Ses doigts jouaient distraitement avec une mèche blonde, dansant au rythme de son ennui tandis que la professeure Grant s'employait à détailler de quelle manière Eûrk le Crasseux, chef des rebelles lors de la révolte des gobelins au dix-huitième siècle, avait planifié vivres et soldats pour un combat décisif qui devait se tenir lors de la prochaine demi-lune. Ce n'était pas inintéressant mais, en ce vendredi matin, alors que l'heure du déjeuner approchait inéluctablement, il devenait de plus en plus ardu de ne pas laisser ses pensées s'envoler hors de la salle de classe et des notions lointaines qu'on y abordait. Dans un sursaut intérieur, Selene s'extirpa de sa léthargie, ses prunelles claires relisant plusieurs fois la dernière phrase encrée sur son parchemin pour tenter de rattraper le cours qui se poursuivait sans elle. Elle saisit au vol un nouveau nom et une date quelconque qu'elle s'empressa d'ajouter à la suite, histoire de se donner bonne conscience et d'avoir une base sur laquelle partir lorsqu'il lui faudrait, inévitablement, faire quelques recherches pour compléter ce qui s'approchait plus d'un texte à trous que d'une prise de notes minutieuses. Selene retint un baillement et laissa plutôt son regard dériver sur les dos de ses camarades installés devant elle, s'égarant ici et là jusqu'à s'arrêter un peu plus longtemps sur les épaules familières de Dashiell. Son cœur s'empressa de marteler l'étrange ritournelle qui égrenait, depuis leur tête-à-tête à Pré-au-Lard, des notes presque obsessionnelles et sur ses lèvres passa un léger courant d'air. À ses côtés, Daisy s'agita, rompant le charme duquel Selene était prisonnière, la poussant à détourner les yeux, les joues réchauffées par une sorcellerie vieille comme le monde. Contrariés, ses yeux bleus poursuivirent leurs pérégrinations, passant du brun au blond, du blond au châtain, du châtain au roux, survolant les têtes de ses camarades, écoutant d'une oreille distraite les dilemmes auxquels Eûrk était en proie il y a deux cent ans de cela. Il fallait qu'elle se concentre ou elle était bonne pour passer son après-midi à reprendre son cours. Il aurait fallu qu'elle se concentre mais un clin d'œil de Kenneth jeté dans sa direction depuis l'autre côté de la pièce lui ôta toute chance de parvenir à raccrocher le fil de ce que narrait l'enseignante, lui rappelant qu'ils mangeaient ensemble ce midi, dans quelques minutes à peine, et que cette proposition couchée sur le papier dans un élan de courage qu'elle ne s'expliquait toujours pas allait tout bientôt prendre vie.

Ces dernières semaines, Selene avait découvert un monde bien différent de celui décrit dans ses carnets. Les prénoms qui parsemaient les pages de ces années oubliées agissaient d'une façon qu'elle ne comprenait pas, persuadée par ses lectures qu'il en irait tout autrement. Toutes ces nuits à se demander pourquoi elle avait écrit, pensé, ressenti toutes ces choses qui ne correspondaient plus à rien de ce qu'elle écrivait, pensait, ressentait aujourd'hui. Qui elle était alors et qui elle voulait être maintenant se heurtaient dans un mélange de contradictions et d'incompréhensions qui avaient au moins eu le mérite de mettre en lumière le fait qu'elle ne connaissait finalement rien de ses camarades. Les portraits esquissés dans l'un de ses petits carnets ne reflétaient aucune réalité, aussi n'avait-elle pas d'autre choix, si elle voulait pouvoir les corriger, que d'apprendre à connaître ceux qui en savaient plus sur Selene qu'elle-même. Les vieux souvenirs n'avaient plus d'importance, elle voulait s'en créer des nouveaux. Aussi, après de longues ratures, elle avait fini par proposer à Kenneth de manger tous les deux. Elle avait bien fait attention : ce n'était pas un rencard puisqu'ils n'allaient pas à Pré-au-Lard, non, ce n'était rien de plus qu'une occasion pour apprendre à connaître un garçon dont le prénom se retrouvait dans bien des pages, associé à bien des hésitations. Tout ce qu'elle souhaitait, c'était discuter avec lui, en savoir plus que les faits évidents qu'il était très drôle et incroyablement beau.

Si le sablier prit tout son temps jusque là, les derniers instants du cours où Selene se perdit dans ses pensées disparurent en un battement de cils. Les bruissements de feuilles que l'on rassemble et le crissement des chaises que l'on repousse annonçaient la fin des deux heures d'Histoire de la magie, et donc le moment de retrouver Kenneth. D'ailleurs, est-ce qu'elle était censée le retrouver dans la Grande Salle directement ou bien l'attendre devant la salle de classe pour qu'ils y aillent ensemble ? Ils n'avaient rien déterminé de tout cela, se contenant de coucher sur le papier une invitation à manger ensemble le lendemain, le tout assorti de quelques blagues innocentes. Quand elle sortit la tête de son sac dans lequel elle venait de ranger ses notes et ses stylos, une bonne partie de ses camarades s'était déjà volatilisée, emportant le tohu bohu des conversations retenues pendant deux longues heures en direction du rez-de-chaussé. Pas Kenneth, néanmoins, dont la silhouette se matérialisa subitement dans les yeux incertains de Selene, presque comme s'il venait littéralement de transplaner devant elle. « On va manger ? » lui demanda-t-elle dans un sourire en délaissant sa chaise et son pupitre pour quitter la salle à ses côtés, lui laissant le choix des fois qu'il souhaite passer aux toilettes avant ou qu'il préfère déposer ses affaires dans sa salle commune, ou elle ne savait quoi encore qui pourrait retarder leur déjeuner. « Fiou », soupira-t-elle en retenant un baillement et s'étirant, frottant sa nuque au moment où elle relâchait la tension dans ses épaules, comme pour effacer la sensation d'un regard noir pesant. C'était sûrement son imagination. « j'suis contente d'être en week-end, c'est trop dur de terminer par Histoire. » Enfin, elle disait ça mais elle préférait largement se perdre dans ses pensées pendant un cours de la professeure Grant que de subir le regard de glace du professeur Aylmer pendant deux longues heures. « C'est cool que t'aies dit oui, pour ce midi, merci », ajouta-t-elle après quelques secondes, ne sachant pas trop par quel bout lancer une conversation avec le Poufsouffle dont le regard déstabilisant était certainement à la hauteur de ce qu'elle avait écrit de lui dans ses carnets.

ft @Kenneth D. Appleton

La révérence de Kenneth fit danser un sourire intimidé sur les lèvres de Selene. S'il y avait quelques rares éléments qui concordaient entre les écrits de ses petits carnets et la réalité qu'elle constatait, jour après jour, l'assurance troublante que dégageait le Poufsouffle en faisait indubitablement partie. Il semblait se moquer de tout et de tout le monde et n'avoir que faire de ce qu'on pouvait bien penser de lui, sans pour autant darder sur ses pairs un regard empli du même mépris qui habitait les yeux impénétrables de son meilleur ami. Selene n'était pas imperméable aux bruits de couloir, elle savait donc très bien comme nombre des filles chuchotaient sur son passage, gloussant bêtement en espérant croiser le regard du fils du Ministre ; aussi se demandait-elle pourquoi il acceptait si facilement de déjeuner en sa compagnie. Les questions n'avaient plus le temps de trouver des réponses pour apaiser les doutes par centaines qui fourmillaient dans son esprit puisqu'ils s'éloignaient déjà de leur salle de classe, côte à côte, comme s'ils avaient l'habitude d'aller manger tous les deux. Les couloirs vomissaient des groupes d'élèves sans discontinuer, tous pressés d'aller manger, qui empruntaient ensuite les mêmes escaliers, lesquels déchargeaient leur lourde marchandise quelques étages plus bas. Kenneth lui évita gentiment de se prendre des coups de coude alors qu'un rare échantillon se pressait en sens inverse. « Je te suis, princesse. » Princesse ? Selene n'avait rien d'une princesse, il se trompait lourdement. Le sourire sur ses lèvres faiblit un peu face à ce constat, son regard croyant apercevoir, plus bas, des boucles blondes appartenant à sa camarade de dortoir ; laquelle en était une, sans le moindre doute. « T’as un bon resto à conseiller dans le coin ? » Chassant les idées sombrent qui s'accumulaient si facilement au fond de son regard clair, elle fit mine de réfléchir, se pliant gracieusement à ce petit jeu qui n'était pas sans lui en rappeler d'autres. « Hm, celui du rez-de-chaussé est pas mal, ils font une très bonne tarte aux pommes, » répondit-elle comme si ce n'était pas l'unique endroit où ils pouvaient aller manger aujourd'hui, Pré-au-Lard restant hors de portée puisqu'ils n'étaient que vendredi. De toute façon, il n'avait jamais été question de quitter le château ensemble, ce n'était pas de ça dont il s'agissait. Elle même avait un peu de mal à se l'expliquer, ce besoin de renouer avec les prénoms disséminés entre les pages de ses carnets, celui de ne plus se baser sur des écrits dont elle ne reconnaissait rien.

Alors ils étaient là, tous les deux, sur une idée insensée de Selene qui fouillait furieusement dans son esprit à la recherche d'une conversation qui ne serait pas trop nulle et qui ne lui ferait pas regretter d'avoir accepté son invitation. « C’est dur si t’écoutes. Moi j’ai arrêté d’essayer, je sais même pas ce qu’elle racontait, là. » Même si ce n'étaient que des banalités, au moins ne se perdaient-ils pas dans des silences gênants qui leur laisserait tout le temps de remettre en question le bien fondé de ce moment passé ensemble. « Mais tu fais quoi pendant deux heures ? » lui demanda-t-elle, un peu surprise et en même temps un peu envieuse de la nonchalance avec laquelle il avouait ne rien suivre en cours. Elle aurait supposé qu'il avait d'immenses facilités s'il ne lui avait pas écrit l'inverse. Il avait simplement l'air de n'en avoir rien à faire et Selene pouvait s'empêcher de se demander ce qu'en pensait son père. Les prunelles du sien n'en seraient que pleines de reproches. Sur ces bavardages qui n'engageaient à rien, ils parvinrent aux portes de la Grande Salle déjà pleine de tous leurs camarades qui avaient été plus rapides qu'eux et Selene se risqua à le remercier, glissant tout doucement vers ces raisons qui l'avaient poussée à lui proposer ça. « Avec plaisir, c’est la première fois que tu m’envoies pas balader en quatre ans, j’allais quand même pas me défiler. » Les joues de l'adolescente se parèrent d'une teinte aussi rouge que réchauffée. Il ne semblait pas lui en vouloir le moins du monde, son sourire était resté le même et la gentillesse dans son regard aussi, mais une pointe de culpabilité lui perça néanmoins la poitrine. « Ouais, à ce propos… désolée ? C'est un peu ma manière de me rattraper puis, comme ça, on peut tout reprendre de zéro vu que je me souviens de rien. » Son sourire contrit céda rapidement la place à quelque chose de plus franc. Au fil du temps qui s'écoulait et qui creusait la séparation avec ses parents, Selene apprenait tout doucement à accepter son amnésie, à l'apprécier, même. Elle lui offrait une nouvelle chance, une page blanche sur laquelle elle avait le droit de tout recommencer.

Sous le plafond magique qui renvoyait un ciel gris et froid, les milliers de chandelles suspendues éclairaient joyeusement les tablées bruyantes. Ils ralentirent le pas, laissant passer un trio de filles qui pouffa en frôlant le Poufsouffle, lequel interrogea sa camarade : « Tu veux venir squatter ma table ou tu préfères qu’on aille s’asseoir sur les marches ? » C'était à elle de faire le choix ? Un vent de panique souffla sur ses traits hésitants : il devait avoir une préférence, forcément, et si elle se trompait ? Elle ne savait même pas qu'ils avaient le droit d'aller manger en dehors de la Grande Salle, ce qui lui donnait bien envie d'essayer, en même temps l'idée lui paraissait dangereuse pour sa chemise blanche. « Va pour ta table, on pourra prendre le dessert sur les marches, si tu veux ? » Un compromis qui ne nécessitait pas de décision ferme, elle s'en sortait plutôt bien. Elle suivit le garçon et s'installa donc, pour la première fois, à la table des Poufsouffle, juste à côté de Kenneth qui se laissa tomber sur le banc comme un roi nonchalant dans son royaume. Ils passèrent quelques secondes à attraper une assiette et la remplir avant qu'elle ne se jette à l'eau. « Partant du principe que je sais rien de toi à part ton nom, qu'est-ce que je devrais savoir, là comme ça ? » Selene ne comprenait vraiment pas pour quelle raison elle avait, année après année, repoussé Kenneth alors que cette solitude terrible fendait les pages qu'elle écrivait le soir venu et, dans le fond, elle n'avait pas vraiment envie de le savoir. Il était gentil, drôle et d'agréable compagnie — à se demander comment il pouvait supporter August et son tempérament de glace — et lui offrait une chance d'apprendre à se connaître sans sourciller ni s'offusquer du passé.

ft @Kenneth D. Appleton

Kenneth et Selene n'auraient pas pu être plus différents. Lui, soleil lumineux qui ne semblait pas se poser de questions ; elle, petite lune qui gravitait à la traîne. Un peu de sa chaleur à lui teinta de rose ses joues à elle alors qu'ils plaisantaient sur le choix de leur destination, ignorant sciemment qu'il n'y en avait qu'une seule à leur portée. « Oh bah si tu comptes m’offrir de la tarte, t’as déjà conquis mon cœur. » Il disait des choses si importantes avec une telle légèreté… Légèreté que Selene aurait bien aimé maîtriser mais qui, à défaut, poussa ses joues à rougir un peu plus devant ce sous-entendait qu'il pensait probablement même pas. De l'humour, c'était de l'humour, il fallait qu'elle s'y habitue et qu'elle s'y familiarise ou bien jamais elle ne serait capable d'avoir autant d'amis que ce reflet inaccessible qu'elle convoitait. « Pfff, n'importe quoi », souffla-t-elle, accompagnée d'une moue maladroite. Abandonnant l'étage du cours d'Histoire de la magie, ils emportèrent néanmoins un petit bout de ce dernier avec eux, Selene curieuse de savoir comment s'occupait Kenneth s'il n'écoutait rien du tout de ce que Grant racontait. Non pas qu'elle soit la plus attentive de la classe, trop souvent perdue dans ses pensées qui l'entraînaient au loin dès que le sujet effleurait des notions qu'elle avait oubliées. « Ça dépend, le programme est vaste : pendu avec Dash, bataille navale contre Toni, échange de lettres à l’eau de rose avec August, y a de quoi s’occuper… » Son cœur s'élança au premier prénom pour mieux se pincer à la dernière mention. Si les deux étaient des Gryffondor, Selene ne pouvait pas imaginer deux personnalités plus distinctes que les leurs. « Ça a l'air plus sympa que la révolte des gobelins. » Quand bien même, ça lui était interdit. Déjà que ses cours étaient comblés de trous et qu'elle n'avait pas la moindre idée de comment elle allait pouvoir avoir une note suffisante au premier examen de l'année, si en plus elle se permettait de jouer avec ses camarades, elle était bonne pour redoubler ou se faire jeter hors de Poudlard. Et là, même si cela faisait plusieurs semaines déjà qu'elle n'en sentait plus le poids, elle pouvait devenir les sourcils froncés qui surmontaient ces terribles prunelles noires. « Et toi, tu t’en sors avec ce charabia ? » Selene se racla la gorge, repoussant les craintes qui n'avaient rien à faire de sa conversation avec Kenneth et laissa échapper un soupir. « Pas vraiment. C'est un peu moins pire en histoire que dans d'autres matières mais c'est pas franchement un grand succès non plus. C'est pas comme si j'avais déjà été une bonne élève, je m'attendais pas à un miracle. » C'était même plutôt l'inverse : amnésique et moyenne à l'école, l'équation, une fois résolue, ne fournissait pas un résultat très probant. Ses parents avaient bien tout essayé pour qu'elle n'entame pas sa cinquième année plus stupide qu'elle ne l'était de nature, mais là encore le succès était mitigé.

Au profit de paroles taquines lancées par Kenneth avec cette nonchalance qu'il portait comme cape sertie de joyaux, Selene s'excusa de l'avoir envoyé balader toutes ces fois dont elle ne se souvenait pas, offrant l'espoir d'un nouveau départ. « Haha, t’inquiète, je te charrie. Des fois j’y vais pas avec le dos de la cuillère. Mais va pour tout reprendre à zéro, des deuxièmes chances comme celle-là ça arrive pas tous les jours. » Elle était heureuse que sa proposition lui convienne, qu'il accepte de se lancer à ses côtés pour tout recommencer depuis le début. Même si ça devenait moins difficile à chaque fois, l'angoisse de se faire rejeter restait, l'étreignant immanquablement un moment ou un autre. Selene fut rassurée de l'entendre dire qu'il l'embêtait, ça lui ôta, au passage, le poids déposé sur ses épaules par l'écriture saillante d'August qui avait déposé de bien terribles idées sur un bout de parchemin. Comment pouvait-il imaginer qu'elle soit capable de briser le cœur de Kenneth, de n'importe qui, même ? Il lui prêtait les charmes de ces créatures perdues dans les océans, errantes sans fin, attirant les marins pour leur plus grande perte. Mais elle n'était rien de tout ça, à peine plus qu'une âme effacée au caractère translucide, qui tentait tant bien que mal de conserver sa barque au plus proche des côtes. Il se méprenait sur toute la ligne. La chance qu'elle donnait à Kenneth aujourd'hui, c'était un pardon informulé pour s'être montrée si distante depuis toujours, un pari lancé à la barbe de ses carnets issus du passé pour se réapproprier qui elle était, qui elle appréciait, qui elle détestait. Et puis, peut-être un peu, si elle avait été capable d'être parfaitement honnête avec elle-même, si elle avait été en mesure de comprendre ces filaments d'émotions, peut-être alors aurait-elle avoué que l'attention dont la couvait ce garçon qui attirait des regards et des sourires par centaines faisait naître en elle un plaisir insensé, une petite flamme de quelque chose qui peinait à subsister sous la cloche de verre déposée de façon à étouffer toutes ses émotions. Si seulement elle avait su, si seulement elle avait compris, jamais elle ne se serait risquée à entretenir une telle vanité et à se rapprocher du Poufsouffle dont l'insistance la mettait en valeur d'une façon qu'elle ne connaissait nulle part ailleurs. « D’ailleurs, tu sais si ça reviendra un jour… ? » Selene secoua la tête — non, elle ne savait pas — et haussa les épaules — quelle importance, en fin de compte ? « Aucune idée. Les médecins ont essayé tout ce qu'il pouvait, je crois, maintenant c'est entre les mains du hasard. Ça pourrait revenir d'un coup, comme ça pourrait ne jamais revenir du tout. » Et tout ce qu'il y avait entre les deux. « J'ai arrêté de me poser la question, de toute façon je ne peux rien y faire, alors… » Au fond, elle admettait de plus en plus, en son for intérieur uniquement, que son amnésie n'était pas si terrible et qu'elle se plaisait, face à cette nouvelle page vierge, à rêver pouvoir en faire ce qu'elle voulait.

Dans la Grande Salle, ils trouvèrent facilement une place à la table des Poufsouffle. « Vendu. Si vous voulez bien vous asseoir, milady… » Selene obtempéra avec un petit rire, essayant d'ignorer cette impression désagréable qui revenait à la charge, celle que des dizaines de paires d'yeux la fixaient, comme si elle était en train de commettre l'irréparable et que toute l'école en était témoin. Elle tâcha de se convaincre que ça n'était que son imagination — ou tout du moins que ça n'était rien de plus qu'une fille ou deux, complètement sous le charme de Kenneth, qui se questionnait sur ce qui était en train de se passer — et se concentra sur les plats éparpillés sous ses yeux, piochant ici et là pour remplir son assiette pendant que Kenneth, assis à ses côtés, en faisait de même. D'un geste habile, il fit léviter du jus de citrouille pour la servir, dans une attention touchante et impressionnante — ce n'était pas elle qui serait capable de faire la même chose — tandis que Selene, après un Merci à l'attention de son camarade, questionnait ce dernier sur ce qu'elle devait savoir de lui, maintenant que sa mémoire n'était plus qu'un champ sur lequel il fallait tout reconstruire. « Hmm, voyons… ma mère était la directrice y a quelques années, mais si t’avais toute ta mémoire, tu te souviendrais juste qu’elle était chiante comme la pluie. Je fais un peu de Quidditch, et pour le reste… j’excelle en rien, mais je me débrouille en tout, et j’échoue avec panache. En fait, je suis pile le contraire de ce qu’on attend d’un rejeton de ministre. Mais c’est le problème de mes darons, pas le mien. Au moins, j’essaie de faire en sorte qu’on ne s’ennuie jamais. » conclut-il avec un sourire captivant qui la fit presque aussitôt baisser les yeux vers son assiette, incapable de savoir comment réagir à autant d'éclat. « Fils de ministre et de directrice, c'est pas trop de pression ? » Son père n'était, pour autant qu'elle puisse en juger, qu'un homme d'affaires aisé qui s'intéressait à la politique et tenait aux apparences ; sa mère n'était pas grand chose de plus ; mais elle sentait déjà tout le poids des volontés paternelles peser sur ses frêles épaules et ne pouvait s'imaginer ce qu'il en serait si Orion Paulet devenait aussi haut placé que le Ministre de la Magie lui-même. « À ton tour : qu’est-ce que je devrais savoir de la nouvelle "toi" ? » lui demanda-t-il du tac au tac, trop vite en tout cas pour qu'elle continue de placer la conversation sous son aura et s'oublier un peu là-dedans. « Euh… » Selene se tortilla sur le banc, mal à l'aise, fouillant son esprit à la recherche d'une réponse qui fasse mouche, qui ne soit pas trop ennuyante, qui comble les attentes de celui qui la posait. C'est qu'elle n'avait pas grand-chose à dire, se cherchant depuis qu'elle s'était réveillée au début de l'été. « La nouvelle "moi" a sûrement plein de points communs avec l'ancienne, » Pour autant qu'elle puisse en juger. « mais elle avait envie de tester plein de choses qu'elle ne connaît pas, de dépasser son trac face à l'inconnu, de découvrir ce qu'elle aime et qui elle est. Désolée, c'est abstrait hein ? En plus concret, je suis pas très bonne en cours, à part peut-être en botanique et encore, j'aime pas le chocolat ni les boissons chaudes et je me suis inscrite aux Olympiades alors que je suis terrifiée par l'idée. » Elle en avait beaucoup ; est-ce qu'elle en avait dit trop, assommant Kenneth d'informations inutiles et de choses dont il se fichait pas mal ? Il avait peut-être simplement posé la question par politesse, ou bien c'était juste elle qui s'en faisait encore trop.

ft @Kenneth D. Appleton

Papoter avec Kenneth s'avérait moins compliqué qu'elle ne se l'était figuré. Il n'y avait rien d'insurmontable là-dedans, la conversation se tissant d'elle-même, aidée par la légèreté du garçon qui n'avait aucun mal à entraîner Selene dans des bavardages sans conséquences. Elle s'était attendue à ce que ce soit plus dur que ça ; sa respiration se fit plus légère alors qu'ils s'installaient à table, ses sourires moins crispés. N'était-ce impression tenace d'être la cible de nombreux regards et de conversations chuchotées sur le ton de rumeurs prêtes à enfler et prendre de l'ampleur, tout allait bien. Ils passaient tranquillement d'un sujet à l'autre, de la révolte des gobelins au professeur Aylmer, des notes de l'un aux efforts de l'autre pour ne pas foirer complètement une année qui lui paraissait hors de sa portée. « Tu rigoles ? Pour moi t’es quasiment une première de la classe, même sans mémoire. » Selene chercha un indice dans le beau visage de son camarade pour lui indiquer qu'il se moquait gentiment d'elle. Première de la classe ? Il avait l'air sincère, ce qui était encore plus déstabilisant. « J'arrive pas à lancer un sort correctement, et je te parle même pas de la métamorphose. Y a bien qu'en botanique que je suis pas un cas complètement perdu », rectifia-t-elle, sans trop comprendre pourquoi elle tenait à ce point à ce que Kenneth ne se méprenne pas sur son compte. Elle faisait énormément d'efforts pour combler l'écart phénoménal qui la séparait du reste de ses camarades, surtout pour éviter que les prunelles noires ne s'assombrissent plus encore, car si ça n'avait tenu qu'à elle, elle se serait bien passée de viser les EE dans ces matières qui lui importaient tellement. Elle essayait, avec une force qui lui laissait la tête lourde de migraines douloureuses, mais ça n'était jamais suffisant. Enfin, il était encore trop tôt pour se décourager : les premières notes n'étaient pas tombées et même si elle perdait aisément le fil des leçons, peut-être que les premiers devoirs lui offriraient une belle surprise à la hauteur de ses efforts ? C'était pareil avec sa mémoire : elle se débattait dans les eaux glacées d'une amnésie qui avait la main mise sur elle, sans parvenir à s'en sortir. Les médecins étaient impuissants, sa mère désabusée et son père profondément agacé. Et elle… Ça avait été si facile à admettre face à August, qu'elle ne voulait pas de ses souvenirs qui n'étaient plus les siens, qu'elle ne voulait rien retrouver de qui elle avait été, tout ça pour avoir la liberté de s'essayer à qui elle voulait être ; depuis cette fois-là, l'idée obsédante la suivait comme son ombre sans qu'elle ne parvienne jamais à la regarder en face. « C’est peut-être mieux, non… ? » Interloquée, Selene leva un regard clair constellé de points d'interrogation en direction du Poufsouffle. « Je veux dire, ça peut être bien aussi, de tout reprendre à zéro. Page blanche. » Selene ne s'attendait certainement pas à ce qu'ils abordent des sujets aussi sensibles que son amnésie, encore moins que Kenneth se montre d'une clairvoyance qui la laissait coite. Un petit sourire aux lèvres, elle baissa les yeux vers son assiette, plongée dans les mouvements de sa fourchette qui jouait avec une patate. « C'est ce que je me dis, des fois », avoua-t-elle, la voix teintée d'un sourire absent. « Passé le moment où je dois expliquer aux autres pourquoi je me souviens pas d'eux, c'est pas si désagréable. C'est un peu comme une deuxième chance. » Elle garda pour elle cette idée qui était née sous les yeux arrogants de son meilleur ami, celle qui enflait et prenait de plus en plus de place, celle qui lui soufflait qu'elle ne voulait récupérer ces vieux pans de sa mémoire pour rien au monde, préférant largement ce qu'elle était en train de vivre à ce qu'elle avait pu lire dans ces carnets dont elle se dissociait de plus en plus.

Tout en remplissant son assiette de mets divers, Kenneth n'hésitait pas à parcourir la Grande Salle des yeux comme s'il était maître en sa demeure. Selene profita d'un court instant où il tourna son attention vers une autre table — peut-être à la recherche de quelqu'un, ou par simple habitude — pour détailler un peu plus ce visage que tout le château s'accordait à trouver carrément canon. Une nouvelle fois, elle peinait à croire qu'il n'ait rien de mieux à faire que de déjeuner en sa compagnie ; mais elle se secoua et se rappela pour quelle raison elle était ici, quand bien même cette drôle de sensation qui lui réchauffait la poitrine tentait bien de murmure d'autres causes. Elle ne savait quasiment rien de lui, si ce n'était ce que les filles et les garçons gloussaient sur son passage, ou ces quelques lignes récupérées entre les pages de ses journaux intimes. Hormis ça, il était un parfait inconnu dans un costume absolument charmant. Il se mit à parler de ses parents et Selene ne put que s'interroger sur la pression qu'il devait ressentir au quotidien, s'imaginant deux paires d'yeux au-dessus de ses boucles châtains qui surveillaient le moindre de ses faits et gestes. Tous les parents n'étaient pas ainsi, Daisy s'était d'ailleurs fait un malin plaisir de lui rappeler que son père à elle était un véritable prince charmant, mais, étrangement, Kenneth semblait plus proche de partager ses sentiments à elle que ceux de sa colocataire et ancienne amie. Elle se prit à rire quand il répliqua que c'était plus dur pour ses parents que pour lui, se surprenant à envier sa confiance et sa nonchalance. « Oui, merci. » Elle récupéra la tourte qui dégageaient une fumée grise de même qu'un délicieux parfum et se coupa une petite part pour accompagner le reste. Tout proche d'elle, Kenneth ne semblait pas savoir quoi répondre à son déballage inconséquent de pensées idiotes, et Selene se gifla mentalement d'avoir dit des choses aussi stupides. Elle ne pouvait pas se contenter de trucs que n'importe qui à Poudlard pourrait dire ? Elle se rattrapa comme elle le put en enchaînant avec ce qui lui passait par la tête, sans certitude aucune que ça soit une meilleure idée. « Sérieux, tu fais les olympiades ? Et tu flippes pas qu’on vous lâche dans une arène face à un gros dragon ? » Non, elle ne flippait qu'on les lâche dans une arène face à un gros dragon, tout simplement parce que ça ne lui avait jamais traversé l'esprit. Mais maintenant qu'il en parlait… « Si complètement, je te dis, je suis terrifiée », gémit-elle en assassinant une pomme de terre par dépit. « Je sais pas ce qui m'a pris, j'ai vu les inscriptions, ça me paraissait être un truc à essayer, et il ne se passe pas un jour sans que je ne regrette. En plus Dashiell a eu un accident pendant un entraînement avec les hippogriffes, c'est absolument pas rassurant. » À tout moment, elle était trop paralysée par la peur pour se rendre à la première épreuve. D'un autre côté, Hippo, sa monture attitrée, était plus doux qu'elle ne l'aurait cru et voler sur son dos, même pour le laps de temps court que ça avait été, avait été une expérience incroyable qui lui donnait encore le vertige. « T'es pas inscrit, toi ? » Il ne lui semblait pas l'avoir vu lors de leur première rencontre avec les hippogriffes, mais il faut dire qu'elle était tellement paniquée qu'elle aurait parfaitement pu passer à côté.

Les minutes filent, le stress s'apaise. Il s'agit de Kenneth, pas d'un ogre sur le point de dévorer une petite lune égarée ; il n'y avait donc vraiment aucune raison de s'inquiéter. Est-ce que ça devenait plus facile avec le temps ? La prochaine fois qu'elle se risquerait à proposer de déjeuner avec un camarade, serait-elle moins paniquée ? Avant de pouvoir se faire une idée sur la question, encore fallait-il que ce moment partagé avec le Poufsouffle se termine, et se termine bien, sinon, elle n'était vraiment pas certaine d'avoir envie de recommencer. Un regard aux alentours lui suffisait pour se rendre compte que tout le monde semblait bien à l'aise à manger en papotant avec des amis, sauf que c'était là que la nuance se situait : Selene n'en avait pas vraiment. Pas d'ennemis non plus, mais personne qu'elle osait encore appeler ainsi. Enfin, sa relation avec Kenneth était tout de même amicale, en tout cas il parvenait à la mettre à l'aise, et c'était bien tout ce qui comptait. « Qui a besoin de métamorphose, de toute façon ? » Elle haussa les épaules en soupirant, ses pensées s'égarant du côté de la silhouette paternelle qui hantait ses cauchemars. Lui en avait besoin, pour une raison qui lui échappait, ou plutôt qu'elle tenait entre ses mains sans parvenir à la comprendre. « J'me pose la même question », soupira-t-elle en attrapant les patates que le garçon venait de faire glisser dans sa direction. Par contre, elle n'avait pas la réponse, et n'avait pas non plus le choix. Son père demandait des résultats, et Selene avait bien compris qu'il ne valait mieux pas lui désobéir. « Hésite pas si t’as besoin, je m’y connais en langage des fleurs. » Un sourire se dessine sur les lèvres de Kenneth, poussant son reflet à apparaître sur celle de Selene. « Ah oui ? J'ai bien envie de voir ça. » Depuis son arrivée à Poudlard, elle trouvait régulièrement refuge dans les serres et se sentait apaisée au contact des plantes, alors il était naturel qu'elle soit ravie d'entendre que Kenneth partageait cette passion, quand bien même elle n'en avait aucune idée jusqu'à présent. Ça lui rappela à nouveau à quel point le décalage avec ses camarades était immense, à quel point elle ne savait tout simplement plus rien d'eux. Est-ce que, pour autant, elle souhaitait retrouver ses souvenirs perdus ? Son regard glissa brièvement en direction de la table des Gryffondor où elle ne croise pas, bien heureusement, celui d'August. Elle lui avait avoué si violemment ses pensées les plus secrètes qu'elle n'en revenait pas tout à fait. Mais Kenneth la surprit, hésitant au moment de sous-entendre que c'était peut-être mieux ainsi, lui arrachant un hochement de tête et quelques paroles qui abondaient dans son sens. « Ouais, voilà. Et puis t’inquiète, les autres s’en remettront. » Il n'avait peut-être pas tort… Daisy, Silas, Dashiell, même lui… Tout le monde semblait s'en remettre plutôt bien et ne pas lui en tenir rigueur, alors pourquoi ne pas essayer de se débarrasser de cette anxiété qui s'accrochait à elle de toutes ses forces et accepter que ça n'était, dans le fond, pas si terrible ? Plus facile à dire qu'à faire, mais elle était sur le bon chemin, non ?

Tandis que le repas se poursuit, la conversation glisse des cours aux Olympiades, auxquelles Selene s'est inscrite sans saisir tous les tenants et aboutissants qu'impliquait ce choix. Il suffisait de voir l'épreuve d'entraînement au cours de laquelle ils avaient rencontré leurs hippogriffes et la tournure qu'avait prise cette journée pour comprendre qu'elle avait eu la pire idée possible. « T’inquiète pas pour Dash, c’est un aimant à catastrophes, mais il se relève toujours. » « Ben, quand même… » On parlait d'une blessure qui lui laisserait peut-être une cicatrice pour toujours ? Est-ce qu'elle était trop sensible parce qu'il s'agissait de Dashiell ? Possible… Cachant son trouble par une bouchée de son plat, elle n'insista pas. « Et je suis sûr que tu t’en sortiras très bien, t’as rien à craindre. Enfin, presque rien. » Presque ? Selene releva la tête et lui adressa un sourire tendu. Kenneth était gentil à vouloir la rassurer et l'encourager, mais elle savait bien qu'elle avait tout à craindre et qu'elle n'allait pas s'en sortir aussi bien qu'il le pensait. « C'est gentil », répondit-elle avec un petit rire dépité. « mais j'en suis moins sûre que toi. Au moins, si je fais une chute mortelle, j'aurais eu l'occasion de déjeuner avec toi. » Toujours voir le bon côté des choses. Ce n'était pas énorme, mais c'était toujours une nouvelle chose à cocher sur sa to do list, une nouvelle preuve qu'elle n'était pas la Selene du passé, celle qui transparaissait entre les pages de ses carnets, mais qu'elle était qui elle avait bien envie d'être. Elle lui retourna la question et observa sa réaction peu convaincue à l'idée de participer. « Non, ça ferait bien trop plaisir à mon vieux. Il m’en rabâcherait les oreilles toute l’année, je préfère encore regarder. » Selene hocha la tête, l'air de dire qu'elle comprenait, ou peut-être qu'elle l'enviait très fort d'être capable de ne pas aller dans le sens de son père et d'avoir eu la brillante idée de rester à l'écart de ces dangers. « Mais au moins, ça me rend disponible, tu sais, si t’as besoin de t’entraîner un de ces quatre… » Selene redressa la tête et croisa le regard étincelant de Kenneth. C'était sorti spontanément et il ne semblait pas se moquer d'elle, il avait l'air sincère. En plus, il était joueur de Quidditch, il avait l'habitude de voler, ce n'était peut-être pas une proposition dénuée de sens. « Je dis pas non, selon les épreuves je suis certaine que tu pourrais être d'une grande aide. » En même temps, elle ne voulait surtout pas le déranger, comme à son habitude qui lui faisait tout faire par elle-même plutôt que de demander un peu d'aide par crainte de trop abuser. Mais enfin, peut-être que ce serait différent cette fois ? Son assiette terminée, elle contempla d'un œil songeur les desserts, avant de reporter toute son attention vers le garçon. « Toujours partant pour un dessert ? Tu veux de quoi ? »

ft @Kenneth D. Appleton

Plus leur tête-à-tête — amical, en tout bien tout honneur — filait, plus Selene en venait à se demander pourquoi elle avait à ce point évité Kenneth, toutes ces années. D'accord, elle ne pouvait qu'admettre qu'il était incroyablement beau et, de fait, étrangement déstabilisant — là-dessus, celle qu'elle était et qui avait passé des années à consigner la moindre de ses pensées dans ses journaux avait entièrement raison — mais enfin, quand même, l'adolescent faisait tout ce qu'il pouvait pour la mettre à l'aise ; et force était de constater que ça fonctionnait. Peut-être que, si elle lui avait laissé sa chance avant, ces déjeuners ensemble seraient déjà devenus une habitude ? Enfin, avec des suppositions, elle pouvait se perdre longtemps dans ses pensées. La chance de cette première fois était déjà beaucoup, mieux valait la chérir et en profiter. « T’inquiète, on pourra toujours remettre ça une fois que t’auras survécu. » Son sourire se figea quelque peu à l'idée qu'elle puisse ne pas survivre. Le Poufsouffle disait ça pour plaisanter, à n'en pas douter, mais ce n'était pas lui qui vibrait d'angoisse à l'idée de devoir monter un hippogriffe parfaitement capable de lui arracher le bras sur un coup de tête. Peu importe, ce qu'elle retenait surtout et qui fit fleurir un sourire plus grand encore, c'était qu'il semblait avoir envie de remettre ça. « Bon, ben maintenant j'ai une raison supplémentaire de pas mourir pendant cette épreuve alors », répondit-elle, bien contente que le garçon passe, lui aussi, un agréable moment. Peut-être même qu'il allait pouvoir l'aider à rester en vie puisqu'il lui proposa très généreusement de lui donner un coup de main, ce qu'elle ne refusa pas malgré la gêne de dépendre de ses camarades, admettant plutôt qu'elle aurait bien besoin d'aide. « Avec plaisir, ça fait un moment que j’ai envie d’essayer l’équitation en plus. » Le sous-entendu pourtant assez bien portant passa complètement au-dessus des yeux clairs de Selene qui contemplaient Kenneth comme si tout, dans cette conversation, était parfaitement normal et qui hocha la tête, l'air de dire qu'elle comprenait qu'il puisse avoir d'essayer un truc aussi dangereux.

Les assiettes vides, Selene proposa de passer au dessert, s'enquérant de ce qui ferait plaisir à Kenneth, sans même saisir l'étincelle salace qui alluma son regard. Le premier degré était plus qu'une température, en ce qui la concernait, aussi ne se préoccupa-t-elle que de sa réponse et lui découpa-t-elle une belle tranche de pudding qu'elle lui tendit, avant de s'octroyer une petite part de gâteau aux framboises. Elle n'avait plus très faim, mais ça lui donnait quand même vachement envie. « Ah, c’est hyper bruyant ici, on s’entend pas parler. Tu veux qu’on aille le prendre dans un endroit plus tranquille ? Au moins on sera pas dérangés. » De l'avis de Selene, il exagérait un petit peu, on s'entendait parfaitement ; mais après tout, ils avaient convenu qu'ils prendraient le dessert sur les marches, alors chose promise, chose dûe. Et puis, peut-être qu'il était un peu plus sensible de l'ouïe que la moyenne, qui était-elle pour juger ? « Carrément, on peut aller sur les marches, comme on avait dit », proposa-t-elle avec toute la bonne foi du monde. Ils s'extirpèrent de leur banc, leur assiette entre les mains, et filèrent sans demander leur reste. Parvenus dans le hall, ils s'apprêtèrent à se diriger dans un coin un peu à l'écart pour s'asseoir loin de la foule et discuter leur dessert, quand la voix agréable de Silas leur fit tourner la tête.

ft @Kenneth D. Appleton & @Silas Jørgensen