S’il faisait encore très froid – trop froid – dehors, la journée était indéniablement très belle : un soleil moins timide que d’accoutumée dans les mornes terres d’Écosse brillait haut dans le ciel, dardant une splendide lueur qui donnait envie d’aller gambader à l’extérieur. Beaucoup semblaient d’ailleurs avoir été dupés par cette perfide météo, profitant de l’un de ces rares week-end de sortie à Pré-au-Lard qui ne soit pas assombri par la pluie. Dmitri, lui, ne s’était pas fait avoir, choisissant de rester dans l’école, bien à l’abri de la brise glaciale. Il avait mieux à faire, de toute façon : son apprentissage de la peinture de tableaux vivants nécessitait une pratique régulière qui s’accommodait peu avec l’emploi du temps chargé de son grand-oncle. Alors dès que l’occasion s’en présentait, il s’entraînait tout seul, sans se tenir sous le regard expert du vieil homme, et ce dans l’espoir de lui montrer de grands progrès lors de son prochain cours. Et aujourd’hui était l’une de ces journées : la plupart de ses camarades étaient partis dans le village avoisinant Poudlard, seuls les plus jeunes interdits de visites ou les plus âgés pris par leurs révisions semblaient être restés entre les murs de l’école.

Comme à son habitude, l’aiglon s’était installé dans une pièce vide du quatrième étage, non loin de la salle commune pour qu’il n’ait pas à transporter sa peinture et le chevalet que lui avait offert Caleb à travers tout le château. Il prenait toujours la même : celle avec une grande fenêtre, orientée au sud pour une meilleure luminosité.

Il aimait bien ces moments de calme, à peindre sans avoir à se soucier du reste de Poudlard. Des devoirs l’attendaient dans son dortoir, mais ils n’étaient pas si importants qu’ils puissent interrompre la quiétude de l’instant. Dmitri avait ouvert quelques pots de peinture, une peinture unique en son genre qui, encore maintenant, était capable de happer son attention pendant plusieurs minutes. C’était un secret bien gardé des van Aken, une composition que nul autre peintre n’utilisait : l’épais liquide dansait dans son pot d’une façon sans pareille, magnifique et indéniablement magique. Il n’y avait pas encore de souvenirs ; c’était encore trop tôt dans le processus et le Tchèque n’avait pas avec lui les mémoires de celui qu’il avait entrepris de représenter. Caleb, son défunt cousin. C’était bien entendue à Alexander qu’était revenu la commande d’un portrait du jeune Avery, mais le garçon avait découvert dans la représentation picturale un bon moyen de faire son deuil. Cette journée était donc autant un entraînement qu’une forme de thérapie pour lui.

Étrangement, tant qu’il tenait sa baguette au bout métamorphosé pour servir de pinceau, il n’était assailli d’aucune forme de tristesse. Pourtant, le visage de l’ancien préfet de serpentard le suivait des yeux, tandis qu’il s’afférait à peaufiner les détails de son buste. Tout autour, le paysage n’était encore qu’à l’état d’ébauche : le fauteuil qui trônait dans la pièce n’était pas terminé, et la fenêtre n’avait pas encore eu droit à son paysage. Seule la silhouette de son modèle bougeait, grimaçant parfois en silence lorsque l’aiglon venait à donner quelques coups de pinceaux. Il aimerait tant qu’il puisse parler mais jusque-là, le jeune van Aken n’était parvenu qu’à parodier les tableaux de son aïeul : ceux qui parlaient n’avaient pas encore d’autonomie. Il fallait tout leur apprendre, comme à un perroquet. Cela fonctionnait à merveille pour ses mauvaises blagues, mais avec le visage d’un proche, comme le fut Caleb, ce pouvait être très frustrant. Il devait se forcer à ignorer ces limites, en espérant qu’à force de travail, il saurait les dépasser. Mais pour l’heure, il peignait dans un silence presque religieux : le portrait et lui, silencieux et contemplatifs.