feat. Maxence Danet Fauvel
☽ Oliver de Lacy ☾
Certains souvenirs finissent par se troubler avec les années — les visages de mes parents, la couleur des murs de ma chambre, le parfum des tartes aux pommes de ma mère — tandis que d’autres conservent tout leur éclat — sa silhouette auréolée des lumières du village, la rudesse du mur contre lequel je me suis effondré, l’odeur entêtante du sang, de
mon sang — et se font les gardiens de ma stupidité d’alors. C’est que j’ai eu le temps de vérifier, depuis, et toutes mes recherches sur le sujet se sont révélées catégoriques : il n’est vraiment pas bon de défier un homme que l’on pense être un vampire et de l’insulter de lâche lorsqu’il se contente de vous ignorer. Pour ma défense, je n’avais que seize ans et toute la confiance adolescente qu’une bière obtenue frauduleusement auprès de la jeune serveuse sensible aux sourires de trois idiots vient décupler. On fêtait mon anniversaire avec quelques jours d’avance, avant que les vacances de Noël nous séparent. Amusant, non ? De toute façon, j’étais convaincu que les rumeurs étaient fausses. Ce type n’était pas
réellement un vampire — qu’est-ce qu’une créature pareille viendrait faire à Pré-au-Lard, franchement ? — et il pouvait ou avaler une gousse d’ail pour renforcer mon assurance, ou bien boire mon sang pour me prouver le contraire.
Il avait retenu la seconde option.
À mon réveil, mon crâne m’élançait comme s’il s’était fait piétiner des heures durant, chacun de mes muscles n’était plus qu’une douleur lancinante et mes gencives me brûlaient en continu. Dracula n’avait pas laissé grand-chose dans mes veines puisque mes canines s’affinaient déjà. Le Ministère se présentait peu de temps après pour les
formalités d’usage, une jolie tournure pour ne pas dire expressément qu’ils allaient désormais consigner mon identité dans les registres des êtres à surveiller. J’ai essayé de revenir mais je ne suis pas resté à Poudlard pour terminer mon année scolaire. Les couloirs murmuraient sur mon passage et me pointaient du doigt, chaque inspiration me nouait le ventre d’une violente envie de mordre ce qui était ma portée, tout était trop intense, trop déconcertant, parfaitement invivable. Le cottage familial sur les côtes irlandaises était bien plus propice à trouver le temps d’apprivoiser cette nouvelle nature.
Six mois plus tard, je mordais cette femme.
Qu’il est ardu de résister à cette soif déchirante qui aiguise les sens les plus primaires et fait taire toute raison. Tout de même, avec le recul, je ne suis pas peu fier, non pas d’avoir attaqué une moldue, mais d’avoir tenu tout ce temps sans blesser personne, sans m’en prendre à mon père qui rentrait tous les soirs avant que le soleil ne se couche, tentation vivante de goûter, juste un peu, rien qu’un peu, sans profiter des premières heures où ma mère se levait, seule, pour la mordre et que personne ne le sache jamais. Il y avait toute cette viande crue à ma disposition et des moutons achetés précipitamment pour palier au plus urgent mais rien qui ne parvienne jamais à faire taire ce désir brûlant de boire du sang, leur sang, n’importe lequel tant qu’il attéunait la torture de cette soif constante. Ce jour-là, j’étais allé profiter d’une météo capricieuse pour me promener. En général, rares étaient les moldus qui en faisaient de même, dans le coin, mais celle-ci cueillait des herbes, le long d’un sentier isolé, la peau pâle de son cou tendue telle une offrande à laquelle il était impossible de résister. C’était plus tendre que le bœuf crû et bien meilleur que le mouton.
C’est comme ça que mon père a sombré dans la folie.
Immobile, il contemplait la scène, sous le choc de ce liquide écarlate qui maculait mon visage. Il a eu un dernier sursaut de vie grâce auquel il a soigné la morsure de la femme avant de l’oublietter et puis, plus rien. Je me souviens l’avoir raccompagné en balbutiant des excuses effrénées et dénuées de vérité — je me sentais repus, pour la première fois depuis ces nombreuses semaines — mais lui ne disait rien. Son regard perdu dans le vide y resta, même face aux lamentations de ma mère et aux diagnostics des médecins. État de choc émotionnel, tétanie paralysante, peut-être une amnésie partielle, qui pouvait dire, le temps seul ferait l’affaire. Je ne sais plus si la culpabilité m’étreignit. Je me rappelle juste de la soif qui revenait déjà et de ce corps gorgé de sang mais dépourvu de tout le reste. Je cédai une fois, me jurant que ce serait la seule, juste une fois pour atténuer ce besoin obnubilant. Je tins quelques semaines avant que mes crocs ne s’enfoncent derechef dans la peau malléable de son poignet. À partir de là, les intervalles se réduisaient un peu à chaque fois.
Que faire lorsque la source se tarit ?
Mon père mourut presque un an jour pour jour après cet incident. Ce n’était pas de ma faute, du moins, pas comme on pourrait le suspecter. Il n’avait jamais quitté cet état de paralysie et cessa simplement de respirer dans son sommeil. Du sang, il en avait encore à revendre, je n’y étais donc pour rien. Je ne sais pas depuis combien de temps ma mère avait compris mon petit manège, ni pourquoi elle me laissait faire sans s’interposer — je suppose que c’était la crainte d’être la prochaine — mais quelques jours après l’enterrement, je trouvai un mot sur la table m’ordonnant de quitter cette maison sans quoi elle préviendrait le Ministère.
Ma propre mère.
Je n’avais rien à faire, nulle part où aller, aussi Poudlard s’apparentait-il au meilleur choix. Le seul, en réalité. J’étais suivi de très près, rien de mal ne pouvait se produire. Si ce n’était ce manque qui se faisait grandissant, la conscience d’être constamment dévisagé, ce contrôle si difficile à garder.
J’avais seize ans depuis trois ans quand je décidai de disparaître.
☽ Conor ☾
Ces souvenirs-là sont parmi les plus nébuleux. Conor, c’était comme ça je me présentais le plus souvent. Il y a eu des errances jusqu’à rencontrer ce groupe d’excentriques — et par excentrique j’entends secte — dévoué à un culte quelconque et persuadés d’être des vampires. Soit. Boire leur sang était un rituel que seule la morphine qu’ils avaient introduite dans mon existence parvenait à tempérer. On passait nos journées étendus entre deux addictions et j’avais à portée de main tout ce que je pouvais désirer — je ne désirais pas grand-chose, ça aidait peut-être.
Si c’était à ça que devait ressembler l’éternité, ce n’était pas si mal, non ?
Puis il a fallu qu’une guerre déclenchée en Europe pousse notre groupe à se disperser, la moitié n’étant pas de sang-pur et ayant des familles à retrouver, des devoirs à accomplir, que sais-je encore. Une fille — je crois que je n’ai jamais su son nom — me proposa de la suivre jusqu’à New-York pour des raisons et par des moyens qui avaient alors du sens, suffisamment pour que je parte avec elle. C’était la toute première fois que je prenais l’avion et je dois bien admettre que c’était tout simplement détestable, pire encore que le transplanage d’escorte. Confort abominable, du bruit à vous détruire les tympans et tout ce sang que je ne pouvais pas boire sous peine de rencontrer très vite de nombreux problèmes. Nous sommes arrivés en Amérique sans que je ne tue personne — notez que ça n’était pas arrivé une seule fois… mais ne parlons pas trop vite — et nous avons rapidement retrouvé nos belles habitudes. Un peu plus de sang à chaque fois, un peu plus de morphine entre les doses, un peu plus instable, beaucoup moins de contrôle.
Alors, il fallait bien que ça arrive.
C’était un vrai gâchis. Il faisait nuit noire lorsque j’ai quitté l’immense appartement où nous vivions depuis notre arrivée ici. Je me souviens parfaitement de cette chemise complètement tâchée de sang et de ce manteau trouvé aux pieds d’une poubelle pour le cacher. Une chose était sûre, il fallait que je disparaisse. C’était facile, dans une si grande ville, de boire du sang de temps en temps. Lorsque mes instincts primaires devenaient trop puissants, je n’avais plus les moyens de faire la fine bouche et de n’accepter que du sang délicat. Ce n’était pas plus mal, personne ne s’intéresse aux sans-abris et certains savaient même très précisément où se procurer quelques doses de morphine à bas prix.
C’est à cette période qu’il m’a trouvé.
☽ Michael ☾
Isaac dégageait toute la vigueur d’un homme d’une trentaine d’années mais je découvris rapidement qu’il fallait multiplier ce chiffre par trois ou quatre pour approcher la réalité. Il n’avait aucune intention de me laisser ponctionner le sang d’une partie de New-York à ma guise, mais pas la moindre envie d’impliquer le MACUSA dans cette affaire. Les histoires de vampires se règlent entre vampires, c’est ce qu’il avait l’habitude de dire d’un air qu’il voulait profond mais qui, de mon humble avis, faisait vraiment stupide. Ça a demandé pas mal de temps et de nombreux coups pour me sevrer de la morphine, en premier lieu, du sang humain dans un deuxième temps. Il faut dire que le vieux avait une patience infinie mais qu’il fallait tout de même alimenter celle-ci de quelques rappels physiques. Pour garder la forme, qu’il disait.
Ce n’est pas peu dire que d’affirmer que je lui suis éternellement reconnaissant. Rapport au fait que je suis un vampire, vous voyez ?
Les années se sont succédé. Nous étions tantôt père et fils, tantôt deux frères orphelins, parcourant l’Amérique puis l’Europe. Lui avait une chance que je n’avais pas : il paraissait tout à fait adulte aux yeux du monde, là où je n’étais qu’un adolescent qui parvenait parfois à tirer jusqu’au début de la vingtaine. Il m’était donc difficile de faire autre chose que des petits boulots qu’on acceptait de me confier. Nous nous étions établis en Allemagne depuis quelques mois lorsque l’idée de retourner à l’école se fit une place dans mon esprit. Et pourquoi pas, après tout ?
☽ Peter ☾
Ah, Durmstrang. Climat, neuf sur dix. Il faisait parfois vraiment froid mais j’ai adoré les journées dénuées de soleil. Décoration, cinq sur dix. Si vous n’êtes jamais allé là-bas, vous ne pouvez pas vous figurer ce que ça fait de déjeuner en face d’une immense toile où des vieux sorciers rabougris vous fixent d’un air méchant : ça coupe l’appétit. Ambiance... C’est là que le bât blesse. Les quelques personnes dont la compagnie était agréable me permettent d’accorder un ou deux points. Entendre constamment parler de la supériorité du sang sorcier sur tous les autres n’était pas
vraiment ce qui me dérangeait le plus — disons que chacun a le droit d’avoir son point de vue, aussi stupide soit-il — mais devoir écouter sans broncher professeurs et élèves rabaisser les vampires au rang de créatures infâmes méritant la mort… Non. Non, ça ne passait pas. J’ai tout de même tenu deux ans avant de foutre mon poing dans la gueule d’ange de cette brute épaisse de Marius. Il méritait bien plus mais décevoir Isaac n’était pas une option. Les examens terminés, mon diplôme en poche, nous avons simplement décidé de quitter la région.
☽ Pavel ☾
On est restés plusieurs années à travailler dans une réserve magique au nord de la Pologne. Isaac, beau-parleur, savait comment me faire embaucher malgré mon jeune âge apparent. Et puis, lorsque les remarques sur le temps qui semblait ne pas avoir de prise sur nous ont commencé, on a compris que l’heure était venue de démissionner.
☽ Lucien ☾
Beauxbâtons est sans conteste l’école la plus accueillante que j’ai fréquentée. Tout, là-bas, respirait la noblesse et la bonne éducation. Quel dommage que je sois arrivé directement en dernière année : cela ne m’en laissait qu’une pour profiter des plaisirs de ce château.
Je crois que c’est à ce moment-là que j’ai débuté ma collection de diplômes.
Est arrivé ce voyage scolaire, organisé pour fêter notre promotion. Est arrivée Marian, surtout. Cette fille qui n’était pas insensible à mes sourires et qui avançait sous-entendus après sous-entendus avec la subtilité d’un éruptif. Elle est venue vers moi, ce soir-là, au milieu d’une fête qui battait son plein. On a dansé, entourés de nos camarades, puis on s’est éloignés. Quelques baisers, quelques caresses aventureuses, nos vêtements éparpillés derrière nous comme pour s’assurer de retrouver notre chemin. J’étais enivré, son parfum me montait à la tête, elle sentait bon, si bon, de toutes les façons possibles. J’ai perdu le contrôle, une demi-seconde, mais c’était suffisant pour que mes crocs pénètrent sa chair.
Un oubliette et rien de tout cela n’était jamais arrivé.
☽ Hans ☾
On a travaillé encore quelque temps et puis j’ai repris la route de l’école. Koldovstoretz avait les avantages de Durmstrang sans les inconvénients. J’ai passé de belles années sans entendre quiconque déclamer que personne sur cette planète n’arrivait à la cheville des sorciers de sang-pur et qu’il fallait déposséder de leurs droits ceux de mon espèce. Il m’était facile de m’intégrer. Tout le monde m’adorait, élèves et professeurs confondus, filles et garçons sans distinction. Il y avait bien quelques jalousies, mais n’est-ce pas normal chez les adolescents ?
Et puis, j’ai découvert que la jalousie cachait parfois d’autres sentiments.
Lui l’était. Jaloux, j’entends. Son regard sombre se faisait noir lorsque je riais aux éclats avec une autre, sa mâchoire se serrait quand mes colocataires me proposaient une sortie, ses poings se crispaient lorsque les professeurs louaient mes bonnes notes devant toute la classe. Il était bien plus détendu lorsqu’on s’embrassait. C’est lui qui avait posé la question, son doigt repoussant ma lèvre pour dévoiler cette canine plus pointue que la moyenne. C’est lui qui avait relevé la manche blanche de sa chemise, proposé d’un air grave son poignet, sa peau tendue sous laquelle se dessinaient des veines violettes. Était-ce sa faute ?
Dans tous les cas, c’est moi qui lui ait fait tout oublier.
Alors, c’était peut-être la mienne. Sûrement la mienne. À quoi bon se voiler la face ? Même si eux ne se souvenaient de rien, les indices étaient bien là et je ne vois pas comment ces fanatiques auraient pu remonter jusqu’à Isaac autrement. La porte branlante sur ses gonds, notre chez nous dévasté, ce sang au parfum familier… J’ai pris mon sac, quelques affaires, et je me suis lancé à leur recherche, déterminé à retrouver les connards qui avaient fait ça. Je ne crois pas avoir eu un seul instant l’espoir de retrouver Isaac en vie. On savait trop bien, tous les deux, qu’il existait dans le coin des sorciers qui faisaient de la chasse aux vampires un passe-temps régulier.
Ils m’ont d’ailleurs trouvé les premiers.
Heureusement que j’avais de bons réflexes et que je courais vite, sinon j’y passais. Ça et peut-être son aide quasi-providentielle, à Sélène. À nous deux, on les a salement amochés avant de s’enfuir. Je ne sais pas comment ils ont fait pour tenir face à elle aussi longtemps parce que, personnellement, rien que de voir son visage au petit matin me donne envie de fuir à toute vitesse. Alors, certes, elle est laide comme le péché, il n’empêche que sans sa présence, je ne serais plus là pour accumuler les conquêtes et les jolis diplômes.
Je suis désolé, Isaac. J’ai jamais cessé de l’être.
Une bonne dose de culpabilité dans une poche et la compagnie de cette infâme sorcière de l’autre, j’ai quitté l’Europe, direction ces bons vieux Etats-Unis. Il y avait une famille là-bas, disait-elle, la sienne. Des vampires qui n’avaient aucune intention de vivre reclus mais qui n’avait pas non plus celle de se laisser dicter leur existence par des employés d’un quelconque gouvernement.
☽ Cristobal, Esteve, Lazare, Basil et tous les autres. ☾
Auprès d’eux, l’errance était terminée. Depuis mon arrivée dans le clan, j’ai trouvé une certaine routine. De deux à quatre ans dans une école de magie puis, une fois mon diplôme en poche, je reviens à Boston et j’attends que Sélène me fournisse de nouveaux papiers pour voyager ici et là jusqu’à ce que l’envie de retourner étudier conduise mes pas vers une nouvelle école. Un mécanisme bien rôdé, au cours duquel cette sorcière ne se prive pas de choisir des noms plus ridicules les uns que les autres, pour le simple plaisir de voir la colère briller dans mon regard, suivie de la résignation de celui qui sait qu’il n’a pas le choix. Notons seulement quelques ratés rapidement oubliés d’un sortilège que je maîtrise décidément à la perfection.
☽ Chase Wilburn ☾
Chase me semblait un prénom des plus ordinaires après les
Lazare, Esteve et autres
Cristobal dont on m’avait affublé. Du moins, jusqu’à ce que j’apprenne par hasard — par hasard… ou pas vraiment : je suis certain que Sélène voulait que je le sache, son sourire satisfait ne trompait pas. Sorcière. — qu’il s’agissait de l’antagoniste principal d’un récent roman dépeint comme un
pervers sociopathe incapable de nouer ses lacets. Cela ne m’a pas empêché de prendre mes nouveaux papiers, de les glisser dans mon sac et de préparer mes valises pour Ilvermorny. Patronyme stupide ou non, mon charme était intact et ma place rapidement acquise parmi mes camarades. J’aimais ça plus que tout, vivre ces années encore et encore, dans l’inconscience la plus adolescente, comme si jamais on ne m’avait jamais enlevé la possibilité de passer à autre chose. Le sport, les cours, les potes, les filles.
Il y avait toujours une fille.
De longues boucles brunes, un visage mutin, un regard qui se perdait souvent dans ma direction, un sourire arrogant. Agatha était belle. Complètement mon genre. Vous savez, le genre sûr de soi qui avance avec prestance mais vacille tout de même face aux sourires les plus enjôleurs, sous les oeillades les plus espiègles, le genre qui clame haut et fort que les romances naïves sont pour les petites filles mais qui adore qu’on l’appelle princesse. La faire rire, la faire se sentir désirée, la faire se sentir unique et supérieure aux autres. Quelques semaines après la rentrée, nous étions inséparables. Il me suffisait de repousser une mèche derrière son oreille en cours de magizoologie pour déclencher une vague de soupirs envieux dans les rangées qui nous entouraient. C’était plaisant, c’était amusant, c’était frivole, c’était facile, trop pour tenir dans le temps. Le jeu était gagné, à quoi bon continuer de jouer ? J’avais peut-être sous-estimé son caractère revanchard. C’est en tout cas ce que je me suis dit ce matin-là, attablé à la table du petit-déjeuner, parcourant machinalement un torchon qui recensait les dernières rumeurs people du monde magique, une tasse de sang de bison dans une main, le journal dans l’autre. Gillespie, hein ?
Une plume, il me fallait une plume.
Quelques jours plus tard, mes plus belles paroles couchées sur un parchemin de qualité s’envolaient vers la jeune fille. Les vacances de Noël terminées, elle était plus belle que jamais et ses lèvres avaient un goût de victoire. Il n’en fallait pas plus pour que notre couple se dépose sur celles de l’école toute entière. Une romance adolescente dont je profitais car je savais que ça n’était pas fait pour durer : rien de ce qui m’entourait ne l’était. Pour l’heure,
Mrs. Wilburn jouissait de toute mon attention et de toute ma prévenance, matérialisées entre autres par ce pendentif qu’elle adorait. Dans ce joli tableau que je prenais plaisir à contempler, je dois avouer que je ne l’avais pas vu venir, le coup d’éclat de Gillespie. Le coup tout court, en réalité. Ce n’était pourtant pas tout à fait imprévisible mais je ne m’en étais pas préoccupé avant que son poing ne s’écrase contre ma tempe et que le mien ne réplique aussitôt. Quel petit con. Néanmoins, je pouvais lui dire merci : ça faisait bien longtemps que je n’avais pas eu une si belle occasion de laisser éclater une telle violence physique. En sueur, bien amochés, on a été séparés trop tôt à mon goût, mais j’imagine que le message était passé, dans un sens comme dans l’autre. Les animaux font pipi pour marquer leur territoire, les garçons se frappent.
Je n’ai pas montré les crocs, avec lui. Chanceux.
Le bal de fin d’année est arrivé, on a dansé toute la soirée, puis l’été a pris sa place et, avec lui, un léger goût d’inachevé. Alors je lui ai proposé de venir à Boston et j’ai veillé à ce qu’elle passe un merveilleux moment. Musée, dîner en tête-à-tête, balade sous les lumières nocturnes de la ville, tout y était. Elle était magnifique, dans sa robe argentée, ses épaules dénudées comme une invitation à les embrasser. Son parfum entêtant qui accompagnait chacun de nos pas, l’appétit ouvert par ce repas sans aucune saveur, la peau de son cou sous laquelle se dessinait quelques promesses… Elle me faisait perdre mes moyens, d’une manière qu’elle ne pouvait se figurer.
Quand je me suis penchée pour l’embrasser, ce n’est pas le vermeil de ses lèvres dont je me suis emparé.
Cela faisait longtemps, vraiment longtemps, que je n’avais pas perdu le contrôle. Sélène n’allait pas me louper. C’était bien la dernière de mes préoccupations alors que son sang emplissait ma bouche et que son corps alangui reposait entre mes bras. Aux yeux de n’importe quel passant pressé, nous étions deux amoureux perdus dans une étreinte passionnée. Ce n’était pas tout à fait faux, même si Agatha était plus captive que captivée et que j’étais assurément le plus enflammé des deux. Imbécile que je suis, j’avais laissé ma baguette chez nous. Tandis que son corps glissait jusqu’aux marches salies par les milliers de passages journaliers, j’ai échappé un soupir désolé. Je ne pouvais pas lui faire oublier mon écart. Je me suis essuyé le menton et j’ai refermé ma veste sur ma chemise maculée de sang, avant de transplaner.
Chase Wilburn n’existait plus.
☽ Padraig Finnegan ☾
Comme je le supputais, Sélène m’a littéralement couvert d’injures, un spectacle passablement effrayant à cause de son visage déjà hideux d’ordinaire, une condition qui empirait quand ses traits étaient déformés par la colère. J’ai argué que, d’accord, j’avais merdé, mais que celui qui n’avait jamais commis le moindre impair me jette la première pierre. J’aurais peut-être dû vérifier la présence d’Anton avant de balancer ces mots parce que ce parfait vampire qui n’avait jamais goûté le sang d’un seul humain ne s’est pas privé de me prendre au pied de la lettre et de m’envoyer un caillou en pleine face. Elle n’avait pas tort, l’autre mégère. Comment pouvait-on lutter pour améliorer l’image des vampires si des petits cons comme moi enchaînaient les caprices ? D’abord, je tiens à rectifier que ça n’en était pas un, mais plutôt une erreur de ma part, je consentais à l’admettre. J’ai ensuite proposé de faire profil bas et de m’exiler en Europe quelque temps pour que toute cette affaire ne soit qu’un lointain souvenir. Une semaine plus tard, je prenais un portoloin pour Londres sous une toute nouvelle identité, d’où j’ai rejoint les membres du clan qui vivaient ici.
J’étais excité à l’idée de retourner à Poudlard. Que devenait ce bon vieux château ?