Mais toi non plus,

tu n’as pas changé

La journée n’avait pas très bien débuté pour Septimus ; si l’on pouvait dire. Pour commencer, il avait passé une nuit agitée. Ses mauvais rêves le harcelaient et un nouvel élément le faisait se réveiller en sursaut : parmi la foule d’élèves fantomatiques qui se riaient de lui dans ses cauchemars, la silhouette caractéristique de Fergal se dessinait. Ses efforts pour désincruster son esprit de l’embarrassante attirance qui l’avait percuté de plein fouet en rencontrant le directeur avaient eu ce seul résultat. C’était assez pathétique.

Ainsi sorti d’un sommeil peu réparateur, il s’était préparé en grommelant, avisant le visage pas très avenant que lui renvoyait son reflet dans le miroir de la salle de bains. Deux épaisses poches violacées dessinaient une ombre inquiétante sous ses yeux bleus.

— Fantastique, avait-il marmonné en se coiffant avec plus de brusquerie que nécessaire.

Fantastique, c’était le mot ! Fantastique de se lever à 4 heures, fantastique de rêver de la perte de ses pouvoirs en boucle, fantastique d’y inclure son très gênant crush pour le directeur de l’école. Rien que d’y repenser, il sentait ses joues brûler de honte. Le sorcier songeait qu’à ce rythme-là, son cerveau ferait peut-être mieux de déclarer forfait plutôt que de continuer à lui mettre des bâtons dans les roues ; surtout quand les bâtons étaient rose fuchsia et ornés de fanfreluches duveteuses.

C’est une manie, d’être ridicule à ce point ! gronda-t-il contre lui-même en se rendant aux cuisines.

Soyons honnêtes, c’était même probablement devenu un sport, depuis le temps.

Une fois parvenu jusqu’aux cuisines de Poudlard, Septimus remercia chaleureusement les elfes de maison pour lui avoir préparé un petit-déjeuner aussi tôt. Il préférait entretenir de bonnes relations avec eux, qui se chargeaient de la majorité de l’entretien de l’école ; le concierge s’occupait uniquement des tâches un peu plus spécifiques et occasionnelles, entre deux rondes et une retenue dispensée au premier élève turbulent venu. Même si les elfes de maison étaient connus pour leur aisance magique, il restait assez stupéfiant qu’ils couvrent l’intégralité de la superficie de l’école sans jamais faillir.

Mais quand est-ce qu’ils dorment, ceux-là ?

Maintenant qu’il y songeait, il avait peut-être le droit de demander, à présent qu’il n’était plus élève.

Et à qui veux-tu demander ? À Fergal ? se moqua une petite voix dans un recoin désagréable de son esprit.

Il était temps de se dénicher une distraction bienvenue pour empêcher les pensées parasites de boucler éternellement sur le dernier problème du moment.

D’abord, Septimus s’énorgueillit de l’engloutissement efficace de son petit-déjeuner (entendre par là : ne pas s’étrangler avec un bout de toast ou ne pas tout faire tomber), ainsi que de la détermination avec laquelle il fit disparaître les dégâts causés par un lancer de sort hasardeux la veille. Muni de ses gants et de son tablier, il se dirigea vers le grand escalier du hall d’entrée en sifflotant un énième air de rock moldu ; un seau et une serpillère dans une main, une balayette et un sac-poubelle dans l’autre. Cela pouvait paraître étonnant, mais il ne trouvait pas le moins du monde ingrat de se charger du nettoyage ou de faire disparaître les bêtises des autres. À sa petite échelle, il contribuait à la communauté. Et surtout, il aimait que les choses soient aussi propres que ses standards personnels l’exigeaient. Récurer, c’était une activité aussi prenante que satisfaisante pour lui ; bien que son corps abîmé se rappelât souvent à lui cette dernière année. Fort heureusement, le sorcier avait appris à adopter les bonnes postures et ne négligeait jamais l’importance de ses séances de gym quotidiennes.

Si je n’avais pas perdu mes pouvoirs, je n’aurais peut-être pas autant de douleurs.

L’amertume de cette pensée lui fit l’effet d’une épine logée sous la peau fine de sa gorge pâle. Depuis son retour en Écosse, il ne cessait d’imaginer ce que sa vie aurait pu être s’il avait été à la hauteur des attentes de ses parents ; s’il avait été moins ridicule, moins… lui-même. Ces vingt dernières années auraient sans doute été bien différentes.

Alors qu’il atteignait enfin le sixième étage pour se rendre à son bureau, il fut brutalement tiré de ses pensées par un bruit de course dans l’escalier qu’il gravissait. Il leva les yeux en fronçant les sourcils, ouvrant la bouche pour réprimander l’élève qui faisait l’idiot, avant de ravaler sa réplique en manquant de s’étouffer avec sa salive. Ce n’était absolument pas un élève, mais Fergal en train de faire son sport.

Crénom de…

« Crac », c’est le bruit que fit sa cheville quelques secondes plus tard.

On pourrait avoir l’impression que Septimus mentit lorsqu’il affirma avoir manqué la marche et s’être étalé de tout son long sur le palier du sixième étage parce qu’il avait été surpris, mais c’était purement et simplement la vérité. La faute revenait au corps fort bien moulé du directeur dans ses vêtements de running ; ça, oui, il n’y était pas préparé ! Pas plus qu’il n’était préparé à ce qu’une partie assez inavouable de lui glousse intérieurement « Quel torse ! » instantanément. Un spectacle qu’il n’était pas près d’oublier, malgré sa cheville douloureuse et la boiterie qui le suivit toute la matinée durant.

Ma vie est une parodie de Coups et blessures de BB Brunes, ça y est. C’est la fin des haricots pour mon ego.

Il fallait croire que le concierge devrait accepter de perdre 50 points de QI à chaque fois qu’il croiserait le directeur ou de fixer le sol à chaque fois qu’il sortirait de sa chambre pour tenter d’éviter la catastrophe. Pas très pratique, tout de même.

Il ne lui restait plus qu’à prier pour qu’aucun legilimens ne s’intéresse à son cas.

Sans surprise, le reste de sa matinée fut assez fade en comparaison de cet événement. Après avoir emporté son déjeuner dans son bureau et massé sa cheville esquintée en grimaçant, il n’eut d’autre choix que de faire un détour par l’infirmerie pour réparer les dégâts. Verdict : une belle foulure ! Fort heureusement, la soigner ne demanda qu’un tour de baguette et il put vaquer à nouveau à ses occupations en début d’après-midi.

Occupations qui comprenaient d’ailleurs une lourde tâche qu’il n’avait absolument pas hâte d’entamer. Il lui faudrait sortir l’artillerie lourde, pour celle-là. Il était heureux que tout le nécessaire se trouvât déjà sur les lieux, car il ignorait comment il aurait transporté tout cela sans magie, autrement.

C’est donc d’un pas traînant qu’il se rendit à la volière, assez peu enthousiaste à l’idée de nettoyer le royaume des fientes – occupé, de surcroît, par les prédateurs naturels de ses animaux favoris. Il gravit la tour, ne s’arrêtant qu’un instant à une fenêtre le long de l’escalier en colimaçon pour observer une chouette effraie voler à tire-d’aile en direction de la Forêt interdite. Pensivement, il s’accorda un moment pour enfouir une main discrète dans sa poche et caresser les deux figurines en bois qu’il avait sculptées à l’effigie de ses deux lapins. Le contact rassurant du bois poncé et la rondeur familière de leurs silhouettes l’apaisa suffisamment pour que ses épaules se détendissent et qu’un infime soupir passât le barrage de ses lèvres entrouvertes.

L’envie hypnotique de se blottir au pied de la fenêtre pour profiter de l’air frais et de la pierre réchauffée par le soleil le tenta un instant. Il se sentait épuisé, anxieux et agité depuis qu’il avait posé le pied dans ce château. N’avait-il pas le droit à quelques minutes de répit ? À un peu de clémence de la part du hasard ? Pouvait-il faire en sorte de réunir les conditions nécessaires à la venue de ses petits protégés ? Et réaliser deux ou trois autres souhaits plus annexes… comme ne pas avoir un supérieur hiérarchique beau comme un dieu ?

Je ne peux pas finir à l’infirmerie à chaque fois que je croise Fergal, se sermonna-t-il en se massant le front de deux doigts d’un air atterré.

Jusqu’ici, il n’avait jamais fait face à ce cas de figure. Les rares personnes qui lui faisaient un tel effet avaient toujours été de passage, aussi n’avait-il pas encore expérimenté cette misérable sensation. Ou, plus exactement, l’impression d’être un chewing-gum baveux collé sous la chaussure de la malheureuse cible de ses hormones en délire.

C’est peut-être ça, le revers de la médaille, quand on ne fréquente plus personne, songea-t-il piteusement. Il faut que je me reprenne.

D’un autre côté, s’il devait choisir entre l’horrible sensation d’avoir raté sa vie à chaque fois que le premier élève venu lançait un sort et les élans de stupidité semblables à celui du matin même, il préférait encore passer pour un crétin. On ne mourait pas de honte – de chagrin, en revanche…

Allez, Veturia. Tu déprimeras plus tard.

Cependant, il semblerait que les aventures intérieures de Septimus ne se fissent l’écho de celles de quelqu’un d’autre. L’ouïe délicate du sorcier capta plusieurs soupirs lourds de chagrin ; ils provenaient directement de l’étage supérieur, où se nichait la volière. D’abord hésitant, le concierge laissa filer quelques secondes. Devait-il rebrousser chemin ? À la place de cette personne, il préférerait qu’on lui offre de l’intimité. D’un autre côté, il n’avait jamais expérimenté l’effet de la sollicitude d’autrui lors d’un moment de faiblesse.

Prenant une grande inspiration pour se donner du courage, il monta les dernières volées de marche d’un pas lent. Il prit garde à faire un maximum de bruit pour ne pas surprendre la personne qu’il avait entendue depuis la fenêtre inférieure, débouchant dans la volière d’un pas timide.

Une femme blonde, étrangement accoutrée, le bras ganté, se tenait près d’une chouette lapone et d’un grand-duc qu’elle caressait d’un air affecté.

Intimidé par la scène intime qu’il surprenait, Septimus se racla la gorge pour s’annoncer :

— Bonjour… Tout va bien ?

J’espère qu’elle ne va pas pleurer fut la première pensée mi-paniquée, mi-horrifiée qui fleurit à la surface de sa conscience.

En effet, si le concierge en connaissait un rayon sur le système hiérarchique et social des lagomorphes, il n’y connaissait peu ou prou que couic en relations humaines.

Mais toi non plus,

tu n’as pas changé

Avec un immense soulagement, Septimus observa l’inconnue lui sourire pour le saluer :

— Bonjour.

Bon, au moins n’aurait-il pas à gérer une femme sanglotante. Il n’était pas encore prêt à gérer un tel débordement émotionnel ; non pas que cela le repoussât, mais simplement, il devrait encore affûter ses talents sociaux avant de parvenir à déterminer quoi faire et surtout comment dans ce genre de situation. Bien sûr, il avait vaguement connaissance de la nécessité d’un rapprochement physique pour manifester du soutien. Mais lui qui n’était pas à l’aise avec le contact des autres êtres humains, cela demanderait sans doute encore un peu de travail avant de surmonter ses difficultés pour parer à ce type d’éventualité.

La drôle de femme hocha la tête avec force après l’avoir scruté un court instant d’un air qui lui parut troublé.

— Tout va bien, ouais, lui répondit-elle d’une façon assez neutre en cessant de caresser l’oiseau.

Elle écarta ensuite les bras pour désigner les rapaces nocturnes et les hauts murs de la tour qui les entouraient, avouant avec un naturel déconcertant :

— C’est juste que ça me fait quelque chose, de revenir ici. Pas juste dans la volière. À Poudlard, précisa-t-elle.

Tu n’es pas la seule, ma grande, songea-t-il du tac au tac.

Elle ajouta quelques secondes plus tard, après une légère pause durant laquelle Septimus se sentit scruté :

— Je viens tout juste d’arriver. Je suis Victoire, la nouvelle Owlmaster.

Une nouvelle arrivante ! Eh bien, au moins cela leur faisait-il un point commun. Quelque part, cette information le réconforta ; ses épaules un peu trop souvent nouées par l’angoisse se détendirent ostensiblement. Il se sentait soudain un peu moins seul dans ce grand château froid qui recelait des milliers de souvenirs doucereux à chaque recoin.

— Enchanté, Victoire, répondit-il automatiquement avec un sourire poli. Je suis Septimus, le nouveau concierge. J’ai débarqué il y a à peine quelques jours, alors… Je comprends votre sentiment, se confia-t-il avec une étonnante facilité.

Il ignorait pourquoi, mais la Owlmaster lui inspirait une certaine sympathie. Peut-être était-ce parce que ses habits, autant que les siens (vieux et démodés), détonaient dans le décor de l’école ; peut-être parce qu’il l’avait surprise dans un moment de vulnérabilité comme il en connaissait un peu trop depuis qu’il avait remis les pieds ici ; peut-être était-ce parce qu’elle semblait aussi amoureuse des créatures ailées que lui des lapins ; ou peut-être, finalement, était-ce cette franchise qui transpirait de chacun de ses gestes. C’est sans doute elle, d’ailleurs qui lui inspira cette surprenante prise d’initiative :

— J’étais élève ici, il y a vingt ans. Ça fait tout drôle de revenir, pas vrai ?

Mais toi non plus,

tu n’as pas changé

Sa question alluma une lueur dans les yeux de la fauconnière. D’intérêt, de curiosité ? Sa réponse fusa, comme pour répondre à son interrogation muette :

— La même. Gryffondor, promo 2006-2014.

C’était donc ça ! Elle avait également été scolarisée à Poudlard ; elle était sans doute heureuse de retrouver un ancien camarade de classe, bien que Septimus ne la remît pas le moins du monde. La date, cependant, lui fit froncer les sourcils. Oui, ils avaient bien dû se trouver à l’école en même temps ; pas tout à fait, puisqu’ils avaient trois ans d’écart (pour sa part, Septimus avait atterri à Poudlard en 2003).

Un léger rire interrompit le cours de ses pensées.

— Avec le recul, cela dit, poursuivit-elle, je pense que je me souviens moins des cours que des dizaines d’occasions de finir esquinté ici. C’est quand même dingue, ça, que des parents laissent leurs enfants étudier ici en sachant tous les risques qu’ils courent. Mais bon… Il paraît que ça forge la jeunesse.

Si le concierge ne voyait pas vraiment à quoi elle faisait allusion, sa réflexion remua de désagréables souvenirs scolaires – à base de huées, de moqueries, de mauvaises blagues et de maléfices jetés au détour d’un couloir pour l’humilier. Il n’avait pas vraiment eu l’occasion de connaître grand-chose d’autre que le calme refuge de la bibliothèque et les divers bureaux des enseignants ; il avait érigé l’élaboration volontaire de bêtises au rang d’art en cherchant sans cesse à obtenir des retenues dans l’espoir d’être loin de ses harceleurs le temps de quelques heures de colle. Les professeurs n’étaient pas tout à fait dupes, car ils constataient bien que cet élève discret n’avait pas le profil des trouble-paix habituels.

Cela lui faisait penser qu’il devrait sans doute fouiller dans les registres des punitions de la conciergerie pour y effacer son nom. Il n’avait aucune envie que quelqu’un ne tombe et ne l’interroge dessus, même pour plaisanter.

La voix chaude et enthousiaste de Victoire le rappela à la réalité :

— À mon actif, je pense que j’aurais à peu près tout eu, entre les araignées de la Forêt interdite et la chute d’une tour.

Septimus manqua de s’étouffer et fit passer sa stupéfaction pour une toux sèche et bruyante.

Pardon ?

Il allait s’exclamer d’un air outré , mais la suite de son exposé sur ses frasques estudiantines l’arrêta net dans son élan.

— Enfin, pour ces deux trucs, je plaide coupable, j’ai peut-être un peu trop poussé ma chance. Mais même la Grande Salle est dangereuse, quand on y pense. Ça vient de me rappeler cette fois où j’ai fini à l’infirmerie à cause d’une explosion lancée par un élève – je crois que c’était ça ? J’étais juste venue manger, à la base, puis boum. Y a qu’à Poudlard que ça arrive, des trucs pareils, non ? s’amusa-t-elle, les yeux brillant d’hilarité.

Toute couleur quitta son visage. Si Septimus était naturellement pâle, le teint crayeux qu’arborait soudainement sa peau lui conférait un air maladif. Et malade, d’une certaine façon, il l’était. Malade d’entendre le récit amusé de cet épisode atroce de sa vie dans la bouche d’une presque-inconnue ; malade à l’idée qu’elle détînt cette information sensible ; malade de se trouver face à l’une des personnes que sa crise avait blessées ; malade à cause de l’afflux brutal de souvenirs et de cauchemars entremêlés.

Il vacilla, reculant comme si elle l’avait giflé.

Non, non, non, scandait son esprit paniqué.

Il tenta de faire passer son vertige pour un rire particulièrement démonstratif, mais il sonnait étrangement rauque – tenant davantage du grincement sinistre d’une vieille bâtisse en ruines que d’une voix humaine. Le sorcier enfouit ses mains tremblantes dans ses poches, y serrant sa baguette et la première figurine de lapin venue avec toute la force dont il était capable.

C’était plus fort que lui, il demanda avec une vive inquiétude :

— Vous n’étiez pas trop mal en point ?

Il se mordit la langue trop tard pour réprimer la culpabilité qui transpirait de son point d’interrogation aigu, qui dérailla vers un borborygme incompréhensible.

Mais toi non plus,

tu n’as pas changé

Bien sûr, c’était la pire question à poser s’il voulait évacuer l’incident. Mais, comme à son habitude, il ne pouvait vraisemblablement pas s’empêcher de précipiter sa propre chute. Ce serait presque comique si ça ne l’affectait pas autant. Il y avait au moins un avantage à ce fonctionnement pour le moins cocasse : son entourage profitait toujours des anecdotes les plus croustillantes. Enfin, encore fallait-il qu’il ait des conversations régulières avec d’autres êtres humains. Quoique, cela n'avait pas beaucoup fait rire les psychomages qu’il avait rencontrés, qui qualifiaient cela de « tendances autodestructrices ». Pour sa part, Septimus était plutôt persuadé qu’il s’agissait d’une savante combinaison de maladresse sociale pathologique et d’une sincérité un peu trop crue pour les personnes à cheval sur les conventions sociales.

La réaction de Victoire fut toutefois déconcertante pour le concierge. Lorsque son hibou hulula, elle tourna la tête vers lui pour l’examiner comme s’il avait lâché quelque mystère cryptique à haute voix.

— Oui ? insista-t-elle, visiblement aussi perdue que le spectateur de ce curieux échange.

Soudain, la lumière se fit au fond de ses yeux et elle poussa un « Oh » d’exclamation.

— Mais oui ! Septimus ! s’écria-t-elle.

Oh, parfait. Maintenant, elle se souvient de tout.

La mine déconfite, le concierge l’observa lui adresser un sourire rassurant sans comprendre. N’avait-elle donc aucun instinct de conservation ? La fauconnière n’avait pas la moindre idée de qui il était, s’il était dangereux, s’il avait provoqué volontairement cet accident. Il pourrait la tuer sur-le-champ pour enterrer son secret avec elle.

J’espère qu’elle ne croisera jamais la route d’un serial killer, pensa-t-il avec horreur.

Il fallait bien que quelqu’un s’inquiétât pour elle ; elle ne paraissait pas être du genre à gaspiller ses neurones en tactiques de survie.

Sans se douter le moins du monde du souci que son attitude causait au sorcier, Victoire enchaîna avec une nonchalance tranquille :

— T’inquiète ! J’ai la tête dure, et comme je t’ai dit, j’en ai vu d’autres. Sans rancune. Mais toi, alors ? Ça a été ? s’enquit-elle en croisant les bras. Ils ont été vaches, quand même, de te virer de l’école. Ça arrive, de mal contrôler sa magie.

C’était officiel, elle n’avait aucun instinct de survie et vraisemblablement aucun bon sens. S’il avait fini à l’infirmerie à cause de l’une des frasques d’un camarade de classe, il en aurait au moins gardé une légère rancune ; ou, à tout le moins, une certaine méfiance. C’était naturel ; normal, même. Mais pas pour elle, apparemment.

Voilà qu’elle s’assurait de la façon dont lui l’avait vécu ! À se tordre de rire. Ses propres parents ne s’en étaient pas soucié une seule seconde. Tout ce qu’ils avaient vu, c’était un adolescent handicapé qui perdait ses pouvoirs et causait du tort à la plus prestigieuse école de sorcellerie du Royaume-Uni. Une honte, un scandale, un poids mort ; mais certainement pas une victime.

Et non, ça n’arrivait pas de mal contrôler sa magie. Pas de cette façon, en tout cas. Pourquoi essayait-elle de minimiser l’explosion ? Voulait-elle se montrer sympathique, avait-elle quelque chose derrière la tête ou avait-elle simplement des souvenirs très lointains de ce qu’il s’était passé ? Si elle n’avait pas été trop abîmée par l’onde de choc, c’était bien qu’elle n’était pas suffisamment près pour s’en souvenir. Septimus se rappelait encore assez vivement les Beuglantes des parents furieux qui s’étaient succédé chez les Veturia pour menacer de porter l’affaire devant le ministre de la Magie. Quelques bribes de cris restaient ancrées dans le coin le plus sombre de son esprit, là où étaient soigneusement classés les pires moments de sa vie. « Il faut le faire enfermer ! » « Il est malade ! » « Il n’aurait jamais dû mettre les pieds à Poudlard ! » « J’aimerais bien savoir pourquoi la direction a autorisé un autiste à fréquenter les gens normaux. »

Refermant avec détermination la boîte de Pandore avant qu’elle ne transforme le nœud de sa gorge en cascade de lamentations, le concierge soupira et se pinça l’arête du nez.

Reprends-toi et répare les dégâts, s’enjoignit-il fermement.

S’il avait noté le tutoiement, il eut quand même toutes les peines du monde à en faire de même. Le sorcier avait déjà mis de nombreuses années à intégrer la règle de distinguer les adultes et les enfants lorsqu’il s’adressait à eux, il n’arriverait pas à tout défaire d’un claquement de doigts. Au moins pouvait-il essayer.

— Tu viens d’arriver, je crois, entama-t-il avec prudence, alors que se billes bleues se fixaient sur le comparse à plumes de la femme pour éviter de croiser son regard. Le directeur est censé transmettre l’information à mes collègues, mais il n’a sans doute pas eu le temps de le faire te concernant.

Depuis qu’il était arrivé, il avait déjà eu l’occasion à deux reprises d’évoquer ce sujet sensible ; mais c’était toujours aussi difficile.

— Je… Je ne suis plus capable de faire de magie, avoua-t-il à mi-voix, tandis que ses ongles s’enfonçaient férocement dans ses paumes parsemées de cicatrices en croissant de lune.

Mais toi non plus,

tu n’as pas changé

À sa confession à mi-voix, le silence répondit. Un silence qui s’étira un peu trop longuement pour qu’il soit naturel, et qui fut seulement interrompu par le hululement courroucé du hibou qui semblait proche de Victoire. Sans doute était-ce le sien ; du moins était-il parti de ce principe depuis tout à l’heure en constatant l’étonnante connexion qui les liait.

Tout à coup, elle l’imita en enfouissant son front dans sa main, poussant un lourd soupir agacé. Le concierge se tendit, mais sa réponse lui coupa l’herbe sous le pied.

— … Et moi, comme une conne, je fais que remuer le couteau dans la plaie depuis tout à l’heure.

Spontanément, Septimus voulut secouer la tête et les mains pour lui indiquer qu’il n’y avait pas de mal. Enfin, elle ne l’avait très clairement pas poussé dans ce coin-là intentionnellement. Ce n’était pas sa faute si sa relation au monde magique était si compliquée. Cependant, elle enchaîna trop vite pour qu’il ait le temps d’amorcer le moindre geste de dénégation :

— Je suis désolée, Septimus. Je pensais pas que ça avait pu être la merde pour toi à ce point-là. J’espère que tu as réussi à rebondir après ça.

Abaissant les mains qu’elle avait liées en un geste d’excuse un peu inhabituel, elle ne sembla plus savoir quoi dire après avoir exprimé son désarroi. L’homme lui-même ne trouvait rien de bien malin à répondre, plutôt interloqué par la sincérité de ses paroles. Il ne lui arrivait pas tous les jours de tomber sur des personnes capables d’admettre une erreur ; pire, de la regretter à haute voix.

C’était… rafraîchissant. Aussi bien que déstabilisant.

D’un autre côté, la spontanéité et l’honnêteté dont faisait preuve la Owlmaster lui susurraient qu’il y avait là peut-être de quoi abaisser ses défenses et accorder un timide bout de confiance. Entre la rencontre de Jaimie et celle de Victoire, l’amateur de lagomorphes ne savait plus où donner du cœur. C’était comme si une chaleur trop longtemps oubliée se rappelait à lui.

C’était agréable.

Au bout de plusieurs minutes sans un autre bruit que le froissement des plumes et quelques cris aigus jetés d’un bout à l’autre de la volière, Victoire rit nerveusement.

— Merde, maintenant je ne sais même pas quoi dire pour éviter de refaire une bourde… Je te demanderais bien comment tu as occupé ces dernières années, mais je ne sais pas si j’appuie où ça fait mal ou pas. Tu as le droit de pas répondre, s’empressa-t-elle d’indiquer, presque comme si elle lui mettait un couteau sous la gorge.

Pour une fois que ce n’est pas moi qui suis embarrassé, songea-t-il avec une surprenante pointe d’amusement.

Il avait bien envie de lui répondre – au moins partiellement. Après tout, ils étaient collègues ; elle connaissait à présent suffisamment de ses démons pour qu’il ne risque rien à raconter un peu ce qu’il s’était passé pour lui… après.

Mais avant tout, il devait bien lui préciser une chose.

— Tu ne dois pas répéter ça en dehors du corps enseignant, exigea-t-il avec une autorité qu’il ne se connaissait pas. Je ne veux pas que les élèves soient au courant. Je ne veux pas que ça… recommence.

Plus que n’importe qui, elle était à même de comprendre ce qu’il désignait par là. Ce n’était pas le cas des autres adultes évoluant au sein de l’école, qui n’avaient vraisemblablement pas fait sa scolarité en même temps que lui – ou qui ne s’en souvenaient tout simplement pas. Après tout, il n’était pas rare que le harcèlement d’un ou plusieurs élèves passe relativement inaperçu. C’était plus commun qu’on ne se l’imaginait. De loin, ça ressemblait à de petites blagues, parfois mesquines, parfois « un peu trop méchantes », mais on ne disait que très rarement qu’il s’agissait de harcèlement.

— Après Poudlard, poursuivit-il sans attendre qu’elle n’acquiesce, je suis parti de chez mes parents dès que j’ai atteint la majorité. Je me suis dégoté un travail de concierge dans une entreprise moldue et… c’est à peu près tout. J’ai surtout pu donner libre cours à ma passion : les lapins. J’ai ouvert un refuge pour les recueillir, qu’ils soient domestiques ou sauvages. D’ailleurs, se lança-t-il un peu trop vite et avec un peu trop d’enthousiasme, j’ai deux lapins que j’essaie de récupérer pour les transférer ici. La personne qui a repris le refuge quand j’ai perdu mon travail me les garde, mais elle les mettra à l’adoption si je ne trouve pas rapidement un arrangement avec la direction.

Une légère pause s’insinua, très, très légère, avant que le concierge ne rebondisse sur sa situation pour attraper au vol l’occasion rêvée pour son cerveau obsédé par les longues oreilles.

— Je ne sais pas à quel point tu connais les lapins, mais ce sont des créatures absolument merveilleuses et, surtout, inattendues ! On pourrait se dire qu’elles sont ennuyeuses ou fragiles, mais ce n’est pas du tout le cas ! Les lapins sont étonnamment solides, courageux et frondeurs ! Certains ont même un caractère tellement fort qu’on se demande comment ils ont pu survivre aussi longtemps en faisant leur tête de cochon. C’est quelque chose que j’aime énormément chez eux ; ils sont d’un naturel plutôt lâche, mais ils savent trouver le courage quand ils en ont besoin malgré leur craintivité. Et puis…

Septimus pouvait continuer des heures durant à dépeindre à la Owlmaster à quel point les lapins étaient des animaux fantastiques.

Lancer de dé:

Mais toi non plus,

tu n’as pas changé

Si Septimus remarqua à peine les phrases encourageantes de Victoire et son large sourire face à son enthousiasme débordant, il fut cependant contraint de reprendre sa respiration entre deux explications passionnées. C’est ce moment que la Owlmaster choisit pour essayer d’endiguer le flot ininterrompu de mots qui se déversait des lèvres maintenant asséchées du concierge.

— Eh beh ! On peut pas dire que tu sois pas passionné ! s’exclama-t-elle, avant de donner un coup de menton en direction des volatiles qui les entouraient. J’aurais de quoi te tenir longtemps la jambe sur ces bestioles-là, moi aussi. Malheureusement, concernant les lapins, tout ce que je savais d’eux jusqu’ici était beaucoup lié au fait que ce soit des proies pour beaucoup d’espèces de rapaces.

Aussitôt la remarque faite, la jeune femme grimaça. Le sorcier soupçonnait qu’elle pensait sa remarque déplacée, mais il n’en était rien. Il ne pouvait pas en vouloir aux rapaces d’être ce qu’ils étaient : des prédateurs. Il avait beau être gauche et mal à l’aise avec les relations humaines, leur complexité et leur cruauté, il n’avait cependant aucun problème avec la brutalité des vies animales qui gravitaient autour d’eux. Contrairement aux humains, les bêtes ne faisaient que survivre, suivre leur instinct ; leur comportement correspondait à un schéma précis, prévisible et logique. Autant d’éléments que Septimus adorait. Aussi ne nourrissait-il aucune rancune contre les oiseaux autour d’eux.

Il allait répliquer, mais son interlocutrice ne semblait pas avoir terminé.

— D’ailleurs, le jour où tu récupères tes pinpins, il faudra que tu me le dises, ajouta Victoire avec énergie. Le mieux serait que je les présente aux hiboux de Poudlard, pour leur expliquer qu’il serait bien sympa de leur part de ne pas les manger, si jamais leurs routes devaient se croiser, exposa la sorcière, confiante. T’inquiète pas pour tes lapins. Avec moi en poste à la volière, tout est sous contrôle.

Un rire joyeux jaillit de la bouche de Septimus avant qu’il n’ait pu réfléchir à une réponse. La Owlmaster était si déterminée à le rassurer et à ne pas le froisser que c’en était à la fois comique et attendrissant.

— C’est très gentil de ta part, assura-t-il en se reprenant. Mais ne t’en fais pas, je n’ai rien contre tes protégés. C’est dans leur nature de chasser, comme dans celle des lapins de fuir.

Ce n’était que la stricte vérité.

— Je ne comptais de toute manière pas les exposer à des dangers inutiles. Mais ça ne ferait sûrement pas de mal de prévenir plutôt que de guérir, reconnut-il sans mal. En revanche, je te préviens tout de suite : si tu t’intéresses de près ou de loin à mes lapins, proies ou pas proies, tu vas tomber amoureuse. Mais je ne suis pas partageur, l’avertit-il avec une pointe de malice au fond de ses prunelles bleues.

Avec un naturel déconcertant pour lui-même, il reprit, soudainement bavard et décontracté :

— Au moins, je suis rassuré d’avoir un autre amateur d’animaux ici. On se comprend, affirma le concierge.

Victoire aurait peut-être répondu sur le même mode, encourageant l’esquisse d’une amitié naissante, mais l’arrivée impromptue d’une chouette dont il ne connaissait pas l’espèce précise le priva de sa réaction. Il eut toutefois le temps d’apercevoir un mot attaché à l’une de ses pattes.

Affolée, la chouette s’engouffra dans la volière, l’air désorienté. Il ignorait ce qui avait pu provoquer ce comportement, mais elle était si confuse qu’elle en percuta un hibou petit-duc. Effrayé, le minuscule rapace poussa un piaillement, déclenchant des hululements en cascade dans toute la tour.

Le concierge se plaqua les mains sur les oreilles, le visage déformé par un éclair de douleur. La combinaison du volume trop élevé et de leurs cris aigus était insupportable. Heureusement, le sorcier eut le réflexe bienvenu de mettre en pratique quelques exercices de respiration pour tenter de calmer son cœur affolé et la tension dans ses muscles crispés.

— Faites que ça s’arrête, faites que ça s’arrête…, supplia-t-il, sans prendre conscience qu’il répétait cette pensée en boucle à haute voix.

Lancer de dé:

Mais toi non plus,

tu n’as pas changé

Septimus ne prit conscience que la situation n’était maîtrisée que lorsque la douleur commença à refluer. Tous les sons étaient jusqu’ici au même niveau, submergeant ses sens et lui donnant l’impression d’être prisonnier d’une bouteille de verre remplie d’échos. Grimaçant, il massa sa tempe endolorie qui envoyait encore quelques pulsations désagréables jusque derrière ses oreilles, qu’il libéra ensuite d’un air embarrassé.

— C’est bon, fit Victoire avec une surprenante douceur.

C’était vite dit, ça. Le bruit s’était peut-être quasiment dissipé, mais ses muscles étaient toujours tendus et son cœur peinait à redescendre à un rythme normal. Le concierge cligna des yeux, comme étourdi, puis secoua doucement la tête en se passant des mains lasses sur le visage. Il avait l’impression d’avoir pris un coup de massue sur le crâne.

— J’ai beau adorer ces boules de plumes, il y a rien que ne soit plus irritant qu’une chorale aussi mélodieuse que ça, ajouta la Owlmaster d’un ton mordant.

Septimus sentit son regard se poser sur lui. Il écarta discrètement un doigt pour jauger son expression ; elle souriait avec indulgence. Ses épaules se détendirent alors qu’il poussait un soupir de soulagement, découvrant son visage encore légèrement figé.

— Oui, c’est… bruyant, admit Septimus en choisissant soigneusement ses mots.

C’était un bel euphémisme, mais il n’était certainement pas prêt à lui confier quoi que ce soit au sujet de son trouble neurodéveloppemental – et il n’avait aucune envie de la froisser au sujet de ses bestioles favorites.

Reprenant peu à peu ses esprits, il s’humecta les lèvres et désigna la chouette effrayée qui avait déboulé quelque temps plus tôt avec la lettre, les plumes ébouriffées et les yeux ronds comme des soucoupes.

— Elle a quelque chose d’attaché à la patte. C’est peut-être important.

Il avait surtout envie que l’attention de Victoire se détourne de lui et des interrogations que sa réaction ne manquait certainement pas de susciter en son for intérieur. Heureusement, la sorcière avait la décence de ne pas manifester de curiosité déplacée, et en cela il lui était reconnaissant. Il appréciait également la prévenance dont elle avait fait preuve en le laissant gérer ses sensations sans chercher à entrer en contact avec lui. Peut-être était-ce de la timidité, de l’hésitation ou un désir de rester à distance, mais sa réaction lui avait permis de remettre les pieds sur Terre sans trop de difficulté.

Il lui sembla que les oiseaux s’étaient par ailleurs calmés.

Mais toi non plus,

tu n’as pas changé

Victoire hocha la tête à sa remarque, sans chercher à poser de question ou insister sur l’incident – au grand soulagement de Septimus. Elle tendit l’avant-bras gauche en direction de l’animal, qui s’y percha gentiment après que Victoire l’eut appelé par un sifflement.

— D’où est-ce que tu viens, toi ? s’interrogea-t-elle à haute voix en récupérant le message sans difficulté.

Tandis qu’elle parcourait le mot des yeux d’un air concentré, la chouette émit quelques cris qui firent grimacer le concierge. Bien qu’il soit tenté de ronchonner en raison du léger mal de crâne qui subsistait, il ravala sa remarque lorsqu’il vit sa collègue froncer les sourcils.

— Ah, apparemment le directeur a un souci de Sombral dehors, résuma-t-elle en finissant de lire la note.

À la seule mention de Fergal, Septimus se raidit instinctivement, comme pris en faute.

Ça devient ridicule…

— Il dit qu’il a besoin d’un coup de main pour le ramener dans la Forêt interdite.

Contre toute attente, un sourire irrépressible se peignit sur les lèvres de la jeune femme. Déstabilisé, le sorcier cligna des yeux. Il ne voyait pas vraiment quel élément de cette phrase était positif. Ramener un animal invisible aux yeux du plus grand nombre dans l’un des endroits les plus dangereux du château ne paraissait pas exactement être une partie de plaisir. Et c’était sans doute pour cette raison que leur supérieur appelait à l’aide.

— Quelque chose me dit que tu vas passer ton tour pour cette fois, ajouta-t-elle en étirant une grimace désolée à son intention.

Sans rire.

Il n’avait aucune envie a) de se conduire comme une midinette énamourée à la vue de Fergal devant des témoins, b) de se ridiculiser devant Fergal puisqu’il ne serait probablement d’aucune utilité. Pour ne rien gâcher, il se sentait épuisé.

— J’ai peur de devoir écourter notre conversation, reprit-elle. Ne pense pas que j’essaie de trouver une raison de te fuir, d’acc ? C’est juste que ce message a l’air sérieux. Et…

Le concierge fut surpris de se sentir aussi touché par son attention. Le rassurer n’était pas vraiment un réflexe commun chez la plupart des gens.

Elle soupira, avant d’avouer :

— Et oui, d’accord, j’avoue que j’ai aussi très envie d’y aller. Mais qu’est-ce que tu veux, c’est dur de renier sa vraie nature. J’ai jamais eu les pieds sur terre ; j’aimerais mieux être un oiseau, même, parfois, d’après mon père.

Puis, penchant la tête, elle proposa avec des yeux brillants :

— Qu’est-ce que tu dis qu’on remette ça ce soir, quand on aura fini notre service ? Ça me ferait plaisir de continuer à discuter. Puis, du coup, j’aurai sûrement des trucs à te raconter… si je suis pas morte dans la Forêt interdite entretemps, finit-elle en riant avec une nonchalance un peu crispante.

Il faut vraiment que quelqu’un s’inquiète pour elle, songea-t-il, soucieux.

Mais son inquiétude était très largement éclipsée par la joie lumineuse qui avait émergé sitôt la proposition de se revoir émise.

— Tu me diras, ça serait le contrat d’Owlmaster le plus court de l’histoire de Poudlard… Ça reste une sacrée légende, non ? plaisanta la sorcière sans se soucier le moins du monde de l’anxiété que ses « blagues » généraient chez son interlocuteur.

— Fais attention à toi, quand même, la pria son collègue avec des sourcils arqués par le souci.

Son visage se dérida toutefois, fendu par un large sourire alors qu’il acceptait avec enthousiasme :

— Mais ce serait avec plaisir de t’écouter me narrer ton aventure du jour. J’espère que le directeur n’a pas trop d’ennuis, ne put-il s’empêcher d’ajouter. (Il toussota.) Essaye de vous garder tous les deux en un seul morceau ! Pendant ce temps-là, je vais m’atteler au nettoyage de la volière, grogna-t-il.

Il n’avait toujours pas spécialement envie de s’en occuper, mais c’était le job. Ce qui l’ennuyait surtout, c’était le volume sonore et les zones inatteignables sans magie. En soi, récurer ne lui posait aucun problème ; c’était même une activité qu’il appréciait.

Mais toi non plus,

tu n’as pas changé

La sorcière ponctua son enthousiasme à chacune des réponses de son tout nouveau collègue.

— T’inquiète. Je ne suis pas un héros, peut-être, mais jusqu’ici, je m’en suis toujours sortie, lui assura-t-elle, avant de s’exclamer de joie devant l’acceptation de son invitation à se revoir le soir même.

Ce serait assurément quelque chose – en espérant que personne ne soit blessé durant cette petite incursion. Il n’avait pas envie que la jeune femme ou le directeur se retrouve mal en point à cause d’une bête histoire de sombral échappé. Ce qui le réjouissait, en revanche, c’est qu’il aurait le récit détaillé de cette aventure (il fallait savoir que, sous ses abords discrets et timides, Septimus était un grand amateur de potins).

À son grand soulagement, Victoire lui épargna la pénible tâche de récurer la volière :

— Pas la peine, affirma-t-elle en secouant la tête avec conviction. Maintenant que je suis là, je vais pouvoir m’en occuper. Il n’y a pas de raison que je ne fasse que profiter de m’occuper des hiboux. Le nettoyage, c’est la base de la fauconnerie !

Sitôt dit, la Owlmaster leva le bras et son hibou s’y percha sans attendre une seconde ; probablement mû par la force de l’habitude – et sans doute une forte affection tissée par le temps. Le concierge n’était pas sans savoir que les rapaces avaient une longue espérance de vie, en comparaison de nombreux autres animaux.

— À plus, Septimus ! lança-t-elle joyeusement en lui adressant son plus beau sourire, avant de disparaître par l’entrée de la volière dans les escaliers de la tour.

— À… À plus ! l’imita-t-il en faisant un rapide pas chassé en avant pour porter son cri jusque dans les marches enroulées.

Il se sentit un peu idiot, mais il n’avait pas eu le temps de réfléchir à quoi dire d’autre. Dans ce genre de cas de figure, il imitait le comportement de ses interlocuteurs. Parfois, c’était assez embarrassant – le pire, c’est qu’il n’en prenait pas toujours conscience, étant donné que le mimétisme était un mécanisme de défense.

Mais, passé la gêne sociale, un curieux sentiment naquit tout près de son cœur. Il lui sembla que le rayon de soleil qui filtrait par l’une des meurtrières de la tour illuminait tout autant les plumes satinées des oiseaux sur son chemin que sa poitrine gonflée d’une gaieté débordante.

C’était bien la première fois qu’un lien se nouait aussi aisément avec une autre personne. C’était presque… naturel.

Finalement, toute nouvelle personne mise sur son chemin n’était pas un danger en puissance. Sifflotant avec entrain, il quitta la volière à son tour – une nouvelle vision de Poudlard se dessinant à l’horizon dans son esprit si souvent troublé.

Pour la première fois de sa vie peut-être, il avait hâte de rencontrer les autres habitants des lieux.