Finn joue la comédie

Je savais que cette histoire finirait par avoir des conséquences, mais j’espérais qu’elles ne surviennent que plus tard, je l’admets. Certains d’entre nous sont parvenus à passer entre les mailles du filet, comme Alexis, mais pour d’autres cette convocation était inévitable… Quatre Sørensen se baladant dans les couloirs avec un badge épinglé, cela attire forcément l’attention, c’est pourquoi je dois me montrer extrêmement vigilant lors de cet entretien : toute question peut être un piège, ils peuvent me demander des choses qu’ils savent déjà, attendre un faux pas de ma part pour pouvoir mieux nous coincer ensuite. J’ai confié certaines de mes inquiétudes à Grand-Père, il m’a assuré qu’il allait prendre certaines dispositions, mais en attendant, c’est à moi de relever ce défi. Je ne vais pas commettre l’erreur stupide de sous-estimer ces aurors, ils sont peut-être incompétents, abrutis par ce système laxiste qui reflète tant notre société régie par des incapables, mais ils sont suspicieux, charognards, prêts à se satisfaire de la moindre pièce à conviction pour aller clamer qu’ils ont trouvé des coupables et que leur salaire misérable est justifié. J’ai donc passé quelques jours à peaufiner ma version, suivant le conseil d’Hannibal qui me propose un récit altéré de la vérité en jouant l’innocent, et m’accordant avec Phoenix pour jouer la carte de la vulnérabilité… Nous nous en sommes sortis devant les enquêteurs du Magenmagot lorsque nous avons été convoqués au ministère il y a deux ans, il s’agit d’être aussi convaincants. Certes, il faudra minutieusement camoufler nos idées sur le sang souillé et sur les rats d’égouts nés de parents moldus qui pullulent dans cette école, mais le mensonge est un moindre mal pour sauver nos intérêts…

Je quitte la salle commune d’une démarche assurée, en me convainquant moi-même de ce que j’ai bien l’intention de faire croire à mes juges : je n’ai rien fait de mal. Je suis un pauvre adolescent timide et influençable qui a cédé à la curiosité et à la peur, et qui ne ferait jamais mal à un de ces pauuuvres moldus… Est-ce que je dois m’inventer un ami moldu pour avoir l’air plus crédible… ? J’hésite. Non, ils finiraient par aller demander aux sangs-de-bourbes Chasemane et Lloyd qui n’hésiteraient pas à leur balancer que je les traite comme des moins que rien, et je préfère que ça n’arrive pas… A la place, j’ai eu une autre idée, un coup de maître ! On nous a menacés. On s’en est pris à nos familles, alors nous n’avons pas eu d’autre chois que d’obéir, bien sûr. Je souris silencieusement tandis que je resserre le noeud de ma cravate, et que je m’arrête devant une vitre pour scruter mon reflet : j’ai l’air absolument parfait et irréprochable, comme d’habitude, je regrette seulement de n’avoir pas plus de cernes, comme si j’avais mal dormi en attendant cet entretien avec ces idiots d’aurors. J’hésite à me donner une apparence légèrement plus débraillée avec ma baguette, mais ce serait peut-être en faire trop, et Hannibal me dirait de faire au plus simple. Lui et Judith ont déjà du passer, et j’aurais voulu pouvoir converser avec eux avant que ce ne soit mon tour, mais nous sommes surveillés… J’arrive au niveau de la salle de classe, tandis que ma petite soeur referme la porte, et échange avec moi un regard significatif. Bien sûr, en quelques secondes, il est impossible que nous communiquions avec tous ces aurors aux aguets, mais j’ai au moins le sentiment que les choses se sont déroulées naturellement pour elle… A vrai dire, ce n’est pas elle qui m’effraie, c’est surtout Erin. Enfin, un problème après l’autre, nous verrons cela plus tard, c’est à moi d’entrer en scène, j’appuie donc sur la poignée et pénètre dans la salle de classe. Le décor n’est pas des plus enthousiasmants, c’est une certitude, et l’auror Blackwood se tient derrière un bureau massif recouvert sobrement. Je prends place en face de lui, tout en évitant soigneusement de le regarder dans les yeux… on ne sait jamais, les Legilimens sont souvent là où on ne les attend pas, la sang-de-bourbe Caldwell me l’aura appris à mes dépens. Maintenant, lever de rideau : je dois gérer mon discours d’une main de maître, et tout faire pour que l’on évite de remonter jusqu’à l’expéditeur de ces lettres. Et surtout, je vais protéger ma famille, quoi qu’il m’en coûte.

J’essaie d’évaluer la situation en scrutant le visage de mon interlocuteur, relativement impassible. Je n’en obtiendrais rien, même en essayant, c’est sûr, c’est pourquoi je dois paraître naturel tout en feignant un léger stress. Je me gratte l’avant-bras, passe une main sur ma nuque, tandis que je le salue en bafouillant légèrement. Belle entrée en matière Finnbjörn, je ne suis pas peu fier de moi… J’ai quatorze ans, et il n’est pas censé être anormal que je suis impressionné par un adulte envoyé par le ministère pour me questionner. Il me demande pour la lettre, et j’inspire, repensant aux recommandations de Hannibal. « Ça devait êtrrre… en Septembrrre, peu de temps aprrrès la rrrentrrrée. Ça parrrlait de retrrrouver notre honneurrr, de choses qui se prrréparrraient… Je n’ai pas tout comprrris, à vrrrai dirrre. » Bien sûr, comme si ce n’était pas assez explicite, mais plus j’ai l’air dépassé par cette histoire et plus j’ai de chance de sortir de cette salle sans qu’il n’y ait de suite. « Mes frrrèrrres et soeurrrs et quelques amies ont rrreçu la même, alors on en a discuté ensemble, pour tenter de savoirrr qui les écrrrivait. Par currriosité, j’ai mis le badge, pensant que l’auteurrr se manifesterrrait. » Comme l’a dit mon frère, ils ne peuvent pas nous punir pour notre naïveté, ou pour avoir voulu en savoir davantage… Je reprends donc : « Il y a eu d’autrrres courrriers depuis, on m’a demandé de me prrrocurrrer un ingrrrédient. De la valérrriane… J’ai hésité, mais j’ai pensé que ce serrrait le seul moyen de connaîtrrre leurs intentions, alors en courrrs de botanique, j’en ai prrris quelques brrrins au professeur MacDougall. Je ne voulais pas la voler, mais c’était le seul moyen… » Comme si ce que pouvait penser cette impure était susceptible de m’intéresser, je suis bien content qu’ont n’ait jamais trouvé qui avait brûlé ses serres, elle a du tirer une drôle de tête. « En guise de rrrécompense, on nous a prrroposé de poser une question, et j’ai tenté de savoirrr s’ils avaient des complices au ministèrrre… on m’a rrrépondu par l’affirrrmative. » Pour l’instant, je suis satisfait de moi. Après tout, les évènements correspondent, et les autres badges rouges ont du donner un récit similaire, je ne vois pas ce qui pourrait clocher. « Mais ça… c’était avant tous ces incidents. » Ma voix se brise légèrement, tandis que je prends un air méditatif.

Je me demande si je fais partie de ces gens qui arrivent à pleurer sur commande… Honnêtement, je ne pense pas, même avec toute la bonne volonté du monde. Contrairement à Phoenix que j’admire pour savoir user de ses charmes et jouer les effarouchées, j’ai un visage froid et relativement antipathique, alors je doute de pouvoir inspirer un quelconque sentiment de compassion aux enquêteurs, cela risque au contraire de les agacer s’ils ne me croient pas. Je réfléchis un instant, les yeux perdus dans le vague, comme un gamin pris en faute. « Je n’ai jamais voulu de ça… Je voulais seulement… qu’on nous laisse trrranquille. Je sais que c’est égoïste, mais je n’ai pensé à rrrien d’autrrre que ma famille. » Ça, c’est sans doute la seule chose vraie : le moindre de mes agissements est entièrement voué à la cause du nom Sørensen, et jusqu’à mon dernier souffle cette famille sera ma seule et unique priorité. Je me fiche du nombre de sangs-mêlés qu’il faudra écraser pour y parvenir, je me fiche de ce qui pourrait arriver à cette école, pourrait-elle sombrer entièrement dans le lac noir dans des cris épouvantables que je la regarderais couler avec une profonde indifférence.

Mes doigts se cramponnent à mes genoux, et mentalement je réfléchis à ce qu’ils pourraient avoir sur moi, sur mon frère, sur mes soeurs, sur mes amis. Je ne dois pas attendre d’être pris de court, et anticiper leurs interrogations. « Je sais qu’ils ont soufferrrt, et inconsciemment… je savais qu’ils serrraient visés, à nouveau. La batteuse qui s’est fait pourrrsuivrrre par un cognarrrd… c’était eux, n’est-ce pas… ? » Comme si j’avais un doute sur la question… ou que je compatissais pour cette stupide sang-de-bourbe, je suis seulement déçue qu'elle n'ait pas hérité de quelques fractures supplémentaires. Faute avouée, à moitié pardonnée comme on dit, hein. Le sort des cloportes me préoccupera certainement quand cet incapable de Winslow sera ministre de la magie, c’est à dire jamais, alors c’est le bon moment jouer la carte de la culpabilité. « Je n’ai jamais rrrien eu contrrre eux, et ils ne mérrritent pas de rrrevivrrre cet enferrr, ce sont nos semblables… » Je manque de m’étouffer. Qu’est-ce qu’il ne faut pas raconter comme connerie pour sauver sa peau… Vivement que nous atteignions un modèle de société idéale dans lequel nous pourrons enfin exprimer librement tout le mépris que nous inspirent ces saletés de moldus. « Mais lorrrsqu’on nous a prrrévenus pour la Saint-Valentin, j’ai voulu enfin mettrrre un terrrme à tout ça et j’ai rrrefusé d’aller plus loin, c’est à ce moment-là que je l’ai rrreçu… » Je sors de ma poche le petit bout de parchemin d’un mouvement incertain. Est-ce que je dois trembler, ou ça ferait trop ? Non, dans le doute. Je le déplie précautionneusement, et le tends à l’aurore Blackwood en déglutissant silencieusement. C’est le mot que j’ai écrit en imitant du mieux possible l’écriture des lettres anonymes, et dans lequel « ils » déclarent qu’il pourrait arriver malheur à Judith si je ne me montre pas coopératif. Du flan bien sûr, mais comment pourraient-ils le savoir ? « C’est ma petite soeurrr. Elle a douze ans, elle n’a pas connu Blackman… Elle ne sait pas de quoi ils sont capables. Je veux juste la prrréserrrver de tout ça, qu’elle vive une scolarrrité norrrmale, alors savoir qu’ils l’avaient dans le viseurrr, ça m’a fait perrrdrrre la tête. » Je prends un air soudainement grave, et je serre légèrement les poings, comme si je ne parvenais pas à laisser échapper ma colère. S’ils savaient… En vérité, Judith est certainement suffisamment expérimentée pour concocter des poisons qui les tueraient tous sur le champ, elle n’a certainement pas besoin de moi pour la défendre, mais le coup du grand frère protecteur et chevalier torturé, ça marche à tous les coups. « J’ai pensé à… à en finirrr. Une fois pourrr toutes. » Je déglutis et fuis à nouveau le regard. Ben voyons, comme si une tentative de suicide idiote allait m’aider à atteindre mes objectifs… mais ça me donne du crédit, et c’est précisément ce que je veux, même si on risque de m’envoyer chez la sale cracmole d’Avril June en contrepartie. Je passe une main sur mon front comme si je m’épongeais de la sueur invisible. Je m’en sors très bien, je pense… Hannibal serait fier de moi. Grand-Père aussi, j’ose espérer, mais encore faut-il qu’Erin et sa franchise ne viennent pas tout gâcher.