Le début du printemps

feat @Professeur J. Griffith

   Quand on passait devant les serres, on pouvait voir qu'elles étaient toujours remplies de plantes à foison, peu importait la saison. Mais quand arrivait le printemps, les couleurs commençaient à sortir de l'ordinaire. Le vert se faisait accompagner de jaune, de blanc, et même de rouge. C'était discret, cela serait plus proéminent dans quelques semaines encore. Mais Senna passait déjà le moins possible par ici, cela serait très peu probable qu'elle vienne admirer les couleurs des fleurs magiques une fois que la saison aurait fait éclore les derniers bourgeons. Déjà que les plantes lui paraissaient bien ennuyeuses depuis quelques temps, si par pur hasard elle avait envie d'en regarder, elle se rendrait plutôt à l'opposé de ce bureau qu'elle adorait éviter. Ce fameux bureau vers lequel elle se dirigeait. Sa longue cape de sorcier aux accents bleus volait derrière elle, au gré de ses pas rapides, et ses cheveux l'accompagnait, profitant de la légère brise pour laisser entrevoir le blond si reconnaissable de ses longues mèches. Elle avait la même démarche que d'habitude; celle relativement assurée et enjouée, mais son visage trahissait pourtant une certaine inquiétude.

    Devant la fameuse porte, Senna s'arrêta un instant pour respirer. Elle n'avait aucune envie de toquer et de faire face à la femme qui occupait les lieux. Sa mère. Elle savait rester dans la même pièce d'elle, quand il le fallait, mais aller la voir volontairement était un autre sujet. Ces derniers temps, c'était tendu, et Senna n'avait aucune envie que sa mère pense que les choses s'apaisaient si elle venait chercher son aide. Mais dans la situation où elle était, elle ne savait pas vers qui d'autre aller. Et puis... peut être qu'une partie d'elle, bien cachée, bien refoulée, se réjouissait que Jack soit professeur à Poudlard pour ce genre d'instance. Elle avait besoin d'aide, c'était vrai, et malheureusement elle savait que sa mère saurait la rassurer. Le rouge de ses joues trahissait ses états-d'âme. Quand Senna rougissait, cela se voyait directement, car cela ressortait contre ses cheveux d'un blond clair, et ses yeux d'un bleu encore plus perçant. Elle avait le visage complètement rouge, et les sourcils apeurés. Et finalement, son poignet aida à frapper trois coups contre la porte. Il aurait été impossible de reconnaître Senna à la force des coups. Cela faisait trop longtemps qu'elle n'était pas venue chercher sa mère. C'était beaucoup plus facile de savoir que c'était elle, une fois qu'elle pencha sa tête à travers l'embrasure de la porte, après l'avoir entre-ouverte, regardant sa mère de loin. Le peu d'assurance qu'elle avait encore en elle s'évanouit, quand elle croisa son regard. Et, les yeux tombés au sol, fixant la couleur hétérogène du sol, la jeune fille ouvrit la bouche d'une voix beaucoup trop faible. "M-Ma-Maman... Je... Je peux te parler?"

( Le début du printemps )

‎‎  ‎ Une adolescente – déjà, quelle idée –, mais deux ! Elle était au choix idiote, inconsciente ou masochiste ; ou un savant mélange des trois. Probablement un mélange des trois, tout bien réfléchi. Bien sûr qu’elle ne regrettait pas d’avoir accordé son aide à Teddy, mais bon sang, deux adolescentes pendant les grandes vacances… Ce n’était pas encore cet été qu’elle irait s’éclater à Ibiza, foi de Griffith ! Heureusement, la Poufsouffle semblait déterminée à passer le moins de temps possible dans les pattes de sa professeure ; par timidité, embarras ou désir de solitude, elle n’en savait fichtre rien, mais au fond, ce n’était pas plus mal. Et puis, Merlin seul sait comment Senna s’entendrait avec elle. Depuis quelque temps, elle la trouvait particulièrement ronchonnante et désagréable. Paraîtrait-il qu’il s’agirait des affres de l’adolescence. Eh bien, elles allaient s’amuser, si ça commençait comme ça… J’ai hâte qu’elle commence à batifoler avec d’autres boutonneux. Cette seule pensée lui tira une grimace de dégoût mâtinée d’horreur.
‎‎  ‎ Heureusement – ou malheureusement –, la lecture d’une énième lettre d’Alban récupéra son attention pour les dernières lignes de sa réponse. Non, je ne pense pas que ce soit une bonne idée que tu viennes à Poudlard. Non, je n’ai pas envie que tu viennes. Oui, ta fille a probablement envie que tu sois là, mais sûrement qu’elle n’a pas envie de nous voir ensemble. Était-elle la seule d’entre eux à tenir un minimum son rôle d’adulte ? À bien des égards, elle était une mère et une ex-épouse catastrophique, mais, eh ! elle n’avait jamais menti sur la marchandise. Elle avait bien prévenu tout le monde que ce serait terrible de bout en bout. Personne ne riait plus, maintenant que les dégâts étaient irréparables.
‎‎  ‎ Un lourd soupir répondit à quelques coups frappés à la porte ; distraction bienvenue ou ennuyeux contretemps ? Contre toute attente, c’est la tête de sa propre fille qui apparut dans l’encadrure de la porte. Inévitablement, Jack haussa un sourcil aigu. Puisque l’ignorer à toute heure du jour et de la nuit semblait être devenu le nouveau sport préféré de Senna, ce qui devait l’avoir amenée ici était grave. En témoignaient d’ailleurs la rougeur soutenue de son visage ainsi que ses yeux inquiets. Instinctivement, le poing de Jack se serra autour de la plume qu’elle tenait jusqu’ici et son visage se durcit. Pire encore, la voix inhabituellement faible de sa fille ajoutée à ses bégaiements timides la firent bondir de sa chaise. En seulement quelques pas, elle fondit sur Senna comme une lionne attrapant son lionceau par la peau du cou – à ceci près qu’elle se contenta de prendre son visage entre ses mains pour l’examiner. L’adolescente détestait sa proximité, désormais, mais la botaniste ne souffrait aucune dérobade tant que le sujet n’était pas immédiatement éclairci. “Qu’est-ce qu’il se passe ? Il faut que j’envoie une lettre à la direction ? Ou que je m’occupe moi-même du problème ?” En langage griffithien, “s’occuper du problème” impliquait souvent la force et l’intimidation – et rarement de l’aspect légal de quoi que ce soit. Sans la laisser en placer une, elle poursuivit du même ton implacable : “Si quelqu’un a posé la main sur toi…” Son grondement se perdit dans le silence de son bureau, mais les éclairs dans son regard cristallin promettaient mille colères maternelles.

ft. @Senna Clerc-Griffith

credit; Salaï (code); Lux (icons)

Le début du printemps

feat @Professeur J. Griffith

   Soucis probablement important, pour que Senna aille chercher l'aide de sa mère volontairement; c'en était sûr. Les deux blondes Griffith avaient beaucoup de problèmes qui créaient de la distance, parfois à un sens, parfois à deux, et elles en auraient probablement d'autres. Senna ignorait encore qu'une autre élève allaient vivre avec elles pendant l'été. Ou peut être qu'elle le savait, mais qu'elle l'avait volontairement oublié, elle ne s'intéressait plus vraiment à ce que sa mère lui disait en ce moment. Enfin... quand c'était elle qui décidait. Car là, elle avait besoin de parler à sa mère, et boirait tout ce qu'elle lui dirait. C'était un sujet important, ou du moins, c'était ce qu'elle ressentait. La nature intime du sujet était déjà bien embarrassante, et Senna avait peur de la réaction de sa mère, ce qui l'apeurait encore plus. Des tourbillons de sensations au fond d'elle, avec des émotions qui se mélangeaient. C'était le début d'une tornade que Senna avait du mal à maîtriser. Mais là, son regard inquiet croisant le regard sauvage de sa mère; elle se sentirait presque rassurée. Ce qui ajoute de la frustration dans la salade de ses émotions. Car elle n'a pas envie de se sentir réconfortée par sa mère, mais en même temps, elle sait que ça lui fait du bien. Son premier réflexe reste donc de froncer les sourcils et de râler, grommelant un "Maman..." agacé, alors qu'elle tente de lui repousser les mains. Elle déteste ça. Elles sont encore dans l'embrasure de la porte, que se passerait-il si un élève les voyait comme ça? Senna ne pourrait pas le supporter. Elle se rendait compte que sa réputation commençait à l'importer. Encore une preuve du changement qui s'opérait.

   "R-rien de tout ça non c'est..." D'un soupir frustré, Senna ferma la porte du bureau derrière elle, s'assurant que cette discussion resterait privée. Elle détourne encore les yeux pour regarder le sol. Ce sujet si important pour elle semblait maintenant bien moindre par rapport aux inquiétudes de sa mère. Senna rassemble le courage qui l'habite et finit par le dire. "Je crois que... je crois que j'ai mes règles." Dit-elle d'un ton presque inaudible. Treize ans, ce n'était pas si tard, dans les faits, mais par rapport à toutes ses camarades qui avaient déjà vécu ça, et depuis longtemps pour certaines, Senna s'était sentie en retard. Comme quand ses pouvoirs magiques ne s'étaient déclarés qu'à huit ans. Et elle aurait pu s'en vouloir, ou s'en inquiéter, mais heureusement qu'elle avait des parents qui la rassuraient en disant qu'elle était peut être retardée sur certains sujets, mais qu'elle avait été rapide dans d'autres développements, comme le langage. Encore une preuve qu'elle avait grandi dans l'amour et la bienveillance. Dans tous les cas, maintenant que le secret avait été révélé, en espérant que Jack ne lui ferait pas répéter, Senna se sentait idiote. Elle ne savait pas à quoi s'attendre, et se mettait à douter que sa mère pourrait vraiment l'aider. Et puis, elle n'était même plus sûr de vouloir lui parler, alors elle glissa ses mains dans les poches de sa cape et regarda les plantes qui grimpaient aux murs, d'un air détaché.

( Le début du printemps )

‎‎  ‎ Jack ne s’émut pas même trois pauvres secondes du rejet immédiat de sa progéniture, dont le “maman” grogné trahissait l’évident embarras. Elle l’avait expulsée de son vagin à grands renforts de sueur et de sang, elle n’allait pas chipoter pour deux mains sur son visage quand même ! Senna pouvait bien grommeler autant qu’elle le voulait, ça ne changerait rien au fait qu’elle l’avait littéralement faite – avec la contribution anecdotique d’Alban. Quand bien même, dans un éclair de lucidité, elle surprit le regard gêné de sa fille vers la porte ouverte de son bureau ; crainte d’être vue par ses semblables. Un soupir agacé très maternel passa le barrage de ses lèvres pincées d’inquiétude, ne pouvant s’empêcher de songer qu’il y avait plus important dans la vie que ce que pensaient les autres. Si elle en avait fait grand cas durant sa propre scolarité, probablement n’aurait-elle pas la même superbe aujourd’hui ! Et puis, ce n’était rien que sa mère, tout de même. À son époque, on la traitait de salope. Parfois, la réflexion pince-sans-rire de Wensley au sujet de la guerre que n’avait pas connue les plus jeunes lui revenait en tête – et aussitôt, elle se voyait devenir vieille conne aigrie ânonnant des “À mon époque” yoyotant. Vision d’horreur… Aussi s’abstint-elle de toute réflexion et laissa-t-elle son enfant refermer la porte sur elles pour leur accorder un peu d’intimité.
‎‎  ‎ Un certain soulagement envahit cependant son visage de lionne froncée lorsque la jeune fille affirma qu’il ne s’agissait pas de ça. Son regard se fixa sur le sol et, avant que la botaniste n’ait pu émettre la moindre hypothèse, elle lâcha du bout des lèvres qu’elle croyait avoir ses règles. Un “Ah !” surpris échappa à Jack, qui cilla avant de libérer la chair de sa chair de son envahissante présence. Haussant les épaules avec nonchalance, elle secoua la tête. “Ce n’est que ça. Bon sang, tu m’as fait peur !” Dans la longue liste des événements terribles qu’elle craignait de voir arriver à sa fille, l’arrivée des menstruations n’y figurait même pas. D’autant qu’elle avait pris le taureau par les cornes depuis son dixième anniversaire – sans doute avec un peu trop de détails à base de caillots –, pour lui expliquer à quoi elle devait s’attendre et comment fonctionnait son corps. Tout ce dont elle avait besoin, à présent… “Qu’est-ce que tu veux ? Serviette, tampon, coupe menstruelle, culotte de règles ?” lâcha-t-elle sur le ton d’un dealer de coin de rue, entrouvrant un pan de sa veste comme si elle disposait de tout un arsenal directement dans ses poches. Recouvrant son sérieux – puisqu’il fallait, hélas, être parfois sérieux –, elle laissa retomber le tissu en se dirigeant vers son bureau, dans lequel elle trifouilla un moment. “Pas de tampon ou de coupe menstruelle pour le moment, c’est un peu prématuré… Mais je ne suis pas sûre de… Ah, si ! Une serviette ! Attrape.” Comme un lanceur de baseball trop enthousiaste, elle jeta une serviette menstruelle neuve à sa fille depuis son bureau. “Il faut que je refasse une démonstration ou ça ira ? Tu as mal ?” Elle devait bien avoir quelques antidouleurs sous le coude dans un tiroir ; probablement dans le même que celui qui recelait une serviette de secours.

ft. @Senna Clerc-Griffith

credit; Salaï (code); Lux (icons)

Le début du printemps

feat @Professeur J. Griffith

   Mine de rien, c'était une étape dans la vie de Senna. Comme la fois où elle avait enfin déclaré ses pouvoirs magiques, ou la fois où elle avait volé sur un balais pour la première fois. Ce jour marquait un tournant dans sa vie, et faisait d'elle une fille changée. Ou devrait-on même dire une femme? Il était ridicule de penser que le simple fait d'écoper de la malédiction féminine faisait immédiatement d'une fille, une femme. Après tout, Senna était la même. Cette même adolescente qui ne s'arrêtait de bouger que quand elle avait un livre devant les yeux, cette même enfant qui avait été partagée entre deux langues, et qui était maintenant partagée entre deux pays; cette même fille qui s'énervait contre sa mère pour des piètres raisons. Mais cette fois, la rage bouillait en elle, et si on pouvait penser que c'était à cause des hormones, ce n'était dans tous les cas pas pour une piètre raison. Senna devenait une femme, elle entrait dans le club pas-si-select des femmes qui pouvaient potentiellement donner naissance, et sa mère s'en fichait? Bien sûr, elle ne s'attendait pas à une grande fête, ou même à un éclat de joie. Jack avait déjà pris soin d'expliquer le fonctionnement, voire plus, de la puberté, et de ce qui allait avec. Senna avait ses notions dans le domaine et c'était pour cela qu'elle n'était pas vraiment surprise ou paniquée elle-même de la situation. Puis elle savait que sa mère ne s'affolait jamais pour ce genre de choses, ou ne s'affolait jamais tout court. Mais quand même, c'était un grand moment, non? Senna ne savait pas à quoi elle s'attendait exactement, mais pas à un simple "ah, ce n'est que ça" pragmatique. Alors que sa mère se tournait pour fouiller dans son tiroir, la jeune blonde fronça les sourcils. Elle ne savait pas à quoi s'attendre, mais elle savait ce qu'elle aurait voulu. Elle aurait voulu que ça soit ressenti comme un grand moment, justement. Elle aurait voulu pour une fois que sa mère lui daigne un peu d'attention, si ce n'était de l'affection. Elle aurait voulu un sourire réconfortant, une petite remarque amusante sur le fait qu'elle restait une enfant malgré cet évènement. Mais non. Evidemment que non. Jack n'a plus le temps pour sa fille, et ce depuis longtemps. Senna ne perd pas le rouge de son visage, car la gêne est maintenant remplacée par la frustration grimpante.

    D'un geste absolument naturel, digne d'un receveur de baseball trop enthousiaste, Senna attrape le paquet de la serviette au vol. "Non, ça va aller merci." Grommela-t-elle encore. Elle avait laissé sa mère parler toute seule, dans sa propre réflexion, parce qu'elle était trop énervée. Et puis parce qu'elle ne semblait dans tous les cas pas avoir son mot à dire. Mais si c'était pour éviter une nouvelle démonstration, elle le préférait, et puis, elle n'était pas d'humeur. Elle savait comment ça marchait, ce n'était pas compliqué, et dans le pire des cas, elle préférerait demander à quelqu'un d'autre. N'importe qui, vraiment. "Un peu mal au ventre." Senna répondit naturellement, avant de se rappeler qu'elle regrettait amèrement d'être venue voir sa mère, et qu'elle préférait donc s'en aller. "Mais ça ira. J'aurais pas dû venir te voir. Au moins tu le sais, voilà. Salut." Senna enfonça la serviette dans la poche de sa cape Serdaigloise, et se tourna vers la porte, afin de tenter de s'extirper de ce bureau maudit le plus vite possible.

( Le début du printemps )

‎‎  ‎ Jack aurait dû se douter que le silence de sa progéniture était de mauvais augure ; tout comme le sien qu’elle opposait comme un mur de prison barbelé, celui de Senna précédait généralement la tempête. Et lorsque la mère reposa les yeux sur sa fille, qui réceptionna avec un flegme froid sa serviette hygiénique avec le même talent insolent que sa génitrice, elle sut qu’elle avait provoqué ses foudres en découvrant le rouge qui lui mangeait le visage. Que Merlin me préserve… Quelle mouche l’a piquée ? Il lui fut extrêmement difficile de réprimer le soupir d’exaspération qui lui démangeait les lèvres, surtout lorsque la petite effrontée déclina sa proposition dans un grognement d’adolescent ingrat. Mais le pire restait à venir. Lorsqu’elle affirma avoir mal, Griffith s’apprêta à fouailler dans son tiroir pour en extirper quelque antidouleur, mais la saleté se tournait déjà vers la porte en assurant que ça irait et qu’elle n’aurait de toute façon pas dû aller la voir ! “Non mais on croit rêver” lâcha immédiatement la quinquagénaire en roulant des yeux. “Qu’est-ce que j’ai fait, encore ?” s’agaça-t-elle.
‎‎  ‎ Sincèrement, elle eut beau se creuser les méninges, elle n’en avait pas la moindre idée. Senna était venue la voir avec un problème, il était résolu ; que demande le peuple ! Non, vraiment, elle ne pouvait pas concevoir une seule seconde que la jeune fille ait pu être offensée par quelque élément que ce soit de cette courte conversation. Elle ne s’était pas montrée désagréable ou occupée, bon sang ! Que devait-elle faire de plus pour revenir dans les bonnes grâces de cette gamine qui ne semblait avoir de considération que pour son père ? Pinçant l’arête de son nez entre deux doigts crispés, Jack lâcha un soupir en fermant les yeux pour canaliser la frustration grimpante qui menaçait déjà de déborder. “Et puis, je ne vais pas te laisser repartir comme ça sans avoir au moins pris une petite potion. Tu ne vas quand même pas repartir en ayant mal ?” Oh, sûrement que si, elle en était parfaitement capable. Tout pour ne pas avoir à supporter son idiote de mère. La frustration céda bientôt la place au découragement, et ses épaules s’affaissèrent imperceptiblement, déjà résolues à entendre la porte claquer et à sentir le regard noir de Senna lors du dîner. Parfois, elle se disait que c’était le lot de tous les parents d’adolescents ; et d’autres fois, elle se disait que c’était le résultat couru d’avance d’une catastrophe maternelle qui paraissait couler dans ses veines comme une malédiction.

ft. @Senna Clerc-Griffith

credit; Salaï (code); Lux (icons)

Le début du printemps

feat @Professeur J. Griffith

   Le calme avant la tempête, c'était un dicton connu et vieux comme le loup. Mais dans le cas de Senna, c'était bien véridique. L'enfant était une tempête, rarement tranquille, elle parlait beaucoup, ou avait toujours quelque chose pour s'occuper les mains parce qu'elle ne savait pas tenir en place. Mais ces moments où elle était calme et emmagasinait le silence ne signifiaient qu'une chose: la tempête formait un ouragan. Et trop tard pour l'alerte rouge, l'intempérie était inévitable. Senna, toujours rouge de rage, ne peut plus se contenir. Aux remarques désespérées de sa mère prise de court, voilà la tornade déchaînée. "Tu rêves peut-être, mais tu me fais vivre un cauchemar..." Senna grommela encore, dans un marmonnement quasiment inaudible. Simple échauffement avant le vrai contenu du sujet. Car voilà que la montagne de reproches qui se sont entassés depuis les derniers mois et qui n'a pourtant rien à voir avec le sujet refait surface. Comme si la tempête la faisait tomber, à chaque fois que la météo s'agitait. Parce que la vue de sa mère toujours étonnée et détachée rendait Senna encore plus blessée. "Tu n'as rien fait, tu ne fais jamais rien!" Et voilà la rengaine qui recommence, écriée d'une voix échauffée, mais avec quand même assez de respect pour ne pas crier.


   Comme d'habitude le dialogue familial tournait rapidement court. Pas de place à l'erreur quand les deux partis étaient toujours sur la défensive, à attendre la moindre brèche ou la première déception. Et la déception arrivait toujours rapidement sur le terrain de Senna, se laissant engouffrer dans la tornade qu'elle ne contrôlait jamais. "Je n'ai pas besoin d'un professeur, j'ai besoin d'une mère." La blonde continua alors, reprochant au moins quelque chose qui commençait à être concret. Bien que cela ne soit qu'une partie du problème. Senna avait besoin que sa mère soit présente pour elle, en tant que mère. Elle l'avait déjà été, elle se souvient de bons moments où elle se sentait aimée. Mais depuis quelques temps, elle n'avait pas l'impression d'être plus qu'une simple élève à ses yeux. Et c'en était la preuve aujourd'hui. Jack aurait pu dire quelque chose, n'importe quoi de personnel, mais non, elle s'était contenté de lui jeter une protection et de lui faire la leçon, comme d'habitude. Senna ne savait pas que sa mère n'avait jamais vraiment souhaité être mère, que cela n'était pas dans sa nature première que de s'occuper d'un enfant à elle. Peut-être que dans quelques années, elle le comprendrait, et ne pourrait donc pas lui en vouloir de ne pas accorder l'affection dont elle a besoin en cette période charnière si difficile. De ne pas savoir comment lui apporter la maternité qu'elle souhaiterait. Triste, ça l'était, mais compréhensible aussi, si on se mettait de son côté. Ce que Senna ne faisait jamais. Elle n'arrivait plus à regarder sa mère sans penser à toute la douleur qu'elle refoulait, et donc la haine qu'elle développait. Tristement devenu une habitude inconsciente et involontaire; la colère que Senna accumulait suite au deuil de son oncle, de son déménagement, du divorce bizarre de ses parents, et de l'attitude désintéressée de sa mère se mélangeait au fond d'elle et se dirigeait sur cette dernière, comme si tout était sa faute, car c'était plus facile pour la gérer. "Je m'en fiche d'avoir mal, je ne veux pas de ta potion." Et sans aucune patience, Senna fermait la discussion, empêchant sa mère de chercher une quelconque rédemption. Elle n'en voulait pas de toutes façons, était convaincue Senna. Et malgré ça, sa fille était encore là. Senna n'avait pas claqué la porte, elle n'était pas encore sortie, bien qu'elle en était à deux doigts. Parce que Jack restait sa mère, et qu'elle ne pouvait pas la rayer de sa vie sous le coup de la colère. C'était ce que son père lui répondait tout le temps, à chacune de ses lettres. La supporter devenait dur, mais Senna savait qu'il avait raison au fond. Si jamais elle perdait sa mère pour de bon, elle ne saurait pas comment vivre, et peut être qu'elle exploserait entièrement, au lieu de simplement exploser contre elle. Et c'était ce qui l'énervait encore plus. "Tu es botaniste, je te rappelle. Donc si j'ai besoin d'une potion, j'irai voir l'infirmière de l'école, ou mieux, mon directeur de maison!" Senna insista sur le mot botaniste, presque comme si elle le dénigrait. Elle insistait aussi sur le fait que n'importe qui serait plus qualifié, ce qui lui semblait vrai.

( Le début du printemps )

‎‎  ‎ En entendant les répliques absurdes de sa fille, Jack commençait à comprendre pourquoi les parents s’échinaient à donner des noms à rallonge ou des seconds prénoms à leurs enfants ; pour mieux les prononcer avec rage lorsqu’ils dépassaient les bornes ! Senna Clerc-Griffith, ce n’était clairement pas assez long pour qu’elle se risque à le cracher avec un air menaçant ; ce serait comme être coupée en plein élan. À deux doigts de me remarier pour le plaisir de rajouter un nom à cette gamine capricieuse. Mais puisqu’elle ne disposait d’aucun nom complexe sur lequel passer ses nerfs verbaux, elle se contenta d’émettre un rire incrédule. “Un cauchemar, rien que ça ! Je veux bien que tu éclaires ma lanterne sur ces choses que je n’ai pas faites, parce qu’il me semble qu’aux dernières nouvelles tu es en bonne santé, logée, nourrie, blanchie, scolarisée dans la meilleure école du pays et que tu disposes d’argent de poche tous les mois.” Qu’est-ce qu’il lui fallait de plus, à cette gamine ? Des pétales de roses et des applaudissements à chaque journée passée sans encombre ? La tentation de s’emporter et de lui donner ce qu’elle cherchait – c’est-à-dire une dispute – se faisait pressante, mais elle ravala sa frustration pour mieux toiser l’adolescente qui se tenait dans l’entrée du bureau sans pourtant faire mine de claquer la porte comme elle l’avait craint.
‎‎  ‎ Cependant, elle n’était pas préparée à l’attaque qui suivit. Une mère ; ce qu’elle n’était visiblement pas pour elle, si l’on tendait l’oreille. Ses mâchoires se serrèrent et son regard se durcit ; vague air d’aigle courroucé au regard fixé sur un congénère agité. Qu’était censée faire une mère dans cette situation ? Qu’était-elle censée faire de plus ? Ça n’avait rien d’évident pour elle ; ou alors on avait oublié de lui livrer le mode d’emploi. D’impuissance, elle écarta les bras un peu trop sèchement, mouvement nourri de frustration. “Parce que tu crois que les élèves viennent voir leurs professeurs pour parler menstruations ? Si tu étais une élève, je t’aurais envoyée voir l’infirmière.” C’était la stricte vérité. Et elle ne voyait pas en quoi elle avait failli quelque part dans cette affaire : ce n’était qu’un peu de sang, bon sang ! Et voilà qu’elle bougonnait des enfantillages, désormais. “Je m’en fiche d’avoir mal”, à d’autres ! Tout ça pour refuser son aide, quelle peste. Elle invoqua même d’autres adultes, à la façon d’une enfant cherchant à rendre ses parents jaloux de l’attention des autres. Mais ce n’était pas comme ça que Jack fonctionnait ; du moins, pas avec la chair de sa chair. Alors, elle croisa les bras, l’air exaspéré et soupira encore. Autant ignorer sa pique sur la botanique, ce n’était bon qu’à faire réagir les botanistes médiocres bourrés d’insécurités. Si elle ne doutait pas d’une chose, c’était bien de ses talents de botaniste ; et qui disait bon botaniste disait bon potioniste – Senna le savait très bien. Sa mauvaise foi n’était qu’une blessure de plus qu’elle tentait de lui infliger pour la faire réagir. “C’est ça, va donc trouver la gothique qui tient l’infirmerie ou Caerwyn pour leur parler de ton vagin ensanglanté” railla-t-elle. Elle donnerait cher pour voir la tête du barbu si d’aventure la jeune Griffith venait lui causer règles. Et si elle tenait absolument à voir Poppy, qu’elle aille voir Poppy, puisque tout le monde ne semblait plus jurer que par cette bonne femme ! Au fond, l’important était que quelqu’un soulage sa douleur. Si ce n’était pas elle, eh bien, il faudrait qu’elle se fasse une raison ; elle n’avait jamais prétendu être une bonne mère. Pire, elle savait qu’elle n’en était pas une. Il n’y avait rien d’instinctif là-dedans ; peut-être qu’il lui manquait une case, allez savoir. C’était comme ça, et puis c’était tout.

ft. @Senna Clerc-Griffith

credit; Salaï (code); Lux (icons)

Le début du printemps

feat @Professeur J. Griffith

   Fille de sa mère, indéniablement, Senna était aussi limpide aux yeux de Jack que pouvait l'être la différence entre une rose et une mandragore. Elle avait beau tout faire pour tenter de marquer sa différence, la vérité blessante était qu'elles étaient beaucoup trop similaires. Senna ne se laissait pas marcher sur les pieds, et Jack pouvait aisément savoir que ce qu'elle recherchait, c'était une explosion de sa part. Les deux Griffith se faisaient face, toutes les deux cherchant à obtenir quelque chose de l'autre, aucune ne pliant. Mais Jack avait plus d'entraînement, et son sang était donc plus froid, quand Senna n'était qu'une débutante à ce jeu, avec des hormones qui la pénalisaient grandement. Elle serre les poings dans ses poches, essayant de tenir bon. Mais tout ce que sa mère lui disait semblaient faire augmenter la température, et elle se sentait bouillir.

    Malheur terrible que leur relation était devenue. Senna cherchait le moindre prétexte pour obtenir des briques à poser sur le mur qu'elle avait construit entre elle et sa mère. Chaque réaction devenait provision. Il n'y avait plus de solution, le dialogue était devenu un aller simple vers l'explosion. Senna était dure, elle le savait, mais elle ne se rendait pas compte du point auquel elle poussait sa mère. Elle était injuste, aussi; surtout, ce qu'elle ne réalisait pas vraiment. Elle en attendait trop, et plaçait sa mère sur une marche inatteignable pour n'importe quel parent, même dévoué. Un jour, elle le comprendrait, et probablement qu'elle le regretterait. Mais ce jour n'était pas encore arrivé. Mère et fille, les deux blondes partageaient les mêmes traits, mais aussi les mêmes armes opposées. Jack savait que Senna voulait une réaction, et jouait l'indifférence, et allant même dans son sens. Alors que Senna savait que sa mère se contenait, et tentait plutôt l'accumulation d'attaques à outrance. Elle avait laissé sa mère terminer, pour emmagasiner et mieux rétorquer. Le mot dégoutant qu'était vagin depuis la bouche de sa mère était la dernière goutte d'eau. Senna explosa. C'était couru d'avance, car toujours comme ça. "En bonne santé, logée, nourrie, blanchie, scolarisée dans la meilleure école du pays avec de l'argent de poche..." Reprena-t-elle les mots de sa mère. "Tu as oublié seule! Seule. Seule, logée dans un pays choisi au hasard! Seule, nourrie, oui, dans un pays qui n'a aucune gastronomie! Seule, scolarisée dans la meilleure école du pays, oui... Mais quel pays?! Pas le mien! Seule, sans papa. Et seule, sans tonton!" Les larmes étaient montées forcément, parce que voilà les frustrations qui remontaient. Même celles qui devraient rester cachées. Jack l'avait cherché, et Senna ne pouvait de toutes façons pas se contrôler.

    Empourprée comme une tomate, Senna pleurait à présent. Elle avait l'impression que sa mère ne comprenait pas à quel point elle souffrait, alors que ça lui paraissait évident. Elle se sentait si seule depuis quelque temps, et demander un peu d'affection, cela semblait trop apparemment. Senna secoue la tête. "T'avais qu'à m'envoyer à l'infirmerie alors. Parce que si c'était pour que tu me donnes une leçon, ou juste que tu me donnes une serviette, ça ne servait à rien que je vienne te voir!" N'avait-elle pas fait l'effort d'aller ici, justement? Senna n'était pas la victime, absolument pas, mais c'était comme ça qu'elle le voyait, du haut de sa maturité préadolescente. "Merci de ta bénédiction. J'irai les voir à partir de maintenant. Je suis sûre qu'ils se montreront compatissants." Poppy, certainement. Caerwyn, en effet, il serait plus hésitant. Mais Senna s'en fichait. Elle était trop occupée maintenant à déverser la colère qu'elle ne savait pas maîtriser. Elle ne releva même pas que sa mère avait appelé le professeur Bevans par son prénom, sans offrir ce privilège à l'infirmière. C'était bien le cadet de ses problèmes actuellement. Senna ouvrit la bouche pour rajouter quelque chose, mais elle n'en avait même pas envie. Alors voilà. Un point pour Jack, elle gagnait encore une fois. La porte du bureau se claqua derrière Senna, qui se promit encore une fois de ne jamais repasser par là. Et qui, probablement, y reviendra. C'était toujours comme ça. Elle ne pouvait pas supporter sa mère, mais ne pourrait pas vivre sans qu'elle l'aide à réguler ses travers.

( Le début du printemps )

‎‎  ‎ La tempête grondait, c’était une évidence. Jack la voyait enfler un peu plus à mesure que ses mots grinçants emplissaient l’air sans laisser une seule seconde de répit à l’adolescente bouillonnante qui n’attendait qu’un signe pour cracher toute la frustration emmagasinée par l’absence de dispute tant convoitée. Mais si elle croyait qu’elle allait la retenir comme une mère terrifiée à l’idée qu’elle trouve refuge ailleurs, elle se fourrait le doigt dans l’œil jusqu’au coude ! L’indépendance était une valeur trop chère à Griffith pour qu’elle ne l’inculque et ne la souhaite pas à sa propre descendance. Grand bien lui fasse si elle préférait aller geindre auprès d’autres adultes ! Elle avait fait son devoir, et elle n’escomptait pas lui taper dans le dos pour quelques gouttes de sang au fond d’une culotte. Misère, elle allait rapidement se rendre compte que ça n’était pas spécialement un événement à fêter ou à saluer ! Et puis, au diable les discours essentialistes et sexualisants auxquels de trop nombreuses jeunes filles avaient droit à leurs premières règles : “Tu es une femme, désormais.” Comme s’il fallait être capable de se reproduire pour en devenir soudainement une ! Non, elle ne mettrait pas un seul orteil dans ce genre de discours ritualiste suranné.
‎‎  ‎ Et voilà qu’elle se plaignait d’être seule, maintenant ! La mère croisa les bras en haussant deux sourcils scandalisés. Si elles avaient déménagé ici, c’était pour se rapprocher de cette famille maternelle dont elle disait se languir ! Ses traits se durcirent lorsque Zach fut évoqué et elle ravala la réplique pleine de bile qu’elle s’apprêtait à cracher ; avant de se figer tout à fait en voyant les larmes déborder, hachant les reproches qui suivirent et qu’elle n’écoutait déjà plus – encore et toujours la même rengaine, le même sous-entendu qu’elle ne faisait pas assez et surtout pas assez bien. Que pouvait-elle répondre à ça, sinon qu’elle ne deviendrait pas subitement une bonne mère, même si elle le voulait ? Sa nature, elle en était persuadée, était profondément incompatible avec le rôle que Senna s’évertuait à chercher en elle. Il suffisait d’assister à la scène : la gamine furieuse en larmes et la mère statufiée, dépassée par le débordement émotionnel qu’elle ne savait pas gérer. Elle aurait beau tenter de la prendre dans ses bras, la jeune fille s’en dégagerait aussi sec pour fuir. Alors, autant la laisser claquer la porte sans rien ajouter, les lèvres pincées, et espérer que quelqu’un lui donnerait cette fichue potion.
‎‎  ‎ Une fois le bureau vide de la tempête qui avait vampirisé toute son énergie – pourtant habituellement débordante –, Jack resta un moment à fixer la porte d’un regard absent, avant de soupirer et de s’installer à son secrétaire pour rédiger deux notes : une pour Poppy et une pour Caerwyn, chacune demandant de la tenir au courant si Senna venait à passer par leur intermédiaire. Si elle n’avait pas de nouvelle, elle lui glisserait elle-même une potion antidouleur dans sa sacoche quand elle aurait le dos tourné. Ce qu’il ne fallait pas faire pour s’assurer du bien-être le plus basique de sa marmaille ! Un rire désabusé la secoua – un peu trop longuement pour qu’il dénote la moindre hilarité – et elle leva les yeux au ciel pour empêcher la fuite de mouiller davantage que ses cils. De deux mains agacées, elle frotta son visage, poussa un énième soupir et se remit au travail avec lassitude.

HRP :

ft. @Senna Clerc-Griffith, ‎‎@Professeur C. Bevans & @Poppy V. Wood

credit; Salaï (code); Lux (icons)