Depuis les sélections, Haley savait qu’elle ne pouvait pleinement se reposer sur ses acquis pour la nouvelle saison de quidditch et son capitaine s’était fait un plaisir de lui souligner. Il l’avait peut-être fait avec une gentillesse qui tranchait beaucoup de celle de sa prédécesseuse, mais ça n’ôtait en rien la réalité pesante de ses mots. L’échec n’avait jamais été une option, ni dans ses études ni même pour le sport, quand bien même ce dernier n’avait aucun impact direct sur son avenir : elle aimait gagner, qu’importe le domaine. La défaite du dernier match passait encore puisque l’inégalité manifeste n’avait laissé à personne le loisir de penser que poufsouffle était inférieure mais jamais elle ne se pardonnerait une autre faillite, moins excusable. L’équipe comptait sur elle mais plus important encore : Misha comptait sur elle. Le décevoir était la dernière des choses qu’elle voulait.

Alors lorsqu’il fut question de lui ajouter quelques entraînements supplémentaires, elle n’imagina pas un seul instant refuser ou décaler au motif qu’elle avait du travail. Ça n’était pas simplement pour les beaux yeux du russe – même si cela pouvait avoir une certaine valeur motivante – mais parce qu’elle était réellement désireuse de montrer qu’elle était la meilleure. En filigrane, il y avait également un autre désir, largement moins compétiteur, qui l’animait : longtemps, elle avait gardé le secret de son double, ne comptant que sur Artemis et Rosalie pour l’épauler, mais à mesure que le temps passait, elle réalisait quel était le risque de ces cachoteries. Si elle était entrée en conflit avec une personne qu’elle pensait être sa meilleure amie, rien n’empêchait qu’un jour elle soit victime d’une discorde à laquelle elle n’avait pas participer. Plus le temps passait, plus elle tenait à son camarade et plus elle craignait qu’il se lasse d’elle. Et si quelqu’un arborant son propre visage venait à abîmer cette relation, elle s’en voudrait toute sa vie de ne pas l’avoir empêché lorsqu’elle le pouvait encore.

Forte de cette hargne de vaincre, les adversaires comme l’usurpateur, elle s’était armée de son balai pour rejoindre le capitaine. « Salut Misha ! » Il était le premier arrivé, et le seul sur le terrain : pas d’autres équipes, pas de spectateurs pour ce petit entraînement privé... il n’y avait qu’eux, un cadre idéal en somme. « Plus que jamais, oui ! Hors de question qu’on perde, cette année. » Après tout, l’année dernière non plus, elle n’avait pas été mirobolante durant les sélections ; Erin avait su voir en elle un bon élément malgré tout et elle s’était révélé plutôt efficace, jusque-là. Elle n’avait plus qu’à montrer que dans le feu de l’action, lorsque le match se jouait réellement, elle était la meilleure des attrapeuses. « Et interdiction de nous faire un malaise cardiaque la veille d’un match. » Que ça ne devienne pas une tradition des capitaines de poufsouffle.

Un sourire déterminé fendit ses lèvres à la mention d’une course. « C’est toi le capitaine ! » La préfète se noua les cheveux en une tresse collée, de sorte qu’aucune mèche ne vienne lui causer du souci. « Combien de tour pour la victoire ? Quatre tours, comme la dernière fois ? » Si la vitesse était toujours importante dans le quidditch, c’était avant tout une qualité que l’on attendait d’un attrapeur. La célérité et l’agilité, le tout avec un peu de goût du risque et une certaine roublardise. Cela, elle l’avait toujours compris : elle était très à cheval sur le respect de certaines règles, mais dans ce sport, elle rechignait assez peu à frôler les limites, sans jamais dépasser l’acceptable, pour tromper et surpasser son concurrent.

Sans doute Haley prenait-elle trop le quidditch à cœur aux yeux de ses parents, mais la jeune fille avait toujours été d’une nature compétitive et engagée ; il lui fallait du temps pour s’aventurer à faire de nouvelles choses mais lorsqu’elle le faisait, ça n’était jamais à moitié ou pour le simple apparat. Tout comme elle travaillait assidument ses cours, elle se devait de mettre toutes les chances de son côté pour avoir de bons résultats en quidditch ; des premiers résultats plutôt bons ne suffisaient pas et les dernières sélections l’avaient prouvé. Elle avait de la chance que Misha la laisse à ce poste, rien ne l’empêchait de prendre quelqu’un d’autre. Pour cette confiance qu’il lui accordait, qui n’était sans doute pas sans lien avec une certaine affection – et elle était loin de s’en plaindre – elle n’avait pas le droit de rechigner à travailler deux fois plus dur. Elle se sentait comme une obligation de tout faire pour lui offrir une victoire : il méritait d’être un capitaine couronné de succès, avant de quitter Poudlard. À l’égard d’Erin, elle n’avait guère ce genre de désir – la seule volonté de gagner lui suffisait amplement – mais pour le russe, il y avait bien plus qu’une simple envie égoïste de réussite.

Forte de cette motivation, elle se présentait à son camarade en arborant un grand sourire, celui d’une personne qui sait que malgré l’intensité probable de l’entraînement, elle allait être fière et contente de sa journée. Une pointe d’angoisse ne la quittait pas, rappel lointain qu’elle avait quelques confidences à lui faire qui n’étaient pas sans la mettre dans des dispositions désagréables, mais elle était déterminée et avant ça, elle comptait bien profiter un peu de l’instant présent et de cette douce complicité avec le garçon. « Il faut croire que les sélections n’ont jamais été mon fort. » Après tout, elle n’avait pas brillé l’année dernière... elle n’avait même pas terminé l’entraînement consciente, mais Erin semblait avoir vu à l’époque quelque chose qui lui plaisait suffisamment pour le confier le poste d’attrapeur. Et ça n’avait pas été un pari trop perdant. Jusqu’à ce que la batteuse les abandonne, en tout cas.

Le sous-entendu de Misha lui arracha un sourire hésitant entre amusement et tendresse, tandis que ses joues se coloraient légèrement d’une teinte vermeille. « Je ne savais pas que tu avais le cœur fragile, tu caches bien ton jeu. » Il n’était plus vraiment question de malaise cardiaque.

Heureusement pour le teint de la préfète, ils convinrent rapidement de quelques tours de chauffe sur fond de course. D’un même mouvement, tous deux enfourchèrent leur balai. « Prête ! » L’adrénaline montait à chaque seconde du décompte et avec elle une excitation qu’elle ne connaissait pas durant les sélections. Ou durant les matchs. Aujourd’hui, elle s’entraînait, mais les enjeux étaient moindres : il s’agissait avant tout d’un instant tranquille, d’un défouloir entre deux cours et d’un moment avec quelqu’un qu’elle appréciait sincèrement. Toute à ses pensées joyeuses, elle en loupa presque le départ, laissant lamentablement le russe prendre les devants. Il fallait lui reconnaître qu’il était loin d’être mauvais. C’était sans doute l’un des meilleurs joueurs de l’école et il avait la combativité des slaves que peu ne pouvaient égaler à Poudlard. Mais ça n’était pas pour autant qu’elle comptait se laisser distancer sans riposter ! Se penchant plus sur son balai, elle le sentit accélérer, grignotant peu à peu les quelques centimètres qui les séparaient... « Attention, j’arriii... ah ! » À trop vite vouloir crier victoire, elle en avait oublié de tourner en arrivant vers les gradins, manquant de faire plus ample connaissance avec les sièges des supporters de serpentard. Un heureux réflexe suffit à lui éviter une collision de plein fouet, mais en virant de bord, son épaule vint frotter contre le bois, déchirant un peu de sa tenue de sport. Rien de grave, plus de peur que de mal, mais assez pour la déconcentrer et lui faire perdre de son allure. Le garçon avait pris de l’avance, et malgré ses efforts, il demeurait résolument devant elle.

Quelques – trop longues – secondes après lui, elle vint se poser à ses côtés, un peu échevelé et la manche droite déchirée sur le haut. « Bravo ! » Elle leva le pouce en l’air, en guise de félicitations. « Je ne sais pas qui a diminué la taille du terrain, mais ça n’était pas gentil de sa part d’avoir rapproché les gradins depuis mon dernier entraînement. » Un peu de mauvaise foi sur un ton bon enfant, ça ne faisait jamais de mal. Elle était toujours frustrée de voir que ses résultats en course ne valaient pas ceux de l’année dernière, et elle se sentait stagner, comme s’il lui était désormais devenu impossible de progresser. Le risque était grand de se décourager.

Elle avisa la couture abimée de son épaule. « Il va falloir que je rafistole ma tenue d’ici notre premier match, ça ne ferait pas très bon effet, une attrapeuse en guenille. » L’impact n’avait pas été assez fort pour la blesser – dans le pire des cas, elle aurait sûrement un beau bleu demain – mais le tissu avait fait son temps.

Résultat des dés:

Il n’y avait sans doute pas besoin de beaucoup la connaître pour savoir qu’effectivement, Haley et la pression, c’était une histoire d’amour qui datait de sa première année à Poudlard, si ce n’était même avant. D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, elle avait toujours voulu rendre fiers ses parents, leur montrer qu’elle aussi était capable de grande chose et qu’elle avait hérité tout autant de leur ambition que de leur talent. Les bonnes notes n’avaient jamais été négociables pour elle, non pas que ses géniteurs aient insistés plus que de raison là-dessus – quoiqu’ils aient toujours été assez regardant – mais simplement qu’elle ne se voyait pas leur montrer un bulletin décevant. En revanche, dès lors qu’elle sortait du cadre purement institutionnel, elle n’en démordait pas plus : jamais ses parents n’avaient attendus d’elle qu’elle rejoigne l’équipe de quidditch, et c’était sans doute l’une des raisons qui l’avait faite hésiter quelques années durant, pourtant à présent qu’elle y était, elle ne pouvait pas faire les choses à moitié. C’était une question de fierté et de satisfaction personnelle. « Je sais. » répondit-elle le plus sobrement du monde à l’affirmation – presque accusatrice – du garçon. « Je ne fonctionne bien qu’avec la pression, je crois. En tout cas, j’ai toujours fait comme ça. » Elle eut un petit rire ; s’il savait ! Il n’y avait pas que pour les cours ou les compétitions qu’elle était ainsi, c’était également le cas dans ses relations sociales ; rien ne lui paraissait vraiment simple, au début, elle s’en faisait facilement toute une montagne, le temps de se familiariser et de s’accoutumer aux autres. Sans doute était-ce pour ça qu’elle restait le plus clair de son temps avec Rosalie et Artemis ; depuis le temps, elle savait comment composer avec eux, c’en était devenu naturel et anodin.

Misha, lui, c’était encore autre chose. Plus complexe qu’avec un simple ami, mais plus satisfaisant aussi. Comme lorsqu’elle obtenait la meilleure note, après avoir travaillé dur sur son cours... à la différence que ce dernier n’avait pas la faculté de lui lancer des regards comme ceux du russe. Il avait de beaux yeux, c’était indéniable, des pupilles claires qui vous transperçait avec une intensité particulière et qui, en cet instant présent, alors qu’il les plongeait dans celles de l’attrapeuse, lui en aurait fait oublier la pire des déconvenues scolaires. La fausse Haley aurait même pu passer à côté d’eux en chantonnant que, pour l’heure, elle n’en aurait eu cure.
L’originale marqua un temps d’hésitation, un peu gênée par le sous-entendu qui lui trottait la tête. Ses yeux et son sourire témoignaient d’une certaine tendresse, mais elle ne savait pas trop comment l’exprimer sans se sentir parfaitement idiote. Heureusement la proposition d’entamer les hostilités par une course de balai vint à son secours, car après tout, ils étaient là pour s’entraîner !

Elle aurait peut-être dû se concentrer un peu moins sur le capitaine de l’équipe et plus sur son objectif – sinon gagner au moins revenir au sol en un seul morceau – ça lui aurait évité d’admirer les gradins d’un peu trop près. Miraculeusement en vie, elle rejoignit le jeune homme, encore un peu secouée. « Je t’avoue que j’y ai cru aussi. J’aurais pourtant juré que la semaine dernière, ce gradin n’était pas là ! » rétorqua-t-elle en rigolant. Elle pouvait être sacrément mauvaise perdante, mais leur petite compétition ici n’était rien de plus qu’amicale, les enjeux sportifs n’étaient pas assez importants pour qu’elle s’offusque d’un si faible échec. « Monsieur aurait-il peur d’une possible concurrence d’autres jeunes hommes ? » Son visage se fendit d’une moue taquine et faussement suspicieuse. Un bref instant, une lueur – plus sombre – passa dans son regard, un éclair de rappel. Détournant finalement les yeux du plus âgé, pour s’occuper un peu les mains et dissimuler sa gêne nouvelle, elle ôta de sa chevelure l’une des petites barrettes pour venir coincer les deux morceaux de tissu entre ses branches ; le temps qu’elle récupère sa baguette et rafistole sa tenue, ça fera l’affaire. Ainsi, elle n’avait plus la peau à nu, pour le plus grand malheur de la gent masculine, et se préservait un peu du vent. Mais à présent, elle n’avait plus d’excuses pour éviter de croiser les yeux de Misha. « En parlant de concurrence... » Son ton était un peu plus ferme, et plus sérieux : elle avait pris une décision, ou tout du moins avait-elle trouvé le courage de l’appliquer. Cela faisait bien longtemps qu’elle savait devoir lui parler un jour. « Il y a une chose que tu devrais savoir. Je n’en avais parlé qu’à Rosalie et Artemis, mais je n’ai pas envie que... » Elle s’arrêta, consciente de prendre les choses à l’envers. Ça n’était pas comme ça qu’il allait comprendre quoi que ce soit. « Il-y-a-quelqu’un-à-Poudlard-qui-se-fait-passer-pour-moi. » Elle avait lâché ça rapidement, presque sans respirer, comme si elle le fait de le dire plus vite Le rendrait moins réel. Si l’on ne parlait pas de l’Usurpateur, il n’existait presque pas.

Un sourire fendit le visage de la préfète. Elle savait que beaucoup avaient d’elle l’image d’une fille trop sérieuse, trop préoccupée par des choses ennuyeuses et rébarbatives. Une élève modèle, qui ne devait pas être bien amusante. Et il y avait une part de vérité là-dedans. Elle avait longtemps compté sur Rosalie et Artemis pour jouer les joyeux lurons et par la même occasion, faire rejaillir un peu sur elle cette image décomplexée. « Crois-moi, je n’ai pas besoin de tout garder au dernier moment pour me mettre la pression. » rétorqua-t-elle d’un air un peu amusé. En ce sens, l’on pourrait croire que Misha et elle étaient très différents, mais à la réflexion, elle avait fini par se dire qu’ils avaient plus de points communs qu’il n’y paraissait ; le russe faisait sûrement les choses plus à la légère, mais quand elle le voyait sur un terrain de quidditch, il ne se montrait pas le moins du monde désintéressé. Ils géraient leur stress différemment et leurs objectifs n’étaient pas tout à fait le même – quoique s’agissant de l’équipe, Haley voulait tout autant que lui écraser leurs adversaires et savait se montrer très hargneuse une fois sur son balai – mais elle voyait en lui une rage de vaincre qui faisait un peu écho à la sienne ; celle qui faisait qu’elle se mettait tant la pression ou qu’elle s’était longtemps refusée de postuler pour le quidditch de peur de ne jamais parvenir à obtenir des résultats satisfaisants. Quelques verrous avaient sauté depuis, sous l’influence de camarades – l’expatrié avait eu son rôle à jouer dedans, quoiqu’il n’en ait peut-être pas totalement conscience – et surtout de l’existence de l’usurpateur... elle s’angoissait moins pour des détails inutiles et avait enfin l’impression d’être une adolescente.
Et comme toute jeune femme de son âge, elle avait peu à peu appris à se détacher des préoccupations purement scolaires. Elle avait même appris à faire la fête, rendez-vous compte ! Avec mesure et sagesse, cela allait sans dire, mais tout de même. Alors non, elle n’était pas si différente que ça de Misha ; juste assez pour apprécier la fougue qui faisait défaut à la préfète.

Comme pour prouver qu’elle n’était pas une fille fragile et faible, qu’elle avait elle aussi son petit grain de folie – ou à tout le moins un certain côté casse-cou – elle prit son virage trop serré, ou trop rapidement, allez savoir... qu’importe, le résultat était qu’en plus de perdre la course, et ce quand bien même elle n’avait pas un seul instant envisagé l’idée de flatter l’égo du garçon en le laissant gagner, elle avait manqué de fusionner avec les gradins. Passée la frustration et la mauvaise foi décomplexée, elle se laissa aller à un rire coupable. « Pourquoi crois-tu que les préfets aient un local qui leur est réservé ? Certains prétendent qu’on s’y retrouve pour planifier les tours de ronde, mais en réalité, c’est juste là qu’on entrepose tout notre alcool. » Maxwell aurait adoré cette idée. C’était même surprenant qu’il n’ait pas tenté de la mettre en œuvre avant son départ ; il était bien du genre à vouloir laisser une telle trace de son passage à Poudlard, quitte à installer un réseau de trafic entre l’école et les trois balais. Et en parlant de potentielle concurrence masculine... que le capitaine de l’équipe soit un peu possessif ne l’étonnait guère, l’entendre avouer si abruptement était autre chose. Chasse gardée, donc. Elle ne savait trop comment prendre la chose, hésitant entre la satisfaction de constater qu’elle était assez importante pour qu’il ne veille pas laisser la gent masculine s’approcher ou se sentir un peu enfermée par cette affirmation... c’était sûrement le jeu des relations comme celle-ci. Et ça avait un petit côté romanesque qui lui rappelait un peu les contes de son enfance. L’enfant en elle qui avait rêvée d’être une princesse était servie ! « Je comprends tout, Svarog est en fait la représentation du dragon que tu dois dompter pour atteindre la princesse. » Elle avait lu beaucoup trop de romans étant petite. « Ce qui fait de toi le prince venu du Nord. » Si une histoire semblable n’existait pas déjà, elle se devrait de l’écrire. Adapté d’une histoire vraie. L’antagoniste principal était d’ailleurs déjà tout trouvé en la personne de l’usurpateur. Une œuvre à la croisée des genres, à la fois histoire à l’eau de rose et roman policier.

Si la poufsouffle aimait bien les histoires fantasques, elle les préférait sûrement à l’état de fiction. La réalité n’avait pas à se mélanger à l’imaginaire abracadabrantesque de quelques auteurs en manque d’aventure... surtout quand elle en devenait la cible, sans trop savoir quelle réponse donner à ce qui n’aurait jamais dû exister. S’imaginer un double était amusant, le vivre était une tout autre chose. Et l’expliquer n’était pas une mince affaire non plus. « Quelqu’un prend mon apparence. » Haley aimait d’ordinaire les longs développements – si bien que l’un des premiers reproches qu’on lui ait fait pour ses devoirs était qu’elle ne savait pas être suffisamment concise lorsqu’il le fallait – mais une fois n’était pas coutume, elle n’avait pas les mots pour mieux décrire la vérité. Sans doute parce qu’elle-même ne comprenait pas tout ; pourquoi lui voler son apparence et se passer pour elle auprès de Rosalie ou Artemis ? Et pourquoi elle ? L’usurpateur avait bien pris l’apparence de sa meilleure amie au moins une fois... peut-être était-ce elle la clef de tout ça ? La gryffondor devait attirer l’attention d’un admirateur secret et pour l’approcher, quoi de mieux que d’endosser l’apparence de sa plus proche camarade ? « Je l’ai découvert quand on était en vacances à Durmstrang... c’est comme si j’avais une jumelle. Un double parfait de moi. » Elle en frissonnait encore à la simple évocation de ce souvenir. La pire des sensations demeurait celle de sentir sa prise sur le poignet de son double s’affaiblir, comme si celui-ci se liquéfiait un peu... « Et Rosalie l’a déjà rencontrée aussi. » Trop.

Pas plus que ses études, Haley n’avait jamais négligé de s’intéresser à son avenir. En réalité, depuis qu’elle était à Poudlard, qu’elle avait sa cravate de poufsouffle, elle ne pensait presque qu’à sa sortie de l’école. C’était une échéance qu’elle attendait avec impatience, autant qu’elle la craignait. L’établissement scolaire était devenu comme une seconde maison pour elle, l’idée d’un jour ne plus y venir était étrange... pas forcément désagréable, elle rêvait d’être une adulte à part entière et de faire sa vie, mais au moins un peu angoissante. « Excellente question. » répondit-elle très simplement avant de laisser un sourire fendre son visage. « Comme quoi, je ne prévois pas tout : je ne suis pas encore décidée pour ça. » Ou plutôt avait-elle envisagée trop d’options différentes sans être jamais capable de faire un choix. Elle doutait constamment de ce qu’il convenait le mieux : viser une carrière dans le droit magique, comme sa mère ? Le conseiller d’orientation, l’année dernière, l’avait guidé vers une telle proposition, mais à en croire les suggestions qu’il avait pu faire à ses camarades, elle n’était pas certaine que son avis soit très pertinent ou basée sur ses simples aptitudes. Une carrière au département des mystères la faisait aussi rêver, mais au fond, elle ne se sentait pas les épaules pour ça : il y avait beaucoup trop d’inconnu pour qu’elle accepte de s’y aventurer sans angoisser. « J’imagine que je vais finir par me tourner vers des études de droit magique... c’est un peu le choix de facilité quand on ne sait pas encore trop quoi faire. J’aurais tout le temps de me décider pendant mes études. » Elle laissa échapper un petit rire. Au moins avec sa mère au magenmagot, elle savait qu’elle pouvait compter sur des informations et une aide sans pareille, pourvu qu’elle daigne sortir un peu la tête de ses dossiers. « Ma mère parle de me trouver un stage au magenmagot, pendant l’été, pour m’aider à me décider. » Ça ne serait pas la première fois qu’elle mettait les pieds au ministère, bien au contraire, mais elle était sans doute plus habitué à traverser le département de son père que celui de sa génitrice ; enfant, elle était un peu la mascotte du bureau de désinformation, la petite fille qui jouait silencieusement dans un coin ou distrayait les autres employés en posant pleins de questions enfantines en attendant que ses parents daignent s’occuper d’elle. Aujourd’hui, elle y repensait avec une agréable nostalgie ; elle avait toujours été bien traitée par les collègues de ses géniteurs et en fin de compte, elle y avait appris beaucoup de choses intéressantes, là-bas. « Et toi ? Tu as une idée de ce que tu veux faire après ? » Misha partait en fin d’année... c’était toujours un peu étrange de voir des camarades plus âgés, qui portaient sur leurs épaules une part importante de l’ambiance dans l’école et – plus encore ! – dans la salle commune de poufsouffle, quitter l’école. Elle imaginait mal Poudlard sans eux.

Elle voulait bien admettre que Charles n’était pas tout à fait celui que l’on imaginait le plus dans pareille combine. Il avait un respect très minutieux du règlement, plus encore que Haley durant ses périodes les plus sérieuses ; à croire que la direction voulait se rattraper sur la nomination au rôle de préfet, après avoir désigné Maxwell pour ce rôle. Deux opposés complets, pour l’adolescente qui les avait tous deux connus dans ce rôle, cela nécessitait un petit temps d’adaptation. « Avoue que ça serait un plan formidable ! Tout le monde savait que Maxwell ramenait de quoi provoquer des comas éthyliques à tout Poudlard, après lui, personne ne s’inquiète de ce que pourrait faire quelqu’un comme Charles. » Elle en venait presque à regretter qu’il ne soit pas plus casse-cou ; la situation aurait de quoi être drôle. Elle aimait l’avoir comme binôme, il était sérieux et appliqué, et ne cherchait pas à se défiler quand il fallait agir... c’est tellement plus reposant de savoir que ce n’était pas toujours à elle d’être la méchante préfète qui venait réprimander un élève qui s’était fait attraper par un professeur pendant le couvre-feu pour la cinquième fois de la semaine ! « Si on avait transformé la salle des préfets en bar, ne t’inquiètes pas que tu aurais été l’un des premiers au courant. » rigola-t-elle. Parce qu’il était réputé pour être un bon vivant, parce qu’il était un membre de l’équipe de quidditch et donc – par définition – relativement populaire dans le microcosme scolaire, et bien entendue parce que le jour où elle mettait en place un trafic pour organiser des petites soirées, elle ne pourrait pas envisager une seule seconde de ne pas l’inviter. « On opte donc pour un conte moderne, très bien. La princesse qui va au secours du Prince du Nord, c’est pas mal, comme histoire. » Quoique cela manquait peut-être un peu de panache que d’affronter un phénix domestiqué par le prince éploré ; le scenario méritait peut-être d’être un peu plus approfondi. Il fallait au moins quelques épreuves plus corsées et un méchant adversaire en la personne de l’usurpateur.

Le moment était d’ailleurs venu de parler de lui ; elle avait trop attendu, ne partageant le secret qu’avec Rosalie et Artemis – et un peu avec Armitage également – mais s’il y avait une autre personne qui devait également savoir, c’était bien Misha. « Depuis au moins deux ans... Rosalie a déjà rencontré la fausse Haley à Pré-au-Lard. » Sans s’en rendre compte, de prime abord. C’était sans doute ça le pire : se dire que d’autres personnes pouvaient croire parler à la préfète, partager avec elle des moments plus ou moins joyeux, évoquer des bons souvenirs ou lancer des invitations... tout ça devant un usurpateur. « On a établi une liste de suspects... mais elle est beaucoup trop longue pour qu’on puisse vraiment savoir qui c’est. » Elle eut un rire un peu nerveux, avant de rajouter : « La bonne nouvelle, c’est que tu n’es pas dans la liste. » Mine de rien, pouvoir exclure quelques noms importants, comme celui du russe, de ceux qu’elle suspectait lui faisait un bien fou. Elle craignait d’apprendre un jour qu’il s’agissait de quelqu’un de très proche, quelqu’un en qui elle avait peut-être confiance...

Certes, Haley n’était pas d’une nature à laisser les choses venir comme elles venaient sans échafauder des plans ou des projets, sans chercher à anticiper à chaque instant... son côté naturellement anxieux s’alimentait de cette envie de toujours contrôler au mieux sa vie, jusque dans les plus petits détails, mais avec le temps, elle avait appris à lâcher un peu du leste face à l’inévitable et l’imprévisible. Puisqu’elle ne pouvait pas tout anticiper, tout déterminer en avance, elle se laissait un peu plus porter par le vent. Rosalie avait été un bon professeur en lui montrant ce qu’était la spontanéité, mais les évènements avaient eu aussi leur rôle à jouer : jamais elle n’aurait pu envisager ce qui était arrivé à Arte ou empêcher l’existence de l’usurpateur. C’était ainsi, et elle devait faire avec. Elle pouvait travailler pour corriger le tir, mais c’était plus ou moins tout ce dont elle était capable. Il en allait de même pour sa carrière à la sortie de Poudlard : des domaines l’intéressaient, des carrières lui faisaient de l’œil, mais elle n’arrivait pas à se décider et avait finalement accepté l’idée que se concentrer sur ses ASPIC était, pour l’heure, le plus important. Le reste finirait par venir de lui-même. Cela pouvait en surprendre plus d’un, et Misha en faisait partie, confessant s’être imaginé plus de prévoyance de sa part. Il n’avait pas totalement tort, et touchait un point majeur en mentionnant sa mère, toujours prompt à l’inciter à réfléchir un peu plus à son avenir. « Oh mais si je laissais ma mère faire, je pense que ça fait longtemps qu’elle aurait déjà tout prévu dans ma vie. » fit-elle en rigolant. C’était à moitié vrai : Maureen Carrow-Strauss avait déjà énuméré tout un tas d’avenirs possibles pour sa fille unique, listé les matières qu’il valait mieux avoir et les stages qu’elle pourrait faire. Elle était une femme directive et autoritaire, que seul son mari avait su un peu calmer, lorsqu’il fut question de leur progéniture. « Mais je crois que mon père lui a fait comprendre que j’avais encore un peu de temps devant moi. » Dumbledore merci, il restait encore quelqu’un dans leur maison qui ne voyait pas l’échéance de la quittée de Poudlard comme une épopée périlleuse.

En discutant avec lui, la jeune fille commençait à découvrir le Russe sous un angle plus intime qu’elle n’avait pas cerné de lui. Elle savait plus ou moins qu’ils ne venaient pas du même milieu et qu’il était orphelin – ç’avait été impossible à louper dès lors qu’il était venu en Grande-Bretagne à cause de son tuteur – mais elle n’avait jamais trop osé lui poser des questions à ce sujet. Il avait beau montrer de lui une façade plutôt détachée, il ne fallait pas être d’une grande finesse pour savoir que perdre sa famille à l’adolescence devait laisser quelques traces, et elle avait toujours craint d’aborder ce sujet, de peur de le blesser. L’entendre dépeindre le milieu dont il était issu, décrivant une vie qu’elle ne connaissait elle-même qu’au travers des histoires ou des échos qu’elle avait parfois des travails de ses géniteurs, était un peu inédit. « Alors je suis contente qu’il n’y ait plus de barrière. » Qu’ils soient nés du même côté ou non n’avait plus d’importance, à présent.

Haley avait conscience d’être bien chanceuse ; elle n’avait jamais manqué de rien et son avenir se dessinait plus simplement que celui de beaucoup d’autres personnes grâce à l’éducation et l’influence de sa famille. Même sans savoir où elle irait après Poudlard, elle n’avait guère à s’inquiéter de ce qu’il adviendrait, là où Misha avançait bien plus en eaux troubles. « Les équipes de quidditch devraient se disputer pour t’avoir, tu es l’un des meilleurs poursuiveurs de l’école, après tout ! » Et elle ne disait pas vraiment ça pour lui faire plaisir : son talent était indéniable, et il avait plusieurs coupes remportées à son actif pour en témoigner. « Mais quoiqu’il en soit, je suis certaine que tu trouveras quelque chose qui te plait ! En plus, tu as une expérience que beaucoup n’ont pas et tu parles deux langues... j’ai passé assez de temps dans les couloirs du ministère de la magie pour savoir qu’il y a toujours du travail qu’on n’imagine même pas. » Elle marqua une pause. « Tu comptes aller au salon de l’orientation ? » Son père lui avait dit qu’il allait y faire une intervention, et elle-même comptait bien écumer certains des stands, sans savoir encore ceux qu’elle allait visiter.

La discussion vira vers un sujet un peu moins sérieux, laissant l’avenir derrière eux pour aborder le présent... voire le passé. Une machination vouée à promouvoir la fête à Poudlard, orchestrée par d’anciens élèves et reprises par des préfets que l’on ne s’imaginait pas grand trafiquant d’alcool. L’idée était assez séduisante, présentée comme ça. « Comment ça, “ la maison la moins glorieuse ” ? Poufsouffle est la meilleure maison, ne serait-ce parce que nous y sommes ! » Au-delà du devoir de défendre ses couleur, la préfète était simplement dotée d’un égo qui en aurait fait pâlir d’envie certains serpentards. Ça n’était donc pas bien étonnant qu’après ça, elle se décrive en princesse capable d’aller sauver son Prince du Nord des griffes d’un dragon ! « Je note donc : préparer les friandises pour te libérer de Svarog et des vêtements chauds en guise d’armure. » Elle fit mine de prendre des notes, sa main gauche en guise de carnet. Elle était prête à tout affronter, même son double !

Sans surprise, la nouvelle laissa le Russe perplexe. Tout le monde l’était, en l’apprenant. Après tout, jusqu’à ce qu’elle aperçoive son double, elle n’avait jamais cru une telle chose possible et jamais il n’y avait eu d’incohérence suffisamment flagrante pour que les gens commencent à se poser des questions. « C’était bien de moi, l’invitation au bal. » Elle marqua une pause, avant de rajouter, comme pour prouver son identité : « Et tu avais fait une blague sur Svarog et les plumes de ma robe. » Il y avait encore des moments qui ne lui appartenaient qu’à elle, la vraie Haley. Des choses que l’Usurpateur ne pouvait pas savoir, ou ne pouvait feindre. « Eh bien, la première fois que j’ai vu en face la fausse Haley, c’était pendant le voyage scolaire en Norvège, voyage auquel tu n’as pas participé... j’ai donc exclu tous ceux qui n’étaient pas présents des suspects. » Rosa, Arte et elle avaient poussé l’enquête au point de demander au concierge, désormais directeur, la liste précise de tous les participants. Entre ceux trop jeunes pour avoir été à Pré-au-Lard, quelques mois plus tôt, et ceux qui n’avaient jamais mis les pieds à Oslo, un certain nombre de coupables potentiels avaient été éliminés.

La dernière question du garçon la laissa un instant pantoise. Elle ne s’était pas attendue à ça, même si après tout, c’était une réaction plutôt normale. Comment diable pouvait-elle prouver qu’elle était bien... elle ? « Euh... oh ! Je sais ! » Son visage s’éclaira soudainement alors que sa main plongeait dans la poche de sa tenue de quidditch. Victorieuse, elle extirpa son insigne de préfète, qu’elle avait machinalement gardé avec elle. Il était toujours de pouvoir l’avoir à tout instant, si elle voyait un élève faire quelque chose de sanctionnable. « À moins que l’imposteur ne soit également un préfet, seule la vraie Haley peut avoir cet insigne. » Puisque Rosalie et Artemis étaient exempts de toute suspicion, cela laissait peu de possibilités.

Aux yeux de sa fille, Karl Strauss était indéniablement la douceur et la gentille incarnées : il ne levait que très rarement le ton et prêtait toujours une oreille attentive. Bien plus que sa mère qui, par certains égards, se montrait plus observatrice avec les prévenus qu’elle jugeait qu’avec sa famille ; elle n’était pas une mauvaise génitrice et une mauvaise épouse, mais son tempérament et l’éducation qu’elle avait reçue la rendait plus stricte. « Il travaille au département des accidents et catastrophes magiques, au bureau de désinformation. » Les connaissances qu’elle avait du monde moldu venait de lui et des histoires qu’il lui racontait sur son travail. Quelques fois, il l’avait emmené à des évènements où le représentant du ministre de la magie – son père donc – était invité par le premier ministre moldu. C’était ainsi qu’elle avait découvert le cinéma, sans doute l’une de ses meilleurs expériences des inventions non magiques.

Évidemment, rien ne prédestinait deux adolescents comme Misha et elle à se fréquenter ; ils venaient de milieux si différents et n’avaient sans doute pas grand-chose en commun. Mais Poudlard, malgré tous ses défauts et ses drames, avait ce mérite de leur offrir un endroit où ces choses n’avaient plus trop d’importance. Les histoires de sangs continuaient encore à faire rage chez certains, les conflits demeuraient là, mais les gens que tout opposait se retrouvait tout de même ensemble. Haley était honnête : elle était véritablement reconnaissante à l’école pour lui avoir offert cette opportunité, pour lui avoir fait rencontre le Russe. Il n’était peut-être pas l’élève modèle, le parti que rêverait sa mère pour elle, mais à bien des égards il avait contribué à rendre la préfète plus spontanée et moins anxieuse.

Sans doute n’était-elle pas très objective en l’imaginant joueur de quidditch professionnel ; il était depuis plusieurs années dans l’équipe de leur maison et désormais capitaine, le tout en étant auréolé de belles victoires... de son point de vue, il était l’un des meilleurs joueurs de l’école et n’hésiterait pas à le qualifier de meilleur poursuiveur, mais sans doute que l’affection qu’elle avait pour lui jouait en sa faveur. Elle l’avait toujours admiré pour ça, après tout. N’empêche qu’il avait ses chances ! « Jade est dans une équipe de quidditch, maintenant, non ? Elle t’a vu à l’œuvre et c’est son job, je pense que son avis sur la question a de quoi être pertinent. » L’ancienne capitaine de leur équipe avait une vision désormais plus professionnelle du milieu, alors quoi de mieux qu’une personne comme elle pour se faire un avis ?
Quoiqu’il en soit, il lui restait encore du temps pour se décider. Peut-être même que le salon de l’orientation n’était pas une mauvaise option ? La plupart du temps, elle ne trouvait pas ces évènements très utiles, mais avoir deux parents au ministère jouait beaucoup là-dedans ; elle n’avait pas de contacts à se faire et savait déjà qui aller voir pour se faire un avis sur les métiers qui pouvaient l’intéresser. Ça n’était pas le cas de Misha. « J’y vais aussi, même si je ne sais pas encore pour quel atelier. Enfin je sais déjà que je n’irais pas voir celui que mon père doit animer, mais c’est tout. » Non pas qu’elle trouve ça inintéressant, mais simplement que l’intérêt pour elle était inexistant. Et puis ça aurait été ridicule de courir voir son géniteur à un tel évènement. Trop enfantin : elle ne voulait pas ça, au plus grand damne de son père. Elle allait bientôt être majeure, tout de même !

L’anglaise eut une moue un peu désappointée. « C’est sûr qu’après votre départ, à Roxy et toi, la salle commune va être beaucoup plus triste. » C’était à se demander comment leur maison avait pu faire lorsque les intéressés n’étaient pas là. Cela devait expliquer en partie pourquoi poufsouffle avait raflé la coupe des quatre maisons plusieurs années de suite, avant de rencontrer leurs déconvenues récentes... comme préfète, elle serait bien contente de voir à nouveau la victoire se colorer du jaune et noir, mais en fin de compte, ça n’était pas sa plus grande priorité. « Tel maître tel Phénix, à ce que je vois ! » répondit-elle en rigolant. Deux tempéraments de feu – sans mauvaise blague – ils s’étaient bien trouvés.

Révéler à Misha la vérité sur l’usurpateur avait été beaucoup plus simple qu’elle ne se l’était imaginée ; elle avait tellement l’habitude d’envisager les pires scenarios que c’en était devenu naturel, chez elle. Et ça n’était pas faute de réaliser que bien souvent, son cerveau n’avait fait que paniquer inutilement. Au moins avait-elle de quoi être soulagée. « Non pas tant que ça, mais ça doit faire une grosse dizaine de suspects, au moins... et on peut difficilement accuser tout le monde pour l’instant. » À bien y réfléchir, la liste allait peut-être s’amenuir : certains suspects n’étaient plus à Poudlard depuis le début de l’année, si sa copie se manifestait à nouveau dans les couloirs de l’école, elle pouvait exclure les anciens... et inversement, s’il ne revenait pas, elle pouvait drastiquement diminuer le nombre de coupables potentiels. Elle n’en serait pas beaucoup plus libérée d’ailleurs : certes l’idée de ne plus craindre qu’une fausse Haley se pavane dans la grande salle pendant qu’elle regardait ailleurs n’était pas pour lui déplaire, mais c’était sans compter la perspective qu’une copie d’elle puisse sévir dans toute la Grande-Bretagne... et ce faisant, devenir introuvable. « C’est vrai, ça, je n’ai même plus le droit de te retirer des points ! » Originalité du système scolaire : préfets et capitaines avaient peu ou prou les mêmes avantages, à commencer par le fait qu’ils ne puissent se tirer dans les pattes.  « Charles ? Eh bien, c’est vrai qu’il était au voyage. » Elle l’imaginait mal être ce genre de personnage, mais elle pouvait malheureusement dire ça avec tous ceux qu’elle connaissait un tant soit peu. « Mais j’ai plus l’impression qu’il en a après Eléonore ou Rosalie qu’après moi. » Selon la théorie qu’Arte et elle avaient un jour envisagée, c’était après la gryffondor que l’usurpateur en avait réellement... ce qui, quelque part, allait dans le sens d’un Charles, coupable. Cela valait peut-être le coup de se pencher sur la question, en fin de compte.

Haley avait maintes anecdotes à raconter sur l’enfance passée avec deux parents hauts-fonctionnaires au ministère : elle connaissait les couloirs souterrains de ce lieu mythique comme personne et avait été la mascotte de plusieurs bureaux qui aimaient bien voir sa tignasse blonde se balader d’étages en étages. Ça les distrayait et ils jouaient un peu avec elle de temps à autre ; son père avait été le premier à l’emmener avec elle pour certains évènements, lui faisant découvrir ce monde qu’elle n’aurait jamais trop connu sans lui. « Oui ! Je ne dirais pas que je suis une grande connaisseuse, mais oui, je connais un peu les choses moldues. J’ai déjà accompagné mon père au cinéma... et franchement, je dois avouer que je jalouse un peu les moldus, il nous faudrait quelque chose d’aussi cool ! » Pourtant, elle demeurait une sorcière n’ayant toujours eu qu’une vision partielle des moldus, d’autant plus qu’elle avait toujours été habituée à fréquenter des adultes. Des loisirs et vies des non-mages de son âge, elle ne savait rien... ce qui n’était en fin de compte pas si étonnant. Fille unique, elle avait de toute façon grandie qu’entourée de grandes personnes. Ses géniteurs, aussi aimant soient-ils, n’avaient pas toujours eu le temps à leur accorder que ce qu’elle aurait aimé. Sans doute était-ce pour ça qu’elle était devenue si accrochée à ses devoirs, s’enfermant trop facilement dans une mauvaise parodie de vie d’adulte sans avoir même pris le temps de découvrir ce qu’était être un adolescent. Elle avait l’impression de s’échiner à rattraper les années passées... et voilà qu’elle voyait déjà venir le moment où l’une des personnes qu’elle apprenait à connaître plus intimement allait quitter Poudlard. Serait-ce la fin ? L’idée qu’après l’école, plus rien ne les rapproche était angoissante. Sans doute allaient-ils prendre des chemins très différents, peut-être même allait-il retourner en Russie tandis qu’elle ne s’imaginait pas partir à l’aventure à l’étranger. Trop de projets et trop de confort l’attendaient à Londres, sur les traces de ses géniteurs. « Gare à toi, alors, il est trèèès bavard ! » rigola-t-elle lorsqu’ils évoquèrent Karl Strauss. « Si tu lui adresses la parole, ce n’est pas dit qu’il te laisse partir avant une bonne heure... ou deux. » De ses parents, il était indéniablement le plus jovial des deux. Elle ne l’imaginait pas une seule seconde être dur avec Misha, quand bien même il apprenait qu’elle l’aimait un peu plus qu’en simple ami... s’agissant de sa mère, c’était encore autre chose, mais lui verrait sûrement ça sous un œil plutôt amusé. Prudent, mais bienveillant. « Eh bien ça me fera une année comme préfète où je suis assurée d’avoir le coupe des quatre maisons, c’est déjà ça ! » Autrefois, cela aurait été réellement important pour elle mais en grandissant ses attendus avaient un peu changé. Être préfète était une grande fierté et faisait assurément très jolie sur son dossier scolaire, mais elle se rendait désormais compte de l’utilité somme toute discutable du rôle – d’autant plus lorsque des gens comme Sørensen était à la direction de l’école – et elle se focalisait bien plus sur ses notes que sur le reste.

N’empêche que l’absence du Russe allait effectivement laisser un vide dans la salle commune. Et les entraînements de quidditch perdraient de leur saveur. La perspective de son départ de Poudlard rendait d’autant plus important la révélation de l’usurpateur : les quelques mois à venir ne devaient pas être gâchés par quelqu’un qui se faisait passer pour elle. « Sûre et certaine. » affirma-t-elle au bout de quelques secondes. En réalité, Haley n’avait jamais envisagé que cela puisse être l’un d’entre eux : ça ne leur ressemblait tout simplement pas. « C’est difficile à expliquer... mais on a découvert cette histoire d’usurpateur ensembles, avec Rosa. Elle est bonne comédienne, mais pas à ce point-là. » Elle haussa des épaules. « Et ça n’est pas leur genre de faire une blague comme ça. » Pour peu que qu’ils aient été effectivement les auteurs d’une mauvaise moquerie, avec l’explosion de la tour et la blessure d’Arte, elle imaginait mal ce dernier persévérer là-dedans. Il avait d’autres projets, et biens d’autres préoccupations pour ne pas perdre du temps avec des idioties comme celle-ci. « Charles. » répondit-elle. « Je le vois beaucoup traîner avec Eléonore, ces temps-ci. » Radio potins bonjour. Elle était à deux doigts de concurrencer le croâsseur sur les informations inutiles de poufsouffle... ou tout du moins, de ceux qu’elle voyait fréquemment, comme sa colocataire de dortoir et son co-préfet qu’elle voyait un peu batifoler. « Je t’avoue que j’ai du mal à l’imaginer enfiler une robe et se faire passer pour moi, mais c’est vrai que j’imagine peu de gens faire ça. » C’était là le principal souci de la question : qui dans son entourage était assez tordu pour faire ça ? « Enfin bon... j’imagine qu’on finira bien par le chopper un jour, qui qu’il soit. Et crois-moi, ce jour-là, l’usurpateur va passer un sale quart d’heure ! »

Haley nota quelque part, dans un coin de sa tête, ce que Misha venait de dire. Sait-on jamais, son départ futur de Poudlard ne les forçait pas à arrêter de se côtoyer... un cinéma, c’était toujours un bon prétexte pour se revoir et entretenir la flamme ? « Le premier que j’avais vu, c’était un film sur un espion anglais... » Elle hésita quelques secondes, cherchant le nom du buveur de whisky. « Euh je crois qu’il s’appelait Bond ! » Cela remontait à quelques années déjà. Depuis, elle avait eu l’occasion d’en revoir quelques-uns, mais elle repensait toujours à celui-là. « Eh ! Je sais ce qu’est internet. » Son visage se fendit d’un sourire aux relents de culpabilité. « On l’a vu en cours d’étude des moldus. » Elle n’avait jamais pris la discipline en option mais avait été tout de même forcé d’assister à ces cours pendant une année ; ça ne l’avait pas particulièrement dérangé, mais elle avait toujours trouvé qu’il s’agissait d’une perte de temps. Cela empiétait sur l’attention qu’elle avait pu accorder aux autres disciplines, infiniment plus importantes pour son avenir. « Mais on n’a pas internet. En revanche, on a une tv et quelques autres équipements moldus. » Ils ne servent pas énormément et elle était même persuadé que certains ne fonctionnaient sans doute plus mais elle s’était beaucoup amusée avec lorsqu’elle était plus jeune. Ils étaient là avant tout dans un but professionnel pour son père : il accueillait parfois quelques moldus chez lui, aussi une maison sans télévision, chaîne hifi ou frigo aurait été extrêmement étrange. Ce qui relevait pour elle de l’exception et de l’atypique – des objets qui n’appartenaient pas à son univers mais rejoignaient parfois sa vie, en apportant avec eux un peu de fantastique dans son enfance – avait été le quotidien de Misha. Il avait un pied dans chaque monde, un pied dans chaque pays ; elle l’enviait un peu pour ça. Il avait infiniment plus de choses à raconter qu’elle qui avait toujours vécu dans la Grande Bretagne sorcière et ne connaissait le monde qu’au travers des livres ou de rares voyages qui ne montraient guère la réalité.

« Tu préfères la coupe de quidditch, hein ? » fit-elle en rigolant. À vrai dire, cela faisait bien longtemps qu’elle avait renoncé à obtenir la coupe des quatre maisons pendant qu’elle arborait l’insigne des préfets : elle n’était pas la meilleure des préfètes et ne portait pas ses camarades suffisamment bien pour motiver les troupes. Elle avait été un temps très arcbouté sur le règlement mais ça n’amenait rien sinon des conflits et elle n’avait pas le chic pour donner un véritable esprit de corps aux poufsouffles. C’étaient des personnes comme Roxy qu’il fallait pour ça : plus fédératrice, fêtarde mais pas trop tête brûlée, appréciée de tout le monde. « Il va falloir l’obtenir, cette coupe. Je pense qu’on ne parviendra jamais à avoir notre sablier qui dépasse serdaigle, mais pour le quidditch, ils ne nous arrivent clairement pas à la cheville ! » C’était assez injuste qu’il ne soit capitaine qu’une année : il n’avait qu’une tentative pour montrer ce qu’il savait faire dans ce rôle, aucun droit à l’erreur, mais Haley était prête à relever le défi. Pour lui, certes, mais également parce qu’elle était une grande compétitrice : elle aimait plus que tout gagner ! L’échec de l’année précédente avait laissé un goût suffisamment amer pour qu’elle veuille à tout prix y remédier.

Avouer l’existence de l’usurpateur ne lui avait pas seulement retiré un poids : cela lui avait accordé un nouvel allié. La préfète savait qu’elle pouvait compter sur Misha. « Peut-être... » concéda-t-elle, consciente qu’elle était bien incapable de comprendre ce qui se cachait dans la tête de celui – ou celle – qui lui volait son identité. Le Russe apportait un regard nouveau que ni elle ni ses meilleurs amis n’avaient : ils s’intéressaient à la question depuis trop longtemps, alors que lui découvrait tout juste l’histoire. La piste qu’il suggérait n’était pas absurde, au contraire. « Promis, t’auras une place de choix pour assister à sa défaite ! » Est-ce qu’elle prenait cette « traque » comme un énième défi à remporter ? Complètement. Et comme toute forme de compétition, comme le quidditch ou son désir de toujours être la meilleure en classe, elle comptait bien gagner et vite ! Elle voulait avoir l’esprit tranquille pour les ASPICs, l’année prochaine. « Bon, et si on se remettait à notre entraînement ? On a une coupe à gagner, je te rappelle ! » Trêve de bavardages, les cieux les attendaient après tout !