Même si je suis certain qu’elle n’aura pas mal, je sais qu’une telle défaite ne sera vraiment pas pour lui plaire, aussi je ne tarde pas pour en terminer. M’approchant d’elle, je pointe ma baguette sur son thorax, prononçant un prudent : « Finite ». Rassuré de voir ses paupières s’ouvrir, je m’écarte légèrement ; je commence à la connaître, et je sais qu’il vaut mieux que je lui laisse de l’espace. Certes, j’éprouve toutefois une certaine satisfaction : ce n’est pas une grande victoire, je me serais certainement retrouvé en fâcheuse posture devant ma soeur jumelle… mais c’est un nouveau pas franchi, et une victoire contre mes lacunes mémorielles. Peut-être suis-je l’aîné, mais j’imagine que l’idée de se faire battre par un amnésique n’avait rien de réjouissant… enfin bon, mon égo en aurait probablement aussi pâti dans le cas inverse : nous avons tous deux besoin de faire nos preuves, et en ce qui me concerne, ce duel de sorcellerie m’aura permis de faire les miennes. J’attends patiemment qu’elle se relève, et m’adresse à elle d’un ton serein : « Tu devrrrais assouplirrr tes mouvements, ta posturrre statique te porrrte préjudice. » Je sais que je l’ai un peu provoquée pendant que nous combattions, mais au fond, je reste persuadé qu’elle a parfaitement l’étoffe d’une grande sorcière. La fougue d’Erin lui siérait peut-être bien, par moment… Mais la sagesse de notre benjamine est encore à exploiter, c’est une certitude. « Belle défense néanmoins. » ajouté-je sans un regard. Je ne me sens nullement contraint de l’encourager, mais j’estime qu’elle le mérite : après tout, deux ans nous séparent, et je sais qu’elle a donné le meilleur d’elle-même. Aussi, je ramasse mes affaires, et balaie la pièce du regard : pour l’heure, je n’estime pas intéressant que nous nous attardions ici. « Nous n’avons pas à en rrreparrrler. Allons rrrejoindrrre les autrrres pourrr manger. » déclaré-je, d’un ton sans appel. J’ignore ce que peuvent bien faire Hannibal et Erin, mais nous trouverons bien un endroit où s’isoler pour dîner en paix sans avoir à subir les piaillements incessants de la grande salle, et les allées et venues des sots dénués de tout savoir vivre.