Aucune année à Poudlard n'avait jamais été vraiment bonne. Il y avait toujours des accidents, toujours des grands méchants, toujours des choses qui faisaient qu'on était pas mécontents de rentrer à la maison. On s'y faisait, c'était Poudlard. Mais cette année était sûrement pire que toutes les autres. Le regard de Dashiell se posa sur la trace rosâtre qui marquait sa joue en souvenir d'un combat lamentablement perdu contre un gros poulet avant qu'il n'abandonne son reflet pour cracher dans le lavabo le dentifrice qu'il avait dans la bouche. Il coupa l'eau et se toisa une seconde sans un mot. Ses cernes faisaient peine à voir et son regard n'avait plus grand chose de l'étincelle enthousiaste et un peu impertinente qu'on lui connaissait d'ordinaire. Elle était comme éteinte. Noyée par l'océan glacé qui s'agitait dans ceux de ses meilleurs amis, étouffée par les images qu'elle avait dû affronter, par les lettres qu'elle avait dû supporter. S'il n'avait jamais été d'une intelligence incroyable, il n'avait jamais été très mauvais en puzzle... et autant il n'aurait pas compris un élément isolé qu'il était en mesure de voir à quoi ressemblait la somme de ceux qu'on lui agitait sous le nez depuis des semaines. Dans le miroir, il s'efforça de sourire. Ça n'était pas brillant mais il supposa que ça ferait le taf. C'était juste histoire de faire des cookies, de toute façon... Putain mais même ça, ça le faisait chier. Il n'avait aucune envie d'aller traîner son cul à l'autre bout du château pour tenir compagnie au concierge. Il n'avait rien contre lui, au contraire, mais c'était bon, il pouvait les faire lui-même ces cookies ou demander directement à Daisy. Si c'était pour qu'elle lui reproche encore une fois de traîner avec ses potes, il n'était pas certain que ça soit vraiment la peine de s'y risquer. Enfin, si c'était ce qu'elle lui reprochait... Il n'en était même pas sûr. Il avait bien compris que le problème était qu'elle n'était pas la seule fille de son entourage... ou plutôt la seule personne... Mais c'était difficile aussi. Elle n'avait jamais été la seule. Au mieux il y avait au moins Aisling, au pire il y avait les enfants de chez Madame O'Brien, et puis Silas, et puis Silas et Teddy et tous les autres... Elle n'avait jamais été sa seule amie. Sa meilleure amie, oui, mais pas l'unique amie de son existence. Et puis il devait bien avouer que se faire à moitié rembarrer alors qu'il espérait juste comprendre ce qui se passait l'avait clairement refroidi. Si c'était pour l'écouter lui raconter qu'il pouvait rien dire sans l'accord de sa pote – une pote qui lui disait de toute façon que dalle – c'était pas la peine, il avait capté la première fois. Il secoua distraitement la tête en soupirant et abandonna miroir et lavabo. Dans le dortoir, Jessicat vint se frotter contre ses jambes en ronronnant.

— J'ai pas l'temps, grogna-t-il en l'esquivant. Pousse-toi p'tain.

Il soupira de plus belle, agacé, et récupéra sa baguette posée sur sa table de chevet avant de claquer la porte sans un regard de plus pour l'animal qui l'avait fixé sans comprendre. Il était plutôt du genre à en prendre, du temps, même quand il n'en avait pas... les gratouilles passaient toujours avant tout le reste et il n'hésitait pas à lui faire de force si jamais elle n'était pas d'humeur. Le trajet se fit en silence, sans un mot pour les tableaux qui le saluaient pourtant, sans un bonjour pour les camarades qui croisaient son chemin. Dashiell Dashner n'avait que peu de mauvais jours, toujours souriant, toujours prêt à rire à n'importe quelle blague nulle et avec n'importe qui, toujours d'un optimisme qui faisait parfois un peu pitié... mais depuis les derniers échanges avec Daisy, il fallait bien reconnaître qu'on ne lui en connaissait pas de bons. Il s'était renfermé, relativement isolé peut-être aussi, et préférait prétendre faire ses devoirs pour qu'on lui foute la paix – qu'importe si ça revenait à fixer les lignes qui perdaient de leur sens tout en jouant avec sa plume du bout des doigts – plutôt que d'avoir à affronter un monde trop centré sur lui-même pour réaliser qu'il était en train de perdre ses amis. Ou, en tout cas, qu'il ne les reconnaissait pas... et qu'il avait beau s'accrocher, il y avait toujours quelque chose qui merdait. Lorsqu'il passa devant les portes de la Grande Salle, celle-ci était déjà déserte. Il avait loupé le petit-déjeuner. Il ne parvint même pas à s'en attrister. Aussi continua-t-il sa route jusqu'aux cuisines où il était attendu. Il s'arrêta devant la porte, hésita une seconde. Vraiment, c'était débile comme idée. Il était sûr à 100% que ça allait lui retomber dessus. Mais en même temps ça se faisait pas de foutre un lapin aux gens. Même si le concierge serait sûrement pas dérangé, juste parce que c'était un « lapin ». Il respira un grand coup, afficha ce sourire absent qu'il s'était adressé dans la salle de bain et finit par ouvrir la porte. …sur un Septimus occupé à offrir un concert aux casseroles. Dash ne put s'empêcher de lâcher un petit gloussement fatigué en le voyant.

— Ah, te voilà ! Approche donc.
— Sympa l'micro, m'sieur.

Ce dernier le posa presque aussitôt, son micro, et lui désigna le plan de travail chargé de tout ce dont ils auraient besoin pour les cookies. Avec Selene, ça avait été différent, parce que c'était un peu n'importe quoi... mais là, ça lui rappelait quand Oona organisait des activités « gâteaux à la cannelle » au moment de Noël. Tout était bien mis sur la table, et il y avait même un tablier qui l'attendait. Elle lui préparait toujours le blanc avec les broderies bleues, parce qu'il était un peu plus petit que les autres et qu'elle galérait moins à le mettre à sa taille. Elle lui manqua un peu plus en y repensant. Néanmoins, l'adolescent hocha la tête et se rapprocha.

— Il n’y a plus qu’à se mettre au travail !

Un nouvel hochement de tête servit de réponse.

— Tu as passé une bonne semaine ?
— Ouais, ça va, répondit-il simplement en haussant les épaules.

Il regarda le concierge récupérer un saladier et commencer à y casser du chocolat. Il se sentait inutile, là, à le fixer en train de péter une tablette pour en faire des bouts.

— Oh, je me suis permis de demander des moules en forme de lapins aux elfes, j’espère que ça ne te dérange pas ? On peut utiliser les classiques, si tu préfères. Je me suis simplement dit que ça ferait rire Daisy.
— Non, j'm'en fous, c'est bien les lapins.

Elle en était fan, maintenant ? Il n'en avait aucune idée. Il savait qu'elle passait les voir mais en dehors de ça... Il ne sut même pas pourquoi il était étonné d'être à côté de la plaque. S'il avait dû choisir, il aurait demandé des couronnes et des petits châteaux, parce que Daisy était une princesse – même si en ce moment c'était la Princesse Casse-Couille – mais de toute évidence, elle avait changé.

— J'dois faire quoi ?

Parce que de toute évidence, il n'avait pas franchement besoin de lui... s'il était là juste pour faire la conversation, c'était pas la peine, autant qu'il remonte dans son dortoir...

Même s’il n’avait pas été volontaire, l’accueil que lui offrit le concierge avait au moins le mérite de trancher avec l’atmosphère un peu oppressante qui avait cours de l’autre côté. Dash étouffa un gloussement et laissa la porte se refermer sur lui, non sans se fendre d’une remarque amusée.

— Oh, tu ne m’as pas vu avec ma brosse à dents.

L’adolescent secoua simplement la tête. Non, il n’avait pas été convié à un tel spectacle et, dans le fond, il n’était pas sûr d’avoir envie d’y assister. Il y avait quelque chose d’un peu mystérieux, chez les professeurs, quelque chose qui les faisait presque tenir de la légende. Ils avaient une vie devant eux, dans les salles de classe, dans les couloirs, dans la Grande Salle, une vie où ils se drapaient de leur autorité toute puissante  – enfin presque – et rien d’autre. Bien sûr, il n’était pas idiot, il savait qu’ils en avaient une autre, de vie, quelque chose de plus privé où ils se montraient sûrement plus humains qu’ils ne l’étaient sous leurs regards las et déconcentrés mais, même s’il écoutait les rumeurs d’une oreille amusée et n’hésitait pas à renchérir avec ses copains pour leur inventer des histoires abracadabrantesques, il n’était pas certain de vouloir vraiment savoir la vérité. Aussi il laissait au chanteur de salle de bain toute l’intimité qu’il pouvait bien vouloir sans le moindre regret ! Déjà, cette interlude musicale au beau milieu de la cuisine était assez surprenante pour le rassasier. Mais sans trop prévenir, la légèreté se teinta de couleurs plus sombres. Ça lui rappelait Oona, un peu. Et puis il n’avait pas franchement envie d’être là. Pourquoi il n’avait pas directement demandé à Daisy de venir les faire, ses cookies, il était sûr qu’elle aurait kiffé ! Sûrement plus que lui. Et puis, elle risquait de faire la tronche parce qu’il avait fait un truc sans elle ou, pire, parce qu’elle l’avait fait avec un de ses amis à elle… Il n’avait jamais vraiment réfléchi à la manière dont elle voyait leur relation, elle, dont elle la vivait… mais force était de constater que si ça impliquait des cacas nerveux du genre, ça lui pétait sérieusement les noix. Il ne comprenait pas ce qu’il s’était passé en quelques semaines à peine pour que son existence entière ne ressemble plus à rien. Il ne reconnaissait plus sa meilleure amie, peinait parfois un peu à reconnaître Silas également, se sentait un peu pris au piège de sa relation avec Teddy parce qu’il ne voulait pas que ce dernier pense qu’il essayait de lui chourer sa meuf, n’osait pas trop traîner avec Kenneth parce qu’il était pote avec August qui était un connard avec son meilleur pote… Cette liste déprimante déroulée, son regard se voila malgré lui d’un semblant de tristesse. Ça n’était pas mieux l’année dernière, non, mais ça n’était pas mieux cette année non plus… Il laissa son attention dériver sur Septimus qui cassait son chocolat et ne put que se sentir agacé d’être inutile à ce point. Ici comme ailleurs, d’ailleurs. Alors il se risqua à lui rappeler sa présence.

— Viens m’aider à casser le chocolat..

Sans broncher, il s’exécuta. Sérieusement, il y avait besoin d’être deux pour ça ? En attrapant un bout de la tablette pour faire sa part de travail, il eut clairement l’impression que non. Le silence retomba. Les pensées du Gryffondor se déchaînèrent à nouveau. Est-ce qu’il était nul à ce point comme pote pour que Daisy trouve refuge auprès du concierge ? Non pas qu’il soit pas sympa ou quoi, il l’aimait bien aussi c’était pas le problème, mais… quand même ! Est-ce qu’elle se sentait abandonnée ? Peut-être… Il fallait dire que cet été, il n’y avait eu qu’eux pendant deux mois entiers ou presque mais il fallait bien se douter que ça n’allait pas durer éternellement, si ?

— Tu as l’air triste.

Dash sursauta et braqua un regard surpris sur l’homme à côté de lui. Ça ne ressemblait pas à une question mais il ne put s’empêcher de répondre :

— Nan, ça va.

Il n’était pas vraiment triste de toute façon, simplement fatigué. Ce qui ne découragea nullement son aîné qui reprit comme s’il n’avait rien dit.

— Je ne vais pas te poser des questions intrusives ou insister. Je veux simplement que tu saches que je suis là si tu as envie de parler.

Un haussement d’épaules lui échappa, pour dire « merci » et « non merci » tout à la fois. Il n’avait pas grand-chose à dire, sérieusement. Il n’était même pas triste et n’avait aucune envie d’aller raconter sa vie au concierge, ni à n’importe quel autre adulte d’ailleurs… Le problème étant qu’il ne pouvait pas vraiment en parler à Daisy non plus, ni à Silas… et sa sœur avait l’air assez occupée dans sa propre vie en ce moment pour ne pas avoir envie de la déranger pour trois fois rien. Et puis si c’était pour qu’elle lui dise que Daisy était peut-être pas la meilleure amie idéale ou qu’il n’avait pas à se prendre la tête pour un « meilleur pote » qui l’avait planté pendant un an, c’était pas la peine.

— Tu sais… Quand j’avais ton âge, j’étais assez malheureux. Je n’étais pas du tout le genre d’élève populaire qui était ami avec tout Poudlard – mais ça, tu dois déjà t’en douter. J’ai toujours été… en dehors des choses. Spectateur plutôt qu’acteur. Pourtant, ça ne m’empêchait pas d’avoir mon lot de problèmes et d’en souffrir.

Durant un instant, le Gryffondor arrêta de casser son chocolat. Il tourna doucement la tête vers Septimus dont le regard rivé sur ses mains occupées lui fit plus de peine qu’il ne l’aurait pensé. Il était censé faire quoi, là ? Lui patpat l’épaule en mode « t’inquiète ça va aller » ? Ce serait bizarre quand même, non ? Il n’était pas convaincu par l’idée. Aussi finit-il simplement par terminer de briser la tablette en laissant le silence revenir. …pas bien longtemps néanmoins puisqu’une minute ou deux plus tard, il essuya vaguement ses mains sur son pantalon et reposa les yeux sur lui.

— Et maint’nant, m’sieur, ça va mieux ?

Il n’avait pas spécialement l’air au bout de sa vie, même quand on le croisait de manière random dans les couloirs ; mais on ne savait jamais… peut-être qu’au fond c’était juste lui qui avait besoin de parler ? S’il ne s’était pas imaginé s’improviser psy en venant faire des cookies, il était prêt à s’y plier si jamais ça pouvait lui faire du bien…

Dashiell n'avait pas vraiment su à quoi s'attendre en débarquant dans les cuisines. D'accord, l'idée était de faire des cookies pour Daisy, alors il n'était pas idiot au point de ne pas imaginer la table pleine d'ingrédients et Veturia en chef pâtissier autoproclamé... mais pour le reste... Il n'avait pas imaginé l'interlude musical, il n'avait pas imaginé non plus le manque violent que lui causerait la vue du plan de travail parfaitement organisé, pas plus qu'il n'avait imaginé que le concierge puisse aller plus mal qu'il ne le laissait voir. À moins que lui n'ait simplement jamais pris la peine de le remarquer ? C'était possible aussi. Il était prêt à plaider coupable. Après tout, on ne regardait pas vraiment les adultes. On les apercevait, on les fuyait, on les critiquait parfois... mais jamais on ne prenait la peine de se demander ce qu'ils vivaient une fois leur cape d'autorité abandonnée... ni même ce qu'ils avaient vécu. Il savait qu'il appréciait les lapins, qu'il avait l'air de s'y connaître en plantes exotiques et en créatures diverses... c'était à peu près tout. Mais voilà qu'il avait décidé de s'épancher. L'adolescent savait bien qu'il n'était pas là pour l'écouter lui raconter sa vie, qu'il n'avait pas particulièrement envie de jouer les psys mais... maintenant qu'il le faisait... Il ne se voyait pas lui demander de se taire ou couper court à la conversation comme s'il n'avait rien dit. Il faisait de la peine, en réalité. Il n'arrivait pas vraiment à se le représenter à quinze ans... ni même à deviner comme lui aurait pu agir avec l'adolescent qu'il disait avoir été. Parce que si le Gryffondor n'avait jamais été un méchant garçon, bien au contraire, il ne s'éloignait pas souvent de son petit cercle. Soit il était ami avec quelqu'un et ça pouvait être à la vie à la mort sans le moindre problème, soit il ne l'était pas et il n'était pas assez ancré dans la réalité pour y faire véritablement attention... Aussi serait-il sûrement passé à côté de Septimus sans jamais ouvrir les yeux sur son mal-être. C'était d'une tristesse flippante, putain... Combien d'autres gens allaient mal dans les couloirs sans qu'il n'y prête la moindre attention ? ...mais, et ses amis ? Parce que Silas avait été très mal sans qu'il ne le réalise tout de suite, il avait fallu qu'il fasse une connerie pour que ça lui saute réellement aux yeux... Daisy allait mal mais ça restait tellement flou à ses yeux qu'il ne savait même pas quoi faire pour lui venir en aide... Vraiment, dès qu'il prenait la peine de regarder la vérité en face, il ne pouvait que se rendre compte d'à quel point ils méritaient mieux, tous les deux. Tu m'étonnes qu'ils allaient faire des piques-niques en le laissant de côté ! Sûrement qu'ils avaient réussi à trouver l'un chez l'autre tout ce qui pouvait bien leur manquer chez lui. Ils étaient géniaux, tous les deux, ils avaient raison. Et puis, contre toute-attente, le concierge éclata de rire. Dash se rembrunit. Qu'est-ce qu'il avait dit de drôle ?

— Tu es adorable, Dashiell.

Celui-ci fronça les sourcils. Il ne voyait pas en quoi. C'était juste normal, non ? Ok, il pouvait être sacrément nul parfois mais il n'était pas le dernier des bouffons non plus. Il avait été élevé correctement, assez, en tout cas, pour demander comment ça allait quand on lui disait que ça n'avait pas toujours été très fort. La politesse. L'humanité. Peu importe.

— Je te racontais surtout ça pour souligner que je ne suis pas juste un adulte sorti du placard de mon bureau tous les matins comme un automate ; j’ai été adolescent, moi aussi. Je sais qu’on a souvent l’impression d’être seul au monde et de ne pas pouvoir libérer ce poids qu’on a parfois sur la poitrine, mais c’est faux, d’accord ?

Un haussement d'épaules lui servit de réponse. Ce n'était pas qu'il était seul au monde, il avait bien conscience que ça n'était pas le cas. Il avait la chance d'être entouré. Juste... il était entouré de gens qui lui semblaient fragiles et qu'il voulait protéger plus que tout au monde... C'était juste qu'ils allaient si mal qu'il avait l'impression d'aller mal avec eux, de pas être assez fort pour les tirer vers le haut, seulement capable de se laisser entraîner vers le bas. C'était bizarre dit comme ça, non ?surtout que ça n'était même pas vrai. Enfin... pas tout à fait. Parce qu'ils étaient géniaux, ses amis, les meilleurs qu'il aurait pu trouver... mais c'était compliqué. Dans le fond, peut-être que le concierge n'avait pas si tort que ça... Il était entouré mais il y avait moyen qu'il se sente seul malgré tout. Cette réflexion lui donna la sensation oppressante d'être particulièrement ingrat. Il avait tout ce qu'on pouvait vouloir à son âge et il était quand même pas content.

— C’est important, de pouvoir discuter avec quelqu’un de ses problèmes. Et si ce ne sont pas tes amis ou ta famille, alors le personnel est là pour toi aussi. Bien sûr, c’est notre rôle de vous épauler et de vous accompagner, mais nous sommes aussi humains et moi je t’aime beaucoup, mon garçon – au-delà du fait que tu es un élève et que je suis le concierge. J’ai compris que tu n’avais pas envie d’en parler maintenant, mais tu es libre de le faire quand tu en auras envie et si tu en as envie – que ce soit par courrier, dans mon bureau, ici, peu importe. Je ne suis pas stupide au point de ne pas lire sur ton visage que quelque chose ne va pas, alors évitons de faire comme si tout allait bien. Et à défaut, j’aimerais quand même que tu passes un bon moment, d’accord ?

Lorsqu'il lui fit remarquer pouvoir lire sur son visage que quelque chose n'allait pas, le Gryffondor ne put s'empêcher de détourner les yeux, comme si ça pouvait arranger les choses et que ne plus avoir sous le nez l'existence même du problème pouvait pousser l'adulte à oublier qu'il y en avait un. Ça finirait par lui jouer un tour, ça, aussi... Tout le monde était capable de donner le change, alors pourquoi pas lui ? Est-ce qu'il était vraiment débile au point de pas pouvoir afficher un sourire crédible devant l'humanité tout entière même s'il était intérieurement en PLS ? Ses parents l'avaient vraiment pas fini, sérieux.

— Ouais... D'accord m'sieur.

On n'allait pas se mentir, ça ne serait sûrement pas le moment du siècle mais faire mieux que ce qu'il avait eu à supporter ces dernières semaines ne seraient sûrement pas bien compliqué... Septimus finit par terminer de casser son morceau de tablette et contourna le plan de travail. Il poussa vers lui un saladier et lui ouvrit tout grand les portes d'un placard plein de plantes en tout genre. Sa curiosité fut suffisamment piquée pour qu'il abandonne à son tour les ustensiles pour rejoindre son aîné, les yeux brillant comme ceux d'un enfant dans un magasin de jouets.

— Je sais que tu aimes la botanique, alors je me suis dit que ça pourrait être amusant que tu nous concoctes une petite excentricité gustative pour nos cookies.

Durant une seconde, rien qu'une, Dashiell eut l'espoir d'être vraiment comme à la maison... mais l'espoir s'évanouit aussi vite qu'il était arrivé...

— Il y a de tout, de la violette à la rose, en passant par des choux mordeurs de Chine séchés. Comme ça, Daisy aura un peu de nous deux pour ses cookies. Qu’est-ce que tu en dis ?

Ouais, évidemment. De la rose, de la violette... Il fallait être con pour croire que le concierge de Poudlard, détenteur d'une partie de l'autorité, était en train de lui proposer de foutre ce qu'il voulait dans les cookies... Il n'avait jamais été très branché bouffe fleurie, là, mais il fallait bien commencer un jour...

— Ouais, c'cool m'sieur, lâcha-t-il simplement alors que ses doigts effleuraient les étiquettes sur les bocaux, e' va être contente.

Enfin... il espérait. Il n'en était plus trop sûr. Celle qu'il avait toujours connue l'aurait été, celle qu'il reconnaissait à peine... peut-être, sur un malentendu. Il attrapa le bocal de lavande, puis celui de thym et alla les poser sur la table.

— On peut faire deux goûts ? Genre lavande et chocolat et thym et abricot ?... y'a des abricots même ?

Oona les faisait en tarte, les abricots, mais peut-être qu'en cookie ça marchait aussi ? Sinon, il trouverait bien autre chose... Finalement, son regard se posa à nouveau sur Veturia, un peu maladroitement peut-être.

— Mais du coup, vous avez pas répondu m'sieur... Vous allez mieux ?

Il n'était pas idiot, souvent quand on ne répondait pas, c'est que la réponse était négative... Alors au moins, s'il voulait continuer à lui raconter sa vie, il savait qu'il pouvait. Il était prêt à lui promettre que rien ne sortirait d'ici... en croisant les doigts discrètement, ça pourrait peut-être passer.

Passer un bon moment, que lui avait proposé le concierge. N'importe quelle autre année, ça aurait été une formalité. Il serait arrivé ici avec le sourire aux lèvres et un milliard de conneries à débiter à toute allure, trop content de pouvoir faire un truc qui changeait de l'ordinaire avec quelqu'un qui changeait un peu de son cercle proche... mais cette année, c'était différent. Cette année, il avait juste envie qu'on lui foute la paix, qu'on arrête de fouiller dans ses affaires, comme ça, là. Qu'est-ce que ça pouvait lui faire, à lui, qu'il soit triste ou qu'il soit fatigué ou qu'il soit littéralement au bout de sa vie ? C'était le pote de Daisy, pas le sien. Putain, être remplacé par un vieux, sérieux... Il n'était pas certain que c'était la meilleure des idées, d'être là. Il ne savait même plus pourquoi il avait accepté, ni même pourquoi il était venu jusque là. Il aurait pu faire genre il avait oublié... Mais les efforts de Septimus ne pouvaient pas le laisser indifférent. Il voulait faire ça bien, ça se voyait. Et dans le fond, il s'en voulait un peu de ne pas être plus réceptif que ça... Aussi, quand il ouvrit tout grand un bocal plein de plantes, Dash eu l'impression que les planètes s'alignaient un peu plus pour qu'ils puissent arriver tous les deux à quelque chose de plus concluant... mais la réalité se réimposa bien vite. On était dans la cuisine de Poudlard, bouffon, pas dans le labo de ton père... évidemment. Alors il se contenta de faire ce qu'on attendait de lui, moins enthousiaste qu'il ne l'aurait espéré. Des cookies tout ce qu'il y avait de plus bateau, parce qu'on était dans une école respectable.. Mon cul.

— Oui, bien sûr. Tu trouveras des fruits frais ici, et les fruits séchés sur la dernière étagère. Si tu te sens plus inspiré, je t’en prie…

L'adolescent se contenta de hausser les épaules. Plus inspiré ? C'est qu'il y avait de quoi faire un bouquet, à son sens, pas des cookies. Il avait plus envie d'y foutre des graines de voltiflor que des pétales de rose, dans sa pâte... Et puis si Daisy allait mal, il y avait de fortes chances que ça soit plus efficace. Mais il se ferait taper sur les doigts, et sûrement que Veturia se ferait virer pour avoir cautionner ça. Alors non, il n'était pas plus inspiré. Parce que c'était des cookies en forme de lapins avec un gars en qui il n'avait pas franchement confiance pour une fille qu'il ne reconnaissait pas.  Sérieux, pourquoi il était là, déjà ?

— Mais tu n’es pas… Enfin, je sais que je t’ai suggéré de venir pour faire une surprise à Daisy, mais tu peux faire des choses pour ton propre plaisir, tu sais ? La prochaine fois, on pourrait peut-être s’occuper des serres ?

La prochaine fois ? La proposition le laissa interdit. Quelle prochaine fois ? Il était gentil, hein, mais c'était pas la peine. Il avait des amis, s'il avait besoin de s'occuper. C'était bête en vrai parce qu'il lui aurait proposé exactement la même chose cet été, il aurait été le premier à dire oui, et à être content d'y aller... mais plus aujourd'hui. Parce qu'il était là pour Daisy et que quoi qu'en dise le concierge, entre eux deux, lui aussi l'avait choisi elle. Il n'y avait qu'à voir le mur qu'il s'était pris en essayant simplement de comprendre ce qu'il se passait, en voulant récupérer les pièces qui manquaient à son puzzle.

— Non, c'bon m'sieur, ça m'gêne pas d'faire plaisir à Daisy.

Il retint presque un j'ai l'habitude sincère et naïf avant de reposer finalement sa question. C'est qu'il n'avait pas répondu, la première fois. Il avait ri mais ça ne voulait rien dire. Rien du tout, même. Face au silence qui accueillit son inquiétude, l'adolescent battit en retraite et partit s'intéresser au meuble où il pouvait espérer trouver des fruits pour mettre dans les cookies.

— Tu n’es pas censé t’inquiéter pour moi, Dashiell.
— Ouais bah faut pas dire ça va pas aussi, grogna-t-il si bas que seuls les abricots étaient en mesure de l'entendre.

C'était trop facile de balancer des trucs importants là, comme ça, et de faire genre après qu'il n'aurait pas dû les prendre en compte. Les adultes étaient vraiment trop bizarres, des fois... Si c'était ça grandir, il n'était pas certain d'être très motivé. Il récupéra quelques fruits mais hésita un peu à revenir jusqu'au plan de travail. Si c'était pour se faire taper sur les doigts parce qu'il n'était pas aussi inhumain qu'on l'espérait...

— Mais oui, ça va mieux. Ça va toujours mieux, d’ailleurs. On n’est pas éternellement seul ou triste, pas davantage qu’on est éternellement entouré et joyeux. La vie a cela de beau qu’elle nous surprend toujours, même quand on a plus d’espoir.

Ça faisait un peu morale de film de Noël, quand même. C'était pas la saison... et là où il aurait sûrement hoché la tête, convaincu que tout finissait toujours par aller mieux un jour, il restait aujourd'hui assez hermétique à l'idée. Des fois, c'était juste la merde et ça restait la merde. Genre plus les jours passaient plus il y avait des trucs foireux qui se rajoutaient... et un moment on se rendait compte que le meilleur truc qui pouvait arriver c'était un atelier pâtisserie avec un concierge un peu perché. Putain, il était quand même tombé sacrément bas... Il finit par se convaincre de revenir sur ses pas. C'est qu'il y avait des cookies à faire, quand même.

— C’est souvent une rencontre, un moment, parfois une sensation… Mais ça finit toujours par aller mieux.

Le regard de l'adulte se reposa sur lui et il se sentit presque obligé de hocher bêtement la tête. Ouais, ça finissait toujours par aller mieux. Mais si c'était dans dix ans... il ne voulait pas avoir l'air trop ingrat mais ça ne l'emballait pas des masses.

— Je suis conscient que tu n’as aucune raison de m’écouter ou de me croire, mais je te promets que ça va toujours mieux. J’ai connu des moments sombres dans ma vie – on peut même probablement dire que j’ai… j’aurais pu y mettre un terme...

Ces derniers mots le laissèrent bête, faisant résonner en lui des souvenirs et des impressions qu'il aurait préféré ne jamais avoir à supporter. Ses doigts se resserrèrent sur le petit bol où il avait mis les fruits. Ses yeux sombres s'attardèrent un instant sur le visage du concierge avant de retrouver ses chaussures d'un geste machinal et mal à l'aise. Il ouvrit la bouche, la referma sans rien dire, la gorge soudainement remplie d'aiguilles.

— ...mais je suis content de ne pas l’avoir fait. J’ai rencontré des personnes merveilleuses après.

Le poc de la faïence tapant contre le bois de la table sembla faire un boucan d'enfer alors qu'il reposait son bol, tant et si bien qu'il réprima un sursaut nerveux. C'était triste. Enfin, non, c'était bien qu'il aille mieux mais... c'était triste. Une fois encore, Dash ouvrit la bouche et la referma sans un mot. Alors il se contenta de secouer la tête et attrapa un fruit et un couteau avant de s'appliquer à retirer le noyau et de le découper en morceau.

— Je..., couina-t-il d'une petite voix anxieuse alors que son attention se focalisait sur le jus de l'abricot qui coulait partout sur son morceau de table. J'crois qu'mes amis pourraient aussi... y-y mettre un terme.

Le bras en sang de Silas lui revint si violemment qu'il ferma les paupières comme si ça pouvait lui permettre de ne plus le voir, le cœur au bord des lèvres et les larmes au bord des yeux. L'air de Daisy, aussi. Parfois si loin qu'il avait peur qu'elle ne revienne jamais. Ses doigts se crispèrent si forts sur le couteau qu'ils tenaient que ses articulations blanchirent un peu.

— Mais je... j'sais pas quoi faire pour qu'ils soient contents d'pas l'faire.

Pire encore, il avait l'impression de tout faire de travers et d'être en partie responsable de leur mal-être. Sa dispute avec Silas, son léger éloignement avec Daisy, son incapacité à se couper en deux pour satisfaire tout le monde... Il n'était pas à la hauteur, pas assez bien pour les soutenir, les aider. C'était sûrement le pire ami qu'ils auraient pu trouver...

Finalement, c'était sorti. Comme ça, dans une maladresse gênée, conscient qu'il aurait mieux fait de se taire et en même temps un peu soulagé de le laisser sortir. Ses amis n'allaient pas bien. Vraiment pas bien. Et il était terrifié à l'idée qu'il leur arrive quelque chose, désespéré à celle de leur servir à rien. Il n'avait jamais été confronté à ça, jusque là. Bien sûr, Daisy était souvent dans son monde mais il l'y rejoignait volontiers et ça avait l'air d'aller. Ça n'était pas parfait, bien sûr, il n'était pas idiot et il se doutait qu'il y avait des choses qui le dépassaient complètement... mais ça n'avait jamais été aussi chaotique que cette année. Il était prêt à faire n'importe quoi, à bien le faire même, mais force était de constater que c'était un échec. Il ne faisait que brasser du vent et les regardait couler sans parvenir à les aider à remonter. Et c'était épuisant de se battre contre du vent. Déprimant, même. Et s'il n'osait pas se l'avouer parce qu'il n'était pas en droit de se plaindre alors que de toute évidence il n'allait pas si mal que ça, il sentait parfois qu'ils l'entraînaient avec eux. Qu'à force de vivre dans une angoisse permanente, il commençait doucement à se noyer, lui aussi. Ses doigts se crispèrent sur le couteau qu'ils tenaient comme ils l'auraient fait sur la perche venue le sauver. Si personne ne le lui avait vraiment dit, il en était intimement persuadé : Silas et Daisy auraient envie de mourir. La violence de cette pensée qu'il n'avait jamais osé formuler si crûment le laissa si sonné qu'il eut l'impression de manquer d'air. La cuisine, le concierge, l'abricot qui jutait entre ses mains tremblantes, tout se mêla dans un environnement qui n'existait plus. Ils allaient mal à ce point.

— Doucement, souffla Veturia alors qu'il lui attrapait les poignets pour le forcer à lâcher l’ustensile.

Dash sursauta à son contact, se reconnectant brusquement avec ce qui l'entourait. Le regard qu'il posa sur lui se fit hagard avant qu'il n'obéisse dans un mouvement machinal. Ses doigts lâchèrent le couteau, celui-ci tomba à côté du cadavre du fruit dans un bruit que personne ne prit la peine d'écouter.

— Tiens.

Il attrapa le torchon qu'il lui tendait en hochant la tête et le tortura bien plus qu'il ne pensa à s'essuyer les mains.

— Ça doit être terrible de voir tes amis dans un état pareil.

L'adolescent se contenta de hausser les épaules, les yeux rivés sur le morceau de tissu un peu trop rêche contre lequel ses doigts se crispèrent comme ils l'avaient fait sur le couteau. Ça n'était pas plus terrible que d'être dans un état pareil, sûrement. Il n'était pas à plaindre. Il n'avait pas le pire rôle de l'histoire. Le plus inutile, le plus impuissant à la limite, mais certainement pas le pire. Il n'avait jamais osé imaginer comment ils se sentaient, eux. Surtout Silas puisqu'il avait eu sous les yeux les conséquences de son mal-être. Daisy, c'était une intuition, parce qu'il la connaissait depuis toujours et qu'elle n'était plus vraiment pareille ces derniers temps. Sûrement que sans le Serdaigle, il n'aurait jamais envisagé qu'elle puisse aller aussi mal, elle aussi. Juste mal. Parce que ça se sentait, parce que c'était évident.

— Est-ce qu’un adulte est au courant ?

Nouvel haussement d'épaules.

— J'crois... j'suis pas sûr.

Silas lui avait dit qu'il avait été voir Armitage mais il n'en savait pas vraiment plus. Est-ce qu'il lui avait conseillé de voir le psy, est-ce qu'il avait fait quelque chose, est-ce que c'était même de ça dont ils avaient parlé ? Il n'en avait aucune idée. Il aurait dû vérifier ? Putain, il aurait dû vérifier ! Il se sentit plus mal encore à cette constatation. Il avait été stupide, une fois de plus ! Il s'était contenté de faire confiance, de pas trop s'en mêler, de lui laisser lui dire ce qu'il souhaitait sans creuser davantage... Si ça se trouve, personne était au courant de rien. Et vu que c'était la première question qu'il lui avait posée, ça avait l'air gravissime. Est-ce que si son état s'aggravait, ce serait de sa faute ?

— Tu sais… Être là pour eux est ce que tu peux faire de mieux.

Il hocha silencieusement la tête. C'est ce qu'il essayait de faire depuis la rentrée, oui. Avec plus ou moins de succès mais il pouvait jurer sur sa propre vie qu'il faisait tout son possible pour faire ça bien malgré tout.

— Ça et prévenir un adulte si quelque chose arrive. Je sais qu’ils te demanderont sûrement de ne pas le faire… Mais ce n’est pas à toi de gérer ça. Ce n’est pas à toi de prendre cette responsabilité sur tes épaules.

Sans qu'il ne s'en rende compte, son regard se voila de culpabilité, ses épaules se voûtèrent. Il aurait voulu disparaître de cette maudite cuisine. Fuir cette foutue conversation. Retourner en troisième année, quand tout allait encore bien et que sa vie était plus qu'une vaste mare de boue dont il ne savait plus comment se dépêtrer !

— Moi-même, je ne suis pas qualifié pour ça. Personne, d’ailleurs, ne l’est en dehors des psychologues diplômés et des unités psychiatriques dédiées. Aucun adulte dans cette école, pas même le directeur, n’est en mesure de gérer correctement des pensées suicidaires. Seul un suivi psychiatrique et une surveillance adaptée le peuvent.

Au fur et à mesure des mots prononcés par le concierge, Dashiell releva prudemment la tête dans l'espoir stupide qu'il se mette à rigoler ou qu'il se fiche de lui parce qu'il était prêt à croire n'importe quoi. Mais bien sûr, ça ne vint pas. Il ne s'y était pas réellement attendu, il avait juste bêtement espérer.

— Tu comprends ce que je veux te dire ?

Il secoua aussitôt la tête, sans prendre la peine de réfléchir, avec une panique telle qu'elle contredisait son geste à elle-seule. Son regard ne trompait pas davantage. Il avait compris. Pas forcément ce qu'on essayait de lui faire comprendre mais il avait compris quelque chose en tout cas. Quelque chose que l'égoïsme de ses quinze ans rejetait en bloc. Si aucun adulte dans cette école était en mesure de gérer ça... ça voulait dire qu'ils allaient devoir aller voir des gens en dehors. Qu'ils allaient partir. Son cœur s'était mis à battre à tout rompre, sa respiration s'était faite saccadée. Il déployait des efforts incroyables pour ne pas se mettre à pleurer comme un enfant abandonné ou envoyer salement valser ce qu'il y avait sur cette table de malheur comme l'adolescent en colère qu'il était également. Ils n'avaient pas le droit de se barrer, n'est-ce pas ? Ils n'avaient pas le droit de le planter là ! Il n'avait pas le droit de le faire encore !

— La seule chose que tu puisses faire, c’est de leur tenir la main et d’être là pour eux lorsqu’ils ont besoin de toi, mais tu n’es ni en mesure de les aider sur ce point ni responsable d’eux ou de leur tristesse. Rien de tout ça n’est ta faute.

Il ne pouvait pas les aider. Ça, bêtement, il n'était pas certain de le comprendre. Pourquoi avoir des amis s'ils servaient à rien ? Il n'avait jamais prétendu qu'il fallait en avoir uniquement pour en tirer quelque chose, évidemment, mais c'était là pour ça aussi, non ? Ou alors c'était juste lui qui ne pouvait pas les aider...? Genre « t'es un peu trop demeuré pour pouvoir faire un truc utile »... et ça collait si bien à ce qu'il avait pu en déduire ces dernières semaines que, finalement, il supposa que c'était ça, le message. C'était un ami de merde et tant Silas que Daisy méritaient mille fois mieux. Et ils finiraient par s'en rendre compte. Et ils le planteraient là, même en restant entre les murs de cette école pourrie.

— Est-ce que tu as déjà rencontré M. Raywood ?
— Hein ?
— Toi aussi, tu dois prendre soin de toi, Dashiell. Ce n’est pas anodin, ce qui t’arrive.
— V'z'avez rien compris répliqua-t-il sur un ton défensif quoi que teinté d'une insolence désespérée, c'pas moi qu'vais pas bien, j'ai pas b'soin d'aller voir l'psy !

C'était sûrement la dernière chose qu'il avait envie de faire, même. Pour lui dire quoi ? « Je sais pas pourquoi je suis là, allez plutôt parler avec mes potes » ? Super... mais non, ça irait, il pourrait s'en passer. Un dernier regard et le Gryffondor se referma plus encore qu'il n'avait pu le faire jusque là. C'était débile, sérieux, comment il avait vraiment pu croire que ça servirait à un truc de lui en parler...? Il était comme tous les autres adultes, en fait, parfaitement inutile. Il balança à moitié le torchon qu'il tenait toujours sur la table et reporta son attention sur l'abricot à l'agonie.

— J'peux r'prendre l'couteau ? J'ai pas fini d'en faire des bouts.