JUL. Les habitations trop bruyantes, la foule incessante d’élèves qui gloussent, qui crient, qui se font remarquer. Les professeurs élevant la voix pour se faire entendre et pour assoir un semblant d’autorité. Les rires à gorges déployés sur la plage, le bruit des éclaboussements. Tant de tapages et si peu de calme. Pour Bailey, l’espace d’un instant, l’atmosphère est trop lourde, trop pesante. Il regrette la solitude de la forêt avoisinant sa demeure, le calme de ses bouquins, les bouffées de ses cigarettes à la nuit tombée. L’isolement est une denrée rare sur ce camp, dans cet espace où la vie bat son fouet, où les jeunes recherchent à tout prix une absence totale de paisibilité. Il ressent comme un besoin de s’éloigner de cette vie qui lui comprime les poumons, de ces rires qui agressent ses tympans, et de ses camarades qui puisent son énergie sociale. Alors il prend son sac à dos rempli d’une bouteille, d’un bouquin narrant un monde dans lequel la liberté n’existe plus, d’un paquet visant à abimer ses poumons, et d’une lettre n’attendant aucune réponse. Et il s’éloigne de cet endroit qui le comprime, qui l’étouffe. Assez loin, il soupire, ses muscles se détend et son épaule toujours en écharpe recommence à le faire souffrir. Il s’en fiche tant que son but n’est pas atteint. Des cernes sont dessinés sous ses yeux. Comme chaque fois qu’il doit dormir dans un endroit inconnu, les premiers jours se font difficiles. Impossible de fermer un œil.

Cette île ne ressemble en rien à celle où ils ont élu domiciles. L’autre est vivante, paradisiaque en un sens. Elle est emplie d’une certaine vivacité, d’une ouverture sur le monde, d’une sociabilité presque agaçante. Celle-ci est bien plus rustre, presque naturelle. Ici, Bailey retrouve la végétation, une certaine communion avec la nature. Les forêts, les arbres l’ont toujours rassuré. Il se complait dans l’idée d’être dans un endroit où l’on peut se cacher derrière l’un, escalader un autre, se poser contre un différent. L’air est humide, il fait lourd, et pourtant Bailey ressent cette capacité à pouvoir respirer à nouveau. Moins anxieux, plus détendu, le fait que personne ne se trouve ici semble le rassurer quelque peu.

Alors il s’enfonce un peu plus dans cette forêt. Calmement. Le bruit des feuilles qui bougent, des craquellements de ses pas contre le sol … il se sent ressourcé. Bien mieux qu’il ne l’a été ces quelques derniers jours. Il pense un instant aux autres, et se demande pourquoi est-il à ce point différent. Pourquoi apprécient-ils ce bruit constant qui va de pair avec la présence des autres ? Alors qu’il désire ardemment quelques heures de tranquillité avec pour seule compagnie la sienne. Il arrive finalement à un spectacle grandiose, celui des cascades. Une grande étendue d’eau et le bruit apaisant de l’eau qui plonge violemment dans son bassin. Il laisse tomber son sac sur les rives. Puis en sort une cigarette qu’il allume grâce à un briquet moldu. Et cette première bouffée lui permet d’inspirer bien mieux qu’il ne l’a fait depuis qu’il est arrivé. Il se penche pour ramasser un caillou qu’il envoie de sa force dans l’eau, perturbant l’espace d’une seconde les bruits naturels de cette divine cascade. Il ressent cette douce impression d’être seul au monde, loin de ses camarades et d’une potentielle perturbation.

Une voix le tire de ses pensées. Il ne comprend pas immédiatement qu’il a sans doute dû faire de même avec le bruit qui entraine sa présence ici. Ainsi il relève les yeux, et se tend presque instinctivement. Il tourne et se retourne pour comprendre d’où vient cette voix qu’il a entendu. Et l’espace d’un instant, il croit l’avoir imaginé. Mais il voit finalement une silhouette apparaître à la sortie de la chute d’eau. Une fille, probablement de son âge. Quelqu’un qu’il ne connait cependant pas et dont il serait incapable de retrouver le nom ou quelconque information à son sujet.

– Je pensais être seul.

Décroche-t-il sur la défensive alors qu’elle n’avait fait qu’exister dans un endroit qu’il ne lui appartenait pas. Tendu et raide, il ne ressemblait en rien au garçon calme et détendu qu’il était quelques secondes plus tôt avant de comprendre qu’il n’était pas simplement en présence de sa solitude. Il reprit une bouffée de sa cigarette comme pour reprendre le contrôle d’une situation qu’il ne maitrisait plus entièrement. Et il reste immobile, la fixant, sans un mot de plus. Les secondes qui défilent lui paraissent une éternité. Comme si le temps avait décidé de se suspendre, les installant chacun dans un silence pesant duquel il était difficile de se soustraire.

– Qu’est-ce que tu fais ici ?

Une question bien innocente pour un ton perché sur la défensive.



@Maximilianna S. Stein

JUL. L’endroit ne pourrait être plus beau. Le soleil se reflète parfaitement sur les vaguelettes provoquées par la cascade. Elle est apparue de nulle part. Bailey entend le son de sa voix avant même d’apercevoir une silhouette ou un visage. Et soudainement, elle est là. D’abord seulement une tête, un visage qui trahit de la surprise avant de laisser apparaitre un sourire. Ses cheveux bouclés tombent sur son visage. Son regard se pose sur lui. Puis il est soudainement mal à l’aise, et tendu. Se croyant seul, il avait relâché cette pression qu’il s’imposait sans cesse à lui-même. Et à peine avait-il compris qu’il n’était pas libre et solitaire qu’il avait reprit une position de défense. Jamais il ne semblait complètement réussir à se détendre en présence d’autrui, ce qui n’était surement pas une très belle indication sur la personne qu’il était ou sur ses relations avec le reste du monde. Que faisait-elle là ? Il se demande pourquoi elle se trouve ici, seule, dans un coin qu’il semblait dépourvu de toute vie humaine. Mais s’il a lui-même le droit d’être ici, ce droit est aussi le sien. Il ne possède aucunement le pouvoir de lui demander de partir. Mais il s’interroge désormais sur sa propre présence en ce lieu et se demande s’il ne devrait pas rebrousser chemin ou s’éloigner à la recherche de ce havre de paix dont il a tant besoin. Son sourcil se fronce lorsqu’il entend ses paroles. Ils sont en vacances alors pourquoi diable cherchait-elle un endroit pour travailler ? Était-elle le genre première de la classe, cette fille qui ne pouvait jamais se détendre et qui avait toujours besoin d’un projet ? Ce n’était pas lui qu’on verrait ouvrir un livre en vacances, encore moins dans un endroit comme celui-ci. Du moins un bouquin scolaire, car paradoxalement, Bailey détenait un livre dans son sac à dos.

Il la fixe sans ajouter un seul mot comme s’il avait décidé de ne plus parler. Peut être comprenait-elle qu’il n’était pas du genre loquace. Ou peut être voulait-elle en terminer avec cette conversation pour retourner à son ‘travail’. Le fait est que la demoiselle reprend finalement la parole pour lui proposer de venir s’inquiétant du fait qu’il puisse avoir trop chaud. Bien sûr la température est lourde aujourd’hui. Encore plus sur cette plage qui semble ne pas laisser partir cette humidité presque étouffante. Il hésite un instant, ne comprenant pas réellement ce que sa proposition signifie. Mais quand elle disparait à nouveau dans sa ‘caverne’ il comprend qu’elle lui proposait peut-être de la suivre dans cette cave, derrière la cascade. Sans doute fait-il plus frais dans un endroit comme celui-ci. Bailey ignore ce qu’il désire. Certes, il est à la recherche d’un endroit paisible. D’un autre côté, il semble pouvoir se laisser consumer par la curiosité de voir ce qui se cache derrière l’étendue d’eau. Que fait-elle donc à l’abris des regards ?

Alors il attrape son sac puis marche en direction de la chute. D’abord il essaie de marcher sur de gros cailloux pour ne pas tomber dans l’eau. Mais il n’est pas très adroit et finit tout de même par avoir les pieds mouillés. Tant pis, ses chaussures sécheront bien assez vite vu la chaleur. Et puis, ce n’est pas très malin de marcher sur des pierres glissantes alors que l’on a qu’un seul bras pour se rattraper, au risque d’abimer encore un peu plus son épaule qui souffre déjà bien assez de son accident d’il y a quelques jours. Il arrive finalement à l’entrée de cette espèce de grotte. Une table se trouve à l’intérieur. Bailey est surpris de voir tout le matériel, comme si la jeune femme avait construit son propre laboratoire dans cet endroit.

– Tu cherches à faire quoi ?

Demande-t-il presque soudainement brisant le silence de ses préparations tout en lui annonçant qu’il l’avait bel et bien suivi. Il ne comprend pas et n’arrive pas à mettre de sens dans ce qu’il voit. Peut-être est-ce évident et qu’il est juste stupide. Dans tous les cas, il se doute que les professeurs ne seraient surement pas d’accord avec cette expérimentation, ce qui a au moins le don d’expliquer pourquoi elle se trouve dans un endroit d’une part caché et d’autre part loin de leurs habitations.