Le temps passait un peu trop vite quand on avait le nez plongé dans un bouquin. Surtout quand il était aussi captivant que le dernier roman d’Ursula Elmont, une sorcière canadienne auteure d’une série de thrillers que Violet dévorait depuis déjà quelques semaines. Assise contre le mur, dans l’angle d’un couloir, presque invisible, la jeune Serdaigle ne quittait plus ses pages des yeux, aussi ne fit-elle pas attention lorsque l’on sonna le couvre-feu. D’habitude, elle passait ses soirées dans la bibliothèque ou dans la salle commune pour lire, mais cette fois-là, aucune des deux salles ne l'avait vraiment inspirée - elle y avait trouvé un peu trop de monde à son goût - et elle avait dû chercher refuge ailleurs. D’ici, elle pouvait voir des élèves se presser sans pour autant être dérangée, puisqu’ils passaient rarement à moins de vingt mètres d’elle, ce qu’elle trouvait plutôt acceptable. Mais cela faisait à présent un moment qu’elle n’avait pas entendu de bruits de pas et, lorsqu’elle s’en fit finalement la réflexion, elle releva la tête de son roman, interpellée par ce silence inhabituel. Quand elle comprit ce qu’il se passait, elle ferma son bouquin en vitesse, ramassa les autres qui traînaient prêts d’elle et se releva rapidement pour courir en direction du dortoir des Serdaigles.

S’il y avait bien une chose qu’elle détestait lorsqu’elle devait se presser, c’était cette manie qu’avaient les escaliers à bouger comme bon leur semblait. Cela faisait bien longtemps qu’elle avait appris à s’y faire, bien sûr, mais dans sa hâte ce soir-là, elle oublia d’y penser et, déstabilisée lorsque l’un d’eux se mit à changer de place, elle rata une marche et trébucha, tombant à genoux dans le couloir qu’elle venait d’atteindre. Elle s’était fait un peu mal à la jambe, mais rien de grave de ce côté. Ce qui la chiffonnait un peu plus, en revanche, c’était que tous ses livres s’étaient retrouvés étalés sur le sol et que ses parchemins de notes pour son cours d’études des moldus avaient volé un peu partout autour d’elle. L’un d’eux était même resté sur l’une des marches de l’escalier qui avait bougé et se trouvait maintenant de l’autre côté. Elle pesta en silence et voulut sortir sa baguette pour le rappeler d’un Accio mais se raidit en entendant des bruits de pas approcher vers elle. Elle ne devrait pas être ici, hors du dortoir, elle allait être dans un sérieux pétrin si un professeur la trouvait là. Elle avait l’habitude d’être une bonne élève et ne faisait jamais de vagues en général, alors elle n’aimait pas vraiment être celle qui transgressait les règles.

Le bruit de pas se rapprochait. Si seulement elle avait eu une cape d’invisibilité ! Comme si cela pouvait changer quelque chose, elle se dépêcha de ramasser ses livres (tant pis pour son parchemin perdu), espérant partir avant que la personne ne la voie. Elle attrapait le dernier quand la voix près d’elle la fit sursauter. Un simple bonsoir, qu’elle reconnut facilement comme provenant de la bouche du Directeur. Et merde, il fallait que ça tombe sur elle. Saisissant son dernier bouquin, un livre avancé sur la métamorphose en cinquième année, elle se retourna pour se trouver face à l’ancien concierge de Poudlard. Elle était cuite. C’était trop tard pour se cacher, désormais.

« Bonsoir. Désolée, j’ai fait tomber mes livres. »

Comme si cela pouvait lui servir d’excuse. Elle jeta un oeil vers son parchemin, toujours bloqué de l’autre côté des escaliers, et hésita à lui l’invoquer d’un sort, songeant que de toute manière elle était déjà grillée, mais décida que c’était peut-être se ficher un peu de la tête du Directeur et que ce n’était pas la meilleure des choses à faire dans sa situation.

« Je vais me coucher. »

Et elle s’éloigna d’un pas un peu rapide, ignorant la petite douleur à son genou, espérant qu’en partant si vite, il n’aurait pas à la sermonner ni à lui retirer des points.

Etrangement, le Directeur semblait plus amusé que fâché de la trouver là après le couvre-feu. Elle avait pourtant transgressé une règle, ne devrait-il pas être déçu de voir qu’une élève ne respectait pas le règlement de Poudlard ? Elle n’allait pas s’en plaindre, bien sûr, elle préférait ça que de se voir retirer des points pour mauvaise conduite. Depuis le début de sa scolarité, elle avait toujours été irréprochable, et elle n’avait pas vraiment l’intention que cela change ce soir-là. Armitage l’aida à ramasser ses dernières affaires, notamment les quelques feuilles de parchemin qui s’étaient échappées à l’autre bout du couloir, et les lui tendit en lui demandant si elle ne s’était pas fait mal. Décidément, c’était un vrai changement d’avoir un Directeur aussi aimable, Violet n’était pas sûre que les précédents se seraient inquiétés ainsi pour une retardataire. Avec un sourire reconnaissant, elle saisit les feuilles qu’il lui tendait et répondit :

« Merci beaucoup. Non, rien de grave, j’ai juste trébuché. »

Elle s’attendait à ce qu’il finisse par passer aux remontrances et aux punitions, mais il n’en fit rien. Il discutait simplement avec elle, comme s’il avait l’habitude de croiser des élèves après le couvre-feu et d’engager la conversation avec eux. Discuter simplement, cela ne faisait pas partie de ses activités favorites, mais puisque c’était le Directeur, Violet n’allait certainement pas montrer son ennui. Elle hocha donc la tête poliment lorsqu’il nota que ce n’était pas dans ses habitudes d’être hors de son dortoir après le couvre-feu. Quand il lui demanda si c’était un problème qui l’avait retenue, elle lança un regard à l’un des livres qu’elle tenait sous le coude et répondit :

« Plutôt un livre, pour être honnête. Il était vraiment prenant, je n’ai pas vu le temps passer. »

Et encore, si elle n’avait pas réalisé soudainement qu’elle n’entendait plus aucun bruit dans les couloirs depuis un certain temps, elle serait probablement encore dans un coin à dévorer chacune de ses pages, peut-être même jusqu’au dernier chapitre. Note pour elle-même, la prochaine fois qu’elle se retrouve face à un roman aussi captivant et bien écrit, elle ferait en sorte d’être déjà dans son dortoir pour le lire, ça lui éviterait ce genre d’incidents. D’un air désolé, elle poursuivit :

« D’habitude, je suis à la bibliothèque pour lire, alors je sais quand il faut partir, mais je voulais un peu plus de tranquillité ce soir alors je me suis mise toute seule dans un couloir et j’ai oublié de surveiller l’heure. Désolée, je ferais plus attention la prochaine fois. »

C’était sincère, elle n’avait absolument pas l’intention de se faire prendre une nouvelle fois à transgresser les règles. Elle aimait être sérieuse et elle avait une réputation de bonne élève parmi le personnel de l’école à laquelle elle tenait beaucoup. Même s’il ne s’agissait que d’une petite dizaine de minutes de retard, ça restait une infraction, et elle préférait éviter si elle le pouvait. Un peu inquiète, elle demanda donc :

« Vous… vous n’allez pas me sanctionner ? »

Non pas qu’elle en ait envie, bien au contraire, mais cette idée la rendait nerveuse depuis qu’elle s’était faite repérer et elle préférait en avoir le cœur net dès maintenant, plutôt que de se voir retirer des points par surprise au dernier moment.  

Violet haussa les épaules lorsque le Directeur lui fit la remarque qu’un coin de couloir n’était peut-être pas le lieu le plus confortable pour lire. C’était vrai, bien sûr, et elle avait toujours préféré la bibliothèque, mais elle l’avait évitée ce soir-là pour ne pas être dérangée toutes les trentes secondes par des élèves qui braillaient à côté. Elle répondit donc simplement :

« Ça ne m’a pas dérangée. J’ai déjà lu dans des endroits moins confortables. »

Là aussi, c’était vrai. Quand on avait déjà passé son enfance à tenter de se réfugier dans un coin de la maison familiale pour lire, avec des parents qui hurlaient dans la pièce d’à côté et des frères qui essayaient tant bien que mal de couvrir leurs cris avec les leurs, on pouvait bien lire n’importe où. En revanche, ce qui l’embêtait plus, c’était de se faire prendre après le couvre-feu, et Violet avait bien peur de ce qu’elle risquait d’avoir pour cette infraction. Pendant une très courte demi-seconde, la Serdaigle eut très peur que la blague d’Armitage sur sa sentence encourue soit sincère, mais heureusement le ton moqueur du Directeur la rassura bien vite, d’autant plus que cette répétition du chiffre cinq avait quelque chose de suspicieux. Tant mieux, parce que ça lui aurait paru bien exagéré tout de même comme punition pour quelques minutes de retard. Finalement, il allait simplement la raccompagner jusqu’à son dortoir, et elle ne serait pas sanctionnée plus que cela. C’était un vrai soulagement. Violet n’avait jamais fait perdre de points à Serdaigle jusqu’ici et elle aurait bien voulu que cela continue ainsi pour la fin de sa scolarité. Elle hocha vivement la tête lorsque le Directeur lui fit comprendre qu’il ne voulait pas que cela se reproduise.

« Bien sûr, c’est promis. »

C’était plus une promesse envers elle-même qu’envers lui, elle tenait surtout à rester une bonne élève, ce n’était pas tant une question de décevoir ou non le personnel de l’école. Le Directeur désigna le couloir d’un geste et ils prirent ensemble le chemin vers le dortoir des Serdaigle. Tandis qu’ils marchaient, Armitage lui posa une question sur le livre qu’elle lisait, ce qui eut pour conséquence de faire sourire Violet pour la première fois de la soirée. S’il y avait bien un seul sujet de conversation qu’elle appréciait, c’était sur la lecture, et ce bouquin là était tellement passionnant qu’elle serait capable d’en parler pendant des heures. Elle sortit le roman d’Ursula Elmont de sa pile de livres et le tendit de façon à ce qu’Armitage puisse voir la première de couverture.

« Oh, c’est le troisième tome d’une série de thrillers que je viens de découvrir. Ça se passe dans une ville du monde sorcier canadien, où l’auteure a vécu. C’est l’histoire de sorciers d’apparence sans histoire qui disparaissent les uns après les autres, et on apprend de fil en aiguille qu’ils avaient tous un secret qui les unissait. Le premier tome avait un retournement de situation incroyable, mais je ne vous en dirais pas plus. En tout cas, c’est très bien écrit et très intelligent. Je vous le conseille vraiment, si vous cherchez quelque chose à lire. »

Elle avait aussi prévu de conseiller cette série de romans à Lilith, avec qui elle partageait sa passion de la lecture, surtout parce qu’elle mourrait d’envie d’en discuter plus en détails avec quelqu’un. Maintenant qu’elle y pensait, elle pouvait aussi le proposer pendant une séance du club de lecture, puisqu’elle s’y était inscrite. En tout cas, elle avait bien hâte de rejoindre son dortoir pour pouvoir continuer tranquillement ce troisième tome et découvrir la suite de l’histoire.

Si le directeur avait eu l’air surpris lorsqu’elle avait admis avoir connu pire comme environnement pour lire, il avait cependant choisi de ne rien relever, préférant plutôt l’avertir de faire attention à l’heure pour les prochaines fois. Tant mieux, car Violet n’aimait pas tellement s’étendre sur sa vie privée et parler de son quotidien familial parfois insupportable. Même avec ses frères, elle avait pris l’habitude de ne pas aborder le sujet. Voir ses parents deux mois par an était déjà assez ennuyant comme ça pour en parler pendant qu’elle était à Poudlard, loin d’eux. Elle était donc plutôt reconnaissante que la conversation dévie sur le roman qu’elle lisait, les bouquins ayant toujours été son sujet de prédilection, surtout quand ils étaient aussi bons que celui-ci. Elle sourit sincèrement lorsque le directeur admit qu’il comprenait l’emprise des thrillers et la difficulté à lâcher quand il y avait autant de suspense à chaque page. La Serdaigle hocha vivement la tête, elle n’aurait pas dit mieux pour décrire ce qu’elle avait ressenti en lisant ce roman.

« Oui, c’est exactement ça. Surtout lorsqu’ils sont si bien écrits, on a envie de tout dévorer d’une traite. »

C’était agréable d’avoir ce genre de discussion avec quelqu’un qui pouvait comprendre de quoi elle parlait. Violet s’en voulait encore d’avoir dépassé le couvre-feu, mais elle appréciait cet échange avec le directeur. Enfin, elle espérait tout de même qu’il n’était pas comme ça avec tous ceux qui transgressaient le règlement, car ça risquait d’être rapidement le gros bordel dans l’école s’il n’y mettait pas un minimum d’autorité. Mais sans doute était-il uniquement indulgent avec elle car il savait qu’elle était autrement une bonne élève et que c’était son premier écart. Et son dernier, se promit-elle, pas question de risquer d’être prise une nouvelle fois à défier le règlement.

Armitage montra quelques réticences envers les thrillers, ce ne devait pas être parmi ses genres préférés, mais lui affirma tout de même qu’il tenterait de lire le premier tome, convaincu par sa présentation. Cette remarque ravit la Serdaigle, heureuse d’avoir réussi à transmettre son amour pour cette saga littéraire qu’elle trouvait absolument fantastique.

« Vous le trouverez certainement à la bibliothèque, c’est là que je l’ai emprunté. J’espère que vous l’apprécierez autant que moi. Et si vous cherchez d’autres livres à lire, n’hésitez pas à me demander, je peux vous recommander de bons auteurs dans n’importe quel genre, sorciers ou moldus. »

Elle avait presque l’impression de discuter de livres avec un vieil ami, ce qui était tout de même un peu osé quand il s’agissait du directeur. Mais c’était comme ces discussions qu’elle avait avec Lilith ou pendant les sessions du club de lecture. C’était très agréable de pouvoir échanger autour de ces sujets qu’elle aimait tant. Mais ils arrivèrent bientôt devant l’entrée de la salle commune de Serdaigle et Armitage lui conseilla d’aller poursuivre sa lecture dans son dortoir. Dommage que le chemin n’ait pas été plus long, Violet aurait pu continuer de parler de romans pendant longtemps encore. Mais il était tard et elle ne pouvait pas indéfiniment rester dans les couloirs de l’école à papoter. Elle hocha donc la tête et répondit :

« J’y vais de ce pas. Merci encore de m’avoir raccompagnée. Je promets que ça ne se reproduira plus. Je suppose que vous n’êtes pas si clément avec ceux qui récidivent. »

Il avait l’air d’un meilleur directeur que ceux des années précédentes, mais Violet espérait tout de même qu’il n’allait pas essayer de se faire aimer des élèves en étant trop laxiste et qu’il saurait montrer une certaine sévérité quand il le fallait. Elle n’avait pas vraiment envie de passer le reste de l’année dans une école où tout le monde pouvait se sentir libre de faire tout et n’importe quoi, c’était déjà assez bruyant comme cela. Elle sourit par politesse et, tandis qu’elle commençait à se rapprocher du tableau, prête à répondre à son énigme du soir pour pouvoir rentrer dans sa salle commune, salua l’ancien concierge :

« Bonne nuit, Monsieur le Directeur. »