Pour une compétitrice comme Haley, toute victoire était particulièrement bonne et appréciable. Les meilleurs notes et les plus grands succès lui étaient réservés pour la simple bonne raison qu’elle estimait savourer mieux que quiconque de voir ses efforts couronnés de succès. Les autres n’y mettaient pas autant du leur : ils ne travaillaient pas autant d’heures qu’elle sur le dernier devoir de la journée, ne s’entraînaient pas aussi longtemps à lancer ce sortilège particulièrement difficile à appréhender, et ne supportaient pas les séances de tortures hebdomadaires d’Erin. À l’heure actuelle, elle était l’attrapeuse la plus glorifiée de l’école : sur deux matchs, elle était la seule à être parvenu à attraper le vif d’or à chaque fois... et plus rapidement que quiconque. Un palmarès qui n’était pas pour lui déplaire. Et s’il ne venait pas sans désagrément – toujours plus d’angoisse à l’idée de ne pas être aussi efficace lors du prochain match qui sera sans nul doute décisif – il apportait avec lui d’autres plaisirs qui s’ajoutaient à celui déjà bien conséquent de la victoire. L’un d’eux, elle ne l’aurait pas envisagé possible l’année dernière encore. D’abord parce qu’elle ne n’y portait à l’époque qu’un intérêt fort limité ; son adolescence passant après sa réussite scolaire, jamais elle n’aurait pu accorder de l’importance à quelque chose d’aussi puérile. Ensuite parce qu’assumer son béguin se révélait beaucoup trop complexe. Elle n’avait pas l’aisance de Rosalie pour ces choses humaines. Les livres, elle connaissait... mais les individus, c’était infiniment plus compliqué. Si tout paraissait simple avec la gryffondor ou Artemis, parce qu’ils étaient ses meilleurs amis depuis de nombreuses années, les autres étaient une tout autre histoire.

Mais à mesure que la puberté faisait son petit bout de chemin, l’envie de lever un peu les yeux de ses cours se faisait plus grande. Sous l’impulsion de l’Écossaise, elle trouvait alors le courage d’inviter à un bal le garçon pour qui elle avait le béguin depuis son arrivée à Poudlard, se lançait dans le quidditch et participait bien plus aux évènements de l’école... une accélération de sa vie sociale qui n’était pas sans lien avec la découverte de l’usurpateur. L’angoisse que son double puisse profiter de la vie à sa place l’avait poussée à délaisser un peu son uniforme d’élève modèle pour celui d’adolescente normale. Une nouvelle étape avait été franchie après la première victoire de son équipe de quidditch. Une soirée dans la salle commune où, pour la première fois, Haley s’était gardé non seulement de rechigner à l’idée de voir de l’alcool dans la pièce – alors que son rôle de préfète aurait imposé qu’elle dise quelque chose – mais avait aussi consommé ces mêmes breuvages. La joie procurée par leur premier match et le petit nuage sur lequel elle s’était trouvée les heures qui suivaient avaient suffit à faire d’elle une personne nouvelle. L’alcool aussi, sans doute.

Et après une nouvelle victoire, la perspective de retrouver cet élan de liberté la charmait. Elle voulait quitter son manteau d’angoisse et profiter un peu de l’euphorie du moment pour redevenir cette adolescente joyeuse et décontractée qu’elle avait récemment découvert en elle. Alors, mue par cet élan de folie et encouragée par les vivats de joie de ses camarades de poufsouffle – qui n’avaient aucunement conscience de ce qui se tramait dans l’esprit de leur préfète mais acclamaient simplement leur victoire – la jeune anglaise avait, dans une confiance qu’on lui connait peu, rattrapé le seul garçon de l’équipe, au sortir des vestiaires pour lui proposer de terminer la journée en fêtard, comme la fois précédente, à ceci près qu’elle n’escomptait pas inviter tous leurs camarades. Et puisqu’il était exclu de festoyer dans la salle commune, le meilleur endroit pour cela était la salle sur demande. Un lieu où ils pouvaient avoir tout ce qu’ils voulaient, à l’exception de mets culinaires... et pour ça, elle pouvait se vanter d’avoir été plutôt maline ! Pauvre quatrième année qui s’attendait tellement à ce que les soirées de frivolité deviennent légion chez les poufsouffles qu’il en avait déjà rapporté de Pré-au-Lard quoi faire concurrence à Maxwell... pour se faire confisquer le tout par une préfète fort prévenante. « Tu vas être rétrogradé et faire perdre des points à poufsouffle si je te laisse faire. » Bon prince, elle lui avait tout de même laissé les friandises. Ça n’était pas contraire au règlement, et elle avait de toute façon bien assez de stocks de son côté pour nourrir un régiment entier. Ou satisfaire une après-midi potions ou enquête avec Rosalie et Artemis.

Bien entendue, elle avait pris soin de dévoiler à Misha ses prises de guerre. Qu’on se le dise, elle n’était pas une enfant rabat-joie, mais une adolescente capable de s’amuser et ça n’était plus avec du jeu d’orange qu’elle pouvait le faire ! Après tout, le russe lui avait bien proposé d’être son partenaire de crime, n’était-ce pas le moment de prouver que ça n’était pas des paroles en l’air ?

Pour l’occasion, elle avait quémandé à la pièce Va-et-vient de lui donner un salon aux ambiances de ces pubs irlandais qu’affectionnait tant son grand-père. Chaleureux, plein de boiserie et aux murs tapissés de briquettes, des tableaux curieusement immobiles – tout ce qu’il y a de plus moldu, au moins, pas de risque que les espions du vieux maître des potions passent dans le coin – et un gramophone qui répandait une musique vive et entraînante. « Alors, qu’est-ce que tu penses de l’endroit ? » demanda-t-elle au garçon lorsque la porte se referma derrière eux, ne laissant aucune trace de la pièce aux yeux extérieurs. Elle déposa son sac dans lequel elle avait savamment rangé les bouteilles et mets culinaires en tout genre – il ne s’agirait pas qu’on la surprenne à traverser les couloirs avec de l’alcool ! – sur le bar en bois. Ne manquait plus qu’un barman pour faire le service, mais elle ne pouvait décemment pas demander à un elfe de maison de l’école de s’en occuper... et ses parents n’apprécieraient pas beaucoup plus qu’elle utilise le leur pour de telles choses.

De toutes les idées folles qu’elle ait eues, inviter Misha était sans doute la plus dingue d’entre elles. Haley n’avait pas cette verve naturelle dont bénéficiait les gens comme Rosalie ; elle était trop casanière, trop peu sociale pour organiser des fêtes... mais alors inviter un seul garçon qu’elle avait longtemps regardé sans trop oser aller lui parler, c’était une autre paire de manche. Et si avec le temps, elle commençait à laisser l’adolescente en elle prendre le dessus sur l’enfant sage et travailleuse, elle n’en demeurait pas moins d’une nature réservée ; sans l’adrénaline du match, sans doute n’aurait-elle jamais osé aller le voir directement pour pareille proposition. Et puis, un tête à tête, sans d’autres élèves autour, ça faisait autant rêver que c’était angoissant : certes, il n’y aurait personne pour lui voler la vedette – ou Maxwell pour s’immiscer dans ses projets – mais si ça se passait pas aussi bien qu’elle l’imaginait, alors elle ne pourrait se reposer sur des secours extérieurs.

Alors évidemment, quand elle vint voir le poufsouffle pour lui proposer une soirée, peut-être avait-elle été un peu incertaine. Elle tâchait de se montrer assurée et avenante, d’avoir l’air d’une personne avec qui ça n’était pas désagréable de passer du temps, mais dans toutes ses préoccupations, elle en oublia de dire l’essentiel. Et lorsqu’il parla de les rejoindre devant la salle sur demande, son esprit s’embua d’une discrète panique. Sans trop oser apporter la moindre correction, elle lui fit son plus grand sourire : « Que veux-tu, depuis que je n'ai plus mon grade or, je commence à me rebeller ! » Il avait bon dos, le système de grade... mais ça n’était pas totalement faux. On ne pouvait jusque-là rien lui reprocher : préfète assidue dans ses rondes, bonne en classe et sans jamais le moindre écart de comportement à déplorer... et pourtant, on la remettait après quelques mois au grade argent. Ça n’était pas le pire des grades, mais ça demeurait tout de même décevant. « Parfait, à toute à l’heure ! » Avec un peu d’efforts, c’était assez simple, finalement, de se convaincre qu’il savait à quoi s’attendre. Puis la préparation des festivités avait assez vite occupé son esprit pour qu’elle passe outre la peur de voir son visage se défaire en constatant qu’elle n’avait pas convié toute l’équipe. Il y avait plus urgent : un peu d’alcool et de quoi grignoter, le tout devant être transporté plusieurs étages au-dessus sans se faire voir. Après tout, elle était peut-être préfète et n’avait donc rien à craindre de ses pairs aux insignes surmontés d’un P flamboyant, mais elle pouvait toujours s’attirer des problèmes avec les professeurs ou la brigade. Et une Haley qui avait des problèmes avec l’autorité... non, ça n’était pas possible !

Fort heureusement pour son dossier scolaire et sa réputation, il n’y eut pas la moindre anicroche. Tous étaient trop occupés à fêter la victoire, pleurer la défaite ou simplement faire des pronostics sur les deux derniers matchs de l’année pour ça. La route jusqu’à la salle sur demande était presque trop simple mais elle n’allait pas s’en plaindre ! La seule ombre au tableau fut l’arrivée de Misha qui, bien qu’elle l’enchantât – ça n’était pas pour rien qu’elle l’avait invité après tout – ne venait pas sans des questionnements qu’elle aurait préféré voir demeurer dans l’oubli. À quoi elle s’attendait ? Le poufsouffle était un fêtard par nature, un garçon qui pouvait se révéler revêche et provocateur – elle l’avait longtemps connu ainsi – et chez qui le romantisme devait prendre une tournure bien différente de ce que l’on pouvait entendre dans les histoires de Rosalie. « Eh bien, Niamh semblait un peu fatiguée, je l’ai croisée dans notre dortoir. Et je n’ai même pas pu approcher Bella, elle avait tout un tas d’admirateurs autour d’elle. » Elle enjolivait peut-être un peu la chose, mais puisque les garçons semblaient avoir un attrait démesurée pour la poursuiveuse, l’excuse était des plus probables. « Quant à Erin, elle n’a pas l’air d’avoir envie de fêter grand-chose... je suis persuadée que quand elle ne fait pas tomber au moins une personne de son balai durant le match, elle a l’impression d’avoir perdu ! » De toute façon, la préfète avait depuis longtemps abandonné l’idée de voir la capitaine de l’équipe participer aux évènements de la maison. Les Sørensen ne devaient sans doute pas se mélanger aux autres si facilement ; s’il n’y avait un ou deux estropiés à la fin d’un match, elle restait de son côté.

Dans la pièce désormais matérialisée et transformée en un semblant de pub irlandais, Haley laissa un peu de temps à son compagnon pour inspecter les lieux du regard, déposant en attendant les victuailles qu’elle avait ramenées sur le bar. « J’ai demandé ce que je connais un minimum » répondit-elle pendant que Misha passait derrière le bar. « Comment sont les bars, en Russie ? » Avant que Bradford n’arrive à Poudlard, elle ne s’était jamais intéressé au pays nordique... mais puisque celui qui l’avait tapée dans l’œil venant de là-bas, elle trouvait soudainement ces contrées très intéressantes. « Va pour une bièraubeurre ! » Cette version là n’était pas celle qu’ils pouvaient commander aux trois balais, mais la version plus alcoolisée que la plupart des bars servaient aux sorciers. Il allait sans dire que la jeune anglaise n’était pas une grande buveuse : lors de quelques repas, l’été, elle avait le droit à un apéritif, mais ses parents ne l’avaient guère habitué à beaucoup plus. Et ça n’était pas avec sa faible participation aux petites soirées officieuses de certains de ses camarades qu’elle aurait pu s’émanciper de l’éducation parentale... jusqu’à récemment du moins. « Toute consommation alcoolisée, ce soir, est sponsorisée par la préfecture de Poudlard. » Qui avait une mauvaise influence sur elle ? Le séduisant poursuiveur de poufsouffle, son co-préfet et ses habitudes trop festives ? Ou simplement la puberté qui commençait à faire son petit bonhomme de chemin ?

Dans la vie d’Haley, il n’y avait sans doute guère de grands malheurs capables qui l’aient éprouvée. Elle n’avait pas eu à se forger une personnalité plus rude à cause d’un drame, ni même de fratrie qui vienne accaparer une part de l’attention qui lui était accordée. En réalité, sa vie avait toujours été assez simple : fille unique pour qui tout était due et tout était donné sans hésitation, enfant élevée dans un milieu aisé et préparée à l’idée d’une bonne carrière, sa seule difficulté demeurait dans l’existence de la pression parentale. Ils étaient doux et prévenants avec elle, mais la voyaient déjà briguer une profession digne de celle de ses géniteurs. Jusque-là, tout fonctionnait à merveille : excellente élève, parmi les meilleurs si ce n'était la meilleure, nommée préfète dès sa cinquième année... et voilà qu’elle était également grade or. Une simple formalité, une évidence au regard de son parcours, quand bien même lui ait-on refusé d’être membre de la brigade. Tout de même, elle ne se départait pas de l’idée que les évolutions d’argent à or étaient arbitraires ; un reste des discours de sa mère, sûrement. Pourquoi donc Artemis, excellent élève lui aussi et peu propice à faire des bêtises, n’y avait pas eu droit ? Alors même que Lilith, sage et gentille mais scolairement inférieure, y était. Puis tout d’un coup, sans crier gare, elle n’était plus or et son meilleur ami le devenait, quant à lui. Inexplicable, incompréhensible... et vexant. À l’échelle de sa vie calme et sans difficultés, cela relevait presque du drame. Face à cette injustice qu’elle ne pouvait totalement exprimer, consciente qu’elle risquerait de vexer le serpentard, elle ne pouvait que se renfermer dans une attitude un peu puérile : puisque l’on ne voulait pas d’elle comme grade or, qu’à cela ne tienne ! Elle n’en ferait qu’à sa tête. Toute proportion gardée, bien entendue ; elle se contentait de laisser libre court à l’adolescence. Ses débuts de rébellion prenaient alors la forme d’une invitation qu’elle n’aurait jamais osé formuler auparavant. Y penser, certes, mais le faire ? Impensable. Fêter quelque chose avec Misha, c’était dénigrer ses devoirs qui l’attendaient et donner du grain à moudre à ceux qui prétendaient vraisemblablement qu’elle n’avait pas un comportement irréprochable. Mais qu’importe, à présent, elle s’en moquait. Et ça n’était pas pour déplaire au russe, à en croire sa réponse. La Haley plus joueuse et rebelle semblait lui plaire... cette idée la fit s’empourprer un peu et tandis qu’il s’éloignait, elle savourait tranquillement cette joyeuse prise de risque.

Elle avait un peu de temps devant elle pour préparer cette petite soirée improvisée qui, mine de rien, commençait à l’angoisser un peu. Et si ça ne lui plaisait pas ? Si elle se trouvait être trop inintéressante, un peu ennuyeuse et trop plan-plan pour lui ? Le trouver mignon, sans jamais oser lui parler, c’était assez simple : elle faisait quelques commentaires amusés à Rosalie, des petites remarques d’adolescente éprise pour un garçon à qui elle n’avait jamais trop parlé si ce n’était pour le décrire comme un bêta fanfaron, mais elle n’allait pas plus loin et en prenait guère plus de risques. Simple et infiniment moins anxiogène. Mais aussi moins stimulant. N’était-elle pas une compétitrice dans l’âme, capable de travailler assidument pour remporter la palme de la meilleure élève et de faire moultes efforts pour être la meilleure attrapeuse de l’année ? Si elle pouvait mobiliser autant d’elle pour ces choses, elle pouvait bien voir le poursuiveur de poufsouffle comme une autre compétition à remporter : celle d’un cœur à prendre qu’elle se devait de ravir avant qu’il ne s’intéresse trop à d’autres filles. La concurrence pouvait être rude.

Et parmi cette concurrence, elle ne pouvait nier que parmi l’équipe de quidditch, il y en avait déjà. Si Erin ne s’attardait vraisemblablement pas à quelque amourette que ce soit – de ce qu’elle en avait compris, il y avait déjà quelqu’un en vue – et que Niamh ne faisait pas montrer de porter le moindre intérêt aux garçons... demeurait Bella. Une fille qui attirait sans conteste l’attention de bien de ces messieurs. Mais aussi belle soit-elle, est-ce qu’elle s’apprêtait à passer une soirée en tête à tête avec le seul garçon de leur équipe ? Non. Cette idée la mettait en joie, si bien qu’elle avait à peine hésité à abuser quelque peu de ses prérogatives de préfètes pour récupérer de quoi arroser l’évènement. Si tôt équipée et recoiffée comme il se devait, elle filait vers la salle sur demande pour préparer les lieux. Non sans une certaine satisfaction, elle accueillit son aîné avec un grand sourire, tâchant de garder constance lorsqu’il la questionna sur l’absence de leurs coéquipiers. « Son mec, c’est un des joueurs de serpentard, non ? Tu penses qu’ils fricoteront toujours quand on les aura battus à plate couture ? » répondit-elle en riant, parfaitement sûre d’elle quant à leur victoire future. Les poursuiveurs de poufsouffle étaient excellents – Bella et Misha avaient une cohésion parfaite, ce qui n’était pas toujours sans lui laisser une pointe de jalousie – et ils avaient sans conteste la meilleure batteuse de l’école. Avec une équipe comme celle-ci, ils partaient incontestablement favoris.

Laissant porte et couloir derrière eux, les deux adolescents rejoignirent le bar. Armé de son sac de riche en victuailles et – plus important ! – en alcool, l’anglaise confia ses inspirations pour le lieu, sans comprendre, un bref instant qu’il puisse s’en amuser. Ses joues s’empourprèrent d’une discrète couleur vermeille. « Pas vraiment, désolée de détruire ton imaginaire. Mon grand-père aime bien cette ambiance irlandaise... on va de temps en temps dans des pubs comme ça, mais ce sont plus des restaurants que des lieux de perditions. » C’était une confession qu’elle faisait sans honte, quoiqu’elle s’amusait un peu de l’idée qu’il puisse l’imaginer écumant les bars les plus sordides... toute mesure gardée, bien entendue ! Il ne faudrait tout de même pas qu’il imagine que derrière cette apparence de jeune fille sage et sans scandale se cache en réalité une dévergondée de la pire espèce.

À son tour de décrire les échoppes de son pays natal, dépeignant un tableau qui ne surprenait pas totalement Haley... si ce n’était qu’elle n’était pas sûre de comprendre comment il pouvait si bien connaître les possibles trafiques qui s’y déroulaient. Si elle n’allait pas de bars en bars jusqu’à ne plus tenir debout, qu’en savait-elle pour le russe ? Lorsque l’on s’attardait sur sa réputation de fêtard et qu’on le saupoudrait d’un peu de cliché sur ses compatriotes slaves, elle avait tôt fait d’imaginer bien des histoires rocambolesques. Quelque part, c’était ça aussi qui l’attirait chez lui : il n’était pas comme elle ou comme les garçons de son entourage. Ce parfum de danger avait un petit quelque chose de séduisant. « Et à notre futur podium ! » Elle trinqua avec lui et suivit le mouvement, buvant un peu de ce liquide chapardé à de pauvres camarades qui n’avaient rien demandé. Sans grande surprise, elle n’était pas une grande coutumière des beuveries en tout genre et connaissait assez peu ses limites... d’une douce euphorie à la gueule de bois, il ne devait guère y avoir une grande distance et elle en était parfaitement consciente. Malgré tout, elle ne s’attaquait pas à un alcool trop fort et se sentait pour l’heure capable de tout : après un vif d’or et une invitation lancée au garçon qui faisait l’objet de son crush depuis son arrivée, plus rien ne pouvait l’arrêter ! « Va pour action ou vérité ! » Le plus innocemment du monde, elle espérait bien en profiter pour connaître un peu mieux Misha tout en se donnant l’occasion de casser cette image de préfète un peu trop prude et ennuyeuse que beaucoup se faisaient sûrement d’elle. « Honneur aux dames, je lance les hostilités ! » Elle porta son verre à ses lèvres le temps d’engloutir une gorgée puis planta un regard déterminé sur le jeune homme. « Alors, action ou vérité ? »

À défaut d’avoir une grande assurance pour les aspects sociaux de sa vie, Haley était une fille relativement confiante quant au reste. Elle ne doutait pas de sa réussite scolaire pour la simple raison qu’elle travaillait assidûment et qu’elle avait un entier contrôler sur ses notes, et ses dernières réussites en quidditch la laissaient très optimistes quant à ses talents en la matière. Alors puisque rien ne semblait pouvoir l’arrêter, elle ne peinait pas un seul instant à se persuader que la victoire était déjà leur, le reste n’étant que pures formalités sportives. Misha et Bella étaient d’excellents poursuiveurs, Erin la meilleure batteuse – personne n’oserait dire l’inverse, sans doute aussi par peur d’être brûlé vif – et elle-même n’était pas mauvaise... puis poufsouffle avait un certain palmarès en termes de réussite. Il était donc évident qu’ils allaient remporter la victoire, comme l’équipe l’avait fait l’année précédente, et que ce pauvre serpentard – Junior d’après les dires de son coéquipier – allait devoir subir une nouvelle humiliation. La préfète leva un sourcil dubitatif, hésitant entre une expression amusée ou une plus sérieuse : elle comprenait bien que son camarade se moquait, mais l’idée que quelqu’un puisse apprécier être humilié et vivre la défaite sans trop de mal lui était inaccessible. Elle-même ne vivait que pour la réussite et le succès, le reste ne méritait pas d’être mentionné et si elle avait le malheur de le connaître... eh bien elle travaillait d’arrache-pied pour ne pas le réitérer, non sans quelques lamentations préalables.

Le décor installé et les boissons servies, la jeune fille commençait à reprendre un peu confiance en elle et surtout, à s’ouvrir un peu. Le plus dur – inviter Misha – avait été fait, elle n’avait plus qu’à se laisser porter, sirotant son verre tout en mentionnant son grand-père. « Assez oui. Je suis la seule petite fille, et quand je suis née, je crois qu’il désespérait d’en avoir, donc il me chouchoute... un peu trop, je ne vais pas te mentir ! » expliqua-t-elle en pouffant. Sans doute que l’intéressé n’apprécierait pas particulièrement le garçon sur lequel elle avait jeté son dévolu. Il restait un homme d’une génération sur le déclin, très traditionnel – et pas que pour les pubs irlandais – qui n’imaginait sûrement rien d’autre qu’un bon partie pour son unique petite fille. Le genre de mari qui avait un nom lié au succès politique ou professionnel, si ce n’était les deux, et de préférence avec une ascendance sanguine pas trop mauvaise. Poli, un poil guindé et qui passerait le plus clair de son temps au travail plutôt qu’à la maison, même s’il ne devait pas empiéter sur la carrière assurément brillante de la petite Strauss. Un homme comme son père en fin de compte. Tout juste assez ambitieux pour rapporter un peu de gloire et d’argent, mais pas assez pour voler la vedette à son épouse. Mais si Haley aimait tendrement son géniteur et se rêvait d’une bonne et grande carrière comme sa mère, elle n’avait pas pour ambition d’imiter en tout point ses ascendants. En réalité, en s'émancipant de leur influence parentale, elle se sentait devenir adulte, quittant l’enfance pour pénétrer enfin – et trop tardivement – dans cette adolescence qui la faisait réellement vivre. Elle n’était plus la petite fille à ses parents, plus totalement du moins. Il y a encore un an, elle n’aurait jamais pu imaginer passer pareil moment avec cet élève à l’égard duquel elle ne montrait autrefois qu’une fausse exaspération, n’osant pas exprimer autre chose car après tout, il n’était pas le plus sage et le plus conventionnel de ses compagnons de maisons. L’ancienne préfète serait sans doute déçue de la voir maintenant, mais loin de son regard – ou de celui de toutes les personnes qui pouvaient la juger – elle s’en moquait désormais éperdument.

Ainsi, elle acceptait de se prêter avec lui à un jeu somme toute très enfantin qui, avec une autre personne, aurait pu être des plus candides. Et si l’on faisait abstraction de l’alcool, il pouvait toujours l’être. Le choix de Misha se porta sur l’action, ce dont elle n’était à vrai dire pas très surprise. Dans l’esprit de la préfète, ça n’était pas simple de trouver une demande qui puisse satisfaire à la soirée. Elle ne cessait de se demander ce que demanderait Rosa à Blaze, dans la même situation, mais force était de constater qu’elle n’était pas sa meilleure amie. Elle n’avait pas l’assurance joueuse de la gryffondor, ou tout du moins son naturel. « Très bien... fais-moi un compliment ! » L’idée de quémander quelque chose de plus osé lui avait traversé l’esprit, mais elle n’avait pas la verve nécessaire pour le demander... il lui fallait un peu plus de temps, et peut-être être un brin alcoolisé pour gagner un peu plus de confiance en elle pour ça. « Et interdiction de me dire que je suis une excellente élève ou la meilleure attrapeuse de l’école, ça serait de la triche. » ajouta-t-elle en levant légèrement la tête en une attitude fière un brin exagérée, quoiqu’elle soit pleinement habitée par ses paroles. Elle était objectivement une excellente élève et était pour l’heure la seule à avoir attrapé des vifs d’or à chacun de ses matchs, depuis le début de la saison.