Le ciel ombragé de nuages lourds de pluie menaçait d'abréger les dernières heures du jour et de plonger Poudlard ainsi que ses alentours dans une nuit prématurée. L'automne filait et les jours se raccourcissaient, les températures chutaient à mesure que grossissaient les rangs des arbres dénués de feuilles. Il n'était pas l'heure du goûter que le château était déjà tacheté d'une multitude d'éclats lumineux, chacun figurant une fenêtre derrière laquelle on avait allumé une bougie. Le spectacle avait quelque chose de grandiose, aussi Selene s'arrêta-t-elle au beau milieu du parc désert pour en contempler les moindres détails. C'était un joli tableau sublimé par le tragique qui s'y faufilait, ici et là, sous la forme d'un orage qui grondait au loin. Il va sûrement pleuvoir. Cette pensée n'avait pas traversé l'esprit de Selene qu'une goutte glacée s'écrasait sur sa joue tandis qu'un vent furieux se levait, créant non loin de là un tourbillon de feuilles brunies par le passage des saisons. La natte de Selene claqua dans les airs alors qu'elle se pressait en direction du château, penchée en avant pour combattre les bourrasques froides et protéger les fleurs du petit bouquet qu'elle avait cueilli au cours de sa promenade. Entre elle et les premiers murs du château où elle allait pouvoir s'abriter se dressait le terrain de Quidditch, émaillé de tours dont les teintures claquaient au vent. Elle aurait plus vite fait de le traverser que de le contourner, ce qui pourrait peut-être lui éviter de rejoindre sa chambre complètement trempée. Selene pressa le pas et traversa l'ouverture aménagée sous les gradins, lesquels étaient un terrain de jeu parfait pour le souffle de la tempête qui se décuplait sous les galeries de bancs. C'était seulement la deuxième fois qu'elle mettait les pieds ici — la première étant à l'occasion du match qui opposait Serdaigle à Serpentard — et les lieux n'avaient vraiment pas la même allure une fois dénués de la foule d'élèves venus supporter leur équipe préférée. Elle avait la désagréable impression de traverser un endroit abandonné que des esprits damnés hanteraient encore ; une impression accentuée par le temps qui se déchaînait de plus en plus. Personne n'avait parlé d'une tempête — ni les professeurs, ni le concierge, ni aucun adulte ou même élève — aussi Selene s'était-elle décidée à aller se balader et cueillir quelques fleurs sans se soucier de rien mais elle commençait doucement à regretter sa décision. Il lui semblait que les souffles vifs de Mère nature pourraient très bien décider de l'envoyer valser ici et là sans qu'elle ne soit en mesure de résister. Est-ce que quelqu'un s'en rendrait compte si elle n'était pas dans la Grande Salle au repas de ce soir ou si elle ne venait jamais se coucher dans son dortoir ? Mieux valait chasser ces idées sombres : ce n'était pas le moment de laisser l'angoisse la submerger.

Persuadée d'être complètement seule, l'ouïe assourdie par le bruit du vent, elle ne vit ni n'entendit la silhouette qui se déplaçait sur un balai volant, à quelques mètres de là, tant et si bien qu'elle ne la remarqua que lorsqu'elle se posa devant elle, telle une apparition maléfique venue la dévorer, lui arrachant un cri de terreur en même temps qu'un sursaut qui la fit bondir en arrière ; la faute à la météo ou aux trop nombreux livres qu'elle avait lu pour Halloween, elle n'en savait trop rien. « Jin ! » fit-elle enfin une fois les battements de son cœur revenus — presque — à la normale, lorsque ses yeux clairs eurent reconnu les traits familiers du Serpentard derrière tout son attirail de Quidditch. « Je crois qu'on devrait pas trop traîner là », constata-t-elle après levé le nez en direction du ciel qui s'assombrissait à vue d'œil. Comme pour confirmer ses dires, les quelques gouttes paresseuses qui tombaient jusque-là se transformèrent en des traits plus rapides, plus gros, plus froids. Il fallait qu'ils haussent le ton pour surpasser le bruit du vent et se faire entendre, un autre signe, s'ils en avaient besoin, qu'ils avaient tout intérêt à rentrer aussi vite que possible. Ce qu'ils firent, Jin en tête, Selene sur ses talons, passant sous les gradins pour la seconde fois et délaissant le stade aux allures de lieu hanté derrière eux. Poudlard était encore loin, trop loin pour qu'ils puissent encore espérer rester à peu près secs. Si on ne s'envole pas avant, pensa la Serdaigle au moment où une bourrasque plus violente la fit chanceler. Son camarade était sûrement arrivé à une conclusion similaire puisqu'il changea de trajectoire, entraînant Selene non plus vers les hautes colonnes d'une cour extérieure qui semblait inatteignable mais vers un petit bâtiment esseulé. Enfin la porte claqua dans leur dos, les coupant du vent et du déluge.

De l'autre côté du battant, la nature se déchaînait. « Ça arrive souvent, un orage pareil ? » demanda-t-elle à voix haute, bien que la question soit plus rhétorique qu'appelant vraiment une réponse. Après tout, le Serpentard n'était pas ici depuis très longtemps et elle-même n'ayant pas le moindre souvenir des automnes précédents ne pouvait se figurer si c'était une météo tout à fait normale ou bien particulière. « Est-ce qu'on attend que ça se calme pour rentrer ? » D'un côté, ils étaient déjà trempés, un peu plus de pluie n'allait pas les tuer. De l'autre, elle se sentait pas mal plus sereine à l'idée de rester ici le temps qu'ils puissent de nouveau marcher dehors sans avoir besoin de se plier en deux pour pouvoir avancer. « On est où d'ailleurs ? » Ne suivant pas les cours de vol et ne jouant pas au Quidditch, elle n'avait, dans l'état de sa mémoire actuel, jamais mis les pieds dans les vestiaires qui servaient aussi bien pour les élèves tout au long de la semaine que pour les équipes qui disputaient des matchs ou venaient s'entraîner le week-ends. Tandis que ses yeux parcouraient le petit couloir, ses doigts défirent le lacet de sa cape qui gouttait piteusement sur le sol et la pendirent à un crochet. Sa jupe lui collait aux jambes, ses chaussures auraient aussi bien pu sortir du Lac Noir tant elles contenaient d'eau, mais au moins son pull n'était rien qu'un peu humide.

ft @Jin Kyung Seo

Il pleuvait souvent, à Londres — Selene avait pu le constater tout au long de l'été — jamais autant qu'en cet instant cependant, comme si les nuages noirs d'un violent orage étaient tenus à distance par les toits des immeubles ; alors qu'ici, les vastes plaines agrémentées de forêts devenaient un espace rêvé pour que la nature laisse exploser sa colère. Le ciel semblait plus bas qu'à l'accoutumée, le vent plus insidieux. Entre ses bras, les fleurs soigneusement sélectionnées au cours de sa balade frémissaient sous ce souffle capable de les arracher à l'étreinte de Selene et de les envoyer valser loin d'elle. Elle essaya de les protéger en les glissant à l'intérieur de sa veste, le cœur pincé à l'idée de les perdre alors qu'elle voulait en faire un joli petit bouquet pour mettre à côté de sa bougie, dans sa chambre, et puis peut-être aussi en donner à Dashiell, même si elle n'était pas trop certaine que ça se faisait, d'offrir des fleurs à un garçon. Elle s'était dit que ça lui ferait plaisir, tout en doutant énormément de son idée au passage, et se serait sentie bien ridicule de ne rien ramener au château alors qu'elle était si proche du but. Pénétrant le stade de Quidditch aux allures de terrain fantôme, Selene nota les gradins vides de toute présence et pressa le pas pour sortir de là, pour arriver à Poudlard avant que la pluie ne la trempe complètement. Aussi ne vit-elle Jin que lorsqu'il atterrit devant elle, la faisant sursauter au passage. « Pardon, j’voulais pas te faire peur. Qu’est ce que tu fais là avec ce temps ? » Il était proche mais le souffle de la tempête qui approchait s'emparait des mots qu'ils avaient l'audace de jeter dans les airs et les rendait presque inaudibles. « Je voulais cueillir des fleurs », articula-t-elle difficilement, tout le visage froncé pour ne pas se laisser aveugler par le vent et les gouttes glacées qui se faisaient plus pressantes. « Je pensais pas… » Mais la météo furieuse la frappa de plein fouet et Selene se replia sur elle-même pour épargner un peu de ce mauvais sort à son piètre bouquet. Mieux valait ne pas s'éterniser. Jin partageait son avis et ils se mirent en route, trottinant bon an mal an sur les pentes devenues glissantes et boueuses qui menaient aux abords de l'école, jusqu'à ce que le Serpentard bifurque, préférant une petit bâtiment plus proche du stade qu'ils venaient de quitter et qui leur promettait un abri accessible.

Le rugissement du tonnerre les menaça une dernière fois alors qu'ils se mettaient enfin à l'abri de la pluie torrentielle. Hébétée, Selene se laissa guider par Jin dans ces lieux qu'elle ne connaissait pas, commentant le changement qui s'était opéré dans le ciel en un éclair, littéralement. « Ici, je ne sais pas. Mais c’est assez courant chez moi. » Selene jeta un regard curieux au dos de Jin. Rares étaient les fois où il parlait volontairement de lui alors, même si ce n'était que par d'infimes bribes comme celles-ci, ça piquait toujours la curiosité de la jeune fille, surtout qu'elle ne connaissait rien du monde en dehors de quelques rues de Londres et de ce petit bout d'Écosse dans lequel ils se trouvaient. « Ah ouais ? C'est assez terrifiant… Et t'étais en train de voler, en plus ? » Chaque élément séparé était déjà assez intense pour que l'addition des deux lui donne le vertige. « Il vaut mieux attendre que ça se calme », trancha-t-il pour eux deux mais Selene acquiesça avec un peu de soulagement. Elle n'avait pas vraiment envie de remettre les pieds dehors tant que l'orage continuait avec une telle force. La pluie, ce n'était pas si grave, mais c'était comme si la nuit était déjà tombée alors qu'ils n'étaient qu'en début d'après-midi et le vent faisait craquer toute la structure de là où ils se trouvaient à l'unisson, les poutres et les interstices gémissant sous l'assaut des intempéries. Si c'était comme ça en intérieur, elle n'osait pas imaginer le déchaînement que subissait le parc. Essayant tant bien que mal de faire abstraction des bruits alentours qui n'avaient rien de rassurant, Selene étudia la pièce dans laquelle ils pénétrèrent, ponctuée de bancs en bois, de ce qui ressemblait à des casiers ainsi que des crochets le long de tous les murs. Il y avait un miroir et des lavabos un peu plus loin, ainsi qu'une autre porte qui menait probablement vers des douches, comme elle le soupçonna dès que Jin fit mention des vestiaires. Même s'ils étaient seuls, le simple fait que ce soit ceux des garçons lui laissa une impression de gêne, celle de ne pas avoir le droit d'être ici.

Selene masqua ses joues rosies par cette constatation en accrochant sa cape détrempée sur l'un des crochets, abandonnant au passage un filet ruisselant derrière elle. Son pull humide n'était pas trop désagréable à garder, mais elle ne pouvait pas en dire autant de sa jupe et de ses chaussures. Quant à son bouquet… Toutes les fleurs avaient survécu, certaines plus que d'autres. Elle les déposa sur un banc pour ne pas les malmener plus encore et se retourna vers Jin qui lui tendait ce qui avait toutes les apparences d'un pantalon de sport. « J’ai pas pris ma baguette, je sais pas si tu as la tienne mais si jamais, ça peut peut-être faire l’affaire le temps… que ça sèche ? » « M-Merci… » balbutia-t-elle, déconcertée par cette attention soudaine et la constatation plus large qui englobait l'état de sa tenue. « Mais t'as ce qu'il faut pour toi ? Sinon, je crois que j'ai ma baguette », lança-t-elle en fouillant rapidement les poches de sa cape et en trouvant, par elle ne savait quel miracle, ce bout de bois dont elle se servait bien mal. « C'est juste que je suis vraiment nulle en magie, je saurais même pas comment nous sécher… » avoua-t-elle un ton plus bas, un sourire de dépit aux lèvres. Elle n'avait pas trop de mal à l'avouer au garçon, après tout, ils passaient une grande partie de leurs cours ensemble et il l'avait déjà probablement remarqué, ce n'était pas comme s'il était facile de cacher ses résultats misérables en métamorphose ou sortilèges lorsque toute la classe voyait littéralement ce qu'il se passait. « J'vais me changer… là-bas », fit-elle en pointant du doigt l'autre côté des vestiaires, là où la rangée centrale masquait le côté gauche au côté droit, et vice-versa. Elle se pressa pour faire glisser le tissu qui lui collait aux cuisses et le laisser tomber à même le sol, arrachant presque les lacets de ses chaussures tant elle craignait que Jin la surprenne malencontreusement, peinant à enfiler le vêtement sec sur sa peau humide de la pluie. C'était probablement l'exercice le plus paniquant auquel elle avait été confrontée depuis… depuis peu de temps, en réalité, parce qu'ils avaient cette fâcheuse tendance à se succéder, depuis qu'elle était arrivée à Poudlard. Selene se redressa, laissant sa respiration revenir à la normale, tendant l'oreille pour essayer de deviner si Jin en avait terminé de son côté ou non. Elle se sentit rougir une nouvelle fois, sans vraiment mettre le doigt sur le pourquoi, préférant le laisser disparaître dans les méandres de ses pensées.

« C'est bon ? » demanda-t-elle après quelques longues secondes de silence durant lesquelles elle n'osa pas bouger par peur de franchir une limite qui dansait dangereusement dans son esprit. Dès que Jin lui assura qu'elle pouvait revenir, elle tâcha d'étendre, bien piteusement, sa jupe sur un banc pour essayer de la faire s'égoutter, ses souliers abandonnés dans un coin des vestiaires là où ils n'avaient pas beaucoup moins d'utilité qu'à ses pieds. « Est-ce que ça dure longtemps chez toi, en général ? » Selene s'installa sur un banc épargné par leur malchance et entreprit de passer ses doigts dans ses mèches blondes complètement trempées pour en séparer quelques portions qu'elle pourrait natter et éviter de noyer ses vêtements à peu près secs.

ft @Jin Kyung Seo

Trempés mais saufs, ils trouvèrent refuge dans cet espace qui était à peine plus qu'une cabane ballottée par la force de l'orage. Une rafale plus violente fit gémir le bois des fondations, déclenchant une vague de frissons chez Selene. Ses mèches blondes gorgées d'eau, sa cape luisante, sa jupe qui lui collait aux cuisses, ses cils qui égaraient de grosses gouttes de pluie à chaque battement de cils ; la tempête l'avait plongée toute entière dans l'apparence d'une sirène aux allures de noyée. Jin n'était guère plus épargné, ses cheveux bruns lui tombaient pêle-mêle sur le front et chacun de ses mouvements entraînait avec lui le tissu imbibé de ses vêtements ; à la différence près qu'il n'avait pas l'air d'un pauvre marin perdu dans un océan agité mais plutôt d'un capitaine de navire qui savait parfaitement comment affronter le mauvais temps. « Les intempéries ne nous empêchaient pas de voler dans mon ancienne école. » La curiosité était un vilain défaut qu'elle ne pouvait s'empêcher de croiser régulièrement. Son camarade ne parlait pas beaucoup de lui, tout du moins en peu de mots. Même si Selene avait l'impression que ces quelques jours passés chez les Paulet en sa compagnie avec tissé un lien indéfectible qu'elle n'expliquait pas vraiment, elle ne pouvait nier qu'elle ne savait pas non plus grand-chose sur la vie qu'il menait ici, encore moins sur ce à quoi ressemblait son passé en Corée. « C'était très différent de Poudlard ? » Peut-être était-ce parce qu'elle découvrait tout ce que leur école avait à offrir depuis la rentrée, avec cette sensation tenace qu'il lui faudrait plus d'une vie pour en connaître tous les recoins, qu'elle peinait à se figurer à quoi pouvait bien ressembler une autre école de magie, à l'autre bout du monde. En tout cas, elle visualisait maintenant Jin, volant au milieu des orages comme si le ciel ne cherchait pas à le faire tomber et comprenait mieux son flegme face à une situation qu'elle jugeait bien plus inquiétante.

Sa cape pendue à un crochet, Selene observa en grelottant les vestiaires des garçons, un peu gênée de se trouver dans un lieu qui lui serait interdit en temps normal, soulagée d'être à l'abri, rassurée de la compagnie du Serpentard. Prévenant, ce dernier lui tendit un pantalon sec, la laissant bien embêtée de ne pas être en mesure de les sécher tous les deux. Il devait la trouver un peu sotte d'avoir sa baguette sur elle mais de ne pas être capable de s'en servir pour les aider. « J’ai ce qu’il faut, t’inquiète pas. » « Ok », souffla-t-elle, délaissant la recherche de ce bout de bois parfaitement inutile. « Merci. » Puis elle s'éclipsa derrière l'un des casiers pour se changer, peinant dans la précipitation, se pressant par embarras. Le moment ne dura pas très longtemps, ils revinrent rapidement l'un à l'autre, réapparaissant de leurs cachettes respectives. Selene se posa sur l'un des bancs qui longeait les murs des vestiaires, s'interrogeant sur le temps que pouvait prendre cette météo déchaînée. « Ça dépend. Mais ça peut prendre plusieurs heures. » L'idée la fit grimacer mais au moins, ils étaient deux dans cette galère, à se tenir compagnie pendant que les vents soupiraient avec violence contre la structure. « On a une saison des pluies, qui n’est pas du même niveau qu’ici. Ça ne devrait pas être trop long. » « Tu veux dire une saison entière pendant laquelle ce genre de tempête est normal ? » s'exclama-t-elle. C'est qu'elle ne connaissait que la pluie lente ou le soleil timide de Londres, les débordements des éléments lui semblaient incroyablement dangereux. En même temps, le monde était vaste et les conditions bien différentes ailleurs sur le globe. « Est-ce que ça te manque ? » osa-t-elle lui demander après une petite seconde de réflexion, tournant ses yeux clairs dans sa direction.

Dans un soupir, l'attention du serpentard se perdit dans le plafond. « J’aimerai éviter de passer ma nuit ici. » Selene hocha la tête en assentiment. « Il y a bien quelqu'un qui va se poser des questions si tu rentres pas dans ton dortoir… non ? On va pas rester ici jusqu'à demain… » Ses maigres espoirs reposaient entièrement sur Jin. Elle en avait eu la preuve lors de sa toute première soirée à Poudlard : ce n'étaient pas ses camarades de dortoir qui se préoccupaient de son sort à elle. Son cœur tout pincé par cette idée, elle chercha à s'occuper en démêlant pensivement ses cheveux emmêlés, cherchant à les tresser pour les éloigner du pantalon prêté par le garçon et en atténuer la douceur. « Attends. » Jin s'éloigna de quelques pas et sa chevelure encore trempée arracha un petit rire à Selene qui se prolongea en un sourire amusé. « On doit avoir un truc avec la pluie, hein ? » fit-elle en référence à leur toute première rencontre où Jin était arrivé chez elle au moins aussi abîmé par les cieux capricieux qu'aujourd'hui. La seule différence, c'est que cette fois-là, elle était bien au sec.

Il disparut quelques secondes, à peine, et revint avec une serviette dans les mains qu'il déplia et déposa sur sa tête ; sur la chevelure d'une petite fille aussi blonde qu'aujourd'hui qui levait la tête, un sourire heureux aux lèvres et un rire sur le bout de la langue, lequel s'échappa et dansa autour d'elle tandis qu'elle croisait le visage familier de sa mère, plus jeune, de probablement quelques années. Et derrière, peint à l'avant d'une grande demeure entourée d'un parc et d'arbres baignés de soleil, la silhouette à l'écart de son père dont les yeux noirs glissèrent jusqu'à elle, petite Selene qui s'était gaiement emparée du coton moelleux de la serviette, les mains maternelles caressant celles de l'enfant avant de l'entraîner en direction de cette belle maison. Dans le présent, ses prunelles effacées dans le vide s'écarquillèrent sous la pression d'un trouble qui flirtait avec l'effroi, ses doigts suivirent le mouvement de la transe et attrapèrent la serviette ; ce n'étaient pas ceux de sa mère qui les attendaient, mais ceux de Jin qu'elle ne lâcha pas, comme si ce contact l'empêchait de perdre pied, de chavirer, de se noyer. Son souffle coincé dans sa poitrine n'exhala un long sifflement de peine que lorsque les prunelles noires redevinrent celles du Serpentard, non plus ces orbes violents qui la clouaient sur place. Elle ne sentit pas les larmes qui s'étaient mises à rouler sur ses joues brusquement pâles, assommée par ce cœur qui battait une cadence terrible. « Je… j-je… je viens d'avoir, je crois que je viens de me souvenir, de quelque chose, je sais pas si c'était réel, s-si c'était m-ma mémoire, je… » hoqueta-t-elle comme si elle venait de quitter une plongée en apnée, son regard perdu tâchant de retrouver le fil de cette réminiscence, d'en déterminer le vrai du faux, d'en comprendre le sens. « Co-comment… J'veux dire… » Ses pensées tournoyaient à toute vitesse, au moins aussi violemment que la tempête, à l'extérieur. Était-ce un mirage ou la réalité ? Les médecins avaient bien dit que ça pouvaient surgir n'importe quand, n'importe où, n'importe comment. Mais pourquoi ici, pourquoi maintenant ? Pourquoi cette angoisse qui lui vrillait le cœur, cette peur tétanisante que d'autres ne surgissent, que sa mémoire ne reviennent vraiment ? Pourquoi ces larmes qu'on pouvait prendre pour de la joie, qui n'en avaient pas le goût, juste celui du sel et de l'affolement ?

ft @Jin Kyung Seo

Dans ce huis clos soumis au bon vouloir des éléments, la présence de Jin déposait une aura rassurante sur les ombres qui grignotaient les vestiaires. Un monstre vorace avait avalé les mois de septembre et d'octobre d'une bouchée, ne laissant pas une seule miette derrière lui, et voilà qu'ils étaient déjà en novembre, sans que Selene n'ait assez pris le temps d'en passer avec le Serpentard. Tout allait si vite, elle peinait à conserver le rythme. Les cours à apprendre, les visages de ses camarades à reconnaître, les liens à nouer ; au milieu de ces flots déchaînés, il était une silhouette rassurante ancrée dans un été qui lui paraissait être une autre vie déjà. Alors traverser cette intempérie en sa compagnie ne pouvait que signifier que tout irait bien. Surtout qu'il semblait parfaitement serein face au déferlement de pluie et de vent qui s'était abattu sur eux, empêchant Selene de céder à une panique qui aurait déjà englué son corps tout entier si elle avait été seule. Visiblement, c'était plus que fréquent, en Corée, ce qui ne manqua pas de lui arracher une exclamation surprise avant qu'une question, soufflée du bout des lèvres, ne la remplace. Le silence qui suivit pesa lourd sur ses épaules, ses yeux se voilèrent légèrement lorsque Jin détourna les siens. « Oui… Mais je suis ici maintenant. » laissa-t-il finalement échapper, juste au moment où Selene allait retirer sa question, lui dire qu'il n'avait pas à répondre à ça s'il n'en avait pas envie, s'excuser de l'avoir mis mal à l'aise et d'avoir fait remonter des souvenirs qui assombrissaient décidément son front. Suspendue à une hésitation, elle tendit finalement le bras dans sa direction, posant ses doigts un peu trop froids sur les siens, essayant de communiquer son soutien silencieux d'une douce pression. « Si tu as besoin… » La suite ne trouva jamais le chemin, perdue quelque part entre les incertitudes et les peurs. Deux mois étaient passés à une vitesse folle et elle n'avait toujours pas trouvé sa place, ballotée entre ce qui lui faisait envie, ce qui lui faisait plaisir, toutes les choses qui lui faisaient du bien, et cette voix persistante dont elle peinait à se débarasser. Réalistement, que pouvait-elle bien lui apporter ? Sa main retrouva piteusement le bois du banc. Aussi fort soit son désir de servir à quelque chose, d'être présente pour les personnes qu'elle aimait, sa raison la ramenait toujours à la réalité, douloureuse, l'obligeant à contempler toute son inutilité.

Décidée à ne pas se laisser hanter par ces sombres pensées, Selene changea de sujet, sans parvenir à trouver l'effet escompté. Ce qui lui semblait une vue innocente se troubla quand elle caressa du doigt l'idée que personne ne remarquerait son absence, si elle ne rentrait pas dans son dortoir ce soir, comme ça avait été le cas à la rentrée, durant cette première nuit qui était probablement la pire de sa vie ; néanmoins, elle ne pouvait imaginer que Jin soit aussi invisible qu'elle, ce qui expliquait la confusion qui habilla ses traits lorsqu'il ricana qu'il en doutait. Sa tête baissée constate que ses mèches blondes pleuraient en silence sur le pantalon sec que Jin lui avait prêté, aussi s'efforça-t-elle de les en éloigner, avec assez peu de succès ; mais n'est-ce pas l'intention qui compte ? Jin s'éloigna d'un bond rapide, la sommant de ne pas bouger, ce qu'elle fit sagement, contemplant la pluie torrentielle qui noircissait la petite fenêtre, amusée par cette récurrence qui semblait vouloir les ramener encore et toujours à se retrouver sous l'eau. Il fallait simplement espérer que ça n'était pas un oracle malveillant pour un futur noyé. Selene préférait se dire que c'était quelque chose qui les liait, en bien plutôt qu'en mal. Et là, sous l'impulsion d'un geste qui n'aurait dû déclencher qu'un sourire reconnaissant, passé et présent s'entremêlèrent, danse macabre qui laissa Selene pantelante, les gouttes de pluie diluée dans le sel de ses larmes elles-mêmes entrecoupées de la sueur qui perlait sur ses tempes. Elle avait chaud, tout d'un coup, alors même que sa peau glacée pâlissait à vue d'œil. C'était un souvenir, un vrai, pas un préfabriqué tout droit tiré des pages de ses petits carnets ; un moment marquant, en tout cas quelque chose qu'elle avait vécu et dont les images dansaient librement dans son esprit anéanti. « Selene ?... Tu vas bien ? » La voix familière, rassurante, perça le brouillard tonitruant qui l'enveloppait, l'attira à lui, la ramena là où il se trouvait, des années après cette réminiscence avec laquelle elle aurait préféré ne jamais renouer. Elle sentit confusément que ses doigts s'agrippaient aux siens, comme s'ils étaient les seuls capables de l'empêcher de sombrer. Les mots hachés tentèrent de s'expliquer, de raconter ce qui se passait dans sa tête, mais elle-même ne savait pas très bien ce qui lui arrivait, si ce n'est que tout venait de basculer. « Quoi ? Un souvenir que tu avais perdu ? » Douloureusement, elle hocha la tête. Un souvenir perdu qui, elle le comprenait sans le saisir tout à fait, mettait en lumière cette volonté inconnue de ne pas le retrouver ; lui, mais tous les autres aussi. Elle était bien, bercée dans cette douce ignorance de ce qui avait été, à naviguer à l'aveuglette pour se trouver, elle ne voulait pas de ce poids qui transparaissait dans les carnets lus maintes et maintes fois. « Ça va aller… » Le son de la voix de Jin, plus proche, lui fit comprendre que cette douce chaleur qui chassait lentement, mais sûrement, le froid déposé par les vagues de ses pensées, était l'œuvre des bras du Serpentard, délicatement enroulés autour de sa silhouette agitée. « Pars pas » supplia-t-elle dans un murmure étranglé, accrochée à cette étreinte vitale, sanglotant des sentiments qui la submergèrent sans lui laisser une seule chance. C'était ce qu'il ferait probablement, n'est-ce pas ? Si elle retrouvait ses souvenirs égarés, qu'elle redevenait celle qu'elle avait été, la solitude reviendrait aussi. Alors, tant qu'elle le pouvait, elle voulait égoïstement profiter du réconfort qu'il lui procurait, tandis que les secondes filaient et que la crise s'apaisait.

Emportée par la tempête, à la dérive sur ces émotions dévorantes, Selene s'accrochait de toutes ses forces à l'étreinte qui lui conférait ce doux sentiment de sécurité. Elle se souvenait. De quelque chose d'insignifiant, d'un moment de son enfance qu'elle ne pouvait raccrocher à rien d'autre, mais elle se souvenait. Un pan de sa mémoire, aussi infime soit-il, venait de se révéler et la crainte que d'autres ne suivent la clouait sur place. Alors quoi ? Les réminiscences encrées dans ses carnets s'enroulaient autour de sa silhouette, liens tranchants qui la cisaillaient de l'intérieur. C'était stupide de se sentir aussi libre depuis qu'elle était amnésique, complètement insensé parce qu'elle n'était qu'une petite lune en cage. Même si cette dernière était un ciel qui paraissait infini, il n'en était rien et on lui imposerait bientôt des choses à faire pour convenir aux désirs paternels. Et elle redeviendrait celle qu'elle était autrefois, petite âme effacée, silencieuse et esseulée. Selene avait peur de perdre ses envies nouvellement acquises et tout ce qui les accompagnait : ses amis, ses sourires, ces liens qui se tissaient avec le temps et lui faisait comprendre que Poudlard n'était pas ce monde tout gris comme elle l'avait lu. « Je pars pas. » La voix rassurante de Jin repoussa un peu la panique qui voulait l'engloutir toute entière. Si les larmes continuaient de couler librement sur ses joues gelées, les sanglots moururent après cette supplique, celle qu'il ne parte pas, qu'il reste tout près d'elle et ne l'abandonne pas. « Je ne sais juste pas comment t’aider… » Il ne pouvait pas, à moins de connaître quelque chose capable d'apaiser cette peur tétanisante, irrationnelle et complètement délirante. « On peut… rester comme ça. » Effondrée entre ses bras, Selene hocha la tête, repoussant à plus tard le moment où elle essaierait de s'étouffer un oreiller pour n'avoir pas fait preuve d'un minimum de retenue et pour s'être à ce point laissée aller en présence du Serpentard. Dire qu'ils s'étaient séchés uniquement pour que ses pleurs viennent tremper derechef les vêtements de l'adolescent… « Ou en parler, de ce qui te fait mal. » Revenant tout doucement à elle, la vague affolée reculant après l'avoir gelée toute entière, elle ne se sentait pas de raconter quoi que ce soit. Alors que les secondes filaient dans un silence assourdissant, tout ce dont elle avait besoin, c'était cette tendresse qui l'enveloppait présentement et qu'elle souhaitait, égoïstement, sentir contre elle encore un peu. « On peut rester comme ça ? On parlera plus tard, une prochaine fois… » Peut-être qu'elle serait alors capable de tout lui dire, de lui avouer ses idées les plus noires, mais elle savait bien, au fond d'elle, que ça n'arriverait pas, qu'elle verrouillerait tout ça pour n'embêter personne, profiter de la dernière goutte d'ivresse avant que la coupe ne soit vide. Mais pour l'instant, juste encore un peu, elle avait besoin de verser quelques larmes de plus, de se laisser bercer par cette affection dont elle manquait tellement.