Le grand silence

Il y avait des choses qui se mettaient en place dans l'école et Alice savait déjà qu'il y avait deux discours. Certains pensaient que la situation n'était pas assez claire pour les élèves et avaient envie d'avoir quelques explications. D’autres estimaient qu'il ne fallait rien dire et garder le silence et dans tous les cas, Alice n'était pas encore assez au fait de ce qui se tramait pour avoir épaulé un camp ou bien l'autre. Bien évidemment, elle était globalement d'avis que la situation ne se dirigeait pas dans un sens qui lui convenait, mais ce n’étaient pas des propos que l'on pouvait tenir devant n'importe qui. De plus, elle ne savait pas vraiment comment gérer la situation avec diplomatie.

Elle avait donc décidé de ne pas trop cogiter et préférait pour l'instant le calme de la salle des professeurs où elle corrigeait des copies. À défaut de pouvoir participer activement aux événements qui se produisaient, compte tenu du fait qu'elle ne savait pas exactement comment les choses se mettraient en place et comment tout s'organisait, elle essayait au moins d'être productive quand un de ses collègues, le professeur Alexander entra dans la pièce et se dirigea vers elle, avec un air un peu perturbé. Il semblait se demander ce qu'il se passait, mais là professeure d’arithmancie n'avait pas vraiment en tête ce qui était en train de se passer.

« Jamie ? Il y a un souci ? Tu as l'air préoccupé. »

Elle s'interrompit dans sa correction pour se tourner vers son collègue. Ils semblent penser qu'il y avait un problème dans l'école. Du point de vue de la directrice de Poufsouffle, le problème était arrivé avec la nomination du nouveau directeur. Mais comme le lui avait fait remarquer le professeur Aylmer, il n'était pas prudent de prononcer ce genre de paroles à haute voix. Et puis, ce n'était sûrement pas de cela que parlait son collègue. Il y avait certainement autre chose. Elle haussa les épaules avant de se lever pour verser un peu d'eau chaude sur du thé dans une tasse.

« Tu as relevé quelque chose de particulier pour me poser cette question ? »  

Le grand silence

Alice avait cessé d'attendre quelque chose des événements qui se produisaient et laissait, en général, les choses venir à elle. La conséquence logique de cela, c'était qu'elle avait l'air sereine alors qu'elle ne l'était pas du tout. Pour le moment, ce qu'elle tenait absolument à savoir, c'était ce qui préoccupait exactement son collègue afin de pouvoir l'aider sur ce point. Ce serait déjà un bon début si elle arrivait à cela. Pour le reste, elle résolvait les choses une étape à la fois, étant donné qu'elle avait un peu l'impression de nager dans le brouillard cette année. Ce n'était peut-être pas la meilleure chose à faire, mais c'était le plus simple pour elle.

Le professeur était inquiet à cause des tableaux qui étaient étrangement silencieux actuellement comme si quelque chose d'envergure se préparait. Il était probable que ce dont Alice avait entendu parler soit en train de se mettre en œuvre et que chacun se sentait concerné, y compris les tableaux. C’était certainement pour cette raison qu'ils ne disaient plus rien comme s'ils attendaient que quelque chose se produise. Alice et Jamie n'ayant pas été conviés aux événements, ils allaient devoir attendre également de recevoir un compte-rendu pour savoir ce qui s'était effectivement dit et dans quelle mesure cela allait impacter leur travail.

« Effectivement, quelque chose se prépare. J’avais entendu des rumeurs sur certaines choses. Certains professeurs et certains élèves qui voulaient trouver une solution pour comprendre comment le directeur gérait les grades. J’ai demandé qu'on me tienne informée, mais je n'ai plus de nouvelles. Il est possible que ce soit ce qui est en train de se passer. Mais apparemment, ils n'ont pas jugé bon de nous mettre au courant. »

Elle se leva et s’avança vers la fenêtre à travers laquelle elle regarda, le visage sombre. Elle espérait que la façon de gérer de ses collègues donnerait le résultat qu'ils espéraient mais rien n'était moins sûr. On parlait de demander à Sorensen un minimum de franchise et la sorcière n'était pas certaine qu'il en soit capable. Comme, de toute façon, elle n'avait pas été sollicitée, elle n'avait plus qu’à attendre d'avoir le retour d'information sur ce qu'ils auraient pu apprendre, tout en demandant que la prochaine fois, les directeurs de maison soient impliqués dans l'idéal.

« Je suppose qu’elles sont justement en train de s'occuper de tout ça. J’espère juste qu'elles ont l'intention de nous tenir informés de ce qu'elles découvriront. Cela dit, je reste préoccupée par la façon dont les choses sont gérées actuellement. Qu’en dîtes vous ? »

Le grand silence

Si Alice étaient particulièrement inquiètes de la situation actuelle, elle avait au moins le plaisir de constater qu'elle n'était pas la seule à s’en préoccuper. Jamie Alexander se demandait même pourquoi, en tant que directeurs de maison, ils n'avaient pas été conviés. Alice n'en savait rien mais elle espérait au moins avoir derrière des informations sur ce qui s'était dit. Ça ne la dérangeait pas plus que ça de ne pas faire partie de l'équipe envoyée pour enquêter si elle avait accès au résultat de l’enquête et qu'elle pouvait s'en servir pour faciliter la vie les élèves de sa maison. Elle avait la faiblesse de penser que leurs collègues ne les oublieraient pas sur ce point précis.

« J'imagine qu'il doit y avoir une très bonne raison pour que nous n'ayons pas été inclus et à vrai dire, ce n'est pas ce qui me préoccupe. Je me fiche de qui réceptionnent les informations, dans quel bénéficie à tout le monde en finalité. Ce qui me préoccupe davantage c'est ce que nous sommes sur le point d'apprendre sur les règles du jeu. »

Elle était persuadée que les véritables règles qui ne seraient jamais avouées comportaient la notion de pureté du sang. Mais si le directeur avouait directement cet état de fait, il était clair qu'il se ferait immédiatement condamner par ceux qui essayaient d'en savoir plus. La logique voulait donc qu'il joue plus fine et même qu'il prétende que les critères se situait à un tout autre niveau. La directrice de Poufsouffle doutait qu'il puisse en être autrement. En revanche, lorsque son collègue affirma ne pas savoir exactement pour quelle raison ils attendaient ici, Alice haussa les épaules.

« Personnellement, je n'attends rien du tout. Je me contentais de tenter d'être efficace et de corriger quelques copies en attendant de comprendre exactement de quoi il retournait. Mais je t'avoue que je ne suis pas sûr de comprendre toutes les implications de ce qui se passe et je ne suis même pas sûr d'avoir envie de dénouer ce sac de nœud sans savoir ce que je risque d'y trouver. »

Une chose n'était pas claire dans la tête d'Alice, c'était la raison pour laquelle le professeur Sorensen avait placé Jamie Alexander à la tête de Gryffondor. Ce n'était pas qu'elle pensait qu'il ne serait pas capable de s’en sortir à cette fonction. Mais il était innocent et il semblait à Alice qu'il était un peu jeune. Il ne se rendait même pas compte qu'il manquait de prudence dans ses propos. Et il était évident qu'il ne correspondait pas à la personne idéale à qui un pro sang-pur voudrait donner des responsabilités. La jeune femme en conclut qu'il apparaissait probablement suffisamment manipulable pour faire un bon choix

« C'est une politique pro sang-pur. Et il a simplement choisi les élèves qui le suivrait. Il est évident que ce n'est pas le comportement qui est réellement évalué mais l'allégeance. C'est pourquoi il faut être prudent en affirmant tes opinions, Jamie. Cela pourrait aisément te coûter ton poste »

Le grand silence

Il était vrai que Jamie était un nouveau venu. Pour sa part, Alice était suffisamment ancienne pour savoir que Amelia et Siwan ne la tiendraient pas indéfiniment en marge de tout ce qu’il se passait. Elle avait confiance en elles. En revanche, elle n’était pas certaine que cela allait changer grand-chose au final. La politique qui se mettait en place l’inquiétait et elle continuerait de se faire du souci à cet égard. Il n’était pas évident de savoir sur quel niveau allait se positionner la discussion, et ce qui était certain, c’était que ceux qui avaient déterminé les priorités actuelles ne renonceraient pas à leurs prérogatives.

« Elles nous informerons. J’en suis certaine. De là à dire que ça changera quelque chose à terme, je n’en suis malheureusement pas sûre. »

Il s’exaspéra quand elle lui déclama l’évidence. Elle lui jeta un coup d’œil. S’il savait, pourquoi ne mesurait-il donc pas davantage ses propos ? Elle s’était fait mettre en garde pour bien moins que ça et ne s’en était pas offusquée. Cela prouvait bien qu’il manquait sans-doute un peu de maturité pour gérer complètement la situation. Encore une fois, cela pouvait tout simplement vouloir dire qu’il était simplement un peu jeune, mais aussi peut-être qu’il était là pour ça. Sorensen le pensait influençable, manipulable. Il pensait peut-être pouvoir le convertir à sa sauce. Mettre les gens dans sa poche pour mieux asseoir sa suprématie.

La blonde songea qu’il était bien naïf s’il le pensait et qu’il devrait apprendre à jauger les gens. S’il avait un comportement qui était le témoin d’une légère inexpérience, il était évident que Jamie Alexander ne s’en laissait pas compter et qu’il savait le chemin qu’il voulait emprunter. Sorensen ne le ferait pas plier à sa loi, Alice en aurait mis sa main au feu. Mais malgré tout, elle ne savait pas encore complètement sur qui elle pouvait compter ou pas dans cette école, bien qu’il semblât évident que le directeur des Gryffondor était à mettre sur la bonne pile. Puisqu'il avait décidé de la vouvoyer, elle en ferait autant.

« Ne soyez pas si susceptible, je n’étais pas en train de vous dire que vous étiez un sot, et je ne le pense pas. M’est avis qu’on doit penser de vous que vous êtes influençable, et je pense que c’est une erreur. Quoi qu’il en soit, on m’a exhortée à la prudence, je ne fais que vous partager le message. »

Les tableaux avaient beau être silencieux, ils avaient encore des oreilles et ce, même dans la salle des profs. Il était capital de faire preuve de la plus élémentaire prudence si on ne voulait pas être catalogué, voire pire. Alice ne savait pas ce qui était en train de se jouer, mais sans en avoir les détails, elle en avait les indices et le moins qu’on puisse dire, c’était qu’ils n’étaient guère rassurants. Elle craignait justement que Sorensen ne finisse par prendre le chemin de Blackman et si tel était le cas, la situation allait se complexifier. Et chacun allait devoir montrer dans quel camp il était.

« Votre opinion compte pour certaines personnes, pas pour d’autres. C’est le danger actuel. Je ne sais pas ce qui s’est préparé ni comment cela a été mis en place. Là est peut-être l’explication de notre absence, mais j’espère que je me trompe en pensant que ça ne changera rien au problème de base. »

Le grand silence

Alors qu’ils se demandaient ce qui se préparait et ce qu’ils allaient apprendre, l’évolution de la situation intrigua Jamie. Comme il était intrigué, Alice releva la tête et se tourna vers lui. Elle se demanda ce qui le préoccupait en dehors de ce qu’il venait d’exprimer, mais quelque chose planait dans l’air, il fallait bien l’avouer. Alice se sentait désagréablement contrariée et elle ne savait pas trop pourquoi. C’était comme un bruit sourd qu’on entendait à-peine, accompagné d’un murmure, d’une rumeur. Quelque chose était en train de se produire, elle le sentait et elle savait qu’il pouvait le sentir aussi.

Avant qu’elle n’ait pu se poser trop de questions, un hibou survint qui les renseigna un peu sur l’origine du problème. Au moins, ils savaient dans quelle direction aller. Alice lut le hibou en une seconde et croisa le regard alerté de Jamie qui lui demanda s’il y avait un problème. Elle hocha la tête. Elle voulut parler, mais sa voix s’éteignit un instant avant qu’elle ne se reprenne. Les choses recommençaient comme l’année précédente et les dégâts allaient encore se compter. Et ce sera à eux de tout réparer. Toussotant pour reprendre le contrôle d’elle-même, elle se rapprocha de Jamie.

« La Tour Privilège, il y a eu un incident. Il faut qu’on y aille, Jamie. »

Il ne fallait pas tarder. S’il y avait eu des blessés, il fallait agir vite. Fergal Ermitage avait probablement prévenu l’infirmière de l’école. Ca paraissait logique de partir du principe que ça avait été fait. Mais si Jamie était d’accord, ils allaient rejoindre la tour et voir ce qui se passait. Ils pourraient sûrement donner un coup de main, et potentiellement encadrer les soins et le secours. Mais Alice priait quand-même pour que rien de grave ne soit arrivés aux élèves. Il y avait eu assez de soucis comme ça et si cela continuait, Poudlard ne serait plus l’endroit sûr pour l’accueil des élèves qu’il avait vocation à être.