Hannibal, Judith & Finn en conseil de famille

J’ai pu sortir de l’infirmerie à temps : j’ai cru qu’on ne me laisserait jamais partir… J’ai craché un peu de sang en toussant ce matin, mais Grand-Mère m’a fait savoir que c’était habituel, que je devais continuer de prendre mon remède fréquemment, sans oublier une seule de ses prescriptions. Je ne parviens pas exactement à prendre conscience de l’ampleur de ma maladie… Mais je suis sûr d’une chose : il faut que je m’en sorte. Aussi, j’essuie ma lèvre avec un mouchoir de poche qui porte nos initiales. J’ai un peu honte de ne pas connaître le sortilèges qui permettrait de faire disparaître aussitôt ces tâches écarlates… Je verrais cela plus tard, et me dirige vers l’un des anciens locaux de potions, au sous-sol. Je l’ai découvert par hasard, lors de la reconstruction… Je l’aime bien, curieusement. J’ai passé presque deux heures à ranger - manuellement, je dois l’avouer - la plupart des ustensiles qui y traînaient, mais désormais, cette pièce a de l’allure, et je la trouve parfaitement adaptée pour la conversation à suivre. Le chemin est long avant que je restitue chacun de mes souvenirs, mais je suis en tout cas certain d’avoir des choses à accomplir… et à éclairer sur mon passé. Après mon entretien avec Alexis, je suis noyé sous les interrogations, notamment à propos de cet incendie criminel. Et s’il y a bien des personnes vers lesquelles je je sais que je peux me tourner sans crainte, c’est bien eux. Ensemble, on porte le nom Sørensen, et dans la mesure du possible, je voudrais y faire honneur. Finalement, contrairement à ce que j’avais prévu, cette petite réunion de famille se tiendra à trois. Erin s’est fait remarquer la semaine dernière en cours de vol en laissant échapper une remarque qui lui a fait frôler l’exclusion, alors je juge que le moment n’est pas opportun pour la mêler à ce que je m’apprête à dire à mon frère et à ma soeur.

Je commence à cerner la place de chacun, au sein de notre fratrie, et je juge qu’Hannibal et Judith sont probablement les plus sages, parmi nous quatre : même si j’octroie à ma jumelle bien des qualités, la discrétion et la détermination de mon aîné et ma benjamine me seront probablement plus utiles, dans les conditions actuelles. Lorsqu’ils pénètrent au sein du lieu de rendez-vous, je leur adresse un sourire cordial. « Hannibal, peux-tu insonorrriser la pièce, je te prrrie ? » Il y a des choses dont nous devons parler que je n’aimerais pas voir sortir de ces murs, et je n’ai pas encore le niveau pour effectuer ce sortilège-là. J’observe ma petite soeur, me demandant si elle a toujours paru aussi adulte… Je n’ai pas choisi cette salle de classe pour rien. Une fois que nous sommes tous les trois, que la porte est fermée, que je suis sûr que nul ne peut nous entendre, je reprends. « Bien. Merrrci à vous deux d’êtrrre venus. » Depuis que j’ai retrouvé la mémoire, ils ont toujours été à mes côtés… mais il y a des choses que je ne sais pas, et je les soupçonne de me les dissimuler. Est-ce que j’ai réellement envie de les connaître ? Je ne suis franchement pas sûr. Quoi qu’il arrive, même s’ils sont comme de parfaits étrangers pour moi, je leur fais confiance, s’ils me cachent un élément important, j’imagine qu’ils ont eu raison de le faire. Toutefois, nous ne pouvons prendre le risque de nous retrouver en danger… « Est-ce que vous savez… comment est-ce qu’on s’est rrretrrrouvés dans ces toilettes, lorrrs de l’incendie ? » finis-je par demander, m'éclaircissant un peu la voix, en les toisant l’un après l’autre.

Hannibal, Judith & Finn en conseil de famille

Mon frère, ma soeur. A une heure où je ne suis certain de rien ni de personne, pas même de moi-même, à une heure où je doute de tout, et principalement de mon intégrité, rien ne vaut de les retrouver. J’ai pu remarquer que nous n’étions pas très expansifs, en famille, mais cela est bien loin de me gêner : la confiance que je leur voue ne se manifeste ni en contact physique, ni en accolades, ni en enlacements inutiles. A vrai dire, je ne les connais pas encore bien : Hannibal est-il si droit qu’il le laisse penser à première vue ? Camouflée derrière son jeune âge, Judith peut-elle encore utiliser l’innocence comme un prétexte ? Je sens que j’ai beaucoup à apprendre d’eux. En ce qui concerne ma jumelle, je me surprends à regretter quelque peu son absence. Tant pis, les motifs affectifs ne peuvent entraver ma recherche de vérité, et pour le moment, je reste convaincu qu’il est trop tôt pour la convier à l’un de nos rassemblements secrets. « Hun kommer ikke i dag. » réponds-je à ma soeur dans un norvégien juste. Je ne me souviens plus de grand chose, mais j’ai gardé ma langue natale, et cette simple satisfaction me suffit : c’est ce qui me donne encore l’impression d’être quelqu’un, que malgré la situation je n’ai pas encore plongé dans les tréfonds de l’oubli. Même si nous passons un temps considérable ensemble, d’autant plus depuis la rentrée, nos moments à quatre restent rares, privilégiés. Il manque peut-être aujourd’hui un maillon de la chaîne, mais avec eux, je me sens fort. D’une incroyable et incommensurable puissance… Je ne peux m’empêcher de repenser à ce que m’a dit Bluebell lorsque nous nous sommes entrevues : sale petite peste, qui s’imagine que mon amnésie m’a rendu trop faible et trop vulnérable, qu’elle fait de moi une proie plutôt qu’un chasseur. Evidemment, ses insinuations immatures m’agacent et me contrarient, quand bien même je feins l’indifférence : il faut que j’apprenne à me contrôler.

Les murs sont bien insonorisés, et je lâche un soupir de soulagement, comme si je pouvais enfin relâcher la tension qui me resserre le ventre. J’en viens finalement à l’essentiel, et à la raison principale de cette réunion improvisée : le soir de l’incendie. J’étais avec Hannibal, même si j’ignorais que c’était mon frère, mais je me souviens aussi de mes deux soeurs, de dos, leurs cheveux flottants, que j’ai vu disparaître dans le couloir. Je ne peux croire que ça ait été un hasard, que nous nous soyons retrouvés tous les quatre dans ces toilettes réservées aux garçons par simple coïncidence… Et je mettrais ma main à couper qu’il s’agissait bien du regard d’Erin, son regard glacial planté dans le mien pendant que je recouvrais mes esprits. Mon frère confirme bel et bien ma théorie, que nos chemins se sont croisés parce que nous le voulions, et que nous nous étions bien donné rendez-vous au préalable… « C’est donc bien ce que je pensais… » Evidemment, je ne peux m’empêcher de penser à Alexis. A sa conviction que je fais partie des coupables, tout du moins que je suis un complice, et que sans doute, ma famille l’est autant que moi. Cependant, en entendant le ton incertain de mon frère… je me mets à en douter. Je ne me connais pas encore très bien, mais je ne pense pas que j’aurais pu me lancer dans une telle entreprise sans leur approbation. En revanche, je suis plutôt étonnée que ma jeune soeur dise qu’elle était seule avec Erin… Mes yeux se plissent, tandis que je tente de me remémorer mon éveil, dans les moindres détails. « Attends… tu veux dirrre que ta mémoirrre aussi te joue des tourrrs ? Je suis prrresque sûrrr de vous avoirrr vues parrrtirrr dans une dirrrection opposée. » Après tout, je venais de perdre la mémoire, mes souvenirs pourraient bien être faussés… Mais comment se tromper sur le regard que m’a jeté ma jumelle, avant de disparaître par l’embrasure de la porte… ? Comment Judith peut-elle ne pas se souvenir de nous… ? Voilà qu’une autre question s’ajoute à toutes mes interrogations.

Je me mords légèrement la lèvre en la dévisageant, mal à l’aise : elle ne semble pourtant pas souffrir du même mal que moi… Puis, je ne tiens plus, et je finis par demander : « Est-ce que nous étions au courrrant ? Que cela allait arrrriver. » Difficile de se tromper sur ce à quoi je fais allusion : le feu. Avions-nous connaissance qu’il se déclarerait ? Et si oui, comment ? Roxy affirme que nous avons porté le badge rouge. A qui obéissions-nous ? Et surtout, connaissions-nous la tête pensante de cette sinistre mascarade ? Je n’ai pas de réponse pour ma benjamine, qui demande pourquoi nous devions précisément nous retrouver dans ces toilettes. A vrai dire, le fait qu’elle semble nourrir des doutes sur ce qui s’est passé avant la soirée commence à sérieusement m’inquiéter… « Pourrr êtrrre parrrfaitement trrransparrrent avec vous, il y a deux filles qui pensent que je savais que le feu allait se déclarrrer. J’aurrrais cherrrché à les dissuader de se rrrendrrre au bal. » annoncé-je, guettant leurs réactions. Sont-ils surpris, en colère, déçus, perplexes ? Difficile de le définir en étudiant leurs visages. Je reprends : « Naturrrellement, j'ai placé ma défense en faveurrr de la coïncidence. » En m’éveillant en tant que Sørensen, j’estime avoir hérité d’une certaine responsabilité, que je me dois d’honorer : je ne trahirais pas ma famille. S’ils tombent, je tombe avec eux. « Mais quelqu’un pourrrrait bien nous avoirrr prrrévenus… ou tendu un piège. » J’en suis d’autant plus convaincu maintenant que j’ai l’impression de ne pas être le seul à souffrir de troubles de la mémoire, même si mes symptômes sont les plus flagrants. Peut-être que quelqu’un, dans ce château, a jugé que nous en savions trop, et a cherché à provoquer notre silence. Et croyez-le, cette pensée me noue la gorge.

Hannibal, Judith & Finn en conseil de famille

C’est peut-être, depuis la rentrée, la première fois que j’ai l’impression de pouvoir relâcher cette pression étouffante qui m’enserre continuellement le thorax. Avec eux, je peux respirer ; j’ai une confiance inébranlable en ma famille. Même leurs choix les plus douteux sont sûrement parfaitement justifiables, et je sais que je peux mettre ma vie entre leurs mains - avec toutefois de nombreuses précautions s’il s’agit des mains d’Erin. Quelques différends pourraient bien nous mener à la querelle, mais pour eux, je peux mettre mon orgueil de côté. Ma soeur jumelle est peut-être talentueuse, et en temps normal nous ne saurions nous passer de ses compétences… surtout à une heure où je peine à renouer avec mes souvenirs. Mais mon instinct me dit que la mêler, elle et son caractère flambant à cette conversation n’a rien d’une bonne idée. Hannibal et Judith ont tous deux hérité d’un tempérament calme et réfléchi, qu’ils mettent à profit de notre quête de vérité, et c’est ce dont nous avons besoin en ce moment. Pour ma part, je nage un peu entre deux eaux : l’oubli me force à prendre du recul sur la situation, mais ça ne m’empêche pas de nourrir une certaine colère… « Ce sont les soeurrrs Sherrrwin. Vous devez les connaîtrrre. Mais de là à dirrre qu’elles sont fiables… » répondis-je simplement en haussant les épaules. De ce que j’ai pu voir d’elles pour le moment, Alexis a l’air de changer d’avis comme de chaussettes, et Bluebell ressemble bien trop à ma soeur pour que je puisse estimer "sage" de nous tourner vers elles. Maxton est peut-être le plus sûr d’entre eux, et encore… Sa loyauté envers ses soeurs pourrait bien nous porter préjudice. Quant à Victor, il est hors de question de lui confier quoi que ce soit, en tout cas je le refuse obstinément. « Mais tu as rrraison, Hannibal, j’ai crrru comprrrendrrre que nous ne suscitions pas autourrr de nous que de la bienveillance. » Je glisse mes mains dans mes poches, en laissant échapper un soupir de lassitude : la situation a l’air plus compliquée que je le craignais. En retrouvant la mémoire, je n’ai pu que constater que mon prédécesseur m’avait laissé un certain nombre d’affaires sur les bras, y compris familiales… « Cependant, elles me semblent faciles à contrrredirrre, cela rrrelève davantage de la spéculation hasarrrdeuse. » Cela impliquera évidemment que nous accordions nos versions de l’histoire entre nous, et que nous veillions à ne laisser aucune trace derrière nous, mais je pense très honnêtement que c’est à notre portée.

Pour autant, il faudrait déjà que nous parvenions nous-mêmes à démêler le vrai du faux dans cette affaire : nous souffrons tous les trois de trous de mémoires, qui nous empêchent de parvenir aux conclusions que nous devrions tirer de cette histoire. Quelque chose nous relie à tout ça : les lettres, l’incendie, le serpent, les menaces… J’ai l’impression que nous sommes tout proches de tout découvrir, et pourtant, je ne parviens pas à mettre le doigt sur cet élément manquant : c’est décidément bien frustrant. « C’est vrrrai, Judith… mais nous avons autant le prrrofil de complices que de victimes, dans cette affairrre… » Je n’estime pas utile de rajouter que nos opinions ne semblent pas vraiment laisser paraître de compassion à l’égard des nés-moldus. Si ce que l’on dit de moi est vrai, mon frère et ma soeur doivent partager ces avis… En ce qui me concerne, il est trop tôt pour déterminer où est-ce que je me situe dans ces convictions-là… Pour le moment, je me contente d’observer, de tirer les conclusions qui s’imposent. Se tourner vers Erin pourrait bien ne pas être une mauvaise idée après tout. « Il faudrrrait que l’un de nous tente d’obtenirrr son avis surrr la question, mais je crrrains ne pas êtrrre le mieux placé pourrr cela en ce moment. » On peut avoir l’impression que je délègue, mais je sais de quoi je parle : je passe déjà un certain temps à faire quotidiennement la leçon à ma soeur jumelle, qui ne manque pas de me répondre avec sarcasme. Pour tenter de l’interroger en subtilité, c’est déjà loupé : elle me verra venir à des lieues… Je n’ignore pas non plus les tensions qui semblent exister entre elle et Judith, et qu’Erin semble se plaire à entretenir. En revanche, il me semble qu’Hannibal saurait se montrer davantage persuasif : depuis que j’ai retrouvé la mémoire, cela ne me laisse qu’un temps limité pour parvenir à cerner ceux qui m’entoure, mais j’ai la certitude que mon aîné est particulièrement redoutable en terme de discussion et d’argumentation.