C’était la pire idée qu’ils aient jamais eue. Silas le savait, mais il n’avait pourtant pas hésité une seule seconde avant de coucher son consentement sur ce bout de parchemin en pleine nuit. Le Serdaigle n’avait pas été effleuré par l’idée que ses sentiments puissent être réciproques ; depuis leur troisième année, il s’était fait à leur relation asymétrique, à la perspective de demeurer un amoureux éperdu dans le secret de ses entrailles. Alors, pas une seule fois il n’avait songé que les images qui habitaient ses fantasmes nocturnes puissent devenir réalité – même s’il s’agissait d’un simple jeu, même s’il s’agissait d’un service rendu à son meilleur ami. Au fond de lui, il était un peu troublé par cette proposition. Oui, évidemment ça se tenait que Dash n’ait pas envie de passer pour un puceau inexpérimenté auprès de Selene ; mais il aurait pu proposer à une fille, non ? Ou à quelqu’un d’autre ?

Je suis son meilleur ami, se rabroua-t-il en s’appuyant contre le chambranle de la porte du dortoir qu’il partageait avec Dmitri. Évidemment qu’il ne le proposait à personne d’autre. Le Gryffondor avait confiance en lui ; ils étaient à l’aise avec la proximité l’un de l’autre et Dash savait qu’il n’avait aucune intention de se moquer de lui ou de le tourner en ridicule. C’était purement expérimental… Enfin, c’était quand même son premier baiser, non ? Chassant avec agacement ces pensées parasites qui ne cessaient de bourdonner depuis que la proposition de ce cours farfelu avait été émise, Silas s’enquit auprès de son colocataire s’il voulait bien lui céder la chambre pour une heure ou deux, histoire d’être tranquille. Sans (véritable) surprise, son cadet lui répliqua assez sèchement que ce n’était pas un lupanar, ce à quoi l’aîné répliqua un « Vas-y, tu casses les couilles » de mauvaise foi, avant de quitter la salle commune de Serdaigle d’un pas raide – et boiteux, suivi du fidèle Bane, sur lequel il s’installa pour soulager sa jambe. D’un petit mot voletant, il prévint son meilleur ami du refus de Dmitri. Non mais sérieux, y avait pas un code entre mecs pour se faciliter la vie quand il s’agissait de pécho, là ? Qu’est-ce qu’il était rasoir, celui-là. Comme s’il allait baiser sur son lit. Fallait qu’il se sorte le balai qu’il avait dans le cul – ou qu’il ravale sa frustration de n’avoir personne à inviter dans sa chambre. Cette petite mesquinerie intérieure lui tira un sourire satisfait, qui fut toutefois bien vite ravalé lorsqu’il rallia le portrait de la Grosse Dame, devant lequel Dash déçut ses espoirs.

— Rowle a pas l’air de vouloir bouger son cul, souffla-t-il, à peu près aussi dépité que son ami.

— Mais sérieux, on fait comment pour pécho tranquille dans cette école genre ? lâcha Silas en levant les yeux au ciel avec exaspération. Heureusement que c’est pas un date, ç’aurait été gênant de ouf comme situation.

— On essaye d’trouver une salle vide du coup ? proposa Dashiell, un peu à court d’idée.

— Ouais, pas le choix. À moins que tu veuilles faire ça en plein milieu d’un couloir, mais chuis pas très chaud, ricana son ami en haussant une épaule, scrutant l’un des fameux sourires pensifs de son interlocuteur.

Il avait abandonné depuis longtemps le rêve de comprendre chacun des mouvements faciaux du Gryffondor, dont l’expressivité n’était que le reflet d’un esprit agité de pensées désordonnées. Silas était à peu près persuadé que Dash avait un sérieux trouble de l’attention, mais il ne le prendrait jamais au sérieux s’il en émettait l’idée ; peut-être même le prendrait-il mal. En tout cas, c’était vraiment pas le moment. Là, c’était plutôt le moment où il embrassait son meilleur ami. Y repenser fit décrire un saut périlleux à son estomac, déjà noyé de papillons en se projetant mille idées du goût de ses lèvres. Aussi prêta-t-il assez peu attention aux salles qui défilaient, toutes inadaptées à l’usage que les deux adolescents projetaient d’en faire. Son regard bleu était concentré sur la silhouette de Dash, qui avançait d’un pas de plus en plus traînant, les mains dans les poches, visiblement frustré par ces échecs à répétition.

— I’ font exprès, on est d’accord ? s’écria le Gryffondor, excédé, devant une énième salle verrouillée. On tente l’sixième ? Et si c’est l’même bordel, flemme hein, j’abandonne !

Par réflexe, Silas tendit la main et effleura son poignet dans un geste d’apaisement, tandis que son meilleur ami était secoué d’un rire gêné. Il le sentait extrêmement nerveux ; à tel point qu’il douta, dans un moment de lucidité, de leur entreprise grotesque.

— On va trouver, lui assura-t-il avec une douceur qu’il ne destinait qu’à lui.

Il aurait voulu ajouter « Détends-toi », mais il s’abstint, un peu déstabilisé par l’énergie bouillonnante que son camarade dégageait. Était-ce un mélange d’appréhension et d’excitation en envisageant d’embrasser quelqu’un pour la première fois ? Ou regrettait-il son idée ? Le Serdaigle espéra vivement qu’il le lui dirait, s’il s’agissait de la seconde option. Il ne se remettrait jamais de forcer Dash à quoi que ce soit, peu importait combien sa peau réclamait le fin mot de cette histoire.

— T’inquiète, tu seras prêt pour demain, ajouta-t-il plutôt avec un clin d’œil complice.

Curieusement, il n’était pas le moins du monde jaloux à l’idée qu’il embrasse Selene. C’était une chouette fille. Dash méritait au moins ça ; en tout cas, il méritait mieux qu’un éclopé lunatique et agressif qui devrait voir un psy plutôt que donner un cours de roulage de patin à son meilleur pote. C’était vraiment une idée à chier. Mais sa conscience, toute cette part rationnelle de lui étaient cadenassées sans remords par le désir et l’excitation qui s’étaient emparés de lui tout entier. Il voulait l’embrasser ; même s’il ne s’agissait que de miettes, il les savourerait comme un festin. Parce que cette occasion ne se présenterait pas deux fois et qu’il savait qu’il regretterait davantage de ne pas mettre le doigt sur la sensation de ses lèvres sur les siennes plutôt que de s’étourdir avec ce souvenir.

Avec un amusement non dissimulé, Silas observa le Gryffondor se servir de la rampe des escaliers qu’ils avaient regagnés pour glisser jusqu’au palier. Profitant que Bane s’engage précautionneusement dans les marches avec ses pattes griffues, le Serdaigle étira une petite moue appréciative et applaudit du bout des doigts.

— T’imagines on s’casse l’cul là et elle e’ pense même pas c’est un date ? J’te jure, j’serais en PLS, geignit Dash quand Silas le rejoignit. T’crois faut qu’j’l’embarque au salon d’thé ? C’est cliché à mort, on est d’accord… ?

De bon cœur, son ami éclata de rire tandis qu’ils longeaient à nouveau un couloir dans l’espoir de trouver un peu de tranquillité pour leurs petites expériences charnelles.

— Selene est un peu naïve, mais je pense qu’elle s’en doute un peu, quand même, rétorqua-t-il en haussant un sourcil. Ouais, le salon de thé, bof. Chuis quasi sûr que c’est pas son genre. Essaie les Trois-Balais ? Et tu finis par une petite promenade dans un coin tranquille, du côté des chemins où c’est un peu joli, là. Si y a un moment où faut la pécho, c’est par là, j’pense.

Ça lui paraissait pas si con, mais qu’est-ce qu’il en savait, au fond ? Il avait emballé deux filles dans sa vie et il avait jamais eu de date. C’était d’ailleurs un peu ridicule que Dash espère qu’il lui enseigne quoi que ce soit de vraiment classe. Genre, OK, avec Toni c’était vraiment cool et il était assez fier de lui, mais Silas était pas vraiment un as de la drague ou du pelotage non plus. C’était plus des concours de circonstances qui l’avaient amené à rouler des pelles que des meufs qui s’étaient volontairement intéressées à lui. Même Teddy, il était à peu près sûr qu’elle se faisait surtout chier comme un rat mort à ce festival. Mais bon, maintenant, c’était un peu tard pour reculer – surtout que la salle des trophées paraissait enfin correspondre à leurs attentes. Ils échangèrent un regard sans équivoque, puis Dash ouvrit la porte… pour tomber sur deux fantômes, dont l’une des plus grosses commères du bahut. Autant dire qu’ils se carapatèrent dans la seconde. L’idée que quelqu’un soit au courant qu’ils s’étaient embrassés mit Silas singulièrement mal à l’aise, sans qu’il parvienne à identifier précisément pourquoi.

— Eh sérieux, vas-y, on prend l’premier truc qui passe, ça m’casse les couilles là, lança Dash, à peu près aussi saoulé que son meilleur ami.

— Je vote pour, les blagues les plus courtes sont les meilleures, grinça Silas en retour.

Il en avait sérieusement ras le cul d’écumer tout le château à la recherche d’un coin tranquille pour rouler une pelle à son pote. Sérieux, c’était ridicule comme situation, non ? Parvenant sans doute à la même conclusion, Dash partit d’un pas décidé en direction d’un placard plus loin ; sans difficulté, il l’ouvrit et l’aménagea du mieux qu’il le put pour y être (à peu près) à l’aise, avant de l’inviter à y entrer d’une révérence moqueuse. Évidemment, Silas éclata de rire.

— Bah faut croire que tu vas l’avoir, finalement, ton moment sexy dans un placard, gloussa-t-il en se relevant, laissant Bane la chaise reprendre sa forme de chat, dont les grands yeux vides fixaient le duo avec un reproche immanquable. Allez, déguerpis, ajouta-t-il à l’adresse du ronronroulant. Va te promener et juger d’autres ados en rut, s’te plaît.

Pour toute réponse, Bane poussa un miaulement qui avait valeur de roulage d’orbites exaspéré, puis se détourna avec superbe en levant haut la queue pour s’éloigner dans le couloir. Après quoi Silas suivit son meilleur ami dans le placard sans pouvoir s’empêcher de rire bêtement de la situation – rire auquel fit écho un ricanement caractéristique lorsque le Gryffondor referma la porte sur eux, les plongeant dans une pénombre seulement percée du rayon de lumière filtrant sous la porte close. Soudain, le cœur de Silas s’emballa alors qu’il réalisait que ça y est, c’était vraiment en train d’arrive et ce corps, cette chaleur et cette respiration qui échouait dans son cou appartenaient à Dash. Ils avaient toujours été proches, physiquement, mais cette fois-ci, c’était… différent. Ils savaient qu’ils allaient s’embrasser. C’étaient pas juste des papouilles entre deux plaisanteries idiotes.

— Ça fait des jours qu’j’rêve d’te coincer dans un placard, j’suis joie, rigola le Gryffondor, dont Silas aperçut la silhouette se tortiller dans le jeu de lumière. Bon, prof’, montre-moi histoire qu’on puisse s’barrer d’là avant d’étouffer, ajouta-t-il, non sans pertinence.

C’est qu’il faisait chaud là-dedans, bordel. Ou alors c’était lui ? Parce qu’il avait vraiment l’impression de cuire. Le Serdaigle espérait que, s’il rougissait, ça ne se verrait pas dans cette semi-obscurité.

— Ouais, alors, euh…, commença Silas, pas très brillant. Attends, deux secondes.

Il se racla la gorge et s’appuya contre la paroi la plus proche du placard dans un premier temps pour trouver une position plus confortable, avant de poser ses mains sur les épaules de son meilleur ami dans une suggestion légère.

— Je peux ?

Lorsqu’il eut acquiescé, l’adolescent dut convoquer tout son self-control pour s’empêcher de prendre une très, très longue inspiration pour tenter de calmer les légers tremblements de ses mains et cette peau qu’il sentait déjà hérissée de désir. Raffermissant sa prise sur ses épaules, il baissa le visage vers celui de Dash, se rapprochant juste assez pour que leurs souffles se mêlent et que le bout de leurs nez ne s’effleure.

— Déjà, première leçon. La plus importante, je dirais… Si y a quoi que ce soit qui te met mal à l’aise ou que t’aimes pas, dis-le tout de suite, OK ? Pas juste avec moi, hein. Tant pis si ça vexe ton… ta, se corrigea-t-il, partenaire. Et vice versa. Mes darons me l’ont répété quinze milliards de fois, mais en vrai, ils ont grave raison. Genre Toni, je crois que ça l’a mise en confiance que je le dise, tu vois ? Alors, euh, bah tout pareil pour toi. Tu me tej si c’est naze ou que tu le sens pas – ou que t’as plus envie, aussi, t’as le droit, résuma-t-il en retrouvant un peu plus de naturel.

Silas attendit que son ami lui confirme qu’il n’hésiterait pas avant de rapprocher lentement son corps du sien, réduisant la distance à néant dans un long frisson qui remonta le long de son échine avec délectation. Il ne s’était pas attendu à ce que la sensation de son ventre contre le sien lui tire un tel élan de désir dans le bide. Pour autant, il tenta de ne rien en laisser paraître et poursuivit sur un ton professoral exagéré en levant un index docte entre eux.

— Bon. Entrons dans le vif du sujet, jeune homme. Le programme, c’est que tu fais la fille et je te montre ; et ensuite, je fais la fille et je te dis si y a des trucs à corriger ou quoi. Mais d’abord, s’interrompit-il en tapotant le torse de Dash de son index jusqu’ici dressé, c’est quand même ton premier baiser et je serais un meilleur pote en carton si ça ressemblait à de la merde. J’veux que ça ait un peu de gueule avant qu’on entame le programme, quoi. Genre comme un échauffement, une mise en jambe. Je vais pas te rouler une pelle direct, c’est un peu hardcore. Fin, je trouve, après… Donc d’abord premier baiser, ensuite tu fais la fille, et après je fais la fille. Et encore après, on verra si tu veux tester des trucs, j’en sais rien. Et d’ailleurs, même si en fait tu veux sortir de ce placard dans trois secondes parce que tu réalises enfin que j’ai pas le cul d’une Selene et surtout pas les lèvres qui vont avec, c’est OK aussi, hein.

Silas se prenait au jeu, parce que c’était… facile ? C’était même naturel. Il se sentait à l’aise avec Dash, et avec ce qu’il était en train d’énoncer non sans humour. Il se sentait à sa place contre ce torse et ce ventre qui palpitaient et se soulevaient contre les siens, à sentir son haleine échouer contre ses lèvres déjà rosies par l’idée de bientôt goûter celles du Gryffondor. L’appréhension qu’il avait ressentie s’était dissipée dans la complicité de ce moment.

À nouveau, il marqua une pause le temps de recueillir l’assentiment de son meilleur ami, puis un silence s’installa. Premier baiser, donc. Excitation et stress entraînaient son cœur dans une course effrénée, sans toutefois l’empêcher de lâcher prise et de céder à ce que son corps réclamait depuis qu’il s’était levé ce matin. Ses mains se posèrent avec délicatesse sur les joues de Dash, ses pouces balayant un instant ses pommettes tandis qu’il lui faisait relever le nez vers son visage qui se penchait vers son partenaire dans un soupir qu’il ne parvint pas à réprimer avant qu’il ne sorte. Mais bientôt il fut étouffé, fracassé contre ces lèvres qui étaient si douces et si moelleuses contre les siennes. L’une de ses mains glissa dans son cou tandis qu’il penchait légèrement la tête de sorte à refermer sa bouche sur la lèvre supérieure de Dash, lui laissant tout loisir de s’emparer de sa lèvre inférieure et de mener le baiser où il en avait envie – s’il en avait envie. Ses mains étaient une caresse légère sur sa peau, lui suggérant qu’à tout instant il pouvait rompre l’étreinte et faire machine arrière. Silas avait voulu commencer en douceur, par peur de le brusquer, d’aller trop vite, trop loin, mais la réalité, c’était qu’il était lui-même totalement perdu dans cet écrin de tendresse qui lui donnait l’impression d’embrasser quelqu’un pour la première fois ; avec les papillons dans le ventre, le désir sur la peau frémissante et l’envie déchirante que ça ne s’arrête jamais.

La vanne de Dash sur le rut les fit ricaner tous les deux comme des abrutis immatures, alors que Bane s’éloignait d’un air digne et outragé en laissant la porte du placard se refermer sur les imbéciles qui tenaient vraisemblablement leur pire idée à ce jour – et c’était sans doute un record. Silas mit plusieurs secondes à trouver une position confortable, évacua l’inquiétude du Gryffondor d’un grognement et trouva ses épaules – repères rassurants dans la semi-pénombre qui les enveloppait. Ensuite, il s’assura que son meilleur ami était à l’aise et d’accord pour chaque étape. Il préférait encore se prendre un « Dégage » en cours de route que d’outrepasser ses limites en s’emballant un peu trop. Difficile cependant d’ignorer la tension palpable qui s’installait dans l’exiguïté de cet endroit improbable tandis que l’échéance approchait à grands pas, faisant trembler la terre qui les soutenait à chaque mètre gagné. C’était bizarre de se sentir aussi à l’aise et en même temps fébrile, comme si quelque chose d’important se jouait dans cette démonstration stupide tout droit sortie du cerveau d’un adolescent inexpérimenté. S’il était à l’aise avec la proximité de son meilleur ami et la façon dont son odeur embaumait l’espace réduit qu’ils remplissaient avec leurs deux corps, l’anticipation de ce contact intime et sensuel et l’atmosphère chargée d’électricité le rendaient fébrile. Il pressentait qu’il n’était pas le seul à être sensible à ce qui crépitait dans l’air à chaque effleurement, à chaque souffle échoué sur son visage, à la perception de cette chaleur familière qui paraissait soudain un peu nouvelle. Silas espérait que Dash n’était pas mal à l’aise, mais l’idée qu’il ressente comme lui cette excitation grondante à l’intérieur de son ventre frémissant le troublait bien plus qu’il ne l’aurait imaginé. Le Serdaigle avait toujours envisagé ses sentiments et son désir à sens unique ; raison pour laquelle il les avait enfouis profondément et ne cherchait pas à les partager – du moins, pas davantage que les miettes humoristiques que lui accordait le Gryffondor. Il chassa cette pensée comme un insecte agaçant ; ce n’était pas le moment.

Lorsque leurs peaux échouèrent l’une contre l’autre, l’adolescent perçut les battements de cœur tout aussi rapides que les siens et, quelque part, ça avait quelque chose de rassurant. Ils étaient un peu à égalité, au fond, dans cette expérience stupide. Pour détendre un peu tous ces muscles tendus par l’attente, Silas entra dans son cours improvisé en énonçant les différentes étapes ; son doigt dressé entre eux eut le mérite d’arracher un gloussement à son meilleur ami, bien que ce dernier s’étonne ensuite que tous ces mouvements et cette électricité dans l’air ne fassent pas partie du jeu. Le Serdaigle ne montra pas combien son étonnement lui pinça l’estomac, un peu trop conscient que oui, sans doute que ça ressemblait un peu trop à un rapprochement sérieux depuis qu’ils étaient entrés dans ce placard. C’était plus fort que lui – d’un autre côté, il n’était pas le seul à se laisser gagner par la promiscuité, non ? À nouveau, Silas espéra que Dash n’était pas mal à l’aise et que, s’il venait à l’être, il le lui signalerait sans détour. Parce que, pour sa part, il était un peu trop pris au jeu et impatient de goûter ces lèvres.

Toutefois, ses ricanements et son « À vos ordres, chef ! » le rassurèrent un peu, lui arrachant même un petit sourire en coin complice. Qu’est-ce qu’il l’aimait, putain.

Et c’est sur cette pensée et ce surgissement d’affection intense qu’il prit délicatement son visage entre ses mains en se penchant vers lui. Le petit sourire hésitant que Dash étira lui renversa le bide et il fut saisi de l’envie urgente de l’enlacer et de l’embrasser à en perdre haleine – mais c’était pas le plan. Et il se tiendrait au plan, parce que Dash n’avait consenti à rien d’autre et il était hors de question qu’il aille plus loin que ce que son meilleur ami souhaitait. C’était lui, ça avait toujours été lui qui comptait plus que tout au monde pour lui et son bien-être était sa priorité ; peu importait combien il crevait d’envie de lui montrer à quel point il était dingue de lui. Enfin, leurs lèvres se rencontrèrent et ce fut encore mieux que dans ses fantasmes ; parce que c’était vrai, c’était vraiment en train d’arriver et c’était bien Dash qu’il embrassait. D’abord, ce dernier demeura immobile, mais lorsqu’il glissa lentement sa main dans son cou, il sentit sa peau se hérisser sous ses doigts et son ventre se réchauffa à cette sensation, avant de brûler à l’entente de ce petit bruit terriblement excitant qu’il lui arracha en saisissant délicatement sa lèvre inférieure entre les siennes. C’était une torture de ne pas obéir à son instinct, qui lui susurrait de l’attirer davantage à lui, d’enfouir ses doigts dans ses cheveux et de le laisser tout entier prendre possession de sa bouche. Mais la suite fut meilleure encore, parce que Dash posa ses mains sur ses hanches et un soupir étranglé lui échappa contre ces lèvres chaudes. La maladresse de ses mouvements lui donnait envie de lui assurer que tout allait bien, que tout irait bien, qu’il était en sécurité avec lui. Enfin, il l’aurait peut-être fait si son partenaire n’avait pas écrasé le peu de conscience qu’il lui restait en pressant ses lèvres contre sa bouche offerte, happant sa lèvre supérieure avec une prise plus assurée sur ses hanches. Son cœur dansait une valse enchantée, gravant déjà ce souvenir dans les futures tentatives de lancer un patronus corporel.

Un dernier soupir frustré lui échappa lorsque son meilleur ami se recula, remettant une distance raisonnable entre leurs corps. Silas laissa retomber ses bras le long de son corps avec une certaine déception.

— C’tait…, commença-t-il, avant que sa phrase ne meure dans un gloussement étrange. P’tain, j’y crois pas qu’on a vraiment fait ça…

Malgré la pénombre des lieux – si on pouvait appeler ça un « lieu » –, Silas tenta de scruter son expression avec anxiété.

— Ça va ? s’enquit-il immédiatement. Tu veux qu’on arrête là ? On peut, hein.

Mais Dash ne voulait pas s’arrêter là. Le Serdaigle se sentit un peu coupable d’étirer un sourire soulagé qui se distinguait à peine dans la semi-obscurité. Bien sûr qu’il était heureux de prolonger ce moment, de sentir encore ses lèvres contre les siennes, son corps contre le sien – d’éprouver le contact sûrement trop bon de sa langue contre la sienne ; mais il voulait s’assurer que tout était consenti du début à la fin.

— Du coup, j’espère que ton premier baiser était pas trop décevant, ricana-t-il un peu stupidement, probablement pour évacuer son embarras à l’idée de lui avoir peut-être volé ce moment sans que le plaisir n’ait été réciproque. Alors… Si t’es OK, on part pour le truc où tu fais la fille. Donc le principe, c’est que je te roule un patin, quoi. Je vais essayer de faire ça lentement pour que tu, euh, décomposes les mouvements et tout. Fin, que tu voies le principe pour reproduire. Et, j’me répète, mais si tu veux m’envoyer chier, vas-y hein. On est d’ac ?

Encore une fois, Dash acquiesça. Son estomac fit un triple salto arrière et son cœur repartit au galop. Il avait vraiment très, très envie de ça, mais il craignait aussi de se trahir en y prenant un peu trop de plaisir. Mais c’était acté, alors…

— Bon, c’est parti, lâcha-t-il un peu nerveusement – un peu pour se donner du courage, un peu pour avertir son ami qu’ils y retournaient. Je vais poser mes mains là où j’ai l’impression qu’elles kiffent, mais tu peux les dégager si c’est chelou et je te ferai un cours théorique sur ce point, se marra-t-il, sincèrement amusé à l’idée de lui décrire les différentes positions possibles pour savoir quoi faire de ses mains. Allez, viens-là grand fou, l’invita le jeune homme en penchant légèrement la tête avec un sourcil haussé pour détendre l’atmosphère.

L’adolescent attendit que Dash se rapproche à nouveau, puis il prit les choses en main – littéralement. D’abord, il glissa le bout de ses doigts sur sa joue – qui lui semblait plus chaude que tout à l’heure –, puis les enfouit dans les cheveux qui tombaient sur sa tempe, en profitant pour couler son corps contre le sien ; il ne sentait même plus la douleur qui palpitait dans sa jambe tant le désir prenait toute la place et consumait le reste de ses sensations. Retrouver le doux frottement de leurs ventres l’un contre l’autre lui hérissa l’échine, tandis que sa main se posait avec légèreté sur sa taille, dans le creux léger de cette hanche qu’il caressa machinalement du pouce alors que leurs bouches se pressaient encore une fois. Ses doigts échoués entre ses cheveux se recourbèrent pour les brosser lentement, ses lèvres s’entrouvrant sur le bout d’une langue taquine qui vint caresser ses lèvres dans une invitation muette. Lorsque ces deux lambeaux de chair délicieusement chauds et doux abandonnèrent sa bouche à sa langue soudain avide, il chercha sa jumelle avec lenteur ; la trouva timidement ; la glissa contre la sienne en un effleurement joueur, qui se transforma petit à petit en ballet enfiévré – bordel, que c’était dur de ne pas le faire reculer contre la paroi du placard et se perdre dans cette étreinte humide à en oublier de respirer.

S’assurer que tout allait bien ; encore. S’enquérir du renouvellement de son consentement ; encore. Et encore, Dash acquiesça ; et encore, Dash refusa de s’arrêter là. C’était presque trop beau pour être vrai ; c’était presque suspect. Était-il un élève si appliqué qu’il ne trouvait rien à redire à ce cours hautement improbable, découpé en trois étapes pas franchement nécessaires ? Ou prenait-il, peut-être, rien qu’un peu de plaisir à ces instants volés dans le secret de ce placard ? Malgré sa lucidité sur la situation, Sila ne pouvait pas s’empêcher de l’espérer – rien qu’un peu. Après tout, la tension électrique qui hérissait leur peau et leurs muscles n’était pas unilatérale. La chaleur qu’ils dégageaient et ces respirations lourdes n’étaient pas le pur produit de son imagination. Il y avait bien quelque chose qui circulait, là, d’un corps embrasé à l’autre. Même s’il s’agissait simplement du plaisir retiré par cette étreinte intime, il s’en satisfaisait pleinement ; lui qui craignait surtout de dérober son premier baiser à son meilleur ami. Dash méritait sans doute mille fois mieux que cette première fois dans un meuble aléatoire d’un couloir du sixième étage, mais le Serdaigle était trop égoïste pour ne pas saisir cette occasion inespérée – qui, il ne se voilait pas face, ne se représenterait plus jamais.

— Nan, c'bon, assura le Gryffondor avec son flegme habituel, malgré l’ambiance très inhabituelle. Mais essaye pas d'te défiler, Jørgensen, l’avertit-il avec si peu de conviction que son partenaire en rit.

— Jamais, nia ce dernier d’un faux air outré, avant de recouvrer son sérieux et de lui demander indirectement si l’expérience n’était pas trop désastreuse.

— Horrible ! gloussa Dash, avec une forme de ravissement sous-jacent qui firent se dresser les poils de ses avant-bras.

— C’est bien ce qui me semblait, répliqua-t-il sur une tonalité similaire, sans trop savoir où il allait en sous-entendant qu’il avait cueilli son désir entre ses lèvres.

Quoi qu’il en soit, il était temps de passer à la seconde étape de ce plan foireux. Afin de dédramatiser la situation, la grande perche blonde reprit ce ton doctoral qu’il se plaisait à arborer comme une armure ; mettant à distance de ses propres espoirs ce qu’il se passait dans cette pénombre terriblement (trop) excitante. Heureusement, son petit discours décontracta l’ambiance – suffisamment pour que Dash lance une plaisanterie aussi stupide que grivoise, à laquelle Silas ricana de bon cœur. Les muscles détendus, un peu plus assuré aussi, le Serdaigle enlaça à nouveau son ami qui s’avançait vers lui pour la suite de cette expérience stupide. Leurs lèvres se retrouvèrent naturellement – si naturellement que c’en était un peu troublant et enivrant –, tout comme ses mains s’échouèrent dans le creux de sa hanche qu’il caressa instinctivement et les cheveux qui tombaient sur sa tempe. Leurs cœurs battaient à l’unisson dans un chœur assourdissant, seulement accompagné de leurs souffles lourds et du froissement délicat de la chair contre la chair. Silas fut presque déstabilisé par l’avidité qu’il perçut en quémandant sa langue du bout de la sienne ; Dash lui avait cédé le passage avec quelque chose qui ressemblait à de l’empressement, à une fébrilité qui prenait racine dans le plaisir le plus simple et le plus primal. Il n’eut cependant aucun neurone libre pour s’y attarder, car la sensation humide et presque obscène de ce baiser lui fit tourner la tête au point qu’il nota à peine la façon saccadée dont son meilleur ami s’agrippa à ses épaules, égarant ses mains dans sa nuque pour la caresser un instant, puis sous la chaleur du col de son large pull. Réfléchir, c’était pour ceux qui ne se vautraient pas dans le désir le plus brûlant, aussi intense et hypnotique qu’une flamme bleue oscillant au gré d’un gaz toxique. Aussi, quand Dash se pressa un peu plus contre lui et resserra le nœud de ses mains autour de son cou frissonnant, Silas abandonna toute raison et l’imita pour faire disparaître le moindre millimètre insupportable qui subsistait entre leurs deux corps. Entraînés par ce mouvement presque simultané – et surtout déséquilibrés par la tenue précaire de la mauvaise jambe de Silas –, ils se reculèrent à petits pas maladroits contre la paroi du placard située dans le dos du Serdaigle, qui la heurta dans un grognement étouffé sans pour autant rompre le baiser qui commençait sérieusement à lui faire tourner la tête. Ce n’était plus la démonstration lente qu’il avait promise, mais un chaos de langue, de dents et de lèvres qui tiraillait délicieusement son aine. Un peu trop, d’ailleurs – si bien qu’à peine quelques secondes après avoir heurté la paroi du placard, un éclair de lucidité l’arracha à ce moment qui avait basculé dans un terrain inexploré et effrayant. Profitant que chacun retrouvait son souffle, il retira précipitamment sa main de la taille de son meilleur ami ; inconsciemment, durant leur étreinte, il avait froissé son haut et commencé à caresser un lambeau de peau maladroitement découvert.

Un rire rauque lui échappa, tandis qu’il détournait les yeux de ce carré de chair pâle comme s’il s’était brûlé. Ses deux prunelles perçantes trouvèrent les deux billes de chocolat de Dash, qui luisaient étrangement dans cette semi-obscurité, et il retira sa main de ses cheveux à regret pour s’appuyer contre le placard, la poitrine encore secouée par ce halètement qui emplissait l’espace.

— Au moins, dis-toi que tu risques pas de faire basculer la meuf en arrière avec toi, lâcha-t-il pour souligner davantage ce microévénement que le baiser passionné qu’ils avaient un peu trop longuement échangé. Et franchement, chais pas si t’as besoin du dernier round, ajouta-t-il en lui donnant un petit coup de coude qui se voulait viril. Tu galoches bien pour un mec qu’a jamais fait ça. T’as emballé des meufs dans mon dos ou quoi ?

En essayant de se rattraper aux branches d’un arbre qu’il pensait connaître par cœur, Silas ne prit pas conscience qu’il était nerveusement lancé sur une disquette d’humour lourdingue pour dissiper la tension sexuelle qu’il n’avait pas – et n’aurait jamais – pensé à anticiper. Il n’était pas prêt, il était paumé et il avait soudain peur que Dash ait tout compris dans cet aveu de chair qui parlait bien plus que trois mots pourtant lourds de sens.

T’es vraiment un connard Jørgensen, putain, qu’est-ce que t’es con.