J’ai passé un début de journée formidable, réellement. Le sourire de Milo m’a foutu d’une bonne humeur incroyable et notre échange de lettres de tout à l’heure n’a pas arrangé les choses. Pourtant, quand j’ai dû le laisser aller en cours, la réalité s’est brusquement imposée. Atwood. Le cauchemar commence. Je ne comprends toujours pas son intérêt dans cette histoire. Faire plaisir à Milo, je veux bien, mais le partager avec moi, sérieusement ? Alors qu’elle doit prier pour les soirs pour que je meure subitement dans mon sommeil ? Non, sérieux, je comprends pas. Toutes les possibilités qui me viennent à l’esprit ressemblent plus ou moins à « attention, c’est un traquenard » et dans le fond, je m’y attends. Y’a un truc louche. Néanmoins, je ne fais rien qui va à l’encontre du plan qu’on a monté ensemble. Alors quand je suis sûr d’être tranquille pour un moment, je vais récupérer ce que j’ai demandé aux elfes ce matin, en allant chercher le petit déjeuner. À croire que j’aurais passé ma journée dans les cuisines ! Je chatouille sagement la poire et entre à l’intérieur. Les créatures s’inclinent poliment dans des bonjours enthousiastes avant de retourner à leurs occupations. Mine de rien, ça me fait toujours un peu bizarre de me retrouver là. À chaque fois, je repense à mes passages quotidiens, à la peur qui me nouait l’estomac et à la présence étrange de Daniela. Même là, alors que je sais que je ne risque rien d’autre qu’une tape sur la main et l’obligation de ressortir les mains vides, je ne suis pas tranquille. J’imagine que c’est le reste des traumatismes. Sans un mot, je récupère le panier à pique-nique rempli qui m’attend sur l’une des tables. Je ne sais pas ce qu’aime l’autre débile mais, pour aujourd’hui, elle fera avec les goûts de Milo. On s’y fait, à la longue. C’est pas pire qu’autre chose. Et puis, je voulais surtout lui faire plaisir jusqu’au bout. Enfin qu’importe. Une fois le panier entre les mains, je file sans demander mon reste et grimpe jusqu’au Balcon du Monde.

J’entre sans même prendre la peine de frapper et laisse la porte se refermer derrière moi en claquant. J’ai notre repas en alibi mais en réalité, je veux juste m’assurer qu’elle n’a pas fait n’importe quoi. Et il faut bien reconnaître que je suis scotché. Je ne lui laisse pas le temps de le remarquer, par contre. Je feins une certaine indifférence, comme si c’était tout juste potable. En réalité, la serre ressemble beaucoup à celle qu’il m’a fait visiter et c’est difficile d’éloigner de mon esprit fatigué les souvenirs de son canapé. Dommage que notre soirée ne ressemble pas à ça. Au lieu d’étreintes délicieuses, je vais devoir me farcir l’autre chieuse… Super ! Mon regard se perd entre les lanternes, puis il glisse sur les fleurs qui entoure notre coin repas. C’est agréable comme endroit. Je doute que ça aurait rendu aussi bien à l’extérieur. J’imagine d’ici la surprise se peindre sur son visage et le plaisir faire briller ses yeux. Je crois que juste pour ça je regrette un peu moins d’avoir accepté. Pourtant, il suffit qu’Atwood passe dans mon champ de vision pour que l’impression d’avoir bien fait d’accepter disparaisse aussitôt. Je soupire et pose le panier dans un coin. Elle m’ignore et j’avoue que ça me va. J’ai pas en plus envie qu’elle prenne la peine d’ouvrir sa grande bouche pour sortir de la merde. Déjà que je vais déjà entendre sa voix de crécelle toute la soirée, c’est bon, un peu de calme est toujours le bienvenu ! Un coup d’oeil à ma montre et je disparais comme si j’étais jamais venu. Elle s’en est tenue à notre truc et, même si je ne l’avouerai jamais, elle a fait du bon travail… Je suis rassuré, mine de rien. Elle ne cherche pas les histoires, elle veut juste que Milo passe une bonne soirée. Peut-être que je me suis planté sur ses intentions ? Sans en faire une amie (jamais !) peut-être qu’on est capable de collaborer juste un peu, pour les beaux yeux de mon amoureux… C’est difficile à croire mais après tout, pourquoi pas.

Je vais attendre notre invité à la sortie de son cours, négligemment adossé au mur, comptant avec une impatience difficilement maîtrisable les secondes qui me séparent encore de la sonnerie. Et puis d’un coup, la libération ! La porte s’ouvre, les élèves sortent. Je dis bonjour à Daniela qui sort avant l’amour de ma vie mais prends bien soin de faire comprendre que j’ai mieux à faire. Elle me pardonnera ! Lorsque sa tignasse blonde passe enfin la porte, je me fends d’un sourire immense et viens amoureusement à sa rencontre. Mes lèvres se posent doucement sur les siennes. « Tu m’as manqué. » Et puis sans trop lui laisser le temps de réagir ou de proposer quoi que ce soit comme potentiel programme, j’attrape sa main et l’entraîne vers chez nous. On nous attend ? Je m’en fous. J’avais prévenu Atwood qu’on aurait du retard et je lui avais laissé entrevoir nos activités… En vrai, je n’ai pas l’intention de lui sauter sauvagement dessus (quoi que) mais j’ai bien l’intention de la laisser l’imaginer rien qu’une seconde. « Faut absolument que je te montre un truc ! Mais viens, on va poser tes affaires d’abord… » Ce qui devrait nous offrir cinq minutes à nous (peut-être même dix !) avant d’avoir à partager. Je n’ai pas hâte d’en arriver là. J’ai pas envie de le voir sourire juste parce qu’elle sera là ni de les voir partager des délires que je ne comprends pas. Je sais qu’ils se connaissent depuis un bail, bien plus longtemps que je ne le connais, moi, mais je ne veux pas avoir ces années sous le nez. Pourtant, j’ai signé pour ça ce soir. Il faut être sacrément con. Avant de partir rejoindre l’autre débile, je laisse mon bras glisser autour de la taille de Milo et l’attire tendrement jusqu’à moi. Le réveil près de mon lit m’apprend qu’on devrait déjà y être depuis quatre minutes. Parfait ! « Je crois que je suis définitivement dingue de toi. » Je lui offre le sourire le plus sincère que je pourrais jamais faire et lui vole rapidement un nouveau baiser. Ma main glisse doucement entre ses mèches, les ébouriffant avec soin tandis que l’autre lui caresse le bas du dos, cherchant distraitement à se frayer un chemin sous sa chemise. En vrai, je le fais exprès. Juste pour faire plaisir à son abrutie de meilleure amie et laisser l’image de mes mains glissant avidement sur le corps parfait de mon préfet s’imposer à elle. Au bout d’un moment court mais câlin, trois minutes d’après mon réveil, je lui rends sa liberté non sans un soupir un peu déçu. Il faut y aller. Il faut déjà y aller… « On y va ? Je te promets, tu vas adorer ! » Et, malheureusement, c’est vrai…

Le trajet jusqu’au Balcon du Monde est plus lent que jamais. Je fais volontairement des détours, emprunte des chemins plus longs… Même les escaliers sont de mon côté ! On se retrouve obligés de grimper deux étages de plus parce qu’ils refusent de nous déposer au bon endroit. Je fais semblant de râler pour la forme mais, entre nous, je jubile un peu. En fin de compte, on a un peu plus d’un quart d’heure de retard quand on arrive devant la porte. « Je te laisse frapper…? » J’attends silencieusement qu’il s’exécute, un peu en retrait. Je sais d’avance que je vais pas aimer ce qu’il va se passer. Et je sais d’avance qu’elle le fera sûrement un peu exprès. J’essaye de me souvenir des paroles de Tracy. Rien faire de mal, la laisser faire des histoires et le faire discrètement remarquer à Milo. C’est le plan… Quoi qu’elle fasse, faut que je sois irréprochable. Putain que ça va être dur ! La porte s’ouvre, sa tête de con apparaît et mes bonnes résolutions fondent comme neige au soleil. C’est même pas dur, à ce niveau, c’est carrément mort… Elle se rapproche dangereusement de mon copain et l’enlace comme si c’était normal. Mon estomac se contracte brusquement. La jalousie est impossible à nier. Les mains dans les poches, je serre les poings en retenant un soupir agacé. Les secondes s’égrènent à une lenteur affolante. J’ai envie de l’attraper et de les décoller. Un « c’est bon, là ! » sec et agressif s’accroche à ma langue. « Joyeux anniversaiiiiire. » Rhooo, la ferme ! Et l’autre qui bouge pas, là ! Ça me rappelle la rentrée, mon bras autour des épaules de Daniela et la remarque gentiment jalouse de Milo dans une lettre, comme quoi ça lui plaisait pas trop… Bah ce serait pas mal qu’il s’en souvienne aussi ! Je déteste déjà cette soirée alors qu’elle n’a même pas commencé… « Surprise ! » Lorsque j’entre dans la pièce, j’ai envie de la noyer. Littéralement. Dans son lac de mes deux, là ! Elle se fout vraiment de ma gueule, c’est pas possible ! Je fais comme si je n’avais rien remarqué et fais vaguement le tour du point d’eau, cherchant à voir si y’a pied. Est-ce que si je me démerde bien, y’a moyen l’achever dans sa connerie ? Je sais pas… J’imagine que Milo n’apprécierait pas vraiment le cadeau d’anniversaire. « C’est ça qu’on a oublié ! » Je regarde Atwood comme si son truc faisait partie de nos plans et que je venais de réaliser une erreur de taille. Ça m’arrache la bouche de me coller avec elle dans un « on »… « La barque, sur le petit lac ! Les boulets, p’tain… » Mon regard glisse jusqu’à Milo, un sourire désolé accroché aux lèvres. Je sais qu’il repensera à Londres, à nos vacances, à la parenthèse incroyable sur la Serpentine. Des vraies vacances. Nos vacances. Et c’est exactement ce que je veux. Que ce qu’elle peut monter contre moi se transforme en rappel de moments qui n’appartiennent qu’à nous. Qu’au lieu de me faire chier, elle ravive chez lui de belles images de nous. Je fixe l’étendue d’eau une seconde de plus, me souvenant sans trop de mal de ses doigts dans mes cheveux, de ma tête sur ses genoux et du monde affreusement loin. Bêtement, je souris. Et puis je retourne vers le centre et me laisse lourdement tomber sur la couverture. « T’as passé une bonne journée ? » Mon sourire s’agrandit malgré moi. Son réveil, nos lettres, le petit moment dehors, les quelques minutes précédentes… J’ai passé une bonne partie de la journée avec lui, que ça soit physiquement ou non… Alors qu’elle, elle était coincée là, à faire la déco… Et quand il lui dira que oui, elle saura qu’il n’a pas besoin d’elle pour être bien. Et si par malheur il lui dit que non, il risque de s’en souvenir jusqu’à la fin de sa vie, croyez-moi…

« Dan ?! » Je hausse vaguement les épaules en souriant davantage. Bah quoi ? Il ne pensait quand même pas qu’il allait se débarrasser de moi aussi facilement que ça, hein ? Comme si j’avais envie de le laisser entre d’autres mains aujourd’hui ! Déjà que c’est pas franchement le cas d’ordinaire… « Tu m'as manqué aussi ! » J’espère… C’est que ça fait au moins… deux heures qu’on ne s’est pas vus. Deux heures toute entières ! C’est inhumain d’avoir à supporter son absence aussi longtemps ! Et, forcément, je ne peux m’empêcher aux mois entiers qui nous attendent tout bientôt… C’est l’autre bouffonne qui doit jubiler… Mais, pour l’instant, il n’y a pas de longues séparations à subir. Un baiser plus tard, je l’entraîne à ma suite dans le dédale des couloirs. Je veux qu’on profite un peu avant d’avoir à la rejoindre. Qu’il ne soit qu’à moi, juste un peu. « Que tu me montres un truc ? J'ai hâte de savoir quoi… » Il ne va pas être déçu, c’est moi qui vous le dis ! Je ne sais même pas comment j’ai pu accepter un truc pareil. Que ce soit de faire équipe avec elle ou de me la farcir jusqu’à ce soir… La seule chose dont j’ai vraiment hâte, c’est de lui dire au revoir avec un grand sourire hypocrite en sachant pertinemment que c’est avec moi que Milo rentrera et que c’est avec moi qu’il passera le reste de sa journée. Elle n’aura été qu’un vague parasite entre deux moments câlins. « Tu crois ?! Va falloir que j'y travaille deux fois plus pour que tu finisses par en être sûr ! » Je ne peux m’empêcher de sourire tout contre ses lèvres. Qu’il fasse ! Je suis prêt à laisser ce qu’il me reste de santé mentale s’il n’y a que ça pour lui faire plaisir ! Je crois que j’ai signé pour, de toute façon, juste avec ce dîner de malheur… Y penser me rappelle à la réalité. Je vais devoir nous y conduire… M’arracher à la chaleur de ses bras pour retrouver la personne que j’aime le moins au monde… Ô Joie ! Ô Bonheur Intense ! Mon étreinte se resserre légèrement sur sa taille avant de le lâcher à contre-coeur. « Je te suis mon amour ! » Sur quoi on quitte notre cocon pour retrouver la serre qui nous attend.

Et au moment-même où on arrive devant, je sais pertinemment que j’ai fait une bêtise. On était infiniment mieux tous les deux. On aurait passé la soirée à jouer les grosses guimauves, vautrés sur le lit. Ça aurait été un bon programme. C’est toujours un bon programme ! Je finis malgré tout par lui faire comprendre qu’il faut qu’il frappe. « Frapper ?! » Je hoche doucement la tête. À moins qu’il veuille qu’on attende devant la porte un moment et puis qu’on se décide à rentrer chez nous, faute d’avoir pu entrer…? Quel dommage ce serait ! Comment pourrions-nous nous en remettre, hein ?! Mais je vois déjà l’autre garce venir se plaindre comme quoi je l’ai fait exprès, que je savais très bien qu’elle nous attendait et que je ne voulais pas qu’il passe un moment avec elle aujourd’hui. C’est faux. En soi, j’aurais très bien compris qu’il me dise qu’il restait dîner avec elle au lieu de me tenir compagnie et qu’on se retrouvait après. J’aurais pas follement apprécié, évidemment, mais j’aurais rien trouvé à y redire. Mais là, c’est surtout que j’ai pas envie de passer un moment avec elle, moi. Ni aujourd’hui ni jamais ! La porte s’ouvre et je soupire sans un bruit. Nous y voilà. Si les portes de l’Enfer existent vraiment, je suis certain qu’elles ressemblent à ça. « Billie ?! » Elle l’enlace et j’ai clairement envie de la frapper. Bas les pattes, la gueuse, on sait pas où t’as été traîner ! Je veux pas qu’elle le salisse, qu’elle l’abime ou quoi. C’est le mien. Mais je ne dis rien et assiste, impuissant, à cette scène ignoble qui me donne la nausée. Et ça s’éternise, en plus ! Je sais qu’elle le fait exprès, qu’elle attend sûrement que je râle ou je ne sais quoi pour me faire passer pour l’enfoiré de l’histoire. Et plutôt mourir que de lui donner satisfaction. Ça va être un calvaire, réellement, mais je vais m’en tenir à ce que m’a demandé Tracy : être parfait. Qu’on ne puisse rien me reprocher du tout et essayer de retourner ses tentatives contre elle. Je déteste d’avance cet anniversaire !

Et je le déteste plus encore au moment où je passe la porte. Là, à quelques pas, s’étend un lac. Petit, certes, mais bien présent. Je retiens tout commentaire. Pourtant, j’ai envie de lui foutre la tête dedans et d’attendre qu’elle arrête de faire des bulles. Que son corps dégueulasse flotte distraitement à la surface, sans vie. Ça, ce serait un beau cadeau ! Mais je me contente de l’imaginer. Milo n’apprécierait pas franchement et je finirais sûrement mes jours en prison. Mauvaise technique. « Vous... vous avez fait ça tous les deux ?! ... pour moi ?! C'est... PARFAIT ! J'ai pas de mot, c'est... vous êtes géniaux ! J'vous mérite pas ! » Sa sincérité est affreusement touchante. J’ai juste envie de l’enlacer. Mais la présence de l’autre abrutie m’arrête. Alors je me contente de lui sourire, plus amoureusement que je m’y attends j’imagine, et refuse de le lâcher des yeux. Les siens sont tout brillants. Il est incroyable. Magnifique. Je regrette presque de ne pas avoir mon appareil avec moi. C’est rare de le voir touché à ce point, je crois. Mon coeur s’emballe bêtement. Et ses battements changent lorsqu’elle lui attrape la main. Lâche-le, Connasse. J’en ai déjà ma claque d’elle, putain ! « Contente que ça te plaise ! Mais dis pas de bêtises, c’est toi qui est génial et nous qui te méritons pas. Et puis c’est ton anniv, donc tu dois au moins être aussi bien traité qu’un roi ! » Sans même m’en rendre compte, je hoche la tête. Pour une fois qu’elle ne dit pas de la merde ! Il mérite toutes les choses bien du monde alors si cette soirée entre, à ses yeux, dans cette catégorie, je crois que notre mission est remplie. Depuis ce matin, je fais tout ce que je peux pour que cette journée entière fasse partie des choses bien… L’air de rien, je reporte mon attention sur le lac. Je refuse de la laisser gagner aussi facilement. Et puis c’est la révélation ! Finalement, j’ai peut-être un moyen de le retourner à mon avantage. Si elle veut me faire chier… Je mentionne l’air de rien notre balade en barque de cet été. Les souvenirs d’une vie dont elle ne fait pas partie, les moments incroyables qu’il a pu passer sans elle. Qu’elle remarque que sa tentative stupide n’a pas eu l’effet escompté et qu’au lieu de me gonfler, elle nous rapproche un peu plus encore, lui et moi. « Oui, la barque… » Si seulement tu savais… « C'est pas grave ! Tout est parfait je vous assure ! ... et puis j'ai déjà eu mon petit tour de barque une fois ! » Le sourire de mon copain ne trompe pas : il pense exactement à la même chose que moi. Le mien s’agrandit, attendri. « Mais… je voulais que ça te rappelle de bons souvenirs… » Comme si j’avais vraiment un truc à avoir dans la présence de ce truc au beau milieu de la pièce ! Enfin qu’importe, il est pas censé le savoir. Si elle ouvre la bouche, elle, elle sera obligée d’avouer qu’elle voulait me faire chier.

Ils me rejoignent enfin sur la couverture. Mon regard est rivé sur Milo, tout mon corps près à faire barrage si jamais elle s’approche de trop. Néanmoins, je reste vaguement en retrait. Après tout, je me doute bien qu’il veut passer un peu de temps avec elle… Alors, aussi dur que ça puisse être, je les laisse faire. Je ne cherche pas à imposer ma présence, ni à m’approprier Milo… C’est pas l’envie qui manque, bien sûr, mais je pense à lui. Je pense toujours à lui… « La plus merveilleuse au monde... et j'ai la sensation que ce n'est pas prêt de s'arrêter ! » Je lève légèrement le nez, un sourire un peu prétentieux à l’attention d’Atwood. Je ne suis pas peu fier d’en avoir fait partie autant qu’il m’était possible de le faire. De son réveil jusqu’à maintenant, je l’ai clairement squattée d’un bout à l’autre ou presque. Et elle… Elle était coincée là. Loin de lui. Elle lui sert à rien, qu’elle finisse par le comprendre enfin ! « Non, c’était que le début, on a préparé un pique-nique et tout pour que ta journée continue d’être parfaite. » Youhou… C’est sûr que ça fait grave rêver, un pique-nique. Surtout qu’on va rien avoir à se dire et que ça va être la soirée la plus chiante de l’histoire des soirées chiantes ! Mais je ne me plains pas. Parce que plus ce sera pesant, plus tôt on partira. Et la suite, elle n’appartiendra qu’à nous. Elle ne pourra pas nous suivre jusqu’à notre chambre, pas s’imposer pour les quelques heures qu’il nous restera. Et juste pour ça, j’ai grave grave hâte. « Merci... merci pour tout, vous êtes géniaux ! Je vous aime tellement ! » Ce vous me gêne. C’est une chose de savoir qu’il l’apprécie, c’en est une autre de l’entendre. Plus encore d’être foutu au même niveau qu’elle. Un poids me tombe dans l’estomac et il y a fort à parier que mon sourire faiblit un peu. Je ne me laisse pourtant pas abattre (elle en serait bien trop contente) et pose tendrement mes lèvres sur la joue de Milo. « Tu peux arrêter de nous remercier, tu sais ? Tu mérites tout ça. C’est juste normal. » Et ça aurait sûrement été une partie de plaisir de lui préparer une bonne soirée s’il avait su choisir ses amis… Si jamais on reste ensemble encore un moment, j’espère qu’il arrivera à en trouver des mieux, histoire que ça soit aussi agréable pour nous que ça peut l’être pour lui… Mais, étrangement, j’en doute…

La porte se referme derrière nous et je me sens pris au piège. Plus question de faire marche arrière maintenant… Il va falloir supporter cette abrutie toute une soirée et accepter silencieusement que ses mains crasseuses se posent sur lui sous mes yeux… Ça n’a même pas encore commencé que j’en ai déjà marre… Et autant dire que de voir sa petite surprise, ce merveilleux lac au beau milieu de la serre, ça me conforte dans l’idée que j’aurais pas du venir. Rien dire même. Faire comme si le reste de sa journée n’appartenait qu’à nous. Sans Atwood. Qui en a besoin, sérieusement ? Je ne me laisse pas abattre pour autant et repense sans cesse aux conseils de Tracy. Il ne faut pas la laisser gagner et surtout ne rien faire qui puisse jouer en ma défaveur. Est-ce que la noyer pourrait se retourner contre moi ? Je suis pourtant persuadé que ça pourrait passer pour un service rendu à l’école ! Que dis-je, à l’humanité ! Tant bien que mal, j’essaye de faire en sorte que sa vacherie se retourne contre elle… Mais manque de chance, Milo est fidèle à lui-même. Il comprend parfaitement mes allusions mais au lieu d’avoir l’air potentielle triste ou de mettre clairement sa crétine de meilleure amie de côté l’espace d’un instant (ou d’une soirée, ou d’une vie, je ne suis pas très exigeant et saurai m’adapter à tous les cas de figure, vous voyez !) il fait en sorte de rassurer tout le monde, qu’on puisse être satisfaits du travail fourni… Un ange, ce garçon ! Même quand il faudrait pas… Mais comment le lui reprocher…? « Ce n'est pas grave, tout est déjà parfait, je vais me souvenir de cet anniversaire pendant longtemps ! » Forcément… Cela dit, je préfère qu’il se souvienne de celui-ci plutôt que du prochain ! Tant qu’à faire, autant qu’il garde en mémoire celui où je suis près de lui… Mine de rien, mes craintes de l’an prochain me reviennent presque aussitôt. Il reste deux mois. Deux tout petits et minuscules mois… « Ça te fera d’autres bons souvenirs, alors. » Et elle saura en profiter, elle… Récupérer tout le temps que je leur ai volé. Le consoler, combler le vide que mon absence laissera au début… Je la déteste. Je ne suis pas doué pour détester les gens, c’est souvent leur accorder bien trop d’importance mais, elle, je ne peux pas faire autrement. Je la déteste réellement. Je hoche la tête, à contre-coeur. Je garde espoir pour faire partie d’une ribambelle d’autres bons souvenirs lui appartenant. Des bons souvenirs qui ne nécessitent pas d’avoir à me farcir l’autre débile tant qu’à faire…

Je finis par me poser sur la couverture. L’ambiance est un peu étrange… On a pas grand chose à se dire. C’était à prévoir, de toute façon… En dehors de s’insulter, avec Atwood, on sait pas franchement faire grand chose d’autre… Et puis, c’est difficile de parler naturellement avec Milo, de tout, de rien, comme on le fait d’habitude alors qu’elle est là, elle. Cette soirée me met assez mal à l’aise, en réalité. Je me sens étrangement de trop. C’est rare quand Milo est dans les parages, j’ai plutôt la sensation d’être à ma place en général, le monde cesse d’exister et il n’y a plus que nous… Mais c’est différent, cette fois, parce qu’il laisse une place au monde dans notre cocon… Et c’est ma faute. Je plaide honteusement coupable. Une fois installé, il nous remercie encore. J’ai l’impression d’avoir fait quelque chose de bien dans le fond… Je lui rappelle que c’est amplement mérité et tente maladroitement un rapprochement. Même ça, c’est bizarre. L’autre emmerdeuse gâche tout. J’ai hâte de rentrer dans notre dortoir, réellement… Mais j’affiche malgré tout un sourire un peu absent, comme si tout allait bien, que, sans être au comble du ravissement, j’appréciais cette soirée à sa juste valeur… Atwood hoche la tête à ma remarque. Mon dieu ! Les miracles existent ! « D’accord avec l’… Lui. » Sa voix me tape sur les nerfs. Qu’elle soit là, c’est déjà beaucoup… Elle peut pas juste se taire ? Et aller un peu plus loin ? Genre de l’autre côté de la porte, par exemple ? « Tu mérites tout ça alors profite juste et régale toi avec ce qu’il a préparé pendant que je me chargeais de la déco… » « Lui », « il »… C’est très désagréable d’entendre parler de moi comme si j’étais pas là. Qu’elle ne me parle pas, c’est une chose, je ne lui jetterai sûrement pas la pierre pour ça mais dans ce cas-là, qu’elle évite de m’inclure dans ses phrases de merde. Elle peut juste faire comme si je n’existais pas. « Et qu'est-ce qu'on a de bon à manger ? » Je vais récupérer le panier repas ensorcelé et abandonné dans un coin juste avant d’aller le chercher et commence sagement à étaler ce qu’il contient sur notre nappe. Ils n’ont pas lésiné sur le choix, si bien qu’on se retrouve avec tout l’attirail du parfait pique-nique version « les animaux sont nos amis » : tarte, salades, cake… Si Atwood ne trouve pas un truc à se mettre sous la dent, c’est qu’elle y met vraiment de la mauvaise volonté. Ce dont je ne doute pas un seul instant. J’en profite pour sortir un gâteau assorti au décor *, qui n’a même pas souffert durant le trajet ! Il est fort probable que les elfes aient prévu le coup et lancer un sort de protection ou je ne sais quoi. Ça avait été difficile de trouver un truc qui faisait pas clairement fille... Je me suis retrouvé avec une petite dizaine de croquis approximatifs (c'est que je dessine comme un enfant de cinq ans à qui il manquerait les deux mains) devant des créatures désespérées, à partir dans des débats interminables pour trouver un truc potable. J'aurais préféré des fleurs mais il manquait que le diadème et ça aurait pu faire une surprise party pour mes frangines... « J’ai pas ton mérite, pour le coup… » Mon regard se pose brièvement sur Billie pendant que je sors boissons, verres et couverts… C’est un compliment qui m’arrache clairement la bouche mais qui, je l’espère, lui fera fermer la sienne et marquera des points auprès de Milo. « J’ai juste harcelé les elfes. J’en avais jamais vu perdre patience avant ça… » Il faut dire que j’avais une liste d’exigences longue comme le bras, leur ai fait promettre un milliard de fois que ce serait parfait, répété à chaque passage ce qu’il fallait surtout pas faire, blablabla… J’ai vraiment dû être insupportable, j’en ai conscience, mais je voulais pas qu’il y ait le moindre petit truc de travers ce soir… Il fallait que tout soit exceptionnel, à la hauteur de mon amoureux.

Si on m’avait dit un jour que je passerais, de mon plein gré, une soirée avec la pire débile de l’école, je l’aurais probablement pas cru. Et pourtant… Sa présence empeste la pauvre serre reconstituée pour l’occasion. Juste la savoir là me file la nausée. De tout Poudlard, il a fallu que sa meilleure amie soit ça. C’est inhumain. Il y a plein de gens que je n’apprécie pas, dans ces couloirs, mais avec qui je suis en mesure de rester cordial sans avoir l’impression de devenir dingue, et puis il y a elle. Juste la croiser sans même lui parler me donne envie de la baffer. Son existence ressemble à la plus grosse connerie qui existe sur cette Terre. Mais pour les beaux yeux de Milo, je ne dis rien, je ne fais rien. Je me contente de la regarder faire son cirque, comme si c’était la meilleure amie la plus merveilleuse au monde. Tu parles ! Et lui qui marche dans son jeu… Autant j’admire mon préfet, réellement, je le trouve incroyable sur un nombre de points de malade, autant là, c’est ridicule. J’ai envie de le secouer pour le forcer à ouvrir les yeux sur qui elle est. Mais il serait triste alors tant qu’elle lui fait pas de mal, je ronge sérieusement mon frein… Je vais chercher sagement le repas qui nous attend un peu plus loin et commence à tout disposer sur notre nappe de pique-nique. J’ai fait ce qu’on m’a demandé de faire et j’ai fait en sorte qu’on ne puisse rien me reprocher. Même pas le moindre coup bas ou quoi, que dalle. J’ai tout fait comme si Atwood n’existait pas et qu’il n’y avait que Milo à cette soirée. J’en profite néanmoins pour jouer les adorables hypocrites et vante les mérites de ma détestable co-organisatrice. Mon amoureux hoche la tête avec entrain et laisse clairement voir que ce compliment, aussi difficile a-t-il été à prononcer, fait son petit effet. « C'est vrai que tu as fait un travail titanesque et vraiment le rendu est ... PAR-FAIT ! » Je profite qu’il ait les yeux rivés sur elle pour lever les miens au ciel non sans une certaine exagération. Faut pas déconner non plus, elle a rien fait de ouf. Elle a demandé un décor à une salle et a accroché deux lampions, y’a pas besoin d’être un génie pour y parvenir ! Mais qu’importe, la seule chose qu’il retiendra dans cette histoire, c’est que je suis capable de reconnaître ce qu’elle fait de bien, là où elle est même pas fichue de me mentionner sans donner l’impression qu’elle va m’insulter. Tracy serait fière de moi ! La seule chose que j’espère, c’est qu’elle finira par faire une merde et que mon merveilleux Milo réalisera que tous les problèmes viennent d’elle, systématiquement. Si je ne veux pas foutre leur amitié en l’air, je n’ai aucun problème avec l’idée qu’elle la massacre elle-même…« C’est gentil, mais avec la magie, c’est tout de suite plus facile quand même. » Tu m’étonnes ! Elle a rien foutu, en vrai ! Elle a passé la journée à attendre que le temps passe en faisant genre elle était surmenée… Super programme !

Je termine d’installer notre repas et sors le gâteau dans la foulée. Et j’avoue que le résultat est juste incroyable ! Et il ne laisse pas Milo indifférent, il a l’air d’avoir du mal à le lâcher des yeux, tant et si bien que je m’attends presque à ce qu’il me demande de le ramener intact dans notre dortoir. « Tout a l'air si bon... mais ce gâteau... Il est magnifique ! Je ne sais pas comment ils ont réussi à faire tout ça mais wouhaa ! » Mon sourire s’agrandit devant son enthousiasme. Je ne regrette pas les interminables discussions dans les cuisines ni de m’être presque fait jeter par des elfes au bord de la crise de nerf. Ça en valait clairement la peine ! « En même temps, il fallait être sûr qu’ils mettent le paquet et que tout soit parfait. » Je hoche la tête doucement. Et puis j’avoue que j’avais moins peur de me planter qu’au Nouvel An. Aucun risque que ça soit raté, immangeable ou de potentiellement finir aux urgences pour une indigestion sévère. Là, ce sera forcément à la hauteur de l’événement. « D’ailleurs, j’ai demandé à Londubat pour faire de ton anniversaire un jour férié mais il a pas voulu. » Le sourire qu’elle lui adresse, plus que la plaisanterie (enfin je crois que c’en est une) en elle-même me gonfle. Ça n’a pas l’air de sortir de nulle part et le fait de ne pas comprendre d’où ça vient me fait royalement chier. Je me retrouve un peu comme aux repas de famille, à écouter des références auxquelles je ne comprends rien parce qu’il y a une vie entière dont je ne fais pas partie. Et si j’ai appris à m’y faire avec ma famille, ça me fait vraiment bizarre ici. J’aurais aimé que notre vie se limite à notre dortoir, un peu comme ce que j’imaginais l’an dernier. Juste Milo et moi dans notre chambre-forteresse. « Si on ne comprend pas que j'aime la nature, je ne sais pas ce qu'il faut de plus ! » Sa remarque me fait rire discrètement. Bah on a fait ce qu’on pouvait pour que ça se remarque pas, fait dans la discrétion et tout. Est-ce que ce serait raté ? J’espère pas ! Tant de mal pour rien, ce serait dommage ! J’ai quand même l’impression que le temps ne passe pas. C’est bête, hein, mais j’ai rien à leur dire. Cette conversation n’est pas désagréable, d’accord, mais elle est vide, affreusement superficielle. J’ai du mal, vraiment. Et puis, j’ose pas bouger, c’est à peine si mon regard s’attarde vraiment sur Milo… Je donne le change comme je peux (je pense que pour l’occasion, ça passe, il ne s’attend sûrement pas à ce que je sois en train de vivre le plus beau moment de mon existence) mais je suis de plus en plus mal à l’aise à mesure que les secondes s’égrainent et que leur amitié s’installe. J’ai pas envie d’assister à ça.

Finalement, mon copain se racle la gorge, attirant maladroitement notre attention. Je repose les yeux sur lui après avoir brièvement croisé le regard d’Atwood qui ne semble pas savoir non plus à quoi s’attendre. « Je sais... que vous ne vous appréciez pas vraiment tous les deux... et... j'imagine ce que ça vous a coûté de préparer ça pour moi... mais... c'est... tout simplement parfait ! Vous avez fait un super travail tous les deux, c'est... c'est vraiment important pour moi ce que vous avez fait là... C'est le plus beau des cadeaux ! » C’est le moins qu’on puisse dire ! On ne s’apprécie pas et ça nous a coûté. Que ce soit de s’écrire pour tout mettre au point, de s’adresser la parole ou de rester dans la même pièce sans s’étriper ce soir… Il n’a même pas idée de la difficulté. C’est clairement une horreur. Il faut vraiment que je l’aime pour supporter ça ! Non. Aussi insupportable que ça puisse être, en réalité, c’est plutôt « il faut vraiment qu’on l’aime pour supporter ça »… Et j’avoue que ça m’étonne qu’à moitié qu’elle en soit capable, elle aussi. Il mérite infiniment mieux que cette gueuse, c’est un fait, mais je n’ai jamais douté une seule seconde de la sincérité de l’affection qu’elle a pour lui, aussi difficile que ce soit à admettre et à accepter… J’aimerais qu’il soit qu’à moi, clairement, mais bon… C’est pas comme si j’avais le choix… Je baisse les yeux, le sourire aux lèvres et un peu gêné. Je suis ému de le voir aussi touché. Il mérite tout ça. Il mérite tellement plus encore. J’aimerais pouvoir lui promettre de faire des efforts et de pouvoir remettre ça, de temps en temps, en dehors de son anniversaire mais quand bien même je l’aime plus que tout au monde, c’est trop me demander. Je préfère encore mourir que de faire ami-ami avec ça. « Attends de voir ton vrai cadeau avant de dire ça. » Honnêtement, je pense que tous les cadeaux du monde ne pourrait égaler cette soirée. Parce qu’il pourrait avoir tout ce qu’il voudrait quand il le voudrait, en soi, je pense qu’elle comme moi on ne se poserait pas trop de questions avant de lui offrir tout ce qui pourrait lui faire envie (dans la mesure de nos moyens, évidemment) alors que cette soirée, il risque d’attendre un bail avant d’en espérer ne serait-ce qu’une suite…