Un jour qu’il était plus jeune, sa cousine Martina avait poussé van Aken dans une boutique de divination. Pour démontrer la fiabilité de ses articles et voyant qu’elle avait affaire à des individus fortunés, la sorcière qui tenait le magasin avait proposé aux deux adolescents de leur faire leur thème astral en lisant dans les dates. Sceptique, Alexander était passé le premier. L’expérience avait duré un certain temps, que le jeune van Aken avait jugé interminable, à répondre à toutes sortes de questions sur le lieu et les circonstances de sa naissance, ce qu’il trouvait un peu intrusif, et intégrer les coordonnées sur une grande sphère sigillaire représentant le cosmos et ses influences magiques sur la terre.

Le verdict était finalement tombé : l’inertie. Telle était la caractéristique dominante du jeune Alexander van Aken, une force par ailleurs inarrêtable, pourvu cependant qu’on parvienne à l’enclencher. Tel un rocher en haut d’une montagne, il fallait peser de toutes ses forces sur lui pour provoquer une avalanche.

Malgré toutes les résistances que l’on pouvait éprouver à l’égard de la divination, sur cet aspect de sa personnalité force était de reconnaître à la sorcière qu’elle ne s’était pas trompé à son sujet.

Van Aken était lent à bouger. Redoutable, oui, mais inamovible et n’aurait été sa femme pour le pousser au cul, probablement que le maître des potions aurait consacré une vie aux peintures et aux lectures, sans se soucier des affaires du monde.
Encore aujourd’hui, il fallait de grands événements pour faire bouger le magicien, d’autant plus que celui-ci avait tendance à se reposer sur l’excuse de son âge pour laisser passer les choses. A nouveau, si Patricia van Aken ne lui avait pas interdit de se laisser mourir, certainement l’aurait-il simplement rejoint en peinture, terminer une existence tranquille dans le confort cosy d’un portrait.

Maintenant Finnbjörn Sorensen était mort, avait mis fin à sa vie. Un garçon que van Aken avait à plusieurs reprises pris sous son ail et tenté d’aider ou du moins de conseiller. Il n’avait rien vu venir. Alors que le vieil homme traçait sur la toile les dernières touches du portrait de l’adolescent, la comparaison avec Dmitri lui devenait évidente. En froid avec son petit-neveu depuis que ce-dernier s’était aventuré sans sa permission dans les caves du manoir, ils ne se parlaient plus que sous la contrainte de véritaserum.
Ce n’était pas ainsi qu’on se comportait en mentor.

Dans le portrait, Finnbjörn cligna des yeux. Sa conscience se formait doucement, d’ici quelques jours il serait en mesure de parler. Van Aken avait du peindre rapidement pour fournir le portrait à la famille Sorensen, omettant cependant de préciser que la peinture qu’il utilisait était légèrement différente de celle des autres peintres.

D’un geste, van Aken rabattit le léger tissu protecteur sur sa toile, la dissimulant à la lumière. Son heure venait, mais avant, il avait du travail.

S’adressant à un cadre du couloir où tricotait une vieille sorcière, le professeur demanda qu’on fasse descendre Dmitri qui devait sans doute traîner dans sa chambre. Le garçon était rentré du collège trois jours plus tôt et partirait en Ecosse dans deux semaines. D’ici là, il devait bien trouver à s’occuper comme possible sur l’île des Hébrides, même si Alexander le suspectait de ne pas avoir commencé les devoirs de vacances que Poudlard imposait aux élèves pendant l’été.

Devant lui s’ouvrit le portrait dissimulant l’entrée des sous-sols. Van Aken s’y engouffra, la laissant toutefois ouverte de sorte que son petit-neveu puisse le suivre.

Arrivé dans le couloir du bas, il ne pu s’empêcher de jeter un regard furtif à la porte barrée de deux chaînes qui retenait prisonnier Martina et Gregory. Ceux-là avaient peu de chance de sortir de son vivant, charge à Dmitri de les libérer lorsqu’il serait propriétaire du manoir, mais pour sa part, leur trahison valait réclusion. Au moins ne les aurait-il pas dans les pattes pendant qu’il réparerait leurs idioties.

Une autre porte ouvrait sur la pharmacopée mais van Aken l’ignora. Il y en avait beaucoup d’autres, aux formes et aux protections variables, tantôt sculptées dans des bois raffinés, tantôt ornées de runes et de sortilèges qui faisait qu’en approchant la main on sentait la porte vrombir, d’autres étaient plus sobres et certaines, de simples grilles, laissaient entrevoir du matériel des toiles vierges et des meubles qui semblaient dater de plusieurs siècles.

Le professeur s’arrêta devant l’une des portes les plus sobres, un simple battant de chaîne massif, lourde à tirer mais sans ornements ni signes distinctifs. Un geste de la canne suffit à l’entrouvrir, un second alluma les chandelles de la pièces, l’illuminant d’une lumière douce. Le lieu était cosy, contre toute attente, le sol recouvert d’un épais tapis et les murs de tentures donnaient à la pièce quelque chose d’agréable malgré l’absence de fenêtres.

Au centre se trouvait une sorte de vaste bénitier dont l’eau aurait été remplacée par de la terre où était planté une petit arbre dont il était difficile d’identifier l’espèce. Lorsque les lumières s’étaient allumées, il avait semblé frémir, comme si on l’avait tiré d’un songe profond. Aux quatre extrémités du bénitier se trouvaient quatre têtes de lions, gueules ouvertes, tournées vers l’arbre. Chaque tête était percée d’un trou au niveau de la nuque ouvrant sur une forme de coupelle vide qui semblait servir de réceptacle. Devant chaque coupelle, un confortable fauteuil avait été disposé.

Van Aken prit place dans l’un d’eux et attendit Dmitri.

@Dmitri D. van Aken

Depuis son arrivée au manoir, voilà bientôt deux ans, Dmitri avait fait de sa chambre un lieu fort plaisant, un cocon confortable et agréable, toujours synonyme de bon temps et de distraction. Aidé par l’espace fort appréciable d’un grand manoir, de sa vue très appréciable sur l’île qui s’étendait tout autour, et surtout par la magie, il ne lui avait guère été difficile de faire de la pièce le meilleur des lieux pour se réfugier et s’amuser. Plusieurs tableaux y avaient d’ailleurs apporté leur petite touche pour aider le garçon à prendre ses marques, à commencer par les anciens propriétaires des lieux, les jumeaux Martina et Gregory. Ils lui avaient montrés pleins de petites choses, l’avaient conseillé sur les meilleurs moyens de décorer l’endroit ou sur les petites escapades possibles sur les toits... et leur absence dans le cadre lui pesait beaucoup. Ils n’étaient pas les seules peintures à s’aventurer ici, prodiguant conseils et discussions sympathiques, plusieurs des occupants du manoir trouvant fort distrayant d’avoir un enfant pour revivre indirectement une part de leur vie antérieure, mais les cousins d’Alexander avaient toujours eu une place particulière... et le vide que leur enfermement avait laissé peinait à être comblé par l’attention de leurs congénères de peinture.

Et ces derniers temps, le vide était omniprésent chez l’aiglon, comme si tout l’univers s’était donné le mot pour assombrir ses journées d’été écossais... déjà guère bien lumineuses. Le décès de Finnbjörn n’avait été que l’apothéose d’une solitude déjà bien installée. Avant que son grand-oncle ne lui montre les sous-sols du manoir, la mort n’avait été que très abstraite et restreinte aux personnes âgées, comme sa grand-mère maternelle... c’était peut-être triste, mais il n’y avait là rien de bien dramatique pour quelqu’un qui ne l’avait connu que de loin et, à l’époque, sans réellement la comprendre. Mais le norvégien était encore jeune et mine de rien, Dmitri avait toujours eu une certaine sympathie pour lui.

Aussi lorsqu’une vieille sorcière était apparue dans l’ancien portrait de Grégory, hélant gentiment l’enfant, celui-ci y avait vu comme un premier rayon de soleil dans cet été un peu trop maussade. L’heure n’était pas au repas ou au véritaserum et pourtant son aïeul venait à le demander... ce qui pouvait être signe d’ennuis ou d’un dialogue renouvelé. Et puisqu’il était pratiquement sûr de ne plus avoir fait de bêtises depuis un certain temps, il se laissait le droit à une pointe d’espérance. Car au fond, ce qui l’attristait le plus était de se savoir laissé de côté ; il avait envie de rendre fier son tuteur, de montrer qu’il était digne de l’attention qu’il lui avait accordée, il fut un temps. Les reproches et la déception qu’il pouvait lire dans son attitude – pour le peu qu’il parvenait à cerner chez lui – l’avaient marqué plus qu’il ne l’aurait cru quelques années auparavant.

Sans qu’on ait besoin de lui répéter par deux fois, l’aiglon sauta prestement du confortable fauteuil qu’il avait tiré à côté de la fenêtre, prenant à peine le temps de glisser un marque-page dans le livre qu’il parcourait, et fila vers le rez-de-chaussée. Le trajet était relativement rapide, sa chambre donnant sur le début d’un grand couloir qui bordait les escaliers, et il fut rapidement devant le passage qui menait au sous-sol. En l’absence du maître des potions, elle n’était jamais ouverte et il n’avait d’ailleurs pu y aller sans lui que par une seule occasion... qu’il ne souhaitait en rien réitérer et dont il rêvait bien souvent de pouvoir effacer de l’histoire. D’un pas plus hésitant, il s’y engouffra, rejoignant le sombre couloir qui menait à tant de mystérieuses pièces. Volontairement, il se força à ne pas regarder du côté de la nouvelle prison de Martina et Gregory, comme s’il craignait de voir les chaînes de la porte allait être le déclencheur d’une sanction plus amère encore que celle qu’il subissait au jour le jour.

Il n’y avait guère besoin d’amples précisions du portrait qui lui avait signifié le rendez-vous pour savoir où il devait se rendre. Toutes les portes étaient fermées, barrées de chaînes ou simplement protégé par un verrou ou un sortilège qui lui était inconnu, sauf une, facilement repérable grâce à la lumière qui s’en dégageait et éclairait une partie du couloir. Dmitri s’y engouffra timidement, détaillant du regard l’endroit qu’il découvrait pour la première fois, dans un mélange de crainte et d’émerveillement. Il lui semblait que l’île regorgeait d’endroits comme celui-ci, tous aussi mystérieux et fascinant les uns que les autres, si bien qu’une vie lui semblait bien trop courte pour tout découvrir. Il lui fallut quelques secondes pour prêter attention à l’homme déjà présent, trop absorbé qu’il était par la contemplation silencieuse de cette nouvelle pièce, qu’il trouvait aussi fascinante qu’inquiétante... l’expérience lui avait appris à se montrer méfiant envers tout ce qui se trouvait en ces lieux.

Il avisa son aïeul, assis. « Vous vouliez me voir ? Ce n’est pas pour le veritaserum, n’est-ce pas ? » L’espoir qui teintait sa voix était manifeste. Non qu’il n’ait encore beaucoup de choses à cacher à l’adulte, bien au contraire – tout avait déjà été dit – mais il était soulagé à l’idée de ne pas constamment devoir prouver quelque chose au vieil homme. Et celui-ci savait bien combien l’absence de confiance pesait sur lui, tant il avait été impossible de lui cacher ses ressentiments, sous l’effet de la potion.

S’il y avait bien une chose qu’appréciait le professeur van Aken, c’était de remarquer dans le regard de ses étudiants le plaisir de la découverte, la fascination qu’entraînait bien souvent la confrontation avec une situation nouvelle et inconnue, qui stimulait l’imagination et l’ambition. Il aimai ce regard chez Dmitri d’autant plus, et parce que les mystères qu’il offrait au garçon était son héritage.

- Non, en effet, confirma van Aken à la question du jeune homme. « Nous n’en aurons plus besoin à présent, du moins je l’espère. »

Et d’un geste de la main, il invita Dmitri à prendre place dans l’un des trois fauteuils restés inoccupés. Une nouvelle année commençait et van Aken avait le pressentiment que celle-ci serait décisive. D’autant que maintenant que Kaspaer était parti, il risquait de ne plus avoir autant les mains libres qu’avant.

- Ceci est un memoria ligno, au cas où tu te posais la question. Littéralement un arbre à souvenir. C’est une espèce rare que Tob…

Son regard se porta sur le jeune homme, comme s’il avait voulu ravaler sa phrase. Les mots lui avaient toutefois échappé et il eut un léger soupire de résignation. « Que Tobias, mon grand-oncle, a ramené d’Egypte. De manière assez peu légale, je ne te le cacherai pas, d’où sa présence dans le sous-sol. »

L’arbre avait une apparence étrange. Haut d’un mètre seulement, il évoquait plutôt un gros bonzaï ou alors une jeune pousse. Son écorce blanche était veinée de vaisseaux bleus dont la couleur évoquait les souvenirs que l’on plaçait dans les pensines.

- Ces arbres se nourrissent d’histoires et de souvenirs. Ils sont spectateurs du monde et à l’âge adulte étendent leurs feuillages pour offrir de l’ombre aux assemblées de village où ils écoutent les contes et les débats. Du moins était-ce ainsi pendant longtemps, la modernisation de certains régions du monde les a presque tous fait disparaître.

Il avait dévissé sa canne et libéré sa baguette du pommeau, la porta à sa tempe d’où il tira un filament d’argent caractéristique.

- Le projet de Tobias était de découvrir le véritable potentiel de nos souvenirs, il supposait, cet arbre comme exemple à l’appui, que ceux-ci étaient en vérité le siège de notre âme et de notre pouvoir. Sinon comment le memoria ligno pourrait-il s’en nourrir ? J’ai décidé de reprendre ses travaux là où il les avait laissé.

Son regard se posa sur Dmitri.

- Et tu vas m’y aider. Cela s’ajoutera aux cours de peinture.

Puis, comme pour illustrer ses propos, il déposa le filament argenté dans la coupe située sous la gueule des lions où il se dilua dans le liquide. Presque aussitôt, l’arbre sembla frémir et une minuscule fleur bleue vint éclore sur l’une de ses branches. Van Aken sembla satisfait du résultat. Puis il se redressa dans son fauteuil et, avec délicatesse, se saisit d’une branche qu’il brisa d’un coup sec et la fit rouler vers Dmitri.

- J’ai dans l’idée que la sève qui pousse dans cet arbre nous sera un très précieux composant pour nos portraits. Je voudrai que tu en fasses une bouture et que tu t’astreignes à la discipline de la nourrir chaque jour des souvenirs les plus forts de ta journée. La vie d’un adolescent est plus animée que la mienne, nos discussions l’ont prouvé, charge à toi de fortifier ce petit arbre tant que possible, nous verrons très vite ce qu’il est possible d’en tirer…

Passé l’émerveillement de la découverte d’une nouvelle pièce d’un sous-sol semblant regorger de mystères, Dmitri eut tout le loisir de savourer les premières paroles de son aïeul. Elles marquaient une libération qui était bien loin de le laisser indifférent et une joie non feinte, mêlée à un certain soulagement, traversa son visage. Les mois passés sous la coupe du veritaserum avaient provoqués une perte de confiance en lui, se sentant épié et craignant à chaque instant de faire un mauvais pas qui ne pourrait guère échapper à l’attention du vieil homme. Tout semblait subitement revenir à une normale un peu perturbante, où le sous-sol était à nouveau le lieu d’un héritage qu’il ne comprenait pas toujours mais qui lui avait enfin donné un rôle dans une famille trop grande pour lui.

Le garçon marmonna un « Merci » avant de suivre le mouvement d’Alexander et de s’asseoir dans le fauteuil en face de lui. Le siège était profond, ce qui l’empêchait de s’y enfoncer pleinement sans que ses pieds ne quittent le sol. Ainsi, il se sentait encore si petit malgré les quelques centimètres pris durant les mois précédents.

Il buvait les paroles de son grand-oncle aussi sûrement que l’arbre, les souvenirs. À la mention de Tobias, ce fut à peine s’il nota l’hésitation dans la voix, quand bien même le vieil homme peint était source de biens des souvenirs parfois désagréables. Il avait toujours été un personnage très ambivalent dans l’esprit de Dmitri, rendu mystérieux par les secrets qui planaient autour de lui et un peu inquiétant au travers des mésaventures qu’il avait causées à l’aiglon.

Il n’osa pas l’interrompre, laissant l’homme continuer doucement ses explications et ôter du bout de sa baguette un fin filament argenté de sa tempe, qu’il reconnut immédiatement. Un souvenir qui n’allait pas trouver cette fois-ci place dans une pensine, mais dans la gueule du lion et, il le vit rapidement, dans les entrailles de l’arbre. Le procédé était captivant ; il n’y avait bien que dans ce sous-sol qu’il pouvait s’imaginer découvrir des choses comme celle-ci. Aucun de ses manuels de cours ne parlait de flore pareille. Il opina du chef lorsqu’il fut question de l’aider, quand bien même il était bien incapable de dire en quoi il pourrait bien se rendre utile. Il commençait de toute manière par être habitué.

Délicatement, il resserra ses doigts autour de la branche, la regardant avec autant d’émerveillement que lorsqu’il avait pour la première fois tenu sa baguette mais également une appréhension. La botanique n’avait jamais trop été son fort, la simple mention d’une bouture réveillait en lui quelques sueurs froides... et il avait l’intuition qu’il s’agissait là de quelque chose d’infiniment plus complexe. Il n'avait pas plus appris à retirer ses propres souvenirs, d’ailleurs. « Je veux bien... » En fait, il ne demandait rien de mieux que d’aider l’entreprise de son aïeul, à plus forte raison depuis que la mort de Finnbjörn avait rendue le concept du trépas plus présent dans sa vie.
Il marqua une hésitation, son regard passant de la petite branche au bénitier de terre, avec l’absurde idée en tête qu’il devrait garder un objet aussi imposant dans son dortoir à Poudlard, caché dans son armoire. « Mais je fais comment ? » Il se sentit un peu bête, en posant la question, et ses joues – ces traîtresses ! – s’empourprèrent légèrement, les douces lumières de la pièce accentuant le rose de son visage.

Alexander van Aken n’aimait rien plus que la sensation de transmettre – de partager cet héritage immense et insondable qu’était celui des sorciers. C’était cela qui faisait leur supériorité inconditionnelle sur les moldus, ce lent édifice bâti par les expérimentations appliquées et minutieuses de générations de mages. Et Dmitri en ferait partie. Il prendrait la tâche au vol et deviendrait, avec le temps et la sagesse, un maillon crucial de cette entreprise millénaire.

A la question de son petit neveu, le vieil homme hocha la tête avec une certaine fermeté, satisfait de voir que celui-ci était disposé à coopérer. Dmitri ne manquait ni de talent ni de jugeotte, mais son caractère le rendait imprévisible et ses élans de fierté mal placée leur avaient déjà mis plus d’une fois des bâtons dans les roues.

- « Je vais t’apprendre à extraire des souvenirs. C’est une magie délicate, qui demande de la douceur et du tact. »

Saisissant sa baguette du bout des doigts, il l’a porta à nouveau à sa tempe dégarnie et de sa main gauche invite Dmitri à l’immiter.

- « La formule est extractum memoria, il n’y a pas de geste particulier à faire mais cela demande visualiser son souvenir avec intensité. »

Joignant l’exemple à la parole, van Aken ferma les yeux à demi, focalisant sa pensée sur une scène. Une scène banale, qui lui était venue spontanément. Une scène de bal, il dansait avec Patricia et semblait seul au monde. Tout le reste du souvenir autour d’eux était flou, van Aken n’avait d’yeux que pour sa femme. Il esquissa une ombre de sourire qui s’éteignit.

- « Puis, imagine que tu t’éloignes de la scène, comme pour prendre du recul. Laisse le souvenir s’en aller. C’est un adieu, on ressent toujours un peu de mélancolie. Mais ne craint rien, il n’est pas perdu, les souvenirs sont comme les connaissances, on peut les partager sans risques. »

Au bout de sa baguette flottait un mince filament argenté que van Aken contempla un instant. Tant d’intensité dans une si petite chose. Il ne mentionna pas le fait que certains sortilèges pouvaient détruire ces souvenirs malgré tout, les effacer de la mémoire d’un homme. Dmitri n’avait pas besoin de savoir cela, il fallait faire face, et vivre avec ses erreurs.

HRP:

De toutes les choses qui avaient pu nourrir un peu d’émerveillement chez Dmitri, celle qui consistait à extraire des souvenirs ne le lassait jamais. Des pensines aux peintures qu’utilisaient les van Aken, ces filaments de magie et de mémoire avaient toujours animé en lui une fascination curieuse. Et quoi de plus normal pour lui que d’apprendre à le faire pour parfaire son apprentissage de l’art familial ? Il avait longtemps attendu le moment où Alexander viendrait à décréter qu’il ne pouvait plus s’en passer pour peindre, sans jamais trop oser espérer que cela survienne prochainement. Les circonstances de cet apprentissage étaient un peu surprenantes, mais comme chaque fois que son grand-oncle lui enseignait quelque chose, il buvait ses paroles avec avidité et un silence religieux, fait d’ordinaire peu commun chez lui.

Le garçon déposa délicatement la branche donnée par le vieil homme sur la terre du bénitier pour n’avoir plus qu’à se concentrer sur sa baguette, qu’il posa sur la tempe, comme il l’avait déjà vu faire auparavant. Contre toute attente, la première et plus banale des étapes lui paraissait déjà bien complexe : dans cette situation un peu exigeante, où il devait se concentrer tant sur les paroles de son aïeul que sur le sort, il peinait à réunir ses pensées pour s’arrêter sur un unique souvenir. Tous semblaient vouloir se mélanger pour lui compliquer la tâche, comme s’il avait subitement versé plusieurs fioles de la pharmacopée dans la même pensine.

Fermant les yeux, pour mieux se concentrer, il lui fallut bien quelques secondes pour parvenir à se focaliser sur un seul instant. Le jour où son aîné d’un an, Krystof, manifestait pour la première fois ses pouvoirs et ce, devant un parterre de publics. Un repas familial comme ils en avaient souvent eu, sous le regard toujours attentif d’Arthus. Il avait toujours un peu jalousé son frère pour cette première magie qui émanait de lui, pour toute l’attention qu’il avait eu ce jour-là. C’était injuste que lui ait le droit aux félicitations alors que Dmitri, bien des mois après, n’avait eu que des réprimandes pour une énième bagarre, fusse-t-elle empreinte de sa propre magie. « Extractum memoria. » S’éloigner du souvenir était plus simple qu’il ne l’avait cru, peut-être parce qu’il éveillait en lui une rancœur passée qu’il se plaisait à abandonner. Il avait moins de mal à s’imaginer quitter la pièce, laisser derrière lui parents, grands-parents et cousins, oublier chaque moment où il s’était senti ignoré par les siens.

Lorsque le filament se détacha de sa peau, pendouillant au bout de sa baguette, il éprouvait comme un soulagement, pourtant mêlé à une tristesse qu’il n’expliquait pas autrement que par les paroles du plus âgé. Un instant, il regarda le souvenir argenté, un peu surpris. « J’ai réussi... » Il avait parlé d’une voix calme, loin d’une manifestation de fierté exubérante que l’on pouvait attendre de sa part. Ça lui paraissait presque trop facile. Il craignait de voir le souvenir s’effriter sous ses yeux. Comme pour le mettre à l’abri, là où plus rien ne pourrait l’abîmer, il approcha le bout de sa baguette de sa pousse d’arbre. Celle-ci s’en abreuva sans mal, et une première racine prit modestement forme là où Alexander l’avait rompue. « Dites.. » Il décrocha son regard de la plante. « Si Tobias l’a ramené ici illégalement, je ne peux pas l’amener à Poudlard, si ? » Il doutait fortement que ses camarades puissent reconnaître dans cette simple branche le fruit d’une infraction, et l’idée de braver les interdits n’avait jamais été un frein pour lui, mais il y avait une nette différence entre commettre une petite bêtise et prendre le risque que quelqu’un d’un peu plus informé découvre un secret vieux de quatre générations.

Dmitri n’était pas peu fier d’avoir réussi du premier coup à extraire un souvenir et voir les premières ébauches de racines naître au bout de la branche avait un côté extrêmement satisfaisant. Si les cours de botanique pouvaient être aussi jolis que cette plante, il aurait bien moins de mal à faire ses devoirs. Mais la perspective de retourner à Poudlard avec cette bouture le laissait plus dubitatif, sans doute parce qu’il était habitué à s’attirer des ennuis. « Ce n’est pas du règlement dont je me soucie. » répliqua-t-il un peu bougon, et avec le plus grand sérieux. Il n’avait nul besoin de prétendre être respectueux des règles établies devant son grand-oncle – il n’était pas dupe – mais ses bêtises avaient au moins eu le mérite de lui apprendre qu’elles n’étaient pas toujours sans conséquence. Une retenue passait encore, mais entre sécher un cours et amener des objets illégaux dans une école, il savait y voir une différence substantielle non négligeable.

À la mention de Sørensen, la tentation fut grande et son visage se fendit d’un petit sourire, discrètement moqueur sans être trop provocateur pour autant ; sa dernière punition – celle, trop longue, du veritaserum – lui laissait un souvenir suffisamment amer pour qu’il se garde d’être ouvertement insolent. En fait, il n’était pas vraiment surpris de l’entendre exprimer de la méfiance ; il avait toujours estimé que c’était l’apanage des vieilles personnes que de se défier de ses pairs, tout du moins dans les milieux sang-pur comme le leur. « On est d’accord là-dessus... » Il n’avait pas parlé d’un ton très assuré mais ses yeux brillaient d’une lueur un peu espiègle qui trahissaient ses pensées. Il était certainement responsable de la manière dont s’était déroulé ses derniers mois à Poudlard, et il n'avait d’ailleurs jamais prétendu ne pas mériter ses sanctions, mais il se félicitait de savoir que les grades et leurs conséquences ne subsisteraient certainement pas dans l’école.

Dmitri opina du chef, un peu satisfait de savoir qu’il avait l’autorisation de faire appel à Frimord. Sa joie ne fut que de courte durée, rapidement mouchée par la mise en garde du vieil homme. Il maugréa : « Ça va, j’ai retenu la leçon... » Et la menace. Pour avoir déjà passé une nuit pétrifié, il le croyait réellement capable de l’accrocher au plafond en guise de représailles et l’idée n’était pas des plus séduisantes.

Voyant son aïeul récupérer sa canne, l’aiglon s’avança sur son fauteuil comme pour s’apprêter à se relever. Mine de rien, il était fier de retrouver un réel rôle dans les projets d’Alexander et d’avoir un objectif. Sur le papier, c’était plutôt simple mais il heureux de ne plus être totalement mis de côté. Son regard s’attarda quelques instants sur l’arbre abondamment nourri des souvenirs du maître des potions ; ça avait dû lui prendre des années pour le voir grandir autant. « Ça a l’air terriblement long. » À treize ans, le temps passait si lentement qu’il avait le sentiment qu’il lui faudrait plusieurs vies pour parvenir à un résultat acceptable. Il n’en était pas pour autant découragé – c’était là un des bienfaits de l’apprentissage de la peinture avec son grand-oncle : la patience – mais il était conscient que ça serait sans doute frustrant.

HRP: