Lilith essayait du mieux qu’elle pouvait de refouler la nervosité qui commençait à monter en elle. Depuis qu’elle avait reçu cette lettre il y a quelques heures, elle ne tenait plus en place et elle ne parvenait pas à empêcher son cerveau d’imaginer des scénarios improbables. Pourtant ce n’était pas grand chose. Seulement Ashton qui lui avait proposé qu’ils se retrouvent pour réviser. Ensemble. Juste tous les deux. Ce soir. Le soir de la Saint-Valentin. En tête à tête. La rouquine avait beau se sermonner et se dire que ce n’était rien, son imagination continuait de se jouer d'elle. Mais vraiment. Il n'y avait pas de quoi ! Ils étaient juste en train d’essayer de rafistoler une amitié d’enfance dont elle ne se souvenait même pas. Mais quand même. Il n’avait pas voulu qu’elle passe la soirée de la Saint-Valentin toute seule !

Une nouvelle fois, Lilith se gifla mentalement. Elle ne pouvait pas se permettre de s’imaginer quoi que ce soit. Il était déjà bien sympa avec elle alors qu’elle n’était même pas capable de se souvenir de leur enfance commune. A sa place, elle aurait lâché l’affaire depuis belle lurette. Elle devait le lui accorder : il était tenace et il semblait garder espoir. Le fait qu’elle arrive depuis cet été à se souvenir de plus de la moitié de sa vie était après tout bon signe Tout n’était pas perdu. Et au fond d’elle, elle avait très envie que tout lui revienne, qu’il n’y ait plus de zone d’ombre dans sa vie. Elle voulait vraiment croire Ash quand il lui disait qu’ils étaient des amis d’enfance, malgré tous les sales coups qu’il lui avait fait par le passé. Elle comprenait que ça avait été pour se venger. Pour essayer d’attirer son attention. Pour qu’elle se souvienne de lui. Malheureusement, son amnésie ne lui permettait pas. Elle toucha du bout des doigts le collier monté d’un coquillage qui ornait discrètement son cou. Cadeau de sa part datant de la rentrée, dans l’espoir que ses souvenirs finissent par revenir. Ils étaient en février et toujours rien. Pourtant il ne semblait pas perdre espoir. Et Lilith non plus. S' il faisait des efforts, il fallait qu’elle en fasse aussi.

Elle ne voulait pas que ses amies de dortoir apprennent ses plans pour ce soir. Elle ne saurait dire pourquoi, mais elle ne voulait pas que ça se sache. Elle souhaitant sans doute éviter toute remarque ou tout ragot. Lilith souhaitait juste profiter de la soirée telle qu’elle venait sans se prendre la tête. Aussi, elle attendit que ses colocataires partent à la soirée organisée par l'école pour se préparer à son tour. Après s’être observée dans le miroir en se demandant ce qu’elle allait bien pouvoir faire de sa tête, elle appliqua un maquillage léger et décida de laisser ses cheveux détachés. Elle opta pour une robe bleue nuit simple à manches mi-longues, estimant qu’il ne fallait pas qu’elle s’apprête de trop. Ce n’était pas un rendez-vous amoureux, juste une soirée révision entre potes après tout ! Pas la peine de se monter le bourrichon. Une fois prête, elle retourna dans le dortoir, s’assura une dernière fois que toutes ses affaires pour étudier étaient dans sa sacoche avant de sortir un autre sac de sous le lit qui contenait des provisions pour la soirée. Elle était parvenue à passer par les cuisines dans l’après-midi, véritable avantage d’être un Poufsouffle. Elle avait ainsi réussi à négocier quelques fruits, du pain, du fromage et des petites verrines roses et mauves que les elfes de maisons lui avaient gentiment tendus, comprenant sans doute l’objet de sa soirée de son côté. Elle avait également réussi à dégoter quelques boissons sucrées et quelques cookies. Elle estimait que c’était un plutôt joli butin et n’avait pas à en rougir.

Elle sortit la tête du dortoir et tendit l’oreille, guettant le son de voix. Une fois sûre qu’il n’y aurait pas grand monde dans le grand salon, elle avança sur la pointe des pieds et s’échappa de la salle commune sans avoir à subir d’interrogatoire, ce qui était une vraie délivrance. Elle ne savait pas très bien mentir et était sûre qu’elle aurait été démasquée bien vite. Fort heureusement, elle ne croisa personne jusqu’au troisième étage. Tous devaient déjà être dans la grande salle, lieu des festivités. Elle posa la main sur la poignée de la fameuse salle qui permettait de voyager et visualisa le lieu qu’elle désirait. Un soleil couchant, une plage de sable fin. Mais pas de celles tropicales de l’été dernier. Plutôt les plages anglaises avec un ponton, des petits rochers et un endroit pour pouvoir se poser, réviser et grignoter. Elle ouvrit la porte et comme toujours, elle ne fut pas déçue. Une terrasse avec des lumières suspendues au dessus de sa tête l’attendait tandis que le soleil commençait sa descente vers la mer, menaçant de se confondre avec l’horizon. Hypnotisée par le décor qu’elle avait pourtant choisi, Lilith abandonna ses sacs sur la table et parti s’accouder sur la rambarde de la terrasse comme pour mieux observer le spectacle qui se jouait devant ses yeux. Elle soupira de bonheur. Un bonheur simple mais qui faisait qu’elle se sentait vraiment sereine pour la première fois depuis des semaines.

C’était dans ces moments-là que Lilith réalisait qu’elle n’avait pas besoin de grand chose pour être vraiment heureuse. Un paysage naturel, le bruit doux des vagues qui se brisent sur la plage, l’air marin et le calme du littoral, loin de la foule londonienne. C’était tout. Elle avait toujours eu du mal à comprendre pourquoi est-ce que ses parents avaient voulu déménager alors qu’il n’y avait rien de si bien que le bord de mer. Oui, bon, pour le travail de son père, soit. Mais elle n’était pas fan de Londres. Trop de gens. Trop de pollution. Pas assez de nature. Pas assez de calme. C’était parfois ce que ressentait Lilith dans l’enceinte même de Poudlard. Le château avait beau être immense, les lieux communs étaient toujours surchargés et l’on pouvait vite se sentir à l’étroit entre les murs de pierre et les salles de cours. Heureusement que ce merveilleux château proposait d’ailleurs une salle qui permettait de voyager de cette façon et donnait la possibilité à Lilith de retrouver l’océan qui lui manquait tant. Il y avait le lac bien sûr, mais ce n’était pas exactement pareil. La sensation n’était pas comparable.

Elle sentit sa présence avant qu’il ne soit à côté d’elle, mais elle prit sur elle pour ne pas se retourner, ni sursauter. Elle commençait à se demander ce qu’elle faisait là, ce qu’elle allait dire, et ce qu’ils allaient faire. Ce n’est pas comme si elle et Ash étaient devenus les meilleurs amis du monde et qu’ils allaient faire les 400 coups. Le jeune homme avait des souvenirs d’eux qu’elle n’avait plus, et elle gardait une certaine gêne à son égard car dans le fond elle s’en voulait. Elle avait l’impression que c’était de sa faute en quelque sorte si elle l’avait oublié. Aussi, elle était en train de remettre en cause sa spontanéité soudaine. Pourquoi avait-elle accepté qu’ils se retrouvent ce soir ? Le soir de la Saint-Valentin en plus ? Elle se faisait force pour ne pas se faire des idées. N’avait-il pas le droit de vouloir s’échapper de tous ces froufrous et de toute cette ambiance dégoulinante de mièvrerie pour être avec une simple amie ? Oui, une simple amie. C’est ce qu’elle devait être à ses yeux. Juste un moyen de passer le temps sans se compliquer la vie. Sauf qu’elle avait l'impression à cet instant que sa vie à elle était vraiment très, très compliquée.

Elle sentit le rouge lui monter aux joues quand il la salua. « Salut… Ca va ? » Eut-elle l’impression de couiner dans un souffle. Elle n’osait toujours pas tourner le regard vers lui, s’obstinant à fixer l’horizon. Lorsqu’il mentionna le paysage, elle ne put s’empêcher de porter sa main vers le collier qu’il lui avait offert pour caresser le petit coquillage dont il était orné, réflexe qu’elle était en train d’adopter dès qu’il s’agissait d’Ash ou de son passé à Plymouth. « Oui, c’était l’idée. De nous ramener chez … Nous. » Dit-elle d’une voix nostalgique. Réalisant qu’elle risquait de lui donner de faux espoirs, elle se reprit, tournant vers lui un regard désolé. « Enfin, je n’ai toujours pas de souvenirs très clairs. Pour une raison que j’ignore, ça ne veut pas me revenir et tu n’as pas idée d’à quel point ça me frustre. J’ai l’impression qu’il y a toute une partie du moi d’avant que je ne connais pas, et que tu sembles plus connaître que moi. Ca se trouve, j’étais une vraie petite peste ! Enfin bref, tout ce que je sais, c’est ce que ma famille m’a raconté et les photos que j’ai consignées dans mon album photo. J’ai une photo de la page de Plymouth. » Avoua-t-elle, à demi honteuse d’avouer que ce n’était pas un souvenir clair et venant uniquement d’elle. Elle avait dû se concentrer sur une photo et ce qu’elle connaissait des plages d’Eastbourne pour générer ce paysage. Elle hésita à lui mentionner que son album photo était justement dans son sac mais ne souhaitant pas s’attarder sur cette atmosphère pesante ni se ridiculiser plus que ça, elle changea de sujet. « Tu dois avoir faim non ? Viens voir ce que j’ai réussi à nous ramener. » Elle quitta sa rambarde pour retourner vers les tables sur la terrasse. « On a de quoi se faire des tartines de fromage, des bonbons, des fruits, des jus, un dessert » énonça-t-elle tout en sortant son butin : du pain, du fromage, des cookies, des sucreries, des boissons… « Et ! Un aperçu de ce qu’ils ont dans la grande salle pour leur grand soir. » Dit-elle, triomphante, en sortant pour fini les verrines roses et mauves, rappelant clairement la soirée qu’ils avaient essayé de fuir. « J’espère qu’ils y ont pas foutu de filtre cette année, ou autre truc tordu dont ils ont la spécialité. » Elle essaya de les observer à la lumière du soleil couchant, retournant la verrine dans ses doigts comme si cela permettrait de déceler quoi que ce soit. « En tout cas, les elfes étaient trop contents de m’en donner. Comme si ils pensaient que je comptais faire la Saint Valentin de mon côté. » Elle s’entendit rire d’une voix un peu trop aigüe, comme si elle se forçait à trouver cela drôle. Alors que ça l’était en quelque sorte, un beau comique de situation, non ? Elle se détourna d’Ashton en essayant de masquer ses joues qui continuaient de rougir et entreprit de disposer ses petites trouvailles joliment sur la table. « Par quoi est-ce que tu as envie de commencer ? J’imagine que tu ne répondras pas “par réviser”. D’ailleurs, est-ce que tu comptais vraiment m’aider à réviser ce soir ou ce n’était qu’une excuse ? » Demanda-t-elle, retrouvant rapidement son naturel enjoué et lui lançant un regard entendu.