Le sort avait donc décidé que la bibliothèque serait à la croisée des chemins de son année. D’abord, le lendemain de la répartition, Selene qui ne le reconnaissait plus, et maintenant cette tête brune et concentrée qu’il avait aperçue en s’installant dans la salle avec une montagne de traités médicomagiques et de livres de recettes de potions. Il l’aurait reconnue entre mille, avec cet air concentré qui lui faisait presque tirer la langue entre les dents, ces sourcils froncés comme ceux d’une lionne peinant à déchiqueter sa proie – en l’occurrence, un manuel d’étude des runes. Azure Zinnia avait beaucoup plus de potentiel qu’elle ne le pensait elle-même, mais peut-être l’avait-elle réalisé durant l’année d’absence de Silas, car elle paraissait plus… assurée. À moins que ça ne soit l’envie de foutre le feu au manuel qui paraissait lui donner du fil à retordre ; c’était une possibilité.

Quoi qu’il en soit, l’adolescent s’interrompit dans l’ouverture de son journal intime pour tapoter nerveusement le bout de sa plume autoencreuse sur ces pages noircies à la hâte d’idées en tout genre. À ses pieds, Bane passait et repassait entre ses chevilles, le couvant de son regard inexpressif. Le problème, avec ce maudit ronronroulant, c’est qu’il se faisait le miroir de toutes ses émotions – en l’occurrence, sa nervosité. Il détestait parfois ce chat qui n’en était pas un et qui le contraignait à se dévoiler plus qu’il ne l’aurait voulu. D’un autre côté, il n’avait pas envie de rester sagement à sa place pour éviter soigneusement de rencontrer à nouveau la route de cette fille qui avait été un jour l’une de ses plus proches amies. Difficile d’oublier les fous rires, les regards brillants échangés en cours en se mordant les lèvres pour ne pas céder, les séances de commérage et les repas partagés au détour de débats aussi stupides qu’improbables. Azure avait fait partie de ce qu’il y avait de bon dans sa vie, et il était impossible que Silas y renonce aussi facilement – du moins, pas sans tenter une dernière fois de tendre la main.

S’ils s’étaient séparés sur une mémorable engueulade à cause de ce connard de Sørensen, une année dense s’était écoulée depuis. À vrai dire, l’été qu’il avait passé après ce froid glacial qui avait enveloppé leur ancienne amitié aurait probablement suffi à lui donner l’impression que leurs si grands différends n’étaient en réalité que des poussières après ce qu’il avait traversé. Et puis, tout le monde grandissait, non ? De l’eau avait coulé sous les ponts et, sincèrement, Silas était fatigué de se battre en permanence. Le monde entier lui montrait déjà les dents, ce n’était peut-être pas nécessaire de nourrir une rancœur aussi passée que celle-là. Honnêtement, il se sentait assez seul depuis son retour. Très bien, il avait renoué avec certaines personnes et il en était très heureux, mais il ne pouvait pas se défaire de l’idée que ce n’était pas comme avant ; il avait l’impression d’avoir basculé dans un univers parallèle, où tout était mélangé et dans lequel il ne tenait plus le rôle que d’un fantôme qui avait oublié jusqu’à la raison pour laquelle il hantait les lieux.

Bon, là, c’était vraiment foutu pour plancher sur ses histoires de remèdes. Si l’humeur n’y était pas depuis qu’il s’était levé après une nuit hachée par des relents de douleur, son cerveau avait lâché la rampe pour se laisser tomber dans l’escalier de l’autoflagellation. Chaque marche était plus rude que la précédente.

Réprimant un soupir agacé, titillé par son impuissance – comment l’aborder ? –, ses yeux tombèrent sur les parchemins vierges qu’il avait emportés pour lui servir de brouillon.

J’ai une idée, se félicita-t-il avec un sourire de chat qui fit luire ses yeux bleus.

Soudain inspiré, il déchiqueta plusieurs morceaux de papier pour y coucher un premier « Derrière toi » censé attirer son attention. Ensuite, il ajouta sur un autre bout « Non, pas ici, idiote, de l’autre côté » et termina par un « Mais mets-tes lunettes ! » Elle n’en avait pas, mais c’était drôle. Il les froissa en boulettes aérodynamiques, visa son épaule d’un air concentré, puis commença à catapulter ses projectiles un par un. Le premier fut une réussite critique, car si elle ne daigna pas se retourner, lorsqu’elle lut le mot, la curiosité la poussa à jeter un regard alentour en se retournant pour balayer la bibliothèque du regard. Il pencha la tête en haussant un sourcil lorsqu’elle tomba enfin sur lui, mais son expression ne laissa vraiment rien présager de bon. Azure se retourna comme s’il n’existait pas.

Un claquement de langue agacé lui échappa, mais il était plus têtu que ça.

— Azure ! chuchota-t-il pour l’obliger à s’intéresser à lui.

Ça ne produisit pas grand effet, autre que des « Chut ! » agacés autour de lui. Levant les yeux au ciel, il se remit à écrire des petits mots, qu’il envoya l’un après l’autre par-dessus son épaule pour les faire atterrir en plein sur son manuel de runes. Cinquante points pour Gryffondor si ça prenait feu ! Là, elle serait obligée de se retourner même si elle ignorait les boulettes. En revanche, si elle les attrapait, elle pourrait lire ceci :

Figurez-vous que les runes ne prirent pas feu, car Azure s’empara bel et bien des boulettes – bon, d’après ce qu’il voyait, dans un ordre approximatif, mais au moins la surprise et la déstabilisation apportées par ce désordre grotesque lui arrachèrent-ils un éclat de rire franc qui fit sourire les yeux de Silas. La façon dont elle s’esclaffa dérapa toutefois vers quelque chose de plus pincé, qui indiqua sans peine au jeune homme qu’elle n’était pas non plus disposée à tout lui pardonner sur la base d’une simple blague potache. Ça n’avait rien d’étonnant, car les dernières véritables paroles qu’ils s’étaient adressées il y a deux ans avaient été assassines. Depuis lors, ils ne s’étaient plus qu’ignorés royalement ou lancé des regards froids. Les longs mois qui les avaient séparés depuis avaient fait leur œuvre, mais que restait-il réellement de cette amitié éclatée, dont Silas cherchait à rassembler les morceaux dans l’espoir de reconstituer le puzzle sans en perdre les pièces principales ? Il ne serait plus parfait, mais s’il existait encore, au moins…

Tapotant toujours son journal intime du bout de la plume, il l’observa sans complexe, sans chercher à se cacher pour saisir le moindre de ses faits et gestes. La contradiction, l’exaspération, la tension et l’envie que traduisaient toutes ces petites choses, ces contractions dans ses épaules, la façon dont elle secouait la tête, y reposait sa main avec une consternation qui l’amusa énormément. Sans la lâcher du regard, il la vit écrire, raturer, écrire, raturer, puis abandonner.

Hm.

Son agitation et sa frustration étaient palpables ; Azure semblait avoir beaucoup trop de choses à dire. En tout cas, trop pour tenir sur des petits bouts de parchemin. Il douta qu’elle reste, un instant ; il pensa qu’elle abandonnerait, qu’elle lui tournerait le dos parce que c’était plus facile, moins douloureux, moins pénible. La Gryffondor se redressa, hissa son sac sur son dos, jeta les papiers à la poubelle et quitta sa place. Le cœur de Silas manqua un battement et instinctivement il posa ses paumes à plat sur la table pour se lever, mais elle marqua une pause et lança :

— Toi. Debout !

Personne n’osa lui intimer le silence, tandis qu’elle promenait un regard furieux sur les têtes qui s’étaient relevées. Un sourire joua sur les lèvres de Silas, décidément un peu diverti par cette attitude frondeuse qu’il appréciait.

— Tu viens avec moi, Silas. Maintenant, ordonna-t-elle sèchement.

— Oui, cheffe. À vos ordres, cheffe ! balança le Serdaigle en se redressant, réprimant difficilement le rire qui montait de sa poitrine.

Quoi, tu vas me tirer par l’oreille si je viens pas ?

Et de toute façon, qu’elle l’ait demandé ou non, il serait venu. Il ne l’aurait pas laissée filer. Du moins, pas sans avoir tenté de la retenir.

— Tiens. Salut, Bane, ajouta-t-elle lorsque son regard tomba sur le chat. Tu viens toi aussi.

Pour toute réponse, le ronronroulant émit un miaulement neutre, comme un acquiescement, puis se releva et prit sa forme de chaise en se tournant impérieusement vers son maître. Heureusement que cette maudite bestiole ne parlait pas, elle lâcherait sans doute ses pires secrets au premier venu simplement pour pouvoir obtenir un moyen de pression suffisamment efficace afin de l’obliger à rester sagement assis et à faire ses exercices d’assouplissement aux heures dites.

Sale bête, grogna intérieurement l’éclopé en se coulant dans son ronronroulant. Il y transféra ses affaires après les avoir rassemblées et abandonna les livres sur la table. Bah, quelqu’un pourrait bien le faire ; par exemple, le bibliothécaire qui n’en foutait jamais une et qui était aux abonnés absents depuis tout à l’heure. Lorsqu’il fut fin prêt et releva les yeux vers la jeune fille, son regard accrocha le badge brillant épinglé à sa poitrine. Ses yeux s’arrondirent.

— Oh, Merlin, s’esclaffa-t-il sans pouvoir s’en empêcher. Ils t’ont faite préfète ! Je dois te dire « bravo » ou plutôt préparer ton éloge funèbre ?

Mais la réponse à sa plaisanterie attendrait, car déjà des « Chut » s’élevaient à nouveau, vraiment contrariés que le duo décide de taper la causette en plein milieu de la bibliothèque.

— Ça va, ça va, on décale, grommela-t-il en levant les yeux au ciel tandis que Bane s’avançait d’un pas joyeux vers la sortie.

Une fois à l’extérieur, un petit courant d’air hérissa sa nuque de frissons et il remonta le col de sa robe aux couleurs de Serdaigle. Il aurait peut-être dû prendre son écharpe ce matin, finalement. Le mois de septembre n’était vraiment pas décidé à les faire profiter d’un été indien. D’un autre côté, c’était l’Écosse… Il avait l’habitude. Parfois, il se demandait s’il aurait le droit de visiter le Danemark, ce pays dont il maîtrisait la langue mais dans lequel il n’avait jamais mis les pieds. À chaque fois que Nora et lui l’avaient évoqué, son père avait évacué le sujet sans qu’ils comprennent vraiment pourquoi. D’accord, il était fâché avec leur famille paternelle, mais ils pouvaient bien s’y promener sans les croiser, non ? Ce n’était pas un petit pays, quand même.

Le bruit de la porte qui se refermait l’extirpa de ses songeries et Bane se cala contre le mur, exactement comme ces fois où Silas tuait le temps avec un copain entre deux cours. Le jeune homme leva les yeux vers Azure, assez curieux de ce qu’elle avait à lui dire après tout ce temps sans nouvelles, sans… rien, en fait.

Silas avait relevé les yeux vers Azure avec une curiosité presque neutre, conscient qu’il ne s’en tirerait pas simplement avec quelques plaisanteries potaches et un air joyeux. Il n’avait aucune idée de l’état d’esprit de la jeune fille ; ce qu’elle avait ou non digéré de leur dispute, ce qu’elle avait pensé ou non de son absence, ce qu’elle avait ou non envie de lui confier maintenant après lui avoir intimé de la suivre. Il s’était exécuté docilement, avec une bonne volonté sans doute étonnante étant donné la rancœur qu’il avait longtemps nourrie, effaré de constater qu’une amie aussi proche n’était même pas capable de prendre parti pour ce qui lui paraissait être la bonne cause. Mais voilà, sa vie avait été balayée par le souffle d’une explosion à laquelle il n’était pas préparé ; son existence avait volé en éclats et il avait perdu pied avec la réalité. Sans compter qu’il s’était désormais juré de faire le moins de vagues possible après cette rentrée forte en émotions. Le jeune homme était fatigué de se battre contre du vent, de lutter sans cesse contre un courant qui avait décidé de l’emporter avec ou sans son avis. Et puis, il comptait un peu sur ce silence qu’elle avait observé durant toute son absence ; pas une lettre, pas un mot, rien pour s’assurer qu’il ne lui était rien arrivé. Elle devait bien culpabiliser un peu, au fond, non ? Azure devait bien être prête à faire table rase du passé pour lui faciliter ce retour amer à la scolarité, n’est-ce pas ?

Le bruit vint avant la douleur. Un « clac » sec et vif, qui résonna dans le couloir en faisant pivoter plusieurs têtes vers eux. Absolument pas préparé à ce genre d’hostilité, le Serdaigle n’avait pas le moins du monde anticipé cette gifle. Sa tête, vissée sur un cou détendu, partit sur le côté brutalement, et sa tempe heurta le dossier de son ronronroulant dans un choc mat. Un peu sonné par la violence du choc, amplifiée par le fait qu’Azure le dominait de toute sa taille, il se contenta de cligner bêtement des yeux sans esquisser le moindre geste. Quelques élèves de passage gloussèrent et un sentiment vif d’humiliation et de colère le saisit à la gorge, tandis que le rouge lui montait aux joues. La crispation soudaine de ses muscles envoya une décharge de douleur dans son genou déformé, dans lequel il enfonça des doigts crochus comme des serres avec une grimace. Lentement, il redressa la tête vers la Gryffondor qui balbutiait. Elle porta ses mains à son visage d’un air effaré, mais ce simple geste piqua quelque chose dans le ventre de Silas, qui le fit instinctivement reculer dans son fauteuil – comme s’il craignait un second coup. Le jeune homme détestait cette vulnérabilité qui l’étreignait systématiquement lorsqu’il était installé dans son ronronroulant ; l’impression d’être minuscule, à la merci du premier gosse qui déciderait de lui jouer un sale tour. Il avait très peu de marge de manœuvre dans son état ; et surtout aucun moyen de répliquer ou de se protéger. Debout, il dépassait très largement Azure, mais engoncé dans son siège… Il se sentait comme un enfant grondé, incapable de se défendre. L’humiliation n’était pas tant publique – malgré les yeux moqueurs qui se posaient sur lui – qu’intime. Cette claque qui faisait encore tinter ses oreilles bourdonnantes lui rappelait combien il n’était pas et ne serait jamais sur un pied d’égalité avec ses camarades ; elle lui rappelait qu’on pouvait facilement poser la main sur lui et qu’il ne pouvait rien y faire, à part rester assis d’un air sidéré. Son cœur battait la chamade dans sa poitrine glacée, étreint de l’envie primaire de fuir, de se soustraire à cette situation.

Gagnée par la colère, Azure lui reprocha d’agir comme si de rien n’était en pointant un doigt furieux sur lui. Sila tressaillit à son mouvement, le cœur à nouveau plein de sursauts incontrôlables ; il se sentait presque trembler. Sa propre réaction lui échappait complètement. Il n’était pas préparé à se sentir si impuissant et si effrayé par une pauvre gifle. Mais la réalité, c’était que si elle décidait de lui faire mal, il n’y pourrait rien ; il ne pourrait pas lui échapper. Le temps d’enfouir sa main dans sa poche pour en extirper sa baguette, à demi coincée entre le siège et son occupant, elle aurait le temps de l’immobiliser et de lui faire ce qui lui chantait. Cette réalisation le glaça plus que tout autre chose, lui faisait miroiter d’un autre œil ses inimités avec les autres élèves. Depuis très jeune – et comme de nombreux adolescents – Silas s’était toujours plus ou moins senti invulnérable. Mais là, aujourd’hui, à cet instant, il prenait conscience qu’il ne l’était pas ; pire, qu’il était plus vulnérable que les autres.

Il se sentait en danger. Et ce fut le déclic ; trop tard pour revenir en arrière. Gagné par la détresse de son maître, Bane frappa le sol de ses pattes griffues dans un grondement ; son espèce de parade défensive déstabilisa Silas, qui n’avait jamais assisté au mécanisme anti-agression dont il était doté. L’artefact magique était conçu pour lui venir en aide ; quelle que soit la situation. Les accoudoirs ordinairement parfaitement immobiles et ergonomiques qui accueillaient ses bras le ceinturèrent sèchement et le Serdaigle eut à peine le temps d’étouffer une exclamation que le ronronroulant était déjà parti au quart de tour. Brutalement, il sa cabra pour forcer la jeune fille à reculer dans un nouveau grondement félin, puis fit demi-tour dans un bond furieux et se lança au galop dans les couloirs – à la surprise totale de Silas, qui ne put que s’accrocher à ce qu’il pouvait pour ne pas être balloté dans tous les sens.

— Bane ! Arrête ! cria-t-il, en vain, cherchant à se défaire des accoudoirs malgré la vitesse de l’artefact qui rendait ses gestes approximatifs.

Mais le ronronroulant était aussi têtu que son propriétaire. Il ne s’arrêta que lorsqu’il eut fui loin, très loin, et ne libéra sa taille étroitement ceinturée qu’après s’être arrêté dans un cul-de-sac déserté. Le jeune homme poussa un juron essoufflé et ferma les yeux un bref instant en se laissant aller dans le siège qui à présent ronronnait anxieusement pour calmer son maître. Ce n’est seulement à cet instant qu’il se rendit compte qu’il était tendu comme un arc, et une nouvelle grimace de douleur l’obligea à masser son genou palpitant.

C’était peut-être mieux comme ça. Rester loin des problèmes, c’était sans doute la solution pour chasser cette lassitude qui commençait à le gagner et cette peur qui s’était insinuée dans les interstices de son orgueil. Lui qui n’avait jusqu’ici aucun remords à tracer des zébrures sanguinolentes dans sa chair, aujourd’hui, il se sentait mortel.

Le Serdaigle avait à peine pris conscience qu’Azure les avait poursuivis. Le temps que la Gryffondor les rattrape, il eut le temps de se libérer de l’étreinte protectrice – et un poil trop impérieuse – de Bane, ainsi que de calmer son cœur affolé à l’aide des ronronnements rassurants de son fauteuil. Honnêtement, il aurait préféré qu’elle le laisse tranquille, qu’elle ne cherche pas à le rattraper. Ils s’étaient déjà bien donnés en spectacle ; il n’était pas nécessaire de rajouter une couche de ragots aux rumeurs qui ne tarderaient pas à être murmurés dans les couloirs du château. C’était une spécialité de Poudlard, ça (et probablement de tous les collèges de la Terre). Mais puisqu’elle était là…

Sans prendre en compte ses excuses ou sa supplication, il leva une main sèche :

— Reste où tu es, exigea-t-il, tandis que le ronronroulant émettait un grondement sourd.

Il avait suffisamment été balloté comme ça comme un crétin, merci bien. Et, au fond, il était soulagé de pouvoir brandir ce prétexte pour dissimuler qu’il avait vraiment envie qu’elle reste loin de lui ; qu’il avait peur. C’était humiliant.

Il laissa passer un silence, ignorant le visage chiffonné de son ex-amie, le regard dur. Il se sentait en colère, maintenant. Un peu dépité, aussi, de voir tous ses efforts et ses résolutions de la bibliothèque partir en fumée.

— La dernière fois qu’on s’est vus, on n’était plus amis. Je ne te dois rien, et certainement pas des explications. Alors, si j’ai envie d’agir comme si de rien n’était, j’en ai le droit. Et tu as le droit de m’ignorer. Mais tu n’as pas le droit de lever la main sur moi, martela-t-il avec un ton tranchant comme du métal trempé.

Lorsque Silas abandonnait ses manières d’adolescent et son parler familier pour employer ce verbe acéré, il était de bon ton de songer à ne pas l’affronter. Cette rage froide, luisante de férocité, ne laissait pas indemne.

— T’as de la chance que je sois pas une balance, parce que tu pourrais avoir de très grosses emmerdes pour ce que t’as fait, ajouta-t-il en levant le menton, comme pour compenser cette faible hauteur qui le rendait dingue et lui donnait l’impression d’être un enfant dans un monde de grands. Maintenant, fous-moi la paix.

Ce n’était pas aujourd’hui qu’elle se ferait pardonner – s’il décidait de la pardonner un jour. Et s’il voulait agir comme si de rien n’était, il le ferait qu’elle le veuille ou non. Ce qu’elle en pensait, c’était plus son problème. Des problèmes, il en avait bien assez comme ça.

— Sans rancune, grinça-t-il tandis que Bane la contournait soigneusement pour se diriger vers les escaliers les plus proches.