Il ne pouvait évidemment pas en parler à Sidney frontalement, mais de l’eau était passée sous les ponts depuis leur dernier… ‘accrochage’. Beaucoup d’eau, en fait. Un été si long qu’il n’en avait pas vu le bout, assez pour permettre de faire le point sur beaucoup de choses. Il avait parlé avec Skyler, de son expérience avec les jumeaux Sherwin, de ses ambitions et aussi – c’était sans doute le nœud de l’affaire – de ses faiblesses.
Blaze Mansfield qui reconnaissait n’être pas parfait, quelques mois plus tôt encore, on n’y aurait pas cru. Et pourtant.

Le retour à Poudlard avait été plus apaisé. Le jeune homme n’avait rien perdu de sa hargne ni de sa malice, mais il se sentait moins à fleur de peau et portait sur lui-même un regard d’avantage serein. Être conscient de ses forces mais aussi de ses faiblesses, il y avait là un début de forme de maturité bienvenue.
Il en avait également profité pour dresser un bilan de ses liens avec Sidney. Après que ce-dernier l’ait planté dans le balcon du monde, il y aurait eu matière à juste couper les ponts. Tant pis pour lui, que chacun vive sa vie dans son coin, le jeune homme pouvait rester un raté toute son existence, à trembloter dès qu’on élèverait la voix devant lui, qu’est-ce que ça pouvait bien lui foutre ?

Et puis…
… et puis il s’était dit que non. Il avait trop joué avec Sidney pour l’abandonner comme ça en rase campagne. Une espèce de scrupule cruel lui faisait penser qu’il avait désormais une forme de responsabilité de finir ce qui avait été commencé. Quoi que cela ait été, d’ailleurs.

Son petit tour lors de la soirée d’intégration, aussi fourbe soit-il, avait été paradoxalement un geste de réconciliation. Quelque chose de tordu et cryptique qu’on pouvait interpréter par « on n’en a pas fini tous les deux » ou plus bizarrement encore « tu restes la pièce maîtresse de mes manigances ». Mieux valait se sentir flatter, même si tout ça avait une fois encore de très clairs relents de toxicité.

N’empêche, il n’avait rien contre Sidney. En fait, à bien y réfléchir le garçon n’était pas que la chiffe molle qu’on pouvait imaginer. Déjà, il avait du caractère, mais surtout, une forme étrange de masculinité alternative qui faisait qu’on pouvait se permettre des choses avec lui que jamais Blaze ne se serait autorisé à envisager avec quelqu’un comme Misha ou comme Skyler. Sidney était dans un entre-deux, pas une fille, ce qui autorisait paradoxalement une certaine intimité, et certainement pas un bonhomme avec qui des relations viriles de respect mutuel s’imposaient.
Blaze avait vaguement mis le doigt sur tout ça, il fallait le dire en termes honnêtes, l’homosexualité du garçon, son aspect androgyne était intrigant, le plaçait dans une zone grise, où les codes biens définies de la manière de se comporter étaient brouillés. Blaze avait intégré tous ces codes à la perfection et jouait sa partition de petit coq sûr de lui à la perfection. Dans cette mécanique bien huilée des rapports garçon-fille, en plein cœur d’une adolescence tourmentée, Sidney incarnait un espace, extrêmement de niche, où ces codes volaient en éclat.

D’une certaine manière, c’était rafraîchissant.

Et surtout cela ouvrait des possibilités très concrètes d’expérimentation. Notamment celle d’aujourd’hui. Quand il avait mûri son projet, l’idée de mettre Sidney à contribution s’était imposée de suite. Avec n’importe qui d’autre, cela aurait été étrange, mais là… ça passait. Ne serait-ce que parce qu’il n’en avait strictement rien à foutre de l’opinion que le garçon avait sur lui et pouvait donc entretenir les projets les plus étranges sans aucune crainte du jugement que celui-ci aurait sur lui.

- « Entre entre. » salua-t-il son camarade quand celui-ci toqua à la porte.

La chambre était parfaitement identique aux autres, sinon que parce qu’il l’occupait seul Blaze avait redécoré un peu, affichant des posters de quidditch sur les murs, des feuilles de parchemin où il avait dessiné des plans alambiqués, notamment un des cachots, des recettes de potions expérimentales, des idées de noms pour un groupe de sorciers vengeurs et tout un tas d’autres trucs qui lui passaient par la tête et qu’il collait à la pierre, comme autant de reliques de projets inachevés.

D’un pas rapide il s’était rapproché de son lit et saisit d’un gros livre illustré nommé « anthropologie sorcière – shamanisme et magie naturelle en Amazonie ». D’un geste enthousiaste, il plaça le grimoire entre les mains de son camarade et en tapota la couverture.

- « Je veux essayer ça. Des peintures ensorcelées. »

Il fit un pas en arrière et sans laisser à Sidney le temps de répondre, enchaîna.

- « Tu vois ce que c'est que les runes ? On grave un symbole sur un objet pour lui donner du pouvoir ? Figure toi que des peuples de sorciers font ça aussi sur les humains, c’est très rudimentaire apparemment, mais ça fait partie des magies traditionnelles qu’on étudie en histoire. »

Il hocha la tête et leva un doigt en l’air, professoral.

- « Mais moi, j’ai eu une idée pour perfectionner le truc ! … de la peinture vivante ! »

Il semblait ravis : « Imagine : des peintures qui renforcent celui qui les portes, mais qui peuvent évoluer selon les besoins ! Les potentialités sont décuplées, avoue que c'est du génie ! »

Puis il haussa les épaules.

- « Je pense que ça marcherait mieux avec des tatouages, évidemment, mais je t’épargne ça aujourd’hui. Alors. T’en penses quoi ? »

@Sidney Driscoll

Ce qui ne décevait jamais avec Sidney, c’est qu’il ne posait pas trop de questions. Hayden était du genre pipelette, à avoir besoin de se faire rassurer pendant deux heures avant de faire le moindre truc un peu audacieux. Était-ce parce qu’il était plus suiveur – ou tout simplement plus courageux ? – mais Sidney pinaillait moins en général et pour ça, il faisait vraiment un excellent cobaye.

Satisfait, Blaze hocha la tête.

- « Ouais bien sûr, Dmitri m’a assuré que c’était ok, c’est une variante d’aquarelle si j’ai bien pigé, enfin je crois, bref ça se dilue facilement on va dire. »

D’un pas rapide, il se dirigea vers une table de chevet inoccupée qu’il avait réquisitionné pour accueillir les – trop rares – petits pots de peinture que l’aiglon avait accepté de lui céder. Il avait fallu se battre pour les obtenir, ceux-là, à croire que Dmitri ne lui faisait pas confiance… enfin bref. Blaze en attrapa un ainsi qu’un pinceau dont il trempa le bout dans un verre d’eau, puis à l’intérieur du pot, pour venir déposer sur le dos de sa main un large trait de couleur azure.

Celui-ci semblait comme étrangement habité d’une vie propre et sans qu’on sache bien pourquoi, était parcouru d’ondulations qui donnaient l’impression de voir passer des nuages fins dans un ciel bleu.

Blaze montra le résultat à son camarade.

- Sympa, non ? Attends je le passe sous l’eau.

Il plaça ensuite sa main au-dessus d’un petit bol d’eau et la tapota du bout de sa baguette, prononça un discret « aqua eructo ».

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1 ; 2 ; 3 ; 4 ; 5 = tout marche
➤ 6 = il s'éclabousse !
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HRP:

Blaze avait l'habitude de ce genre de sort mais sans doute dans la précipitation de passer aux choses concrètes, il effectua son geste trop rapidement. Au lieu du mince filet d'eau attendu ce fut un vrai jet, comme un robinet ouvert qui lui éclata au nez, trempant sa manche, une partie de sa chemise et de son pantalon avec.

- Et merde...! jura-t-il entre ses dents tandis qu'il dissipait le sortilège. Je vais finir par croire que c'est toi qui me déstabilise.

Au moins la peinture était rincée. Sans se laisser déstabiliser, Blaze brandit goguenard sa main face à Sidney, où seuls demeuraient quelques vestiges de pigments bleus, le reste ayant été emportés avec le jet.

- C’est bon ? Rassuré ?

Il se retint de rajouter un « chochotte » à la fin, se souvenant au passage qu’il avait promis à son camarade un bon moment. Il attrapa un t-shirt qui traînait sur un lit et s’essuya le visage et la main dedans. Il mettait ce type d'accident sur le compte de sa trop grande puissance magique, il fallait apprendre à se canaliser.

Le tissu vint également éponger son pantalon et il enroula sa manche de chemise trempée sur son bras.

- De toute façon si on fait de la peinture ce sera salissant, ajouta-t-il avec philosophie.

Depuis le temps qu'il connaissait Sidney, Blaze s'était persuadé de savoir lire en lui comme un livre ouvert. C'était évidemment une idée bien prétentieuse, mais il fallait reconnaitre que la peau pâle du garçon et ses rougissements fréquents aidaient à décrypter ses émotions sans trop se fouler. Le pauvre ne pouvait pas vraiment les dissimuler, même s'il tentait de garder bonne figure.

Blaze hocha la tête à sa dernière remarque. C'était bien s'il était détendu. En vrai, au fond, il ne lui voulait aucun mal. Juste le voir sincèrement s'améliorer et aussi, expérimenter. S'il y avait bien une chose qui tenait à cœur au préfet des Serdaigle, c'était de toujours nourrir son insatiable curiosité, mêlé de cette course à la puissance qui ne semblait jamais vouloir s'arrêter. S'il pouvait compter sur Misha pour l'épauler, Sidney était d'un autre genre d'aide, il y avait quelque chose de finalement assez réconfortant à savoir que le jeune homme rappliquait dès lors qu'on lui accordait de l'attention et que Blaze, avec quelques manières, pouvait l'embarquer dans n’importe quelle aventure, aussi désagréable soit-elle, sans que celui-ci ne lui en veuille trop longtemps. Une sorte de constance dans sa scolarité depuis deux ans dont il mesurait désormais mieux la valeur.

D'une certaine manière, il en aurait presque été reconnaissant envers Sidney d'être là, même si ego l'empêchait évidement d'admettre une telle idée.

Quand vous aviez subi l'endoloris dans un cachot, suspendu à l'envers et humilié comme un moins que rien, savoir qu'on exerçait toujours du pouvoir sur quelque chose ou quelqu'un c'était... rassurant.

Il adressa un clin d'oeil à son camarade avant de se laisser tomber sur le lit à ses côtés, là où se trouvait le grimoire qu’il ouvrit avec précaution à la première page.

- J’ai relevé plusieurs types de magie, en fait c’est assez basique, ils disent là-dedans qu’avant l’invention des premières formules la sorcellerie était plus « généraliste » on va dire. Genre ça faisait moins un truc précis qu’un effet vague, tu vois ? genre « succès à la chasse », j’imagine que ça donne une meilleure vue ou un truc comme ça ?

Les premiers chapitres étaient remplis d’un interminable charabia sur les cultures de l’actuelle Amérique du sud et de la sorcellerie qui s’y pratiquait avant l’invasion des européens. Pour être honnête, Blaze avait parcouru un peu en diagonale la partie historique, lui était plus intéressé par l’acquisition de savoirs concrets. Il n’avait d’ailleurs pas été déçu, les pages suivants étaient bardées de schémas, graphiques et surtout de dessins et de photographies d’individus vraisemblablement des shamans et de leurs corps peinturlurés.
Grâce à la magie un nombre conséquent d’entre eux avaient survécus aux espagnols et vivaient toujours dans la région, contribuant notamment à partager leurs savoirs avec l’école locale… impossible de se souvenir de son nom, au passage, mais Harriet, leur attrapeuse, venait de là-bas. Et allait y retourner, d’ailleurs, de ce qu’on lui avait expliqué. Vu ses prouesses au quidditch l’année dernière, Blaze n’allait pas la pleurer.

Sur la première page du grimoire, il avait pris des notes au crayon à papier.

- T'as une préférence ? J’ai listé, attends… succès à la chasse, donc, guérison, énergie, voyage dans les mondes extérieurs, préparation à la guerre, succès du plantage, prouesses sexuelles… disant cela il jeta un œil puérilement moqueur à son camarade. « Performances en duel de magie et accouchement serein. »

Il referma le grimoire et fixa Sidney. « Alors ? »

A la question de Sidney, Blaze haussa sincèrement les épaules. Honnêtement, il n’avait pas lu jusque-là. Pour lui, une série de motifs aboutissaient à un résultat indiqué dans le livre, mais ça restait un grimoire d’anthropologie, pas un manuel de cours et le détail des effets demeurait en fin de compte relativement vague, ou bien hypothétique.

- Franchement… je sais pas. J’imagine qu’on verra bien en essayant ? En tout cas ça n’a pas l’air de faire de mal, donc on peut y aller tranquille.

Avec la magie, la notion de « foncer les yeux fermés » était systématiquement une mauvaise idée. N’empêche que certains sortilèges ou pratiques étaient bel et bien plus bénins que d’autres et une sorcellerie qui ne fonctionnait – sur le modèle des runes – que tant que les motifs étaient dessinés devait être relativement aisée à annuler. Du moins si on en croyait la théorie. Dans les faits, il y avait toujours une zone d’ombre qui faisait le charme de ce type d’expérimentation et l’angoisse de leurs enseignants dès qu’on les abandonnait sans surveillance une baguette à la main.

Tranquillement, Blaze énuméra la liste des effets qu’il avait relevé dans le bouquin, en fait toutes celles associées à un motif clair et reproductible. Il y en avait d’autres mais pas manque de sources ou de dessin, le jeune homme les avait mis de côté. A quoi bon un sortilège si on n’était pas capable de le lancer ?

Lancé dans son élan, il n’avait pas vraiment anticipé la réponse de Sidney, supposant un peu par défaut que le jeune homme choisirait un truc stylé genre « péparation à la guerre » ou « voyage dans les mondes extérieurs », aussi ne put-il s’empêcher de souffler du nez en l’entendant déclarer qu’il voulait tenter l’accouchement serein.

- T’es con, choisis autre chose, comment on va tester les effets ?

Il l’avait dit sans méchanceté, le fait que Sidney commence à s’autoriser de timides tentatives d’humour lui plaisait bien. C’était un signe qu’ils étaient sur la bonne piste si le garçon était moins terrorisé par sa propre ombre, au point de se sentir assez sûr de lui pour oser le charrier un peu.

Une idée lui traversa l’esprit néanmoins. Il était évident que Blaze n’avait pas choisi cette activité – intrigante, il fallait bien le reconnaître – juste par passion des magies anciennes d’Amérique du Sud et que dans tout cela, son plaisir demeurait dans le fait de mettre mal à l’aise son camarade. C’était le forme suprême de puissance qu’il exerçait sur les autres, aller sur des chemins où ces derniers n’osaient pas le suivre confirmait à Blaze qu’il était en avance. Supérieur. Au bon endroit. Lui n’avait pas peur, il savait exactement où mettre les pieds et rien ne l’impressionnait vraiment.
Bon, en théorie bien sûr, mais n’empêche.

- Attends… en vrai péridural c’est le truc où on n’a pas mal c’est ça ?

Le jeune homme n’était pas trop au fait de la culture moldu, même si par son père il en possédait quelques fondements.

- Si ça limite juste les sensations au niveau du ventre, ça peut faire l’objet d’un test.

Se dire que Sidney venait tout seul de signer son propre malaise plaisait bien à Blaze, à qui son camarade ne pourrait reprocher d’avoir lui-même proposé l’idée. D’autant que celle-ci touchant à des domaines intimes, les dessins nécessaires étaient évidement centrés autour du bas ventre et des cuisses.

Avec une espèce de petit triomphe de sainte-nitouche, il feuilleta rapidement le grimoire pour trouver les pages parlant de cette magie précise. Non sans satisfaction, les gravures lui confirmèrent ce dont il se souvenait : on y voyait des femmes au corps peint de motifs organiques, évoquant des formes végétales, qui se tenaient debout au milieu de la forêt et, il fallait bien le dire, globalement si ce n’est complétement dénudées.

Blaze adressa un regard silencieusement moqueur à son camarade et hocha la tête comme si les choses étaient donc décidées.

- Ok on se lance là-dessus !

Évidemment, ça n’avait pas manqué. Il avait suffi de se lancer un peu trop vite, un peu trop loin et déjà Sidney flippait – non sans raison – tentant vainement de se rattraper aux branches pour ralentir sa chute dans un trou qu'il avait lui même creusé. Tentatives que Blaze ignora superbement, trop heureux de son coup. Le sourire de Sidney fane comme neige au soleil et le préfet admire à l’œuvre ce phénomène si caractéristique et satisfaisant : voir la confiance lentement bâtie s’effriter soudain face à un terrible doute.

Mais contrairement aux autres fois, Sidney tient mieux le coup, il faut le lui reconnaître. Là où il se serait littéralement décomposé l’année dernière, il trouve la force de lui offrir un ricanement nerveux assorti de ce qui sonne un peu comme une supplication, mais relativement digne quand même. Franchement, il y a du progrès !

Évidemment, Blaze le scrute encore quelques secondes sans rien dire. Un regard de chat face à une souris autant dire les choses comme elles sont, puis, grand prince, il hausse les épaules. L’air de lui faire une faveur à contre-cœur.

- Ok… ok… comme tu veux.

Il lui jette un regard furtif, feignant un peu de déception. « T’es peut-être pas encore prêt pour ça j’imagine. »

Faire reposer la faute sur ses épaules, hop, l’air de rien. Mais puisque maintenant Sidney lui a délégué le droit de choisir, Blaze se remet à feuilleter avec application le livre. Il a promis une bonne soirée à son camarade et ne compte pas trahir sa promesse. Reste à savoir quelle définition de « bonne soirée » le jeune homme se fait. De toute façon, il s’agit de ne pas le faire fuir non plus, Blaze aussi a envie de jouer avec la peinture.

L’une des pages attire son œil, sur deux gravures, un homme se tient de face et de dos. Sur tout son torse se dessinent des formes géométriques un peu hypnotiques, complexes car elles nécessitent plusieurs arrangements de couleur ce qui correspond bien à leurs besoins immédiats. Aussi, les formes ont le mérite de ne pas descendre trop bas en dessous du nombril, ce qui devrait être de nature à rassurer le jeune homme.

- Énergies. Si ça te rend meilleur au quidditch ça vaut le coup d’essayer, non ?

Cette fois-ci, le regard que Blaze adresse à Sidney est plus sérieux, laisse moins de place à la négociation. Moins de « c’est une blague hein ? haha » et plus de « on arrête de se défiler ce coup-ci ? ». Il ne peut toutefois s’empêcher de laisser filtrer un sourire joueur.

- Tu pourras même garder ton caleçon.

S’il est toujours amusant d’observer les réactions de Sidney, force est de constater que le jeune homme fait preuve de plus de caractère que d’habitude. Sa gêne est moins visible, ses angoisses plus maîtrisées et il parvient à tenir tête à Blaze sans bégayer. A croire que cet été l’a changé ? Le préfet préfère croire que ce sont ses leçons de vie qui commencent à faire leur effet et il s’attribue secrètement tout le mérite de cette évolution, confirmant au passage que sa méthode est la bonne. On arrivera bien à faire quelque chose de Sidney avant qu’il ne quitte l’école, à ce rythme !

L’ultime provocation se solde par quelque chose qui ressemble à un gloussement, à mi-chemin entre la gêne et… difficile de savoir. On verra bien. Blaze hoche la tête à la répartie de son camarade, comme s’il lui accordait le point. En effet, ils ne sont pas si proche. Le temps a montré qu’un fossé demeure entre eux deux et qu’aucun ne semble véritablement prêt à le franchir. Blaze à cause de son puissant sentiment de supériorité, et Sidney, certainement pour la raison inverse. Ca n’empêche pas de travailler ensemble, d’une certaine manière, ils ont fini par trouver leur dynamique. Reste maintenant à en faire quelque chose d’intéressant !

Au fond, il était évident que tout ça n’avait jamais été qu’un jeu de pouvoir. Blaze expérimentait ses limites, savourant le plaisir du contrôle qu’il exerçait et de sa propre force tout en cherchant à voir comment en faire quelque chose de concret. S’il avait dans un premier temps fantasmé pouvoir complétement façonner le malléable Sidney, ce-dernier s’était avéré avoir plus de personnalité qu’il ne le pensait et Blaze y avait appris certaines leçons, à chacun de ses échecs ou de ses réussites, entre autres qu’un peu de tact ne faisait pas de mal. Et aussi qu’il fallait faire avec les gens, comme ils étaient.
Quant à Sidney, ce qu’il en tirait, c’était encore flou dans l’esprit de Blaze. Il avait bien compris que le garçon s’était un peu entiché de lui et en jouait, mais peinait réellement à cerner la complexité de cette affaire, tant la personnalité du jeune homme lui était étrangère.

Satisfait que Sidney donne finalement son accord, Blaze se releva vivement du lit, tapant dans ses main avec enthousiasme. « Parfait ! Reste à préparer les peintures. »

Il récupéra le grimoire et se dirigea vers la table basse où étaient ses pots pour comparer les motifs de la gravure et les couleurs à sa disposition. La nouveauté résidait dans ce que la peinture était vivante cette fois, et il ne tenait qu’à lui d’improviser quelque chose qui ait du sens avec ce que Dmitri lui avait mis à disposition.

Son esprit s’activa rapidement, comme il savait faire face à un problème retord mais stimulant. L’énergie semblait se trouver dans les mots qui convergeaient en spirales géométriques vers différents points, évoquant vaguement ce que Blaze supposa être des sortes de chakras. En tout cas c’était une notion qui ne lui était pas étrangère, la sorcellerie asiatique était assez friande de ce genre de sortilèges.

- « Les motifs ont l’air d’aller vers une forme de concentration, de ce que je vois. Ça doit aider à canaliser l’énergie magique ou quelque chose dans ce genre. Du coup avec la peinture vivante, on pourrait utiliser les teintes de bleu pour faire comme si de l’eau coulait vers un point précis, t’en penses quoi ? »

Son idée lui plaisait bien et il doutait que Sidney en ait une autre à lui opposer.

- « En plus, le bleu c’est la couleur de Serdaigle. » ajouta-t-il benoîtement.

Heureusement que Dmitri lui avait donné plusieurs nuances, l’une d’elle, légèrement électrique, évoquait une eau vive de rivière. Son camarade lui avait vaguement expliqué que la plupart reflétaient des traits de caractère qui permettaient de recréer la personnalité des tableaux, mais d’autres étaient plus conceptuelles, servant manifestement de liant ou de modalisation.

L’idée de couvrir le sol de la pièce pour éviter les tâches ne lui avait même pas traversé l’esprit – après tout, les elfes nettoyaient toujours tout très bien – mais en se retournant vers Sidney, il faut pris d’un doute.

- « Tu préfères être allongé ou debout ? »

Quand on jouait avec les souris, c’était important de leur laisser un peu d’illusion de contrôle.

Il n’avait pas fallu très longtemps à Blaze pour se représenter une idée assez précise de ce qu’il voulait faire. C’était l’avantage d’avoir une personnalité entreprenante et sans doute un peu autoritaire sur les bords, il n’en passait pas par quatre chemins et cinquante hésitations avant de prendre une décision. Les figures lui avaient fait immédiatement penser à des forces qui se concentraient dans des cercles concentriques, ou plus prosaïquement à des sortes de tourbillons d’eau quand il vidait sa baignoire ou son lavabo, la décision avait été rapide à prendre, ce serait du bleu, il allait voulait faire comme des rivières qui affluaient toutes vers des points névralgiques. En plus, c’était assez logique avec le but recherché, non ?

S’il s’était sincèrement concentré sur la dimension pratique de la peinture et des motifs l’espace de quelques secondes, le temps de balancer ses idées à la volée et de les valider du même coup, son attention se reporta sur Sidney alors qu’il se retournait vers lui, ses pinceaux à la main. Avec une espèce de léger sourire satisfait, il prit quelques secondes pour le détailler.

Le garçon n’était pas « beau », pas selon les standards de Blaze en tout cas. Maxwell était beau gosse, on ne pouvait pas le lui retirer, Misha aussi, dans un certain genre un peu brutasse, et Hayden avait une tête un peu étrange, mais Blaze mettait ça sur le compte du fait qu’il était assez androgyne. Sidney n’était rien de tout ça. Maigrichon, les cheveux longs un peu filasses et un teint de peau qui rougissait comme du rosebeef à la moindre remarque, ça il était britannique, on ne pouvait pas s’y tromper.

N'empêche que le jeune homme était intrigant. Cela tenait sans doute plus à son caractère qu’à son physique d’ailleurs, même si ce-dernier jouait indéniablement. Dès le départ, Blaze avait eut le sentiment qu’il n’aurait jamais aucun mal à s’imposer sur lui, que ce soit mentalement ou même magiquement. Sidney lui renvoyait en miroir sa propre puissance, son propre talent.
Alors le voir ainsi vulnérable, les bras croisés devant son torse, cela exacerbait tout ça. Blaze se sentait tout simplement dominant et ce sentiment était incroyablement jouissif, il y avait déjà goûté un peu en recevant son insigne de préfet et lorsqu’il désarmait un adversaire lors d’un duel magique, mais là ça allait plus loin. Véritablement, il jouait à l’apprenti sorcier, pris d’ivresse adolescente, et Sidney était le jouet en question.

Et le plus dingue finalement, c’était sans doute que ce-dernier ne semblait pas complétement mécontent de la situation non plus. A croire que chacun y trouvait son compte.

Un peu curieux, il observe Sidney qui semble vaguement déstabilisé par sa question. Celle-ci est pourtant simple, soit Blaze travaille comme face à un chevalet, dans ce cas le jeune homme doit se tenir debout face à lui, soit comme sur une feuille posée par terre et alors il doit s’allonger. C’est assez pragmatique comme décision mais son camarade préfère botter en touche. C’est véritablement sous cet angle que Blaze se met d’ailleurs à réfléchir.

- Bon ok allonge toi, on verra si c’est pas pratique je te demanderai de changer de position, mais pour commencer ce sera plus stable je me dis.

D’un geste, il désigne le sol, propre heureusement – les elfes passent chaque jour pendant les heures de cours nettoyer tout d’un claquement de doigt.

Tranquillement, Blaze vient s’asseoir à côté de Sidney, dépose pinceaux et pots de peinture à côté de lui soigneusement. S’il en renverse, il n’en a pas de rechange alors autant faire gaffe ou Dmitri va lui faire une scène. Déjà que le gamin est caractériel sans ça, inutile de devoir en plus lui demander des faveurs…

A nouveau, autant mu par une curiosité sincère que par le plaisir qu’il tire à maintenir un léger fond de malaise chez son camarade, il prend quelques secondes pour observer sa « toile », avec un air parfaitement professionnel. Quoi qu’on en dise, l’expérience est nouvelle pour lui aussi, mine de rien, n’étant ni habitué à la peinture ni à… bon bref.

- Bien installé ? Tu me dis si c’est froid, demande-t-il prévenant.

Il mouille le bout d’un pinceau dans un verre d’eau propre, puis vient en tremper les poils à la surface du pot de peinture bleue. Un coup d’œil à la gravure sur le grimoire pour bien viser avant d’enfin poser affleurer la peau de Sidney, au niveau de ses côtes. Pas besoin d’appuyer beaucoup, surtout pour un premier essai, il préfère que ça reste réversible en cas d’erreur. La peinture semble accrocher, même fourmiller comme une matière… vivante.
Avec une application certaine et soudain très concentré par la précision de son geste, Blaze se met alors à tracer une courbe, pas très grande, une espèce de cercle concentrique qui demande toutefois de replonger le pinceau dans la peinture à deux reprises pour garder assez d’intensité dans la couleur. Arrivé au cœur de la spirale, il appuie un peu plus fort, comme pour marquer son aboutissement, puis lève le pinceau l’air satisfait.

Bon clairement on est plus sur du dessin niveau art plastique au collège que chef d’œuvre de peinture flamande, mais eh, la forme est globalement respectée et Blaze semble satisfait.

- Ok, cool, tu sens des changements dans ton corps ?

Il plonge son regard dans celui du jeune homme, avec une naïveté de sainte-nitouche.

- De l’énergie qui afflue quelque part ?

Qu’on puisse le trouver gênant était le genre de chose dont Blaze n’avait franchement rien à secouer. Ce n’était pas tant qu’il se fiche de l’image qu’il renvoyait – au contraire celle-ci lui importait beaucoup – mais plutôt que provoquer des sentiments positifs ou négatifs lui était assez égal, pourvu qu’il en provoque. Pendant ses jeunes années, avant que la croissance ne lui donne du muscle, il avait été frappé à plusieurs reprises par ses camarades pour des blagues déplacées ou de mauvais goût. En avait-il pris ombrage ? Certainement pas ! Même un coup de poing valait mieux qu’être ignoré, et il était toujours revenu à la charge avec deux fois plus de fourberie.

De toute façon, Sidney n’avait pas l’air si gêné que ça. Enfin, certainement qu’il l’était, et Blaze vaguement aussi, ça faisait partie du truc, mais son camarade avait le défaut de se montrer toujours très expressif, quitte à en faire trop, et se cacher le visage, fuir un regard ou rougir comme une tomate étaient autant de signaux que Blaze prenait comme des encouragements. Là aussi, pourvu qu’on lui donne de l’attention, il revenait à la charge, y trouvant la motivation pour se montrer toujours plus imaginatif.

Finalement, peut-être un peu moins machiavélique qu’il ne le pensait de lui-même, il s’était laissé prendre au jeu. Le préfet de Serdaigle prenait assez au sérieux tout ce qui touchait à la magie, il avait à plusieurs reprises tenté d’inventer des sortilèges dont, un celui d’origaminerie, faisait son succès dès qu’il fallait envoyer des lettres. En potion également, il aimait essayer des mélanges nouveaux, quitte à se les faire péter à la figure, et plus d’une fois il avait passé des heures à fouiner dans les rayonnages de la bibliothèque en quête de livres de magies inédites, dont l’un d’entre eux se trouvait d’ailleurs actuellement ouvert à côté de lui, et dont il tentait de reproduire les gravures.

L’espace de quelques minutes, ce fut un temps un peu suspendu où il mit – dans la limite de ses dons en peinture – beaucoup d’application à imiter les formes qu’il distinguait sur les images, et que sa toile soit faire de peau humaine plus que de parchemin ne le dérangeait pas plus que cela, sinon que parfois, lorsque Sidney respirait, celle-ci se soulevait un peu et qu’il fallait faire attention à ne pas laisser déraper le pinceau, mais ce n’était qu’une complexité de plus qui faisait bien souvent la qualité des grandes œuvres.

Il termina finalement sa première spirale et les choses rentrèrent dans l’ordre. A nouveau il était dans sa chambre, confiant et sûr de lui, assis à côté d’un Sidney désespérément torse nu qui semblait dans tous ses états. Ca aussi c’était une sacrée réussite, dans le genre. Dès le départ Blaze n’avait pas ignoré les sentiments – ou quelle que soit ce que c’était – qu’il pouvait susciter chez sa victime, d’un mot ou d’un geste stratégique, et ne se priva pas de remettre le couvert de deux questions pourtant parfaitement innocentes.

L’effet fut assez immédiat alors que son camarade le fixa d’abord avec des yeux ronds, avant de seulement comprendre le double double-sens de sa question. Ce-dernier finit par trouver la force de répondre, d’une voix terriblement pas convaincue. On dirait qu’on lui a arraché un son du fond d’un très, très profond abysse.

- C’est vrai, concède Blaze d’un ton enthousiaste. « Faut que je bosse plus pour provoquer des effets visibles ! »

C’est dit avec la candeur d’un gamin qui cuisine de la pâte à crêpe, Blaze a toujours été assez fort pour jouer les saintes-nitouches. Des fois, il n’y a pas besoin d’être crédible, le simple fait de semer le doute sur son innocence suffit à désarmer assez efficacement.

Blaze se décale un peu devant le haut du torse de Sidney et déjà, le pinceau retourne à son œuvre. A nouveau, la magie opère et Blaze se montre tout aussi appliqué. Bien sûr qu’il joue avec son camarade, mais il est aussi très bêtement curieux de voir si sa peinture a un effet magique. Si c’est le cas, il suffira de s’en enduire au prochain tournois de duels pour s’arroger un avantage redoutable sur son adversaire, sans compter les autres effets stylés que liste le grimoire.
Néanmoins, encouragé, stimulé… émoustillé ? par les fébrilités de Sidney, il s’autorise une légère variation par rapport à la gravure qui lui sert de modèle, déplaçant sa spirale au centre du maigre pectoral de son camarade autour duquel il fait tourner la peinture, coup de pinceau après coup de pinceau, et donc le cœur vient se ficher en plein milieu du téton, ce qui l’oblige à refréner une moue gamine.
La deuxième spirale achevée, il relève le pinceau, contemple le résultat d’un œil critique avant de hocher la tête en direction de Sidney.

- Ça te va très bien !

Sans insister, Blaze s’en retourne au grimoire. Il a fait à peu près la moitié du boulot, reste à recommencer de l’autre côté.

- Faut encore que je te rende symétrique et normalement on sera bon.

La fébrilité de Sidney était de plus en plus perceptible à présent. Blaze faisait évidement mine de ne rien voir, laissant toujours planer le doute de l’inexplicite, que peut-être au fond tout ça n’était que dans la tête du jeune homme, qu’il se faisait des idées. C’était un jeu cruel, évidemment, mais c’était aussi et avant tout une manière pour Blaze de se protéger lui-même. Se protéger des accusations que pouvait lui adresser Sidney, déjà, qu’il suffisait de balayer d’un geste de la main ou d’un haussement d’épaule « c’est toi qui a l’esprit mal placé » ou même sans aller jusque-là, retourner la culpabilité, il savait faire. Mais aussi, ça permettait de ne pas formuler les choses. Parfois, expérimenter, explorer, cela se fait mieux sans y mettre les mots. Blaze préférait ne pas rationaliser ses actes, jamais, il était rare qu’il prenne du recul sur son comportement, en fait, sauf avec Skyler, parce que la jeune fille avait un don pour le planter devant ses contradictions.
Mais le plus souvent, il préférait s’éviter un examen de conscience. Parce que tant qu’on restait dans le non-dit, rien n’était vraiment vrai. Et que s’il avait porté un regard cru sur lui-même, peut-être aurait-il réalisé que ses blagues potaches étaient cruelles, que sa popularité se fondait sur son narcissisme, que son amitié était toxique, et que sa curiosité était malsaine.

Tout ça, il n’était ni prêt, ni capable de le voir, et encore moins de l’accepter. Alors Blaze ne se posait pas de questions. C’était mieux comme ça.

Il était par contre très fort pour sentir les choses. Une sorte d’instinct social plutôt que d’intelligence qui faisait qu’il percevait très clairement les tressaillements de son camarade, ses rougeurs, ses hésitations et ses déglutissements, et les petits bruits un peu ridicule qu’il faisait parfois quand on le prenait par surprise. Rien de tout ça ne lui échappait, bien qu’il semble en apparence y être parfaitement imperméable.

Il avait à peine terminé sa second spirale que Sidney s’était redressé. Blaze le regarda faire avec curiosité. Il était rare que le jeune homme prenne des initiatives, surtout quand il était explicitement attendu de lui qu’il n’en fasse rien. Quand on travaillait sur une toile, on n’attendait pas d’elle qu’elle prenne une pause en plein milieu de la séance de travail. Mais bon.
D’un air très pro, Blaze s’empara d’un torchon pour s’essuyer un peu du bleu qu’il avait sur les mains, tout en expliquant qu’il ne restait plus qu’à faire la symétrie pour aboutir à quelque chose qui ressemblait grossièrement aux motifs de la gravure qui lui servait de modèle.

Son camarade le prit toutefois de vitesse et Blaze n’avait pas encore reposé le tissu que Sidney s’était relevé et en balbutiant une excuse, disparaissait en direction de la salle de bain. Blaze fronça les sourcils. Bon. Un coup d’œil à la chambre et celle-ci lui sembla soudain un peu étrange, comme si le simple fait de relever le nez de son travail rendait ce-dernier un peu différent, un peu plus artificiel. Il y avait une euphorie, une excitation à la fois à explorer un pan de magie inconnue, et puis aussi à mesurer à chaque coup de pinceau le pouvoir qu’il exerçait sur un autre être humain. Il avait essayé plusieurs approches avec Sidney et chacune avait été riche d’enseignements. A présent, c’était comme si il avait finalement trouvé un équilibre parfait, une sorte d’emprise qui ne disait pas son nom, sans passer ni par la peur, ni par la menace, mais par quelque chose de plus puissant encore : une forme de fascination qu’il apprenait à maîtriser.

Un sacré pouvoir !

Enfin, il fallait encore en mesurer complétement les effets. Blaze avait beau voir tout ça comme encourageant, il n’avait pas encore terminé son affaire et on n’était vraiment pas à l’abri que Sidney se barre en plein milieu du processus. D’ailleurs il n’était même plus dans la pièce, ce qui n’était pas très bon signe. L’espace d’un instant, soudain dévoré par l’impatience, Blaze fut tenté d’aller lui demander ce qu’il faisait, mais choisit finalement de ne rien en faire et, pas très concentré, se mit à touiller la peinture magique pour lui éviter de sécher.

Après un temps qui parut trop long à Blaze qui sentait monter sa frustration, Sidney réapparut enfin dans l’encadrement de la porte. Pas complétement con, Blaze voyait bien que la distance que le jeune homme mettait entre eux pour discuter était l’expression évidente de ses craintes et de ses doutes. Guère empathique, il lui sembla également que parvenir à abolir cette distance – et cette méfiance – serait un sacré avancement dans cette espèce de partie étrange qui se jouait entre eux, et dont l’enjeu était de savoir si Blaze parviendrait à le mener à termes.

A nouveau, Sidney remit Skyler sur le devant de la scène. Difficile, pour Blaze, d’expliquer qu’il voit Skyler comme une égale, sinon plus, ce qui n’est pas son cas à lui. Sidney est un cobaye, pas Skyler. L’enjeu, le plaisir, la stimulation intellectuelle que procure leurs présences n’est pas le même. Avec Sidney, Blaze dispute un combat contre lui-même : parviendra-t-il à se montrer plus malin ? Plus fin ? Réussira-t-il, à force d’intelligence, à obtenir ce qu’il veut et ce en usant de moyens déloyaux, chantages, pression psychologique, et autres ? Jamais il ne pourrait infliger ça à Skyler, ne serait-ce que parce qu’il est peu probable que la jeune femme se laisse faire. Et puis il n’en a pas envie, tout simplement ! Il aime la douceur de leurs étreintes et la saveur de leurs disputes, il aime pouvoir compter sur elle, et qu’elle sur lui. Ca n’a donc rien à voir, non vraiment, rien à voir. Mais ça… ce ne serait pas très stratégique de l’expliquer à Sidney maintenant.

Alors Blaze hausse les épaules, comme si la question ne s’était jamais vraiment posée en ces termes.

- Tu préférerais que je fasse ça avec elle ? Je t’avais promis un moment sympa, non ?

Le regard un peu vide, dénué de toute pensée maligne, il adresse à Sidney une face neutre de petit saint. La même qu’il offre aux professeurs quand il doit expliquer que non non, jamais il n’aurait glissé une pincée de poils de mangrouf dans la potion de son voisin pour la lui faire exploser au nez, non, franchement, c’est pas son genre !

- Puis entre nous, s’il faut tomber le t-shirt, c’est moins engageant pour un mec je te signale.

C’est dit sans aucune ironie, comme s’il s’agissait d’un argument purement technique, comme si tout pouvait se résumer à ça, comme s’il n’existait absolument aucune ambiguïté à ce moment précis.

Finalement, il hausse les épaules à nouveau, détourne le regard à son tour. Gêné ? Ou juste fait-il semblant de l’être ?

- Ecoute… si t’es pas à l’aise… c’est ok, d’accord ? Je peux demander à quelqu’un d’autre. Juste, j’ai pas forcément ce niveau de confiance avec tout le monde, tu vois ?

Il ne faut pas être grand devin pour se rendre compte que Sidney est désormais sur la défensive. Aucune idée de ce qu’il a fait dans la salle de bain mais la tension sur laquelle jouait Blaze jusqu’à maintenant semble s’être comme envolée et à chaque instant plus difficile à rattraper. Qu’est-ce qui a foiré ce coup-ci ? Alors qu’il répond au jeune homme, Blaze ne peut pas s’empêcher de ressentir une pointe de frustration, plus dirigée contre lui-même que contre Sidney. Alors qu’il pensait enfin avoir trouvé un moyen de le placer sous sa coupe, son camarade se dérobe de nouveau, décidément c’est une vraie anguille… Le problème c’est qu’échouer à chaque fois alors qu’il est dans un milieu contrôlé, avec tout son temps devant lui, ça n’augure rien de bon. Blaze serait-il moins grand manipulateur qu’il ne le pense ? Possible, et ça ne lui plait pas.

Alors que Blaze tente une dernière perche, le regard que lui rend Sidney suffit à faire comprendre que celle-ci n’a pas l’effet escompté. Tandis qu’il essayait de faire naître chez lui une sorte de fierté, le sentiment d’être exceptionnel, son camarade ne répond pas par le rosissement caractéristique de ses joues lorsqu’il est heureux. En fait, alors qu’il achève la distance pour le rejoindre, il semble plus défait qu’autre chose ; à croire que la soirée le saoule.

Du coup, l’enthousiasme de Blaze s’est envolé aussi. Super soirée, vraiment. Sidney s’est rallongé mais Blaze ne fait pas mine de vouloir se remettre à la peinture. Comme si l’exercice avait perdu 80% de son intérêt. S’il avait voulu vérifier les effets de cette vieille magie, en effet, demander à Misha aurait largement suffit, ce n’était pas le but et donc maintenant l’activité l’ennui.
D’un geste désintéressé, Blaze abandonne son pinceau dans le verre d’eau dont il se servait pour diluer la peinture, puis se redresse en s’étirant.

- Laisse tomber, ça a pas l’air de t’intéresser.

Il se penche pour ramasser le grimoire, marque la page puis le referme avant de s’en aller le ranger sur une étagère.

- Va te rincer si tu veux, tu vas attraper froid.

Ce n’est pas tant de la prévenance que du pragmatisme et paradoxalement, un certain désintérêt. Pousser Sidney dans ses retranchements, l’amener à tomber la chemise, un geste qu’il sait particulièrement gênant pour le jeune homme, voilà qui était amusant. A présent que l’amusement a disparu, que Sidney soit habillé ou non lui importe peu.

L’air de ne pas en avoir grand-chose à foutre, Blaze attrape un illustré sur les plantes magiques exotiques les plus bizarres et se laisse tomber sur son lit où il s’allonge adossé aux oreillers. Quelques secondes, il fait mine de feuilleter le magasine avant de jeter un coup d’œil en direction de son camarade.

- Tu veux discuter du prochain match ? Sinon on peut jouer aux cartes.

C’est le ton neutre de Blaze, plus que son ironie ou sa colère qui laisse deviner des sentiments contrariés. Là où le jeune homme se montre d’ordinaire débordant d’énergie, tout du moins expressif sur ses envies et ses idées, son manque soudain d’enthousiasme semble un écho à la soudaine perte de tension de la soirée.