Poudlard se réveillait à peine quand Dashiell poussa la porte des serres d'une main, tenant dans l'autre la fin d'un sandwich à la confiture qu'il avait été récupérer dans une Grande Salle encore déserte. Un frisson lui courut dans le dos alors qu'un courant d'air se faufilait sous son blouson en jean, aussi s'empressa-t-il de refermer derrière lui. Le silence humide qui l'accueillit à l'intérieur lui arracha un sourire fatigué. Il coinça le reste de son petit-déjeuner entre ses dents et abandonna sur une table vide sa veste et son écharpe. Rares étaient les fois où il débarquait aussi tôt, normalement, il profitait d'une matinée tranquille avant de se glisser au milieu des végétaux mais en une dizaine de jours, à peine, cette nouvelle rentrée avait réussi à doucher la bonne humeur retrouvée pendant les fêtes. Selene était bizarre. Teddy était bizarre. Silas avait décidé de s'y intéresser et si elles allaient vraiment mal, il y avait des chances pour qu'il prenne ça assez à cœur pour aller mal aussi... Et comme si ça ne suffisait pas, le match contre Poufsouffle avait été humiliant malgré la victoire. Non, vraiment, il n'y avait pas à tortiller, cette année à l'école, c'était de la merde. Avant les vacances, après les vacances même combat. Dans d'autres circonstances, sûrement qu'il aurait espéré un retour chez lui... mais il savait sans le moindre mal que ça avait été génial d'y retourner parce qu'il y avait eu la présence du Serdaigle et, dans une moindre mesure, celle de sa sœur. Sans eux, ça ne serait qu'une bâtisse morte et une fuite constante. Il n'y avait plus grand chose à tirer, pour l'instant. Ni entre les murs de l'école où il avait l'impression d'étouffer depuis le 1er septembre, ni à Ballinaskea où tout n'était que souvenirs démoralisants. L'adolescent termina son repas et essuya grossièrement ses mains sur son pantalon avant d'attraper par habitude un tablier qui pendait à l'une des patères à l'entrée. Il se fichait bien de se salir, en soi, mais comme on leur avait souvent demandé de les mettre, en cours, depuis son arrivée, il avait bêtement pris le pli. Il passa la tête dans le trou et noua négligemment les lanières autour de sa taille. C'était la maison, ici. Bien plus que dans son dortoir, ou dans les couloirs, ou n'importe où ailleurs. Ça avait été son refuge, l'année dernière, quand c'était devenu trop pesant. Oh, bien sûr, il y avait toujours plus ou moins pris ses aises avant ça mais ça restait pour passer le temps, quand il y avait un petit moment de libre loin de Daisy ou de Silas... ça n'avait pas jamais été le centre de son existence. Et depuis la rentrée, ça ne l'avait plus été. Il n'avait pas eu le temps, il fallait bien le reconnaître. S'il avait dû  prendre la peine d'y réfléchir, il aurait reconnu que des années entières avaient semblé s'écouler en quelques semaines. Autant de choses qui s'étaient enchaînées, plus ou moins traumatisantes, et qui le laissaient littéralement lessivé alors même qu'il lui restait encore six mois à tenir. Il tira ses gants en peau de dragon de la poche arrière de son pantalon et se glissa enfin au cœur même de la serre.

C'était un univers connu, rassurant. Un endroit où il se sentait en sécurité, qu'importe si certains des habitants des lieux auraient pu faire de lui un en-cas. C'était toujours moins angoissant que ce château plein d'humains qu'il croyait bêtement connaître et ces relations qui lui filaient entre les doigts un jour sur deux. S'il était prêt à reconnaître ses torts et même à s'en trouver des qu'il n'avait pas, il était parfaitement conscient qu'il ne les avait pas tous et ne pouvait s'empêcher d'en vouloir un peu au monde entier de rendre tout si compliqué. Il n'avait pas souvenir que ça l'était autant, avant. Il n'y avait jamais eu tant de doutes, de questions, de choses qui lui échappaient... Il se souvenait de rires à n'en plus finir, d'embrouilles d'enfants qui se prenaient bêtement pour des grands mais rien qui ne ressemblait à ce point à un monde sur le point de s'effondrer au moindre mot de travers. Est-ce que c'était ça grandir ? Parce que si c'était le cas, c'était non merci, très peu pour lui ! Il en venait presque à regretter les jeux stupides dans le jardin de Madame O'Brien et la découverte émerveillée des premiers jours à Poudlard. Ses pas le menèrent machinalement jusqu'aux plants de géraniums dentus. Ça n'aurait été une surprise pour n'importe qui le connaissant un minimum tant c'était ses préférés. Sûrement que tout le monde s'en serait étonné, alors. Il attrapa un pot au milieu d'un tas d'autres similaires et le posa sur la table. La plante claqua des dents dans le vide et lui, pauvre idiot, ne put que ricaner. C'était l'un des premiers végétaux magiques dont il avait eu le droit de s'occuper, dans les serres paternelles. Et même s'il avait failli y laisser un doigt – ce qui avait manqué de faire tomber sa mère dans les pommes – ça faisait partie des meilleurs moments de son existence. Il s'était senti tellement adulte, du haut de ses neuf ans ! Pour la première fois de sa vie, il avait suivi docilement toutes les consignes qu'on lui avait données, sage, attentif, précautionneux. Et encore aujourd'hui, il ne mettait jamais les pieds dans une serre – que ce soit ici ou en Irlande – sans commencer par aller les voir. Et ce même s'ils ne les avaient pas encore vus en classe. C'était pour cette année, de toute façon, c'était tombé aux dernières BUSES de ce qu'il avait entendu.

— Essaye pas d'me mord', hein, s'non tu t'démerdes avec t'feuilles fanées.

Sur quoi il s'appliqua à retirer tout ce qui avait séché au pied de la plante. Celle-ci tenta bien de l'attraper, au début, mais elle finit par se laisser faire à mesure qu'elle comprenait que c'était pour son bien. Il y avait des humains qui feraient bien de prendre exemple et d'arrêter de montrer les crocs quand on essayait de les aider... Spéciale dédicace à Selene et à ses sautes d'humeur qui le dépassaient complètement.

— On est d'accord, c'mieux comme ça ? lui demanda-t-il alors qu'il virait la dernière feuille morte et attrapait l'arrosoir posé un peu plus loin. Mais va falloir t'changer d'pot, bientôt, i' commence à être p'tit, lui.

Il poussa l'un des pétales pour pouvoir arroser la terre sur laquelle il dépassait et le remit correctement.

— Ça d'vrait v'nir vite, t'inquiète.

Mars ou avril, un truc comme ça. Après l'hiver quoi. Il fallait espérer qu'il ne s'attarde pas trop.  Malheureusement, il n'eut pas le temps de pester plus longtemps sur le froid qu'il faisait ni même de terminer son arrosage que le professeur Griffith apparaissait dans son champ de vision. Dashiell étouffa un cri de surprise en sursautant, l'arrosoir lui échappa des mains et renversa son eau partout sur la table et sur le sol avant d'y tomber dans un bruit d'Enfer de pierre et de fer. Il s'empressa de le ramasser, les joues écarlate et le regard un peu fuyant.

— Désolé professeur...

Il n'était pas certain d'avoir le droit d'être là. Il était tôt – trop sûrement – il n'avait pas demandé avant... D'habitude, il passait à des heures où il y avait du monde, il ne dérangeait personne, on le laissait faire sa vie tout en surveillant de loin... mais là...

— ...et bonjour, aussi, rajouta-t-il précipitamment en se rendant compte que c'était pas très poli. Je... j'faisais qu'l'arroser...?

C'était la défense la plus pitoyable du monde même si elle était affreusement vraie. Presque si elle ne lui donnait pas l'air affreusement coupable alors qu'il n'avait rien fait. De toute façon, elle n'était pas aveugle, la prof, et elle verrait bien qu'elle n'avait rien, la plante. Il n'avait pas fait de bêtise, au contraire, il était juste venu donner un coup de main...

L'arrosoir s'écrasa sur le sol dans un bruit qui aurait pu réveiller des morts – Dashiell lui-même, par exemple, si la crise cardiaque qui l'avait frôlé lorsque Griffith s'était montrée l'avait plutôt frappé de plein fouet. Il s'empressa de le ramasser, écarlate et penaud comme un môme pris en flagrant délit de connerie. Ça aurait pu être le cas, bien sûr, il n'avait jamais été en reste, encore qu'il s'était assagi cette année, trop occupé à se demander pourquoi le karma s'acharnait à ce point sur son dos... mais non, ce matin encore, rien de profondément illégal ou stupide, seulement un réveil un peu trop matinal et le besoin pathétique de se retrouver. D'un coup de baguette, son professeur récupéra toute l'eau renversée et la renvoya directement dans le corps de l'objet, ce qui le fit manquer de le lâcher une deuxième fois sous le poids soudainement alourdi.

— Seriez-vous soumis à un philtre de confusion ?

Instinctivement et sans comprendre le sens de la question, il secoua la tête. Non, pourquoi ? Il avait l'air à l'ouest à ce point ? Ça n'était pas impossible, c'était un peu compliqué cette année et le flot déjà continu de ses pensées se faisait parfois si violemment agité qu'il devait toujours avoir un peu l'air de débarquer... Mais aucune potion n'en était la cause, seulement les affres ridicules de l'adolescence et quelques ombres plus tenaces encore.

— Je ne peux pas vous dire à votre place ce que vous faisiez ici.

Ses grands yeux un peu nigauds se voilèrent d'incompréhension. Il savait ce qu'il faisait ici... Il lui avait dit, même : il arrosait la plante. Bon, d'accord, il n'était pas venu exprès avec dans l'idée d'arroser cette plante spécifiquement mais qu'est-ce que ça changeait ? Il fronça légèrement les sourcils alors que ses doigts raffermissaient leur prise sur l'arrosoir.

— Non mais... je... je sais c'que j'fais là, m'dame...? répondit-il d'un ton à la fois prudent et hésitant, non sans s'étonner du non-sens absolu de cette conversation.

Peut-être qu'elle était juste pas bien réveillée, dans le fond... Est-ce que c'était possible, même ? Il n'avait jamais eu l'impression que les professeurs fonctionnaient vraiment comme eux. Comme si dès qu'ils quittaient leurs appartements, ils étaient frais et alertes là où eux, pauvres ados qu'ils étaient, comataient allègrement sur chaque surface pouvant accueillir leurs têtes trop lourdes. Ça aurait au moins le mérite d'expliquer pourquoi elle avait l'air à côté de la plaque.

— Mais bonjour, M. Dashner. Cela fait longtemps que je ne vous ai pas vu par ici en dehors des cours.

Ce qui ressemblait à un reproche eut le mérite de faire mouche et lui fit honteusement baisser les yeux. Elle n'avait pas tort, malheureusement. On était bien loin de l'année dernière et du camping qu'il y faisait presque... Mais c'était l'année dernière. Et l'année dernière, même si c'était la pire année que sa courte vie ait pu connaître, ça lui semblait presque moins difficile à gérer que celle-ci. Parce qu'il ne pouvait rien faire, en soi, l'année dernière. Supporter l'absence de Silas et son impuissance face à ce qui arrivait à Oona... Alors que là... Il était toujours aussi inutile, peut-être, mais il s'était retrouvé pris au milieu de tant de petites tempêtes qu'il en avait été tout étourdi, perdant un temps fou à brasser du vent pour finalement se retrouver à un point somme toute similaire quelques mois plus tard... Parfois, l'année dernière avait l'air presque plus supportable. Il n'avait pas eu cette boule au ventre à l'idée de voir ce qu'il avait ici lui filer entre les doigts, la gorge serrée en réalisant qu'il n'était finalement pas plus à sa place entre ces murs qu'entre ceux de la maison familiale ou envie de chouiner comme une fille parce qu'il avait l'impression de tout faire de travers et plus de mal que de bien...

— Vous aviez mieux à faire, apparemment ? Si j’en crois votre bulletin du premier trimestre, vous n’étiez pas occupé à devenir major de promotion, alors dites-moi un peu ce qui vous a occupé tout ce temps.

L'attaque était gratuite et la question gênante, tant et si bien que ses joues rougirent davantage. Pour s'accrocher à quelque chose et éviter de prendre lâchement ses jambes à son cou, le Gryffondor reprit son arrosage, les yeux soigneusement rivés aux feuilles du géranium. Ses parents étaient d'accord avec elle, n'empêche. Invité ou pas à la maison, il s'était fait taper sur les doigts lorsque  son bulletin était arrivé. « C'est l'année des BUSES, Dash ! Comment tu comptes les avoir avec des notes pareilles ?! » qu'on lui avait sèchement demandé alors qu'il était juste venu récupérer de quoi grignoter pour le goûter... Il avait jeté un œil à son meilleur ami avant de hausser les épaules sans trop savoir quoi répondre. « Je compte pas les avoir du tout » qu'il aurait dû répliquer... mais si c'était la stricte réalité, ça aurait sûrement été la troisième guerre mondiale et il y avait des couteaux dans la cuisine, c'était dangereux de les provoquer à cet endroit précis. En réalité, elles n'étaient pas si mauvaises que ça, ses note... Il avait eu un O en Botanique, un E en potions, un A en Divination et en Sortilèges... Et le P qu'il avait eu en Vol comptait presque pour un A puisque le professeur avait précisé dans les commentaires qu'il avait du potentiel mais qu'il devait arrêter de prendre son cours pour une récréation ! C'était positif ! Est-ce que les autres étaient vraiment importantes ? Qui en avait un truc à faire de l'astronomie et de l'Histoire de la magie ? À quel moment dans sa vie pourrait-il trouver une utilité à ses cours de Métamorphose ? Il n'avait pas besoin d'apprendre à transformer un scarabée en boîte d'allumettes puisqu'il savait lancer un Lumos et un Incendio ! Vraiment, à ses yeux, il avait des notes correctes ! ...un peu trop pour son projet, d'ailleurs !

— D'aut' trucs, m'dame... Mais j'ai eu des bonnes notes dans vot' matière quand même ! Z'avez l'droit d'm'engueuler pour les aut' cours...?

La logique aurait voulu que non, tout de même, que chaque professeur reste à sa place, sinon on allait jamais s'en sortir ! Il s'assura que toute la terre était bien humide et reposa l'arrosoir près du pot dans lequel la plante s'était détendue. Il hésita un instant et finit par le remettre à sa place avant d'en sortir un second. Son regard interrogea silencieusement son enseignante mais si elle l'avait laissé s'occuper du premier, elle n'allait probablement pas l'engueuler pour avoir osé continuer, aussi posa-t-il le nouveau géranium là où s'était tenu le premier... et ricana exactement de la même manière en manquant de se faire croquer avant de retirer les feuilles fanées dans des gestes quasi semblables à ceux qu'il venait d'effectuer...

Et ce fut sur un fond d'arrosoir suicidaire et d'eau malmenée que l'interrogatoire commença de la plus bizarre des façons. Bien qu'il ne comprit rien à la question et moins de choses encore à ce qu'elle sous-entendait, Dashiell se plia de bonne grâce à l'exercice et y répondit, non sans une hésitation palpable. Est-ce que c'était l'âge qui la rendait sourde au point de pas avoir entendu qu'il y avait répondu juste avant...? Elle devait avoir quoi ? L'âge de la retraite ? Genre... soixante-dix ans, au moins ? Ouais, c'était possible, elle avait l'air vraiment vieille. Oona aussi entendait un peu moins bien avant de partir chez le troisième âge.

— Alors soyez un peu plus sûr de vous quand vous l’affirmez.

Il hocha machinalement la tête, la bouche s'attardant sur un « oh » surpris qu'il ne prononça jamais. Malheureusement, ça n'était que le début de la torture puisque Griffith ne se fit pas prier pour l'enfoncer à grands coups de questions et de remarques désagréables. Ça faisait un moment qu'il avait lâché les serres – depuis la rentrée, oui, il plaidait coupable – son bulletin était nul – c'était peut-être un peu exagéré, c'était brillant mais ça passait – il avait chié dans la colle – même si elle ne l'avait pas clairement dit, c'était difficile de passer à côté.

— Comme ?
— Euh... du Quidditch...?

S'il avait bien dû prendre sur son temps pour le perdre sur le terrain durant les entraînements, ça n'était finalement que la partie visible de l'iceberg. Sûrement qu'il aurait dû rajouter toutes les histoires avec Silas, avec Daisy, avec Selene, avec Teddy, les affaires de son père avec Aisling, les olympiades, les nuits sans sommeil ou presque, l'angoisse quasi-constante qui l'étreignait depuis Septembre... La vie, en réalité. Mais il n'avait pas très envie de s'enfoncer là-dedans. Elle serait capable de soupirer l'air ennuyé. Au moins, Veturia avait le mérite de se sentir impliqué. Un peu trop. D'ailleurs, il n'avait jamais cherché à savoir s'il avait des nouvelles de Daisy. Des vraies nouvelles. Depuis qu'il les lui avait refusées, la dernière fois, il n'avait pas réessayé.

— Évidemment ! Je ne vous laisserai pas approcher mes bébés en dehors des cours, autrement.

Oui, évidemment. Il n'avait jamais réalisé que c'était un peu un privilège avant qu'elle ne lâche ce « évidemment » qui sonnait comme une relation de cause à effet entre ses notes et son droit d'être là de si bon matin sans se faire taper sur les doigts.

— Vous croyez que je perdrais mon temps à vous sermonner si je pensais que vous n’en valiez pas la peine ?
— Hein ?

Il valait la peine de quoi ? Elle venait de dire littéralement deux secondes avant qu'il faisait partie des chèvres de l'école. C'était gentil, hein, mais ça sonnait bizarre. Un peu faux. En décalage total avec le reste. C'était un élève médiocre ou quasiment. Il le savait, ça lui allait, il en jouait un peu aussi, parfois, pour faire le strict minimum, pour envisager de se planter lamentablement pour retaper... Parce que ça ne serait jamais passé s'il avait été brillant. On aurait trouvé toutes les parades du monde pour lui faire passer des rattrapages, pour faire jouer les notes du reste de l'année, il en savait rien, mais personne ne l'aurait jamais laissé gâcher son potentiel... Sauf que là, comme il n'en avait pas... Dash reposa le pot du géranium et recommença le travail avec un deuxième. Face à lui, son enseignante s'était appuyée contre la jardinière et le fixait sans un mot. Ça aurait pu être stressant. Dans n'importe quelle autre situation, ça aurait suffi à lui faire enchaîner les conneries mais pas là... parce qu'il n'y avait bien qu'avec les mains dans la terre qu'il savait ce qu'il faisait, qu'il se faisait pleinement confiance. Surtout pour ça. Il n'y avait rien de particulièrement compliqué. La base. Du moins, dans sa vision des choses. Finalement, Griffith lâcha un soupir qui le força à relever les yeux. Elle était pas obligée de le surveiller comme ça, elle pouvait partir faire autre chose. Elle avait bien vu qu'il s'appliquait et qu'il détruisait pas les géraniums, non ? Parce qu'il en restait plusieurs autres pots à faire donc ça risquait d'être répétitif à regarder.

— Écoutez-moi très attentivement, M. Dashner.

L'interpellé hocha la tête. Il se sentait sur le point d'être engueulé sans pour autant réussir à s'en persuader. Il n'avait rien fait. Le ton de son professeur n'était pas énervé. C'était un entre-deux étrange et désagréable. Il ne savait pas exactement ce qui l'attendait. Aussi, dans le doute, il se concentra au maximum. Écouter attentivement, ne pas décrocher en un temps record.

— Parfois, il m’arrive de prendre un ou une apprentie de cinquième année sous mon aile pour lui enseigner un programme avancé – et quelques-unes de mes techniques personnelles.

Nouvel hochement de tête. Il ne voyait pas vraiment en quoi ça le concernait. Est-ce qu'il fallait qu'il laisse la place pour que l'apprenti en question vienne bosser ? C'est vrai qu'il avait pas demandé, peut-être qu'il aurait fallu prévenir ou réserver comme on faisait pour le terrain...?

— Je ne propose cependant pas cela à la légère : cette proposition signifie plus de travail, plus d’acharnement et surtout plus d’investissement. Une fois que je commence à m’occuper d’un apprenti, je le forme pour lui permettre de rentrer après ses ASPIC dans le meilleur programme étudiant que puisse espérer intégrer un aspirant botaniste : le centre de recherche en herbologie et magizoologie de Gwydir, où j’ai moi-même fait mes études. Je ne choisis que les meilleurs ; les plus prometteurs et les plus déterminés. La BUSE de botanique est une formalité pour ces élèves-là.

Ah ouais, ça avait l'air chaud ! Ils avaient du courage les apprentis, elle avait pas l'air de blaguer, la prof ! Il se demanda une seconde si elle lui racontait pas tout ça pour qu'il se sente encore plus nul, vu ses notes. Genre « y'a des gens qui suivent des programmes avancés alors que toi t'es même pas foutu de suivre le programme tout court ». Sûrement que ça aurait vexé des gens mais franchement, lui, il s'en battait royal ! Déjà, il n'était même pas sûr de vouloir continuer ses études après, et puis son objectif était de les rater, ses BUSES, pas que ça soit une formalité. Il n'avait jamais creusé beaucoup son plan d'avenir, il savait qu'il voulait travailler avec les plantes parce que c'était ce qui lui plaisait vraiment dans la vie, et qu'il voulait pas être herboriste alors que c'était un peu chiant... Mais genre jardinier, ça pouvait être cool. Bosser dehors, planter des trucs et tout. Peut-être qu'à Kilcock ou qu'à Maynooth y'avait moyen de faire ce genre de job pour la ville ou un truc comme ça. Histoire de pas juste s'occuper des haies des maisons voisines quoi. Le regard de Griffith se posa sur lui et ne le lâcha plus. Le sien hésita à fuir à nouveau vers le géranium dentu qui attendait qu'on retire ses feuilles mortes mais finit malgré tout par le soutenir. Il n'avait rien fait de mal. Si on lui disait de partir, il partirait. Et si elle voulait qu'il ait encore plus honte de ses résultats et bah... ça serait pas le cas. Parce que franchement, ok c'était pas génial mais ça restait pas si pire que ça quand même.

— Est-ce que vous êtes l’un de ces élèves-là, M. Dashner ?
— Moi ? hoqueta-t-il avant de glousser, incrédule.

Durant une seconde, il attendit qu'elle se mette à rire aussi. Elle serait sûrement pas trop contente qu'il ait remarqué qu'elle se payait sa tête mais bon... au moins elle arrêterait peut-être de le prendre pour un demeuré. Mais quelques secondes passèrent sans qu'elle ne se mette à ricaner. Genre... c'était pas une blague ? elle posait vraiment la question ? Alors qu'elle venait juste de lui rappeler qu'il faisait partie des brêles scolaires ?

— Euh, reprit-il finalement, j'veux dire : j'sais pas m'dame. C'serait cool hein, sérieux, mais j'fais grave pas partie des meilleurs élèves, on va pas s'mentir. 'Fin, en botanique ça va, mais y'a tout l'reste là...

Un haussement d'épaules lui échappa alors qu'il reportait son attention sur sa plante et reprenait son occupation comme s'il ne s'était jamais arrêté.

— Genre vous, vous s'riez en mode « ouais vas-y j'mise sur lui » même ? Même moi j'mise pas sur moi, wallah.

Sur quoi il ne put s'empêcher de rire à nouveau, rien que d'imaginer un professeur avoir envie de faire de lui son poulain pour de vrai. Pauvre prof, il saurait pas dans quoi il s'embarquait...

Et dire qu'il était venu pour se changer les idées, pour souffler, pour retrouver le calme rassurant d'un des rares endroits au monde où il se sentait à sa place...! S'il avait su... Parce qu'il ne fallait pas se mentir, Griffith n'était pas la personne idéale pour se détendre et passer un bon moment... Sa seule présence avait quelque chose d'oppressant et ce, même avec la certitude de n'avoir rien fait de mal. Parce qu'en soi, il n'avait pas fait de bêtise, n'est-ce pas ? Il n'avait pas trop demandé l'autorisation de venir, ok, et personne ne lui avait donné celle de toucher aux plantes... mais il faisait pas de catastrophes pour autant ! Elles allaient bien les plantes ! Il jeta maladroitement un œil à celle qui se tenait devant lui comme pour s'en assurer une nouvelle fois, juste au cas où.

— Du quidditch ?

Dash hocha la tête. Ouais, entre autres. Ça n'avait pas été non plus sa priorité mais c'était toujours moins risqué à balancer à cette prof que toutes les vérités qui lui auraient sûrement offert mille et une occasion de l'humilier en beauté !

— Après avoir vu le dernier match, je vous conseillerais plutôt de vous concentrer sur la botanique.

Il ne put que se renfrogner un peu. Franchement, c'était pas super gentil. Même plutôt dégueulasse quand on y pensait. Elle avait le droit de dire des trucs comme ça, même ? Ok, il n'était pas le meilleur joueur de l'équipe mais bon, ça va, sûrement qu'il aurait pu faire pire. Il était capable de tenir sur son  balai, au moins, c'était déjà ça !

— Vous aimez peut-être votre balai, mais il est clair que lui ne vous aime pas.

Durant un instant, il resta bête, les yeux ronds la fixant sans trop savoir comment réagir... et puis, comme habitué à abandonner toute trace de fierté dès que l'occasion se présentait, il éclata d'un rire idiot et sincèrement amusé. C'était vache mais c'était drôle.

— Ça se fait pas m'dame se risqua-t-il malgré tout à rappeler, même si tout en lui laissait entendre qu'il s'en fichait totalement.

Autant il l'aurait mal vécu face à toute la classe, autant dans le tête-à-tête perdu de ce début de journée, ça lui passait largement au-dessus. Beaucoup auraient pris la mouche, sûrement, lui avait au moins le mérite d'être conscient de son manque flagrant de talent dans ce domaine. Il savait voler, c'était un fait, mais il ne savait pas jouer. Tant pis. Il n'avait jamais eu l'intention de faire carrière de toute façon. Aussi reprit-il son occupation, sans s'attarder davantage sur les horreurs qu'elle pouvait bien avoir envie de lui cracher à la tronche. Qu'elle s'acharne sur le Quidditch autant qu'elle voulait, c'était pas grave. Tant qu'elle ne lui interdisait pas l'entrée des serres, il s'en remettrait. Loin de lui interdire quoi que ce soit, elle partit dans un discours interminable – qu'il devait écouter « attentivement » – à propos d'apprentis, de travail acharné et d'avenir brillant. Le rapport entre l'instant présent et ce qu'elle racontait lui semblait flou. Elle faisait un peu vieille folle, gourou en formation, les deux peut-être. En tout cas, ça ne faisait pas forcément rêver. Bien sûr, il aurait bien voulu que la prof d'une matière qu'il aimait bien soit là en mode « je te veux dans mon équipe » comme un dresseur pokémon ou un coach The Voice, peu importait, mais tout ce qu'il y avait autour... voilà quoi. Il n'avait pas envie de vivre botanique, dormir botanique, manger botanique... Il aimait ça, oh ça oui !, mais c'était avant tout une passion, pas une obligation. Il tenait à sa vie d'ado, sans pression. Mais sa question changea un peu la donne. Est-ce qu'il faisait partie des élèves pour qui la BUSE de botanique ne pouvait être qu'une formalité, qui pouvait bosser des programmes avancés, que la prof pouvait vouloir prendre sous son aile...? Il n'y avait jamais réfléchi.

— Non, le géranium dentu. Mais bien sûr que oui, vous !

En soi, oui, peut-être. Passé le choc et l'envie de rire rien qu'à l'idée, en tout cas. Il n'était pas nul en botanique, il pouvait gérer davantage que ce qu'on leur donnait depuis cinq ans. Il le faisait très naturellement chez lui, depuis toujours. L'inconscience encourageante de Gil l'avait toujours laissé toucher à tout, sans chercher à savoir si c'était dangereux ou à sa portée. On lui montrait, on lui expliquait et puis on le laissait faire sa vie. Bien sûr, il était resté derrière lui, beaucoup, au début, prêt à rattraper ses bourdes... mais au fil du temps il avait arrêté, conscient que son rejeton n'en avait pas besoin. Comme ces gamins excellant en informatique pour être né avec un clavier entre les mains, lui en faisait de même avec les pots en terre cuite. Mais... il y avait tout le reste aussi... et le reste... Le reste ! Quand on voyait son bulletin, on avait un peu envie de pleurer quand même. En dehors de deux ou trois matières qui sauvaient la mise, et encore pas toujours les meilleures – qui en avait quelque chose à faire qu'il puisse avoir la moyenne en Divination, sérieusement ? – c'était à se demander s'il avait appris les bases un jour. Visiblement pas.

— Vous croyez que je vous fais une telle offre à la légère, M. Dashner ? Vous me prenez pour une idiote ?
— Nan m'dame mais-
— Vous pensez que je ne me suis pas assurée que vous aviez les qualités requises en potions, que je n’ai pas étudié votre savoir-faire et votre curiosité ? Vous pensez que je fais cette proposition à n’importe qui ?

L'adolescent ne broncha pas, secouant simplement la tête, les yeux rivés sur les dents du végétal qui attendait plus ou moins patiemment qu'on termine de s'occuper de lui.

— Bien sûr que je mise sur vous. Vous ne valez pas un kopeck sur un terrain de quidditch, mais dans une serre, vous faites des merveilles ! Exploitez ce talent, saisissez cette opportunité. Est-ce que vous comprenez seulement que je vous donne l’opportunité d’être un grand botaniste ? Vous êtes un Gryffondor, non ? Où est votre témérité ?

Les joues de Dashiell s'enflammèrent. « Bien sûr ». Elle avait balancé ça comme si c'était une évidence, là où, à ses yeux à lui, il n'y en avait aucune. Ses oreilles se mirent à bourdonner, son cœur à battre une mesure qu'il ne connaissait pas vraiment. Putain, il avait jamais prévu ça. Et en même temps, c'était le genre de discours qu'on ne voulait pas décevoir. Elle pensait vraiment qu'il faisait « des merveilles » ? Waaaaah... si on lui avait dit ça un jour. Péniblement, il hocha la tête. Oui, il comprenait. Enfin, vite fait. C'était encore un peu irréaliste mais il comprenait. La fierté était violente, tant et si bien qu'il s'en sentait un peu sonné.

— Sortez-vous les doigts du cul, un peu, c’est tout ce que je vous demande !

La vulgarité de son enseignante eut au moins le mérite de le ramener sur Terre dans un pouffement ridicule, digne de l'adolescent qu'il était. Quand il irait raconter à Silas que la prof lui avait demandé de se sortir les doigts du cul...! Parce qu'il était évident que c'était le plus important à partager de toute cette conversation. Bien entendu.

— Vous avez un don avec les plantes. Faites-vous confiance, un peu. Dites-moi que ça ne vous intéresse pas si vous voulez, mais ne me dites pas que vous n’y croyez pas. Je vous l’interdis.

Le Gryffondor secoua la tête. Si, peut-être que ça l'intéressait... Il ne s'était jamais penché très franchement sur son plan de carrière, parce qu'il était jeune, parce qu'il était nul, parce qu'il s'en fichait... Ses ambitions étaient à la hauteur de ses notes et il n'avait rien contre l'idée de tailler les arbustes ou d'arroser les bégonias des parcs municipaux. Il savait qu'il voulait bosser dehors et qu'avec des plantes ce serait mieux mais c'était bien là toutes ses exigences. Il n'était pas sûr de pouvoir devenir « un grand botaniste » ni même de le vouloir d'ailleurs. Ça sonnait grandiose. Et lui, il voulait juste un truc sympa. Mais peut-être que c'était parce qu'il n'y avait jamais vraiment osé s'autoriser à l'envisager jusque là... Et puis, il fallait bien reconnaître que, dans l'immédiat, ça ne collait pas avec ses plans. À cette pensée, son regard s'illumina d'une étincelle un brin paniquée. Putain, ses plans ! Son regard se fit à nouveau fuyant, Dash plus mal à l'aise encore.

— Et... et si jamais j'ai pas mes BUSEs dans les matières où j'suis mauvais et qu'j'retape, m'dame...? Botanique je peux... et potions aussi j'pense... mais l'reste... vous-même vous savez...

Et encore, elle ne savait pas tout ! Et puis, presque prudemment, comme s'il craignait que tout ça ne soit qu'une vaste plaisanterie, il se risqua à relever la tête, tout juste assez pour espérer déchiffrer les nuances du visage agacé qui lui faisait face.

— Vous... v'pensez vraiment tout c'que vous avez dit...? Pour de vrai...?

Juste pour être sûr... parce qu'il était plus habitué à ce qu'on lui rappelle à quel point son niveau était médiocre en tout qu'à s'entendre dire qu'il tirait presque du génie pour quelque chose... Alors dans le doute...  

Derrière les encouragements apparents et la bienveillance un peu vague ondulaient des répliques aussi cinglantes qu'humiliantes qui donnaient au tout des lueurs que l'adolescent peinait à interpréter. Heureusement qu'il n'avait pas d'ego sur-dimensionné... voire pas d'ego du tout... Il serait parti en claquant la porte de la serre et aurait planté là le pauvre géranium qui n'avait rien demandé. Le géranium ! Pris d'un soudain sursaut de bon sens, Dash reprit son travail, relevant un œil incertain sur son enseignante, à mi-chemin entre l'envie de confirmer ce qu'elle pensait de lui et la crainte qu'elle l'enfonce sur tout le reste. Il ne répliqua pas vraiment sur le Quidditch, laissa couler les remontrances un peu vulgaires – sinon un rire débile à l'image de ce bout précis de leur conversation. C'était beaucoup de responsabilités, beaucoup de pression pour un gamin dans son genre. Normalement, dès que ça devenait un peu compliqué, il déclarait être une quiche en tout, pouffait comme un con et comatait silencieusement dans un coin en attendant que ça passe. Mais là... Elle avait dit qu'il était doué. Et qu'elle était prête à miser sur lui, quand même...! Qui d'autre au monde avait dit ça un jour ? Oona, sûrement. Mais ça faisait une éternité qu'elle ne disait plus rien. Ni de gentil ni de méchant d'ailleurs. Son propre père avait eu un doute sur ses capacités à mener une mission toute simple à bien quand il avait déclaré qu'il pouvait l'aider. Il avait accepté parce qu'il n'avait pas eu mille autres choix mais il était à peu près certain qu'il ne l'aurait jamais fait s'il avait pu faire autrement... Alors sérieusement, il n'avait aucune envie de lui prouver qu'elle avait tort, de lui faire regretter de penser ça, de refuser sa proposition... même si ça ne l'avait jamais franchement fait rêver. Et que même maintenant, il n'était pas sûr d'avoir des étoiles plein les yeux quand on lui parlait de programme avancé, d'études incroyables et de jobs grandioses... C'était bon pour sa sœur, ça ! Pour Silas ! Certainement pas pour lui. Il n'était même pas certain qu'on le croirait, s'il se risquait à le raconter. Personne n'était assez fou pour miser plus qu'une noise sur Dashiell Dashner... Surtout pas quand on connaissait ses intentions pour la fin de l'année... Mais elle ne les connaissait pas, c'est vrai ! Aussi, dans une honnêteté un peu idiote, il se risqua à émettre l'idée de se planter. Juste comme ça. Pour qu'elle s'y attende. Qu'elle mise sur lui si elle voulait mais en ayant en tête la possibilité d'avoir misé sur un âne plus que sur un cheval de course. ...et il cherchera à se rassurer une nouvelle fois au passage, sans trop savoir s'il espérait qu'elle confirme la véracité de tout ce qu'elle avait raconté ou qu'elle ricane face à une plaisanterie qu'elle avait trop fait durer.

— Mais bien sûr que oui, enfin ! Puisque je vous le dis !

Un hochement de tête rougissant accompagna cette confirmation, enveloppé de la sensation délicieuse des compliments un brin mérités. Il n'était peut-être pas aussi doué qu'elle le prétendait mais quand même, ça faisait plaisir d'être félicité pour son travail toujours plus que correct dans sa matière.

— Je peux savoir pourquoi vous estimez que vous n’obtiendrez pas suffisamment de BUSE ? D’accord, votre bulletin n’est pas brillant, mais obtenir une poignée de A est largement à votre portée.

Dashiell haussa les épaules. « Comme ça », qu'il aurait pu dire. En réalité, il ne s'était jamais posé la question, avant. Il avait toujours réussi à passer d'année en année, même sans que ses notes soient merveilleuses, il aurait réussi là aussi. Il aurait eu des bonnes notes en Botanique et en Potions, aurait eu la moyenne en Vol et en Divination... peut-être en sortilèges aussi, quand même, s'il avait fait l'effort de travailler un peu... et puis il aurait abandonné tout le reste sans aucun regret. Ça aurait suffi à passer en sixième année et le long fleuve tumultueux de sa scolarité aurait continué son cours sans plus de problème que ça. Mais là... Il avait prévu d'avoir une note correcte en botanique pour que ça soit pas trop flagrant non plus, tout juste la moyenne en potions... et puis des P, des D et des T à la pelle pour le reste. Genre... « Oh la la mais quel dommage, il me manquait une BUSE pour passer en sixième année ! » Il était à peu près sûr que, comme ça, tout le monde s'y verrait que du feu. Il se ferait un peu taper sur les doigts à la maison mais avoir Silas dans sa classe l'an prochain valait évidemment tous les remontages de bretelles du monde ! Mais Griffith n'était visiblement pas née de la dernière pluie et l'air qui déforma ses traits le laissa facilement comprendre.

— Me trompé-je si je soupçonne que quelque chose d’autre que vos capacités se cache derrière cette question ?

Ses joues s'enflammèrent à nouveau, de panique plus que de ravissement cette fois-ci. Son regard repartit à la rencontre des dents du géranium et il retira une nouvelle feuille avec un soin tout immense pour ne pas servir de remparts à un courroux possible. À deux doigts de prendre la pauvre plante et de la brandir comme un bouclier. Nouvel haussement d'épaules en guise d'aveux silencieux.

— P't'êtrej'saisj'vaisfoirer, baragouina-t-il dans sa barbe sans oser relever les yeux vers son professeur.

Il n'avait quand même pas besoin de lui raconter sa vie, si ? Qu'est-ce qu'elle s'en foutait qu'il ait envie de retaper parce que son meilleur ami – qu'il avait pécho durant les vacances ce qui en faisait peut-être plus que son meilleur ami en fin de compte – avait redoublé et que ça lui manquait de passer l'entièreté de ses journées avec lui ? Elle le prendrait pour un véritable demeuré. Il voyait déjà la leçon de morale qui allait le gonfler et ses grands airs qui captaient pas l'idée. Pourtant, c'était clair : il y avait des choses plus importantes que les BUSEs dans la vie ! Et puis, il ne prétendait pas jamais jamais les avoir... juste retarder d'un an. C'était pas la fin du monde. N'est-ce pas...?

L'idée première, toute première, avait été des plus simples : ne rien dire à qui que ce soit qui n'était pas Silas et laisser les choses se faire tranquillement. Il ne comptait pas se foirer totalement, parce que ça se verrait trop et que même ses deux neurones mal en point étaient capables de remarquer qu'il n'avait jamais eu de T en Botanique ou en Potions de sa vie et que, forcément, ça serait pas discret si ça arrivait là, d'un coup d'un seul... mais du reste... Il prétendrait qu'il n'avait pas bossé, qu'il n'avait pas compris, que c'était les exams qui étaient trop compliqués aussi ! Il improviserait, c'était pas très grave. Seul point noir de son plan, c'était ses piètres talents de menteur. S'il était doué pour ne rien dire, il l'était beaucoup moins pour planter un regard convaincu dans celui de son interlocuteur et débiter n'importe quoi avec l'air d'un saint. Et puis... et puis il y avait eu ce matin. Cette femme des Enfers, là, qui rivait son regard perçant sur lui en le forçant – oui ! exactement ! – à vomir ses secrets. Qui faisait ça, wesh ?! Alors la vérité avait passé ses lèvres, aussi simplement qu'un bonjour. Il ne voulait pas la décevoir si elle croyait un minimum en lui, d'accord, mais il n'avait jamais prévu de lui ouvrir la fenêtre pour qu'elle ait la meilleure vue sur ce qui allait se passer. Parce que Griffith ou pas, l'humanité toute entière ou pas, ça allait se passer. Si c'était pas maintenant, ce serait plus tard, pour ne pas laisser son meilleur ami tout seul dans cette école de merde durant un an ! Alors plutôt que d'attendre les ASPICs, autant le faire maintenant. Au moins, ils en profiteraient deux ans de plus ! Il fallait être con, quand même, pour être prêt à s'imposer une année de plus sur les bancs de l'école alors qu'on aimait même pas ça pour un gars qui n'avait même pas daigné faire savoir qu'il était toujours vivant qu'il l'avait planté. Eh non ! C'était de l'histoire ancienne, ça. Il s'était expliqué. Et lui, pauvre couillon, avait pardonné sans ciller. Parce que c'était Silas, parce que c'était normal, parce que fermer les yeux sur tout ce qui avait pu le blesser à ce moment-là et après valait forcément mieux que de ne plus l'avoir à ses côtés. Son attention accrochée aux feuilles qu'il retirait avec une minutie trop exagérée pour ses gestes habitués, Dash priait presque pour qu'elle  n'insiste pas. Un « ah ok » et puis voilà. Quitte à ce qu'elle aille trouver un autre pigeon pour jouer les apprentis. Il n'en parlerait jamais pour éviter qu'on lui fasse les gros yeux et puis tant pis. De toute façon, il n'avait jamais rêvé aussi grand que les trucs qu'elle lui faisait miroiter. Mais les prières ne marchaient jamais vraiment dans la vraie vie et avec Satan moins encore :

— Et pourquoi ça ?

Derrière son pot, l'adolescent se recroquevilla un peu, comme si le poids de ses conneries commençait à peser lourd sur ses épaules secouées d'un haussement maladroit.

— Com' ça. J'l'sais, m'dame, c'tout.

Elle espérait quoi ? Qu'il lui raconte l'histoire depuis le début ? Il en aurait été incapable. Il ne se souvenait même plus comment c'était venu. Ça avait juste eu l'air d'une évidence. D'un coup. Comme ça. Un soupir se fit entendre de l'autre côté de la table. L'adolescent se raidit. Il allait se faire engueuler ? Évidemment qu'il allait se faire engueuler... Elle lui proposait de le prendre sous son aile, sûrement qu'elle attendait au moins qu'il défaillisse sous le plaisir, sous la fierté, qu'il se répande en mercis à n'en plus finir... et lui, tout ce qu'il faisait, c'était de la prévenir qu'il avait mieux à faire que d'avoir son diplôme. Sûrement qu'elle avait bouffé des élèves dans son genre pour moins que ça. Cette pensée l'amusa et suffit à faire redescendre doucement la pression. N'empêche, c'était rentable pour elle hein, elle pouvait faire entrée-plat-dessert avec lui !

— Très bien.

Est-ce que c'était un très bien qui voulait dire « vous êtes un imbécile, Dashner, vous ne savez pas ce que vous perdez » ? Peut-être bien oui... Et sûrement que ça n'était pas si faux que ça... tant pour le Q.I. négatif que pour la perte mal évaluée.

— C’est une histoire d’amour, pas vrai ?
— Mais grave pas, s'étouffa-t-il trop brusquement pour être crédible, les yeux ronds et paniqués comme deux d'un lapin pris dans des phares, les joues si rouges qu'il semblait sur le point d'exploser. Ça n'était pas un vrai mensonge, n'est-ce pas ? Après tout, quand il avait décidé ça, ils étaient amis. Juste amis. Et même maintenant, ils n'étaient pas grand chose de plus... putain que ça sonnait faux !
— Votre famille veut que vous travailliez dans leur entreprise ?
— Mais non !
— Ou peut-être avez-vous une petite copine en quatrième année ?
— Mais m'dame, ça vous r'garde pas, wallah !

Le rappel n'était pas très convaincant, aussi changea-t-il de tactique.

— J'vous jure elle est dans ma classe.

En brandissant cette pauvre Selene comme un bouclier fragile, le Gryffondor espérait au moins échapper à un interrogatoire plus poussé. C'était lâche. Il l'avait trompée, ne savait pas trop comment s'en débarrasser et plaquait sur elle ce rôle de « petite copine » qu'elle n'avait jamais vraiment eu pour se débarrasser des questions qui pouvaient remonter à ses vacances. Il ne savait pas à quel moment il était devenu un connard du genre mais sérieux, ça faisait pitié.

— Vous avez du potentiel, M. Dashner. Ne le gâchez pas par affection ou par culpabilité.
— J'gâche rien m'dame, j'classe juste mes prio dans un aut' sens genre. Et puis... c'qu'un an, au pire, OSEF...

Si sa voix n'avait rien de très assurée, conscient, sûrement, qu'il pouvait déclencher ses foudres au moindre mot de travers, il avait au moins l'air certain de ce qu'il avançait. Pour l'ordre de ses priorités, en tout cas. Il se fichait bien d'un avenir brillant où il aurait perdu l'humain qu'il préférait au monde parce qu'il avait eu mieux à faire que d'en rester proche. Il s'était fait à l'idée d'un avenir correct, au centre duquel le Serdaigle graviterait toujours, même dans vingt ou trente ans. Il pouvait faire avec un potentiel gâché, et des opportunités foirées... C'était triste mais il y avait plus grave, dans la vie.

— ...nan ?

Ça aurait été n'importe quelle autre matière au monde – le prof aurait été complètement stupide, déjà – Dash aurait probablement freiné des quatre fers. C'était quoi ce forcing, là, comme ça sérieux ? Il avait dit qu'il pensait retaper, au mieux elle essayait de lui remonter le moral en mode « mais non, vous n'êtes pas si con », au pire elle lâchait l'affaire ! Mais c'était Griffith, et c'était la Botanique... et même s'il n'avait jamais rien voulu ni rien espéré qui aurait pu ressembler à ça, il ne pouvait s'empêcher de se dire, maintenant que l'idée avait été abordée, qu'il avait quand même bien envie d'essayer. Vite fait, hein, juste comme ça. Parce que le programme avancé et le travail en plus là... c'était pas trop sa came, on ne va pas se mentir. Mais quand même ! D'où elle lui faisait passer un véritable interrogatoire pour savoir le comment du pourquoi il allait retaper ? Elle pouvait pas se contenter de le prendre pour le débile qu'il était, non ? Ou du moins, celui qu'il était convaincu d'être...? Les joues rouges, les yeux un brin paniqués, incapable de mentir autant qu'il se refusait de cracher une vérité trop honteuse pour passer la barrière de ses lèvres qui gardaient encore la pression délicieuse des souvenirs de cette erreur – qui n'en était pas vraiment une, il ne savait juste pas comment se dépêtrer de ses conséquences – l'adolescent aurait voulu mourir. Se cacher sous terre. Disparaître.

— Peu m’importe vos démêlés sentimentaux, vous pouvez bien avoir dix petites amies différentes si ça vous chante, mais il est évident que vous ne faites pas ça pour vous ; ou pour cette copine dans votre classe.
— Mais madaaaame, p'tain, couina-t-il quelque part entre le bord du désespoir et le ricanement nerveux. Chais pas vous croyez quoi mais j'ai pas dix meufs !

Il n'était même pas sûr de pouvoir atteindre ce chiffre un jour dans sa vie. Déjà, une, c'était un miracle ! Qui aurait cru qu'une fille s'intéresserait à lui un jour ? Est-ce qu'elle l'avait bien regardé avant de dire oui ? Ou, admettons que le physique compte pas – à quinze ans, sérieusement ?! – est-ce qu'elle avait pris la peine de l'écouter parler ? Il ne fallait même pas tout un discours pour réaliser que ses deux neurones n'étaient pas tout à fait en état de marche ! Quant au Serdaigle... ça dépassait toute logique. Et la réciprocité de cette affection-là également. Si on lui avait dit qu'un jour il tromperait l'une des meufs les plus bandantes de l'école avec un mec... Rien que ce rappel silencieux lui fit à nouveau baisser les yeux. Quel connard, franchement.

— Déjà une c'est chaud hein...

Surtout vu la situation. Et, durant une seconde, Dashiell eut l'espoir que ça s'arrête là. Qu'elle le reprenne sur la manière dont il retirait les feuilles des géraniums, sur les risques qu'il prenait parfois en laissant ses doigts trop près des crocs, qu'elle retire sa proposition. Peu importe ! N'importe quoi pour un peu que ça ne ressemble pas aux portes de l'Enfer ou à un cauchemar sans fin. Jack Griffith qui s'intéressait à sa vie privée, ça pouvait probablement devenir son prochain épouvantard. À côté, les monstres mi-poney mi-poulet, ça faisait pas le poids !

— Vous avez raison : un an, ce n’est pas dramatique en soi.
— On est d'accord !
— Mais les conséquences de cette année perdue, êtes-vous prêt à les affronter ?

Le Gryffondor hocha la tête. Évidemment ! Il y avait réfléchi, qu'est-ce qu'elle croyait ?! Bon, peut-être pas dans les moindres détails, d'accord... mais quand même, il avait globalement balayé le truc.
Et tout ce qui en était ressorti c'était : Silas. Il serait à nouveau dans la classe de Silas, il pourrait passer tout son temps avec Silas, il retrouverait les habitudes qu'il avait eues jusque là avec Silas... Silas, Silas, Silas.

— Avoir un an de différence avec toute votre promotion actuelle ?

Il hocha à nouveau la tête. Qu'est-ce qu'on s'en foutait ? Il ne serait ni le premier ni le dernier à qui ça arriverait ! Et puis, il était né juste avant la rentrée alors au pire, il aurait deux mois de plus que les plus vieux de la classe, c'était quoi deux mois ?

— Assister à nouveau à des cours que vous connaissez déjà ?

Il hocha la tête pour la troisième fois. Il aurait oublié la plupart des trucs dans la plupart des matières de toute façon. Et pour les autres, au moins, il pourrait avoir grave des bonnes notes sans trop se casser le cul et être sûr de passer l'année d'après. Ça se voyait pas comme ça mais en vrai, c'était tout bénef !

— Vous ennuyer davantage encore en botanique ?
— Bah non m'dame, contredit-il alors qu'il posait à côté de lui une feuille de géranium et sur son enseignante un regard brillant, tant de gêne que d'espoir. D'jà j'm'ennuie pas tout l'temps. Et pis, ça pourrait vous faire un an d'plus pour m'apprendre des trucs genre ! V'z'avez pensé à ça ?!

Tout en lui hurlait « s'il vous plaît s'il vous plaît s'il vous plaît ». Avoir le beurre, l'argent du beurre et le cul du crémier... et enfin, pas trop son cul mais vous avez compris l'idée ! Ça ne sembla pas prendre aussi bien qu'il l'aurait voulu puisqu'au lieu de mettre en lumière l'excellente idée que c'était, elle reprit :

— Nous allons faire quelque chose de simple : dresser l’ordre de vos priorités.
— Sérieux...?
— Je veux l’entendre, et je veux que vous justifiiez chacune d’entre elles.

Ses épaules s'affaissèrent. Mais c'était quoi cet exercice pourri ? Elle pouvait pas plutôt lui demander d'aller remplir les arrosoirs ou de vérifier le paillage des plantes qu'il y avait dehors ?Dashiell ouvrit la bouche pour protester mais ses yeux de rapace rivés sur lui l'obligèrent à battre en retraite... L'ordre de ses priorités, donc... Il leva un premier doigt.

— Bah en un, mon meilleur ami s'apprêtait-il à dire avec un naturel et une sincérité si grands que ça avait l'air déplacé avec cette prof, mes amis... parc'que genre on passe tout not' temps ici donc tout not' temps ensemb'...

Un second doigt.

— En deux ma famille et pis mon chat aussi parc'que c'est la famille. Bah... parc'que c'est ma famille...? Faut vraiment qu'j'trouve une explication à ça ?

Un troisième doigt.

— En trois les sorties et les soirées et les fêtes et un peu les conneries qu'on fait des fois parc'que quand même c'est grave drôle et que j'crois c'est les meilleurs moments qu'j'passe ici.

Un quatrième doigt... mais il le fixa un instant, laissant voir un hésitation quant à son classement.

— En quatre les plantes... parc'que c'trop simple avec elles genre, pas com' avec les gens et tout... en vrai limite j'pense on peut mettre en trois m'dame.

L'adolescent commença à lever un cinquième doigt avant de s'arrêter en plein milieu de son geste et de reporter son attention sur son professeur.

— J'dois en faire combien m'dame ?

Il avait tenté, tant bien que mal, de plaider sa cause, d'essayer de mettre en avant le fait que ça laisserait plus de temps pour le former, acceptant sans l'avouer qu'il était prêt à travailler pour que ça se fasse. En botanique, du moins. Le reste ne comptait pas vraiment, n'est-ce pas ? Qu'est-ce qu'on s'en foutait qu'il se plante lamentablement dans la majeure partie des matières tant qu'il s'en tirait avec les honneurs dans celle-là ? Mais non, évidemment, ça n'était pas comme ça que ça fonctionnait. Aussi injuste que ça puisse être, c'était tout ou rien. À quoi Dash aurait-il bien pu s'attendre d'autre, hein ?

— Je ne vais pas perdre un an supplémentaire avec un élève dont la priorité n’est visiblement pas la botanique.

Mais ça l'était ! Enfin... plus ou moins. Ça n'était pas sa priorité numéro un, bien sûr, de qui ça pouvait l'être, sérieusement ?! Mais c'était quand même sacrément bien classé ! Mieux que le Quidditch, mieux que le foot, le cricket ou les jeux vidéos, mieux que les filles et les bonbons et tout plein d'autres trucs qui auraient pu être importants à son âge ! Qu'est-ce qu'elle voulait de plus ? Qu'il ne vive que pour ça, quitte à oublier tout le reste de son existence ? C'était abusé ! Elle pouvait pas lui demander un truc comme ça. Et il était à peu près sûr que même toutes les têtes d'ampoule du bahut n'en étaient pas à ce point-là non plus. On pouvait aimer beaucoup quelque chose sans avoir envie d'en faire le centre de son monde pour autant. Le centre était déjà pris, de toute façon. Et franchement, face à son meilleur ami, rien ne faisait le poids. Certainement pas trois plantes et une prof aigrie ! Mais sûrement qu'elle l'espérait, elle, puisqu'elle lui demanda de faire oralement le classement de ses priorités. Ce qu'il fit, non sans râler un peu. Il n'avait rien d'incroyable, son classement. D'une banalité à pleurer, digne d'un garçon de quinze ans qui se laissait tranquillement porter par la vie. Les amis, la famille, s'amuser, et la botanique. Elle aurait dû être contente ! Il était assez passionné pour préférer s'enfermer dans les serres de bon matin plutôt que de s'entraîner pour le prochain match ou larver sous sa couette jusqu'à ce qu'il soit l'heure de déjeuner ! Est-ce qu'elle avait beaucoup d'élèves qui faisaient ça, franchement ? Il n'avait pas envie de se jeter de fleurs, il s'en foutait bien, et même pas l'idée ne lui aurait traversé l'esprit mais quand même...!

— Ça ira comme ça, M. Dashner. J’ai l’information qu’il me fallait.

C'était lui ou ça sonnait super négatif comme phrase ? Du genre « vous êtes un gros nul, Dashner ». Ce qui n'était pas forcément faux, bien sûr, mais il n'avait pas l'impression d'avoir fait quoi que ce soit pour mériter ça. Genre, elle, elle n'avait jamais eu d'autres priorités dans la vie ? Elle n'avait jamais été ado, même ? À préférer profiter de la vie plutôt que de la passer à bosser ? ...ok, c'était possible. Elle était flippante un peu, elle avait pu toujours être comme ça. Ça ne l'aurait même pas surpris, pour être honnête.

— Puisqu’il apparaît évident que vous avez d’autres projets que celui d’avoir un peu de plomb dans le crâne, je ne vais pas perdre mon temps avec vous.
— Ah, couina-t-il sous le coup de la déception. D'accord madame...

C'était complètement con quand on y pensait, quand même... Il n'avait rien demandé, lui. C'était elle qui était venue le trouver pour lui proposer un truc qui en soi ne le faisait même pas rêver – travailler plus, envisager un vrai avenir, un truc qui demander de s'investir – mais là qu'elle changeait d'avis, ça ne le laissait quand même pas indifférent. Il avait baissé les yeux comme un chiot malheureux et attrapé l'arrosoir pour finir de s'occuper de son géranium sans rajouter quoi que  ce soit. Elle faisait ce qu'elle voulait, hein. De toute façon, il n'était pas certain d'être le meilleur apprenti du monde. Ça leur éviterait des moments chiants, à l'un comme à l'autre. Elle irait trouver quelqu'un d'autre à traumatiser, et lui suivrait son petit bonhomme de chemin sans se foutre la pression pour rien.

— Du moins, pas cette année étant donné qu’elle est perdue d’avance. Lorsque vous aurez décidé de travailler sérieusement, revenez me voir ; mais pas avant.

Dashiell hocha la tête. Pas cette année. D'accord. Tant pis.

— J'peux quand même continuer à v'nir ici ou même pas...?

Lorsque la terre fut humide, il reposa l'arrosoir et alla remettre la plante à sa place. Il en restait plusieurs autres à faire encore mais si c'était pour se faire jeter dans deux secondes, il n'était pas sûr d'avoir envie de continuer. Il resta là, plusieurs secondes, les bras ballants et les yeux rivés sur les pots qui n'attendaient qu'un peu d'attention, incapable de savoir quoi faire. Il abandonna et finit par se retourner vers son enseignante. À bonne distance, plus près des crocs des fleurs derrière lui que des griffes de la harpie devant.

— Mais j'crois c'pas une bonne idée d'revenir vous voir l'année prochaine m'dame en vrai, se risqua-t-il à avouer d'une petite voix à la fois maladroite et convaincue. Genre si vous pensez un jour y'aura qu'la botanique et tout, c'est un peu mort quoi. J'veux dire, j'veux bien bosser grave avec vous, hein, y'a pas d'problème, et puis en potions aussi même, j'vous jure. Mais c'sera jamais ma prio numéro 1, hein. J'préfère continuer à faire ça tranquille dans mon coin et être bien entouré et tout qu'avoir des notes de ouf et un bon job après mais être tout seul comme un con parc'que j'aurais mis mes potes d'côté pour ça hein...

Dans l'ordre de ses priorités, l'humain – aussi difficile à suivre qu'il puisse être – resterait toujours en tête de classement. Il y avait des gens qui étaient fait pour briller et briller seul, mais ça n'était pas son cas. L'ombre lui convenait très bien pour un peu qu'il puisse la partager. Est-ce qu'il serait plus heureux parce qu'il y aurait son nom dans les journaux spécialisés un jour dans sa vie ? Non. Est-ce qu'il serait plus heureux parce qu'il poserait les yeux sur le visage rayonnant de son meilleur ami jusqu'à la fin de ses jours ou pourrait se targuer d'avoir été un présence et un soutien constants pour quiconque pourrait en avoir besoin dans son entourage ? Sans le moindre doute ! Alors tant pis si ça lui fermait des portes intéressantes, tant pis s'il était amené à le regretter plus tard, pour l'instant son choix était fait. Il ne doutait pas qu'elle trouverait quelqu'un d'autre à prendre sous son aile, de toute façon...

Si Dashiell n'avait pas très envie qu'on lui retire cette opportunité dont il n'avait pourtant jamais vraiment voulu, force était de constater qu'il y avait quelque chose qui lui faisait plus peur encore : perdre le droit de venir se réfugier ici lorsque l'envie l'en prenait. Il y avait des gens qui avaient besoin de se terrer dans le calme de la bibliothèque ou de se défouler au-dessus du terrain de Quidditch, lui n'avait toujours juré que par les serres – bien qu'il ne l'ait pas vraiment montré depuis le début de l'année... Si on lui ôtait ce privilège, il ne donnait pas cher du reste de sa scolarité ici. Il n'imaginait même pas l'ennui et le manque qui peupleraient son quotidien...! Heureusement, au milieu des coups fourbes qu'elle semblait décidée à lui porter, Griffith lui offrit une seconde de répit :

— Vous pourrez toujours venir, oui.

Un nouvel hochement de tête plus rassuré et enthousiaste que le premier lui échappa, à la fois pour faire savoir qu'il avait compris qu'il n'obtiendrait pas davantage et qu'il s'en contenterait et pour la remercier sans trop le faire non plus. Le reste n'était qu'accessoire. Qui avait envie de bosser dur pour un avenir brillant mais solitaire faute d'avoir eu du temps à consacrer au reste de l'humanité ? Certainement pas lui ! Il s'était toujours vaguement imaginé avoir un petit travail tranquille, qui lui offrirait tout juste assez d'argent pour avoir une vie correcte mais en même temps assez de temps pour avoir une vie tout court. Et c'était visiblement pas avec ce qu'elle lui avait fait miroiter que c'était possible ! Mais bon, durant une seconde, il avait quand même imaginé la tête de ses parents quand il serait revenu pour leur annoncer qu'il avait décidé – après un redoublement nécessaire – de prendre son avenir en main... Dommage, ils n'auraient jamais l'occasion de vivre ce moment-là un jour dans leur vie... Il faudrait se contenter d'Aisling pour porter haut et loin le nom et l'honneur de la famille ! Il se risqua néanmoins à expliquer son point de vue, sans penser un seul instant à l'insolence que ça pouvait revêtir ni à l'indifférence que ça devait causer chez son professeur. Tout ce qu'il obtint fut un soupir qui le fit se tasser dans son coin. Vraiment, il n'y avait pas grand chose à tirer de cette matinée. Sinon qu'elle avait pu dire qu'il était doué. Et qu'elle le pensait. C'était un peu lui qui avait tout fait foirer, en réalité, et même toute la mauvaise de foi de ses quinze ans ne suffisait pas à passer à côté.

— Je vois que nous n’avons pas la même vision des choses.

Dash haussa les épaules. Non, pas vraiment. En même temps, c'était assez triste pour elle. Si sa priorité numéro un dans la vie c'était la botanique et bah sérieux, paye ta vie de merde quoi ! Vraiment, il était plutôt content qu'ils ne soient pas raccord sur ce point... et sur beaucoup d'autres aussi. On ne pouvait pas dire que Jack Griffith était la personne qui faisait le plus rêver sur cette Terre. Ça ne donnait pas trop envie d'être à sa place. Elle avait vraiment dû en chier pour être aussi désagréable maintenant... surtout quand on lui faisait rien. Parce que jusqu'à preuve du contraire, il s'en était un peu pris plein la tronche alors qu'il ne lui avait rien demandé du tout... M'enfin... Sûrement qu'elle allait le toiser d'un air « vous êtes une bouse, Dashner » et partir vaquer à ses occupations, le laissant seul avec les siennes...

— Cela étant…

Ou pas...

— J’apprécie votre honnêteté.
— Oh, hoqueta-t-il, étonné. Sérieux m'dame ? Z'allez pas m'engueuler ou j'sais pas quoi ?

Eh bah ça pour une surprise ! En même temps, tant mieux ! Ça ne changeait rien au problème de base mais si au moins ça pouvait lui éviter de perdre des points pour avoir dit ce qu'il pensait, c'était déjà pas mal ! En soi, la coupe de quatre maisons lui importait peu, inutile de mentir, mais il n'avait pas très envie d'expliquer à ses camarades pourquoi leur sablier avait perdu quelques précieux rubis de si bon matin.

— Ce que je peux vous proposer, à défaut de la formation évoquée, ce sont des cours particuliers ; de quoi voir de quel bois vous vous chauffez.

Le Gryffondor la fixa sans répondre, les yeux ronds, la bouche entrouverte. Elle était quand même prête à le former un minimum ? Parce que des cours particuliers, c'était dans ce sens-là, n'est-ce pas ? Il avait pas besoin qu'on le fasse travailler sur le programme de son année puisqu'il le gérait déjà... c'était sur le programme des autres années ? Son visage s'illumina lentement, comme si la compréhension était un peu lente à se faire.

— Si vous vous montrez suffisamment performant, je pourrais envisager de vous prendre comme apprenti ensuite.
— Pour d'vrai ?! Oh merci m'dame ! On commence quand ?!

Il avait bien compris qu'il allait en chier... mais s'il pouvait en chier en botanique et retaper quand même son année comme prévu, il était prêt à en chier beaucoup et rapidement. Eh, après tout, c'était pas tout le monde qui pouvait se targuer d'être encouragé par le dragon des serres en personne, hein...?