Toc toc ? [Zeynep & Nikita]

Cet été avait quelque chose de suspendu. Peut-être à cause du décalage horaire avec la Russie qui ne l’autorisait à trouver le sommeil que minuit largement passé, de l’épaisseur du climat atlantique ou que plongé au cœur du Londres sorcier, Nikita découvrait une ville inconnue jusque-là. Surtout, surtout, il avait du temps pour lui, du temps pour flâner, prendre un café ou une glace, sa famille ne manquait pas de fonds et lui pas d’argent de poche. On voyait d’un bon œil qu’il pratique son anglais au quotidien, avant la rentrée et pour la première fois de sa vie, son mois de juillet n’était pas booké de cours supplémentaires pour venir rythmer sa journée.

Double raison de se sentir un peu perdu, sans doute, nouveau lieu, et trop de temps libre, le jeune homme sentait bien qu’il aurait dû mettre ce temps à profit, mais à quoi ? En marchant dans les rues populeuses de la capitales britanniques, il en éprouvait presque une sorte de culpabilité.
Comme un vide bien rempli. Tout autour de lui des sorciers allaient et venaient sans se soucier de sa présence sinon pour s’éviter de le percuter. Des gens de son âge, d’autres moins, que son regard ne pouvait vraiment s’empêcher de suivre avec une curiosité ambivalente, mélange d’exotisme et de méfiance.

La plupart du temps, sa journée débutait sur le Chemin de Traverse où tout chatoyait puis, l’heure avançant, la foule lui devenait désagréable alors il s’isolait, ou rentrait manger à la maison. Plus grande mais moins accueillante que celles qu’il avait habité en Russie, il ne tardait pas à la fuir, n’y trouvant rien de divertissant, tout avait un parfum de bureau et de travail. Une ambassade, où l’on n’avait pas de temps à lui consacrer et où il se retrouvait systématiquement à gêner le passage de quelqu’un.

En Angleterre, les règles sur la magie étaient peu ou proue les mêmes que chez lui à savoir : pas avant 17 ans. Cela ne disait rien toutefois des formes plus discrètes de sorcellerie auxquelles appartenaient la légilimancie et l’occlumancie. Bien sûr Nikita n’ignorait pas que ce genre de pouvoir devait s’employer avec prudence, cela aurait fait mauvais genre que le fils du nouvel ambassadeur s’amuse à fouiner sauvagement dans les esprits des passants.
Néanmoins… il ne pouvait nier ne s’y être jamais essayé. Curiosité, curiosité quand tu nous tiens, certains caboches semblaient déborder de secrets, en général il entrait dans celles des adolescents, la plupart inconscients de son intrusion. C’était toujours plus risqué avec des adultes mais en règle générale, il ne réussissait ni avec les uns ni avec les autres. Même sans entraînement à l’occlumancie, les esprits des gens avaient tendance à se défendre par eux-mêmes et le repoussaient d’instincts. Ses victimes s’en tiraient avec un bref mal de tête et lui sa frustration.

Cette après-midi-là, il s’était acheté un gâteau dans une pâtisserie magique et entendait prendre son goûter à l’ombre d’un petit parc reculé, celui-là même où il avait aperçu le Kot Baioun lors de sa première escapade. Le souvenir du chat lui trottait dans la tête, se demandant où il avait bien pu aller se fourrer, quand une sensation familière lui hérissa l’échine. Pour avoir suivi de nombreux cours d’occlumancie pendant ses premières années à Koldovstoretz il savait reconnaître une intrusion dans son esprit quand il en subissait une. Par réflexe, il barricada ses pensées, comme on abaisse la herse d’une forteresse. Depuis quand l’intru était-il là-dedans ? Qu’avait-il vu ? Des images ? Des souvenirs ? Ou quelque chose de plus vague ? Était-il seulement entré ? La priorité était d’abord de repousser l’attaque.

Immobile, les yeux à demi-clos, assis sur son banc, il devait donner l’impression de faire un malaise. C’était à l’intérieur que se déroulait la lutte et soudain, comme une gifle, il repoussa l’attaque. Aussitôt son regard suivi la trace laissée par l’intru… ou l’intruse, plutôt. A une grosse dizaine de mètres de lui, une gamine – elle devait avoir son âge – l’observait d’un air qu’il trouva ahuris.

En un instant il fut sur ses pieds. Si un premier réflexe avait été de porter sa main à sa poche, l’absence de baguette lui tira une grimace. A défaut de pouvoir l’utiliser en dehors de l’école il la laissait chez lui pour ne pas risquer de la casser. Tant pis, c’était juste une fille. Dix pas rageurs suffirent pour être sur elle et la saisir au col. Aurait-il eut un peu plus de force qu’il la jetait contre le mur.

A la place il se contenta de lui grogner au visage : « Tu fous quoi ? »

L’élocution était approximative mais la langue intelligible, quoique accompagnée d’un accent russe à trancher du bois. Si elle s’imaginait qu’il rechignerait à frapper une fille, c’était mal le connaitre.

@Zeynep J. Özdemir

Le chemin de traverse grouillait de sorciers de tout âge. Des jeunes venus faire leur achat avant la rentrée, des parents accompagnant leurs enfants, d’autres ayant visiblement décidé de laisser leur progéniture acheter manuels et balais en allant boire une bièraubeurre. Dans ce brouhaha, cette foule, je ne cherchais personne. Je ne cherchais même pas quelque chose de tangible. De l’extérieur, à demi dissimulée dans le renfoncement d’une sorte de porche, je semblais attendre quelque qu’un, chercher quelque chose. Plusieurs personne d’ailleurs étaient venu me proposer leur aide pour trouver la boutique de chaudron ou celle de balais ou me demander si j’étais perdue. Non, non, je n’avais besoin de rien, officiellement j’attendais quelqu’un. En réalité, j’attendais vos pensées. Celles qu’on oublie, celles qu’on cache, celles qui nous traverse sans qu’on s’en préoccupe.
J’étais légilimens, seul Dmitri à Poudlard le savait maintenant. Et le temps était venu de m’entraîner sérieusement à maîtriser ce pouvoir. Il était le meilleur des atouts dans la lutte contre les sangs-purs mais un atout capricieux, imprévisible. Mais l’entraînement vaincrait cette variabilité. Alors cette après-midi, à chaque fois que quelqu’un croisait mon regard, je me concentrais pour pénétrer son esprit. Sans succès souvent. Le contact visuel était trop bref, mon pouvoir pas assez puissant.
Cet adolescent, l’air un peu stupide, avait tourné la tête vers son père pile au mauvais moment. La vieille dame qui promenait ses boursouflets devaient avoir un esprit suffisamment vieux pour me résister. L’homme bien habillé, un peu nerveux, avait son esprit grand ouvert, bien au contraire. Il attendait sa maîtresse, angoissait que sa femme l’apprenne car cela lui causerait des ennuis dans son travail au ministère. Ce n’était pas un secret d’État que je venais de percer à jour mais le sentiment de puissance de savoir ce que les autres cachaient était assez grisant.
Je ne l’avais pas remarqué mais j’avais une cible potentiellement facile. Un jeune de mon âge dans le petit parc. Le contact visuel était aisé, je ne le connaissais pas, il ne devait pas être à Poudlard. L’occasion était trop bonne pour la louper, alors je projetais mon esprit dans sa direction. Il suffisait de ne pas penser aux obstacles, à la boîte crânienne, au cerveau, simplment voir cela comme une discussion à sens unique. Je souris instinctivement. Malgré une légère résistance, un peu inhabituelle, j’y arrivais. Je le voyais dans une salle de classe, en Russie, en cours de… légilimancie. Et puis l’esprit se ferma, le jeune fut sur moi, m’attrapa par le col, me demanda des comptes. Il était legilimens de toute évidence. Et avait eu la chance de l’apprendre dans des vrais cours. Et attendant, je ne pouvais pas faire l’envieuse, j’allais devoir répondre de mes actes. Surtout qu’il y avait peu de chance que l’école russe tolère les nés-moldus comme moi.
« Vu vos cours, vous avez des devoirs de légilimancie, non ? Eh bien moi aussi je fais mes devoirs, voilà tout. »
Aucune excuse à formuler, j’étais dans mon bon droit.

Qu’avait-elle vu ? Impossible à savoir, l’occlumancie, dans sa précipitation à fermer son esprit, ne lui avait pas permis d’en découvrir plus. Allez savoir depuis combien de temps elle se baladait dans sa tête, aussi, un légiliman doué pouvait s’y faufiler sans laisser aucune trace, mais c’était précisément contre ce type d’intrusion discrètes qu’on leur avait appris à se défendre, à l’école.

Furieux de s’être laissé prendre à son propre jeu – et que quelqu’un ose pénétrer les secrets de son esprit, il saisit la jeune fille par devant de son col. Il était un peu plus grand qu’elle, mais pas de beaucoup, et ne doutait vraiment pas de pouvoir lui mettre une raclée si besoin.

- Vu vos cours, vous avez des devoirs de légilimancie, non ? Eh bien moi aussi je fais mes devoirs, voilà tout.

- Pas sur moi ! fut tout ce qu’il trouva à gronder, tout à sa colère.

Néanmoins, elle venait là de lui révéler plusieurs informations dérangeantes. La première était sans doute qu’elle savait avoir affaire à un autre légiliman, pire, légiliman formé à Koldovstoretz. Sans trop se faire d’illusions sur les secrets de son école, la Russie avait toutefois tenu à mettre en place ces enseignements spéciaux censés, le cas échéant, faire la différence face aux sorciers britanniques. Ce n’était donc pas une très bonne nouvelle que le secret s’en trouve éventé.
Plus bizarre en revanche, la jeune fille semblait sous-entendre qu’elle aussi avait eut des cours. A moins qu’elle n’ait dit cela pour plaisanter ? La situation s’y prêtait peu, et Nikita était relativement imperméable au second degré en langue étrangère.

- Je pourrai entrer dans ta tête et bousiller tous tes souvenirs.

Ce n’était pas vrai, mais pourquoi pas le faire croire ? Certains sortilèges vous effaçaient assez efficacement la mémoire, mais il n’avait pas sa baguette et, de toute façon, n’en connaissait pas les formules. N’empêche qu’il n’avait pas du tout envie que la gamine s’en aille répéter partout ce qu’elle avait vu dans son crâne, il fallait donc lui faire peur. Un bon coup de pression, qu’elle se chie dessus et tienne sa langue tranquille.

- Tu veux des devoirs de légilimancie ? C’est ça que tu veux ? Que je ravage ta tête ?

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