Pris dans la toile

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- « Bonsoir Dmitri. »

La voix douce de Martina van Aken accueillit le jeune homme lorsqu’il acheva de descendre les escaliers menant aux cachots. C’était une jeune fille svelte dont l’âge du portrait ne devait pas excéder trente ans. Vêtue d’une robe de sorcière blanche et rouge, dans la pénombre elle donnait vaguement l’impression d’être une mariée. Ou une vampire.

Martina van Aken faisait la paire avec son jumeau, Gregory, invisible pour le moment. Ensemble, ils avaient occupé l’ancienne chambre de l’aiglon au Manoir van Aken et leurs portraits y étaient toujours accrochés. Amicaux, dès la première nuit de Dmitri ils lui avaient proposé de le laisser tranquille afin de préserver son intimité en s’en allant dormir ailleurs, tout en lui assurant qu’un petit coup de baguette sur le cadre de leurs peintures et ils seraient heureux de revenir discuter avec lui s’il se sentait seul.
Les jumeaux donnaient dans la malice aristocratique, on les retrouvait aussi bien à jouer sagement au badminton d’un cadre à un autre qu’à offrir de précieux conseils d’exploration à leur cadet pour lui indiquer comment grimper sur le toit du Manoir et où trouver les portraits les plus intéressants. Dès le début, ils s’étaient montrés attentifs aux besoins de Dmitri et peu envahissants. D’aucun y aurait vu une manœuvre pour gagner sa confiance, mais à ce jeu là ils étaient plutôt doués.

- « Viens, suis moi ! » dit-elle en riant. Et elle disparu sur la gauche de son cadre.

L’aiglon pu la retrouver deux couloirs plus loin. « Par ici. » Elle avait disparu de nouveau.

Le jeu de piste se poursuivi ainsi pendant quelques minutes, poussant l’enfant à s’engouffrer de plus en plus loin dans les cachots où les portraits étaient rares et souvent ne présentaient que des natures mortes.

Au quatrième tableau, Martina ne disparu pas. Elle semblait l’attendre, assise sur la rambarde de pierre d’un jardin suspendu où croissaient les mauvaises herbes. Dans le fond de la toile grondait un lointain orage et le vent qui balayait les feuilles mortes décoiffait la jeune femme qui ne semblait pas s’en soucier.

- « La prochaine à gauche, Dmitri. On se retrouve là-bas ! »

La prochaine à gauche était une lourde porte de bois, fermée par une grille en fer. Les deux étaient entrouvertes. A l’intérieur, la pièce était éclairée par plusieurs bougies disposées sur le sol. A part elle, il n’y avait pas trace de mobilier mais trois grands portraits – à taille humaine comme les peignait les van Aken – ornaient les murs.
Sur celui de droite : Martina van Aken lui sourit, l’invitant à entrer. Celui de gauche était occupé par Gregory qui semblait lire un journal et en leva le nez pour saluer l’enfant.

Dans le portrait du fond, un homme ventru et doté d’une épaisse moustache grignotait des loukoums dans un épais fauteuil en tweed. Tobias van Aken.

- « Ah ! Dmitri ! Je n’étais pas tout à fait sûr que tu viendrais, héhé ! »

Gregory hocha la tête.

- « Il faut du courage pour s’enfoncer dans les cachots en pleine nuit. »

Martina, elle, se contenta d’un rire léger.

- « Moi je n’en ai jamais douté. »

Indiscutablement, ces trois-là semblaient de connivence et il ne fallait pas être grand devin pour comprendre que ce rendez-vous se faisait dans le dos du maître des potions. Celui-ci n’avait jamais caché à Dmitri ses sentiments vis-à-vis de Tobias van Aken, lui déconseillant fortement de trainer avec cet homme-là. Le pansu était connu pour avoir ouvertement frayé avec la magie noire et perdu la vie pour cela. Un sort que son petit-neveu, Alexander, semblait vouloir éviter au sien.
Quant à Martina et Gregory, la chose était un peu plus complexe. Tous deux cousins du maître des potions, celui-ci ne s’était pas épanché particulièrement sur leur cas. Ces derniers restaient également évasifs sur les circonstances de leur trépas, et puis ce n’était pas très poli de demander. N’empêche que si Dmitri avait pris le temps d’interroger les plus bavards des portraits de la demeure van Aken, il n’aurait pas eu grande difficulté à apprendre que les deux jeunes gens avaient servi le Seigneur des Ténèbres en son temps, et étaient morts pour lui.

Tobias était en train d’essuyer ses doigts poisseux dans un mouchoir en soie, sa moustache blanchie par le sucre des confiseries se releva en un sourire amical pour l’aiglon.

- « C’est une bonne chose le courage, Dmitri. Beaucoup de gens par ailleurs tout à fait doués ne font jamais rien de leur existence à cause de la peur. La peur de l’inconnu le plus souvent, hoho ! Quelle bêtise… ils ont peur des petits moldus, des petites bêtes dans la forêt, des petits sortilèges qu’ils ne comprennent pas, leur ombre les ferait sursauter… ! »

Il se fendit d’un rire gras auquel les deux autres répondirent avec un sourire d’approbation.

- « Dis moi Dmitri… toi qui est courageux. Accepterais-tu de nous rendre un petit service ? Une chose très simple mais… » il agita ses mains « Eh, il faut un corps physique pour ça. »

Martina enchaîna d’un air navré.

- « Nous nous ennuyons un peu au Manoir je t’avoue. Alexander n’a pas voulu nous ramener à Poudlard et la vie est assez morne aux Hébrydes. Nous aimerions simplement la rendre un tout petit peu plus amusante pour nous autres portraits. »

Elle lui sourit avec une gentillesse sincère. Gregory hocha la tête.

- « Si tu nous aidais, on pourrait t’apprendre deux-trois petits trucs. Plus intéressant que le moyen de grimper sur le toit, promis. »

(#) Sujet: Re: Pris dans la toile Ven 19 Nov 2021 - 18:27

Pris dans la toile
‟ avec trois ancêtres „

Depuis qu’il vivait avec Alexander, Dmitri était habitué à se faire alpaguer à tout bout de champ par les tableaux. Que ce soit au manoir parce que l’un d’eux s’ennuyait et espérait profiter d’une discussion avec le benjamin de la famille – ce qu’il ne rechignait que rarement à faire puisqu’après tout il n’avait pas de camarades avec qui jouer – ou à Poudlard lorsque son aïeul lui envoyait un messager ou même lorsqu’ils venaient d’eux-mêmes pour discuter un peu. En fin de compte, s’il mettait de côté l’aspect assez désagréable de se savoir constamment surveillé par les espions de son grand-oncle, il avait appris à apprécier l’attitude des peintures à son égard. Un privilège propre aux van Aken qui, s’il en avait parfois effectivement entendu parler de la bouche d’Arthus, n’avait réellement été appliqué qu’en Écosse. Dans la maison où il avait grandi, à Prague, les tableaux étaient infiniment moins nombreux et enfant, il avait toujours trouvé assez frustrant d’entendre parler de leur héritage intellectuel sans pouvoir réellement le constater.

L’arrivée subite de Martina dans son champ de vision, en fin de matinée, demeurait toutefois assez surprenante. L’aiglon ne la voyait pas souvent crapahuter dans les couloirs de l’école – et pour cause, son tableau était resté fixé au mur de sa chambre dans les Hébrides – et elle n’était pas celle qu’il imaginait le plus servir de messagère pour son aïeul. Pour autant, il lui avait adressé un franc sourire en la voyant ; sans surprise, elle était de ceux qu’il préférait au manoir, aussi préférait-il la voir elle plutôt que l’ancêtre qui ne cessait de trouver quelque chose à redire sur sa tenue ou sur sa tête, qui n’était jamais assez peignée à son goût. L’invitation qu’elle avait alors formulée était à l’image de son intervention : inattendue. Un projet secret et effrayant, impliquant qu’il s’aventure dans les cachots en pleine nuit. Allons bon ! Maintenant, même les tableaux l’encourageaient à braver le règlement.

Si le souvenir de sa punition restait suffisamment ancré dans sa mémoire – et dans le dos de Zeynep – pour qu’il y réfléchisse à deux fois avant de faire une nouvelle bêtise, il n’avait pas hésité une seule seconde. Cette fois-ci, il avait les espions de Poudlard dans sa poche et ce sans même avoir besoin de recourir au moindre subterfuge. Alors le soir même, s’il s’était bel et bien glissé dans son lit, il n’avait pas pour autant enfilé son pyjama. Il s’était mis à rédiger son devoir de défense contre les forces du mal, les imposants baldaquins bleus épargnant ses camarades de dortoir de la lumière. Et finalement, lorsque son réveil ensorcelé lui indiqua l’heure venue de se rendre au point de rendez-vous, il avait commencé à s’assoupir, émergeant de ce sommeil naissant plus difficilement qu’il ne l’aurait cru. Dans le dortoir, le silence était de mise, tous dormants à poings fermés. Silencieusement, il quitta son lit, enfilant un pull d’un rouge sombre, la même couleur que l’uniforme de Durmstrang – le vêtement avait autrefois appartenu à son frère aîné – et laissa derrière lui devoir, dortoir et salle commune, s’aventurant dans les silencieux couloirs du château.

Il y avait bel et bien des occupants dans les tableaux, mais aucun ne sembla se préoccuper de ses déambulations nocturnes. Il crut même en voir un lui faire un clin d’œil – lui, il était sûr de l’avoir déjà vu au deuxième étage du manoir – et plus miraculeux encore, il n’eut aucun mal à descendre les quelques étages qui le séparaient de l’entrée des cachots. « Bonsoir Martina. » répondit-il d’une voix encore fatiguée lorsqu’enfin il l’aperçut au point de rendez-vous. L’enfant sursauta presque lorsqu’elle lui intima joyeusement de le suivre, disparaissant dans un bord du cadre. La petite poursuite avait au moins le don de le réveiller si bien que lorsqu’il la retrouva assise dans un énième tableau, il n’y avait plus aucune trace de sommeil sur son visage. Il fallait aussi avouer que poursuivre une peinture dans des cachots lugubres et faiblement éclairés, où la lumière de sa propre baguette dardait des ombres un brin inquiétantes, était un moyen assez efficace pour le rendre alerte. À tout moment, il s’attendait à tomber nez-à-nez avec le cadavre d’un élève qui avait eu la double outrecuidance de se moquer du directeur et de ne pas être un sang-pur. Amer ? Juste un peu.

Dmitri entrouvrit un peu plus la grille devant lui et se faufila dans l’ouverture sans chercher à ouvrir plus la lourde porte, par crainte de faire trop de bruit car même s’il avait le soutien des tableaux, il ne voulait pas prendre le risque d’attirer l’attention d’un adulte ou d’un membre de la brigade. Dans la pièce mieux éclairée que le reste des cachots, trois tableaux l’attendaient, dont celui à l’intérieur duquel Martina lui souriait. Sans grande surprise, son frère était là aussi et... Tobias. Instinctivement, le garçon de chair et de sang fut habité d’une vague méfiance, insinuée par les mises en garde de son grand-oncle et la punition que lui avait valu sa trop grande curiosité. Pourtant, à aucun moment il n’envisagea l’idée de faire demi-tour ou même de prévenir son tuteur : il avait trop envie de savoir ce qui se tramait pour ça. « Bonsoir Gregory. Tobias. » Un sourire presque moqueur fendit son visage face à l’évidence de la situation : si le maître des potions avait la fidélité des tableaux, celle-ci n’allait toutefois pas sans quelques secrets.

Le plus âgé des tableaux était parti dans un plaidoyer contre la peur qui, s’il flattait indiscutablement l’égo du jeune homme, faisait tout de même écho aux mises en garde d’Alexander. Sans doute Tobias confondait-il courage et imprudence, mais Dmitri n’en avait que faire. En réalité, même sans la promesse de Gregory de lui apprendre quelques petites choses, il aurait sûrement accepté de leur donner un coup de main : le caractère interdit et mystérieux de ce rendez-vous promettait tant de choses qu’il ne pouvait qu’être charmé et cette discrète crainte qui s’insinuait en lui faisait naître une indiscutable adrénaline. « Qu’est-ce que vous attendez de moi ? » demanda-t-il finalement lorsque le dernier tableau eut achevé sa promesse. Il ne s’était pas encore tout à fait engagé à leur venir en aide, mais elle leur était déjà tacitement acquise. « Et qu’est-ce que vous pourriez m’apprendre ? » Par principe, et par impatiente, il ne pouvait s’empêcher de creuser un peu, cherchant un avant-goût d’aventures et de secrets qui rendrait la soirée plus intéressante.

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Dmitri semblait aussi taiseux que son grand-oncle quand il ne savait pas où il mettait les pieds. L’art des van Aken tenait autant dans leurs talents en peintures que dans leur capacité à se taire et observer. Que serait un bon peintre sans un bon modèle ? Réaliser un portrait exigeait de la patience et de l’abnégation. C’était sans doute ce qui expliquait que Tobias avait fait un très mauvais artiste en son temps et avait préféré se tourner vers l’archéologie.

Les trois peintures échangèrent un bref regard avant de braquer leurs yeux pétillants de vie sur le garçon.

- « Un service d’une banalité affligeante Dmitri. A tel point qu’il est à peine digne du nom d’aventure, j’en ai peur. »

On aurait dit que Tobias semblait sincèrement déçu de ne pas envoyer son arrière arrière petit neveu affronter une épreuve pouvant le mettre en danger.

- « C’est d’ailleurs pour ça que je propose une rémunération en échange. J'aimerai te proposer une vraie activité amusante mais je crains que tu ne t’ennuies un peu ce soir. » ajouta Grégory.

- « Je suis désolé de t’embarquer dans quelque chose d’aussi trivial. » compléta Martina d’un air attristé.

- « Il s’agit d’ouvrir une porte pour nous. » Tobias agita ses doigts devant lui. « J’ai beau remuer des menottes, elles ne sont faites que d’huile et de couleur, c’est un peu handicapant pour tourner une poignée. »

- « Il y a une clef à récupérer, Dmitri, dès que tu l’auras en ta possession, glisse-la dans la serrure, tourne la poignée et tu pourras rentrer terminer ta nuit à Poudlard ! » dit Martina d’un air guilleret.

- « Et en retour, je t’enseignerai un sortilège secret un peu particulier, que ce vieux pingre d’Alexander préfère garder pour lui. » Le jeune homme baissa la voix, sur le ton de la confidence, comme si le Maître des potions avait été susceptible des les entendre d'ici. « Qui te permettra de voir à travers les yeux de tes dessins... »

(#) Sujet: Re: Pris dans la toile Lun 22 Nov 2021 - 14:49

Pris dans la toile
‟ avec trois ancêtres „

Dmitri écouta les trois tableaux lui expliquer la tâche dont il était question avec une patiente olympienne au regard de l’irritation que soulevaient leurs manières. Tous arboraient des airs presque excités pour finalement lui annoncer qu’il devait ouvrir une porte... pour être décevant, ça l’était. Mais plus que déçu – il s’était presque attendu à découvrir dans Poudlard un secret à la hauteur de celui que son aïeul avait dévoilé quelques mois plus tôt dans le manoir – il était surtout irrité de n’avoir rien de plus à se mettre sous la dent. Ou bien ils le connaissaient très mal – et Martina et Gregory avaient pourtant eu maintes occasions de converser avec lui – ou bien ils se jouaient de lui.

Seule la promesse de l’un des jumeaux eut un effet plus galvanisant. Une lueur de convoitise naquit dans les iris de l’enfant, brillant comme un feu grégeois dans la pénombre du cachot. Naïvement, il avait toujours pensé que son grand-oncle se satisfaisait des commentaires plus ou moins détaillés de ses espions peints, mais cette révélation dépassait de beaucoup ses attentes. « Génial... » murmura-t-il plus pour lui-même que pour les tableaux, son cœur palpitant d’excitation.

Un instant toutefois, il se força à taire cet intérêt naissant pour se concentrer sur le cœur de sa présence : l’apprentissage du sort n’était pas sans condition, et il avait une porte à ouvrir. « Quelle porte ? » demanda-t-il sagement, glissant ses mains dans les poches dans une position d’attente qui pouvait presque paraître provocatrice alors même qu’ils l’avaient fait venir jusqu’ici simplement parce qu’il en possédait. « Et qu’est-ce qui vous intéresse tant, derrière cette porte ? » S’ils avaient cru – ou espéré – qu’il ne poserait pas de question, ils étaient bien naïfs. D’une part parce qu’il n’aimait pas faire quelque chose sans avoir toutes les informations – sa curiosité ne semblait à cet égard n’avoir aucune limite – mais aussi parce qu’il faisait manifestement ça dans le dos d’Alexander. Quitte à s’attirer ses foudres, il préférait savoir pourquoi... et ce qu’il risquait.

« D’ailleurs... » Il fronça les sourcils, un peu méfiant. « Pourquoi Alexander n’a pas voulu vous amener à Poudlard ? Ça ressemble quand même beaucoup à une punition. » Un sourire moqueur fendit son visage. « Et je m’y connais, en matière de punition. » Que le maître des potions se méfie de Tobias n’était peut-être pas un scoop, mais ça l’était déjà plus pour les jumeaux. Il avait déjà fait appel à eux par le passé pour cloisonner tout un couloir de l’école, qu’il les relègue dans les tréfonds du manoir des Hébrides alors même qu’il dominait désormais Poudlard avec tous ses tableaux demeurait un mystère.

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L’enthousiasme que Dmitri n’était pas parvenu à dissimuler à l’évocation du don de voir à travers les yeux des peintures n’avait pas échappé aux trois portraits. Chacun garda toutefois son rôle. Gregory jouant les mystérieux pour faire monter la sauce, Martina chaleureuse et douce pour l’apaiser et Tobias… Tobias avait recommencé à avaler des loukoums avec un plaisir non feint, se pourléchant les doigts de sucre.

A la question légitime du garçon, ce fut Martina qui prit la parole.

- « Une porte du Manoir. » Elle marqua une imperceptible pause. « Dans les sous-sols. »

La déclaration fut immédiatement accompagnée d’un sourire rassurant.

- « Rien à voir avec la pharmacopée, ne t’en fais pas. A quoi bon de toute manière ? Il s’agit d’une des vieilles pièces du couloir, tu sais que les tableaux n’y ont pas accès, c’est une vieille habitude des van Aken qui a la vie dure, résultat il nous faut toujours demander la permission pour y accéder. C’est d’un barbant… »

Elle semblait sincèrement attristée, comme s’il ne s’agissait là que d’un archaïque désagrément bureaucratique.

Tobias semblait toujours très concentré sur ses loukoums, ce fut Gregory qui répondit à la question suivante.

- « Une pièce avec des souvenirs des van Aken. Il y a plusieurs choses là-dedans que nous aimerions consulter, un journal que je tenais, des archives, des jouets d’enfance. Rien de très amusants pour toi j’en ai peur, mais la vie n’est pas très palpitante aux Hébrides depuis que tu les as quittées, il faut bien trouver à s’occuper. »

La dernière question de l’aiglon fut accueillie avec un silence. Martina et Gregory échangèrent un regard mais ce fut celui de Tobias qui se posa sur le jeune homme, souriant de toutes ses dents, ses moustaches blanchies par le sucre.

- « Mon petit neveu aime bien m’avoir à ses côtés quand il travaille. Mais une fois mes conseils prodigués, ah ! L’ingrat m’abandonne comme une vieille gravure ! Pour revenir la queue entre les jambes au prochain problème théorique qu’il rencontre. Enfin… c’est notre lot j’imagine. Conseiller et accompagner les héritiers de la dynastie. »

Il joignit ses mains sur sa bedaine en continuant de fixer l’adolescent d’un œil pétillant.

- « Tu sais comme Alexander se méfie de moi. A raison hoho ! Ce n’est pas demain la vieille qu’il me laissera déambuler impunément dans Poudlard, il faut dire que j’ai la fâcheuse tendance d’en dévoyer les élèves. En même temps… » il adressa un clin d’œil à Dmitri. « Certaines sont tout à fait charmantes. Certains aussi, je ne suis pas difficile. De toute façon je me demande bien de quoi se méfie tant ce pauvre maître des potions, j’en suis réduit à ne pouvoir que parler, sans magie, sans tangibilité, ah, contraint de quémander le moindre service. »

Il secoua la tête d’un air navré d’où transpirait une hypocrisie malicieuse assumée.

- « La direction vient à peine de poser ses valises à Poudlard, mon petit, ils ne veulent pas faire de vague, alors on relègue tonton à la maison, pour ne pas outrer la ménagère. » Il éclata de rire. « Toi et moi sommes véritablement insortables, j’en ai peur ! Martina m’a raconté la caricature que tu as fait de cette buse de Sorensen ! Hilarant ! Quelle tête il a dû faire ! J’ai toujours détesté cette famille de toute façon, de vrais raseurs, même de mon temps. Prends garde Dmitri où d’ici un petit siècle ton portrait pourrait bien aussi se retrouver confiné au Manoir pour mauvaise comportement… »

Et il lui adressa un nouveau clin d’œil, tout en faisant glisser la pointe de sa langue sur ses moustaches de morse pour y prélever le sucre.

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Ouvrir une porte, rien de plus simple, effectivement. Mais Dmitri était habitué aux surprises, avec les tableaux de ses ancêtres. Les van Aken semblaient cultiver, depuis de nombreuses générations, un don certain pour les entourloupes en tout genre. Martina n’était d’ailleurs pas dupe, répondant aussi sec à la question muette du garçon : à peine le nom des sous-sols avait été prononcé que son esprit se focalisait sur la pharmacopée. Rares étaient les membres de leur famille à avoir pu en étudier le contenu... et face à Tobias, alors que son aïeul l’avait mis en garde contre ses frasques trop importantes, la méfiance était légitime. Mais après tout, les tableaux pouvaient bien accéder à cette pièce que ça n’y changerait rien puisqu’ils n’avaient pas la possibilité de toucher aux fioles qui s’y trouvaient. « Et j’imagine que la clef, c’est Alexander qui l’a ? » argua-t-il d’un ton méfiant. Ce serait trop simple, sinon.

Si le contenu de la pièce était aussi inoffensif que voulait bien le décrire Gregory, il n’avait pas de réelles raisons de se méfier. Au pire, son tuteur lui en voudrait un peu de ne pas lui avoir parlé de cette discussion nocturne, mais pour quelques jouets et un vieux journal, le sermon ne pouvait pas être trop important. Il avait fait pire bêtise.

Le petit tchèque n’en restait pas moins méfiant pour autant, questionnant les trois tableaux sur les raisons de leur consignation à domicile. Loin de Poudlard et des enfants, condamné à s’ennuyer dans les couloirs lugubres d’un manoir délaissé de ses occupants. « Je ne suis pas insortable » protesta-t-il, un brin vexé par l’affirmation du vieux portrait. Être comparé à Tobias avait quelque chose de très vexant. Peut-être était-ce son aspect vieillot et sa moustache enguirlandée de sucre, ou simplement le fait qu’Alexander l’avait décrit dès le premier jour comme peu fiable. Derrière ses frasques, l’aiglon n’avait pas pour ambition d’être relégué au rang de vieux souvenirs un peu honteux. Il avait besoin de se distinguer, pas de devenir le rebut de la famille... son exil en Écosse avait été un premier coup dur pour le garçon qui s’était alors senti rejeté par ses propres parents, avant d’être forcé de constater qu’il avait bien plus à gagner auprès de l’aîné des van Aken.

Son vieil ancêtre parvint toutefois à lui arracher un sourire à l’évocation de Sørensen. L’homme lui était bien plus antipathique depuis sa punition, et il en voulait toujours à son grand-oncle de l’avoir laissé faire, raison pour laquelle il était aussi bien disposé à pénétrer secrètement dans une partie du manoir où il n’était pas censé se rendre sans autorisation. « Vous êtes vraiment en train de me dire de prendre garde à mon comportement... tout en me demandant d’aller à l’encontre d’une règle d’Alexander ? » Une pièce fermée à clef l’était pour une bonne raison, depuis le premier jour, il avait toujours su qu’il devait demander avant d’y pénétrer... et jusque-là, il avait toujours respecté ces instructions, même s’il l’avait fait par pur bon sens : il était tout bonnement impossible de faire quelque chose dans le manoir sans qu’un tableau le voit et court avertir le maître des lieux.

Il se tourna vers les jumeaux. « Vous n’avez toujours pas répondu à ma question. » Il n’était pas dupe ; Martina et Gregory avaient laissé Tobias répondre, se gardant bien d’expliquer pourquoi eux aussi étaient contraints de rester en retrait.

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Si Martina avait guidé Dmitri jusque-là, c’était désormais Tobias qui était à la manœuvre et tout en continuant de déguster ses friandises goût peinture à l’huile, le mage ventripotent s’épanchait sur son triste sort en dressant des parallèles avec celui qui attendait Dmitri. La comparaison n’avait pas l’air de beaucoup lui plaire mais le sorcier peint n’en avait cure.

- « Non, pas insortable. » concéda-t-il d’un ton désintéressé. « Mais pas de la graine de béni oui-oui non plus, c’est certain. C’est la différence qu’il y a entre un garçon prudent et un couard, Alexander n’a pas confiance en toi et brouille la frontière. C’est un vieil homme peureux, il n’a jamais eu la fibre aventureuse, mais toi… »

Dans son cadre, Martina adressa un clin d’œil au jeune homme. Les jumeaux savaient très bien à quelles explorations acrobatiques s’était adonné Dmitri pendant ses longues après-midi au manoir van Aken.

Allez savoir ce qui se passait dans la tête de Tobias à cet instant précis, si seulement le mage possédait une tête quelque part dans sa toile ? Une chose était certaine pourtant, il y avait des idées derrière.

Martina s’avança dans la mesure du possible, plus rassurante.

- « Non nous ne te demandons pas de voler quoi que ce soit à ton grand-oncle ne t’en fais pas. »

Tobias eut un geste signifiant qu’il souhaitait prendre la parole, la faisant taire immédiatement.

- « En vérité, la clef est déjà en notre possession. D’une certaine manière. Hm, Frimooord ? »

Dans un coin de la pièce, un crac déchirant retentit et l’elfe fut là. Les mains tordues par le stress, le visage grimaçante d’anxiété et les yeux roulants dans leurs orbites, la petite créature semblait encore moins confiante que d’habitude.

- « M… maîtres… ? »

- « Frimord va t’emmener au manoir Dmitri. » expliqua Gregory en ignorant d'abord parfaitement la créature. « C’est lui qui a la clef, et il te la donnera, n’est-ce pas Frimord ? »

L’elfe baissa les yeux. Cela semblait avoir valeur d’assentiment.
Tobias semblait en avoir terminé mais la dernière question de Dmitri fit s’échanger un coup d’œil entre les jumeaux. Pourquoi avaient-ils été mis de côté ? Pourquoi maintenant plutôt que l’année dernière ?

Gregory haussa les épaules, une fois de plus ce fut Martina qui répondit :

- « Il y a un nouvel occupant ici que nous ne voulons pas croiser. » Silence. « Le nouveau directeur, nous avons eu des différents avec lui il y a longtemps. » Elle sourit. « De vieilles histoires pour de vieilles familles, mais nous préférons éviter d’avoir à lui serrer la main et Alexander est d’accord avec nous. Tu le comprends sans doute ? »

(#) Sujet: Re: Pris dans la toile Lun 24 Jan 2022 - 18:21

Pris dans la toile
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Si Dmitri était prêt à admettre sans la moindre concession être un garçon turbulent et provocateur, il appréciait moins de se voir réduit au rôle du parent que l’on essayait de cacher. Il avait besoin de se faire remarquer, pas d’être relégué au fond du placard, comme l’était assez littéralement Tobias. Il savait se tenir quand il fallait – même s’il jugeait bien souvent que c’était fort peu utile – et au fond, il ne faisait rien de bien méchant... si ? Une caricature, c’était bien peu comparé à ce qui avait couté la vie au vieil homme bavardant joyeusement dans les tréfonds des cachots de Poudlard.

En réalité, même lorsqu’il notait à demi-mot le caractère plus aventureux du garçon, c’était une fois de plus pour souligner le manque de confiance que l’on nourrissait à son égard. Et qu’importe s’il voulait le beurre et l’argent du beurre, entendre qu’Alexander n’avait pas confiance en lui n’était pas beaucoup plus agréable qu’être qualifié d’insortable... et ce même s’il justifiait le tout par la couardise du maître des potions. Pour autant, le garçon n’envisagea pas un seul instant de faire demi-tour et de retourner dans son dortoir – ou pire, dévoiler le pot aux roses au principal intéressé – ne serait-ce que parce qu’il ne voulait pas donner l’impression d’être un pleutre. Et tous ces mystères, c’était tout de même assez stimulant pour qu’il prenne un peu sur lui et en oublie qu’un enfant digne de confiance n’agirait sûrement pas de la sorte.

Martina lui ôta un léger poids sur les épaules en déclarant qu’il n’avait nullement besoin de subtiliser quoi que ce soit à son aïeul. Il n’avait qu’à ouvrir une porte, avec une clef déjà en leur possession... c’en était si simpliste qu’il n’était pas certain de comprendre pourquoi ils ne demandaient pas simplement à Frimord de le faire lui-même, puisque vraisemblablement, il leur obéissait autant qu’à Alexander. C’était d’ailleurs assez insultant, au fond. Dmitri ne pouvait faire appel à l’elfe comme bon lui semblait à Poudlard, mais des tableaux le pouvaient... et lui demandaient tout de même d’ouvrir des accès à place de la créature.

Un dernier point demeurait toutefois à régler s’agissant des jumeaux. De toutes les réponses qu’il avait pu imaginer, celle-ci n’était pas en tête. « Un jour, il faudra me raconter comment vous vous êtes fâchés avec lui » ricana-t-il, plutôt heureux de constater que tous les van Aken ne portaient pas le directeur de Poudlard dans leur cœur. Satisfait de la réponse, il hocha machinalement du chef. Pour l’heure, ils avaient bien plus importants qu’à raconter de vieilles histoires ; les sous-sols du manoir l’attendaient. Il baissa les yeux vers l’elfe de maison, qui n’en menait pas large et semblait aussi confiant que l’aiglon lorsqu’Alexander l’avait menacé de sa canne-baguette. « C’est d’accord, je vais vous l’ouvrir, cette porte. » Il avait le sentiment que ses trois aïeux n’avaient pas un seul instant douté de sa participation à leurs manigances. « Je suis prêt à y aller. » fit-il à l’adresse de Frimord. Il était bien dommage qu’à l’avenir, il ne puisse se vanter d’avoir transplané depuis les cachots de Poudlard pour quitter l’école en pleine nuit... il l’avait appris en histoire de la magie l’année précédente, seuls les elfes de maison pouvaient transplaner entre les murs de l’établissement, aussi l’idée de faire quelque chose d’ordinaire si anodin avec un petit quelque chose de fantasque et d’excitant.

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Lorsque Dmitri exigea qu’on lui raconte un de ces jours la raison de la brouille de ses cousins avec le directeur Sorensen, Martina lui répondit d’un clin d’œil complice.

- « C’est promis. »

Mais ce soir, l’heure n’était plus aux histoires et à la parlote. Frimord s’était approché du jeune homme, l’air toujours anxieux, et tendait à présent sa main osseuse vers lui pour l’inviter à la saisir. Lorsque Dmitri confirma qu’il allait « ouvrir la porte », Gregory hocha la tête avec approbation et Tobias eut un petit gloussement de satisfaction.

- « Formidable, formidable ! » disait celui-ci « On se retrouve dans cinq minutes Dmitri ! Frimord, point de stupidités… »

L’elfe hocha la tête et attrapa un doigt du garçon, puis ils disparurent. C’était comme être aspiré dans un maelstrom, ou jeté comme un chiffon dans une machine à lavée surboostée. Cela dura un instant, puis ils se trouvèrent dans un couloir obscure. Celui des caves du Manoir van Aken. L’air y était sensiblement plus frais mais sec, contrairement aux cachots de Poudlard, situés sous le lac.

- « Jeune maître… ? » demanda l’elfe. « Des fois cela provoque la nausée… »

Il semblait sincèrement s’en faire pour l’état des tripes de Dmitri et on le sentait prêt à faire apparaitre un seau à tout moment pour permettre au garçon de ne pas tâcher le sol, mais la créature lançait également des regards intimidées en direction du bout du couloir.

Là-bas, au fond, se trouvait une porte. Une lourde porte parmi d’autres, scellée de deux chaînes d’argent qui miroitaient un peu à la lumière d’une torche plus loin dans le passage. Frimord la désigna du regard.

- « C’est celle-ci qu’ils veulent que vous ouvriez. » Et il tendit la clef à Dmitri.

Elle était à l’image de la porte : lourde, vieille anodine. Rien qui ne laisse présager quelque danger, quelque piège, rien qui n’attire l’attention sinon le tremblement prononcé des muscles de l’elfe lorsqu’il la lui présenta.

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Face à l’engouement de Tobias, il était presque impossible de ne pas se laisser un peu emporter... si seulement il n’y avait pas l’air beaucoup plus préoccupé de l’elfe de maison et une dernière assertion aux allures de discrète menace à son encontre. Quel genre de stupidité pourrait bien faire la créature ? À part transplaner directement dans le bureau de son seul maître fait de chair et d’os. Un bref instant, l’enfant fut tenté de renoncer ; nul besoin d’être bien futé pour savoir que l’adulte ne serait pas enchanté de connaître la nature des cachoteries qui avaient lieues à quelques pas de son antre. Il n’eut de toute façon guère le loisir de faire marche arrière, la créature le touchant sans crier gare pour l’emporter à des kilomètres de là.

Ce n’était pas son premier transplanage d’escorte, mais la sensation n’en devenait pas plus agréable avec le temps. La seule évolution était encore que cette fois-ci, il n’avait pas trop été pris de surprise par ses haut-le-cœur. Enfin, tout de même un peu. « La prochaine fois, préviens-moi d’abord, Frimord. » Sa voix était un peu plus pâteuse que d’accoutumée, le temps de reprendre son souffle, et il parlait naturellement plus bas dans ces sous-sols que dans ceux de Poudlard. Il craignait bien plus de réaliser qu’Alexander se baladait dans les couloirs du manoir que de se faire surprendre par un autre professeur, en plein conglomérat nocturne avec trois tableaux.

Ses esprits repris – et quelques coups d’œil de l’autre côté du couloir, là où il devinait l’escalier qui menait au rez-de-chaussée – il referma ses doigts sur la clef et s’avança vers la porte qu’elle ouvrait, sans doute moins serein qu’il ne l’aurait voulu. « Où est l’entourloupe ? » Il parlait plus pour lui-même que pour l’elfe, même si la panique évidente de ce dernier déteignait un peu sur lui. De lourdes chaînes pour empêcher l’accès à des jouets d’enfance... plus il s’approchait, moins il était certain du contenu de cette pièce. Ne pas faire confiance à Tobias. Il entendait presque la voix de son aïeul lui asséner à nouveau ce conseil, ou cet ordre. Extirpant préalablement sa baguette de sa poche – sans réellement savoir en quoi elle pourrait lui être utile – il glissa la clef dans la serrure qui maintenait les chaînes et la tourna. Un cliquetis satisfaisant plus tard, les liens d’argent qui barraient l’accès de la pièce commencèrent à se détendre et l’enfant put les ôter de leur fermoir. Glissant la clef dans sa poche – là où quelques minutes plus tôt, se trouvait encore sa baguette – il tira enfin vers lui le battant de porte, grimaçant un peu sous l’effort que ses bras frêles peinaient à effectuer. « Bon, et maintenant ? » demanda-t-il à l’elfe. « Tu amènes leurs tableaux ? » Mais parce qu’il n’était pas venu jusqu’ici pour jouer les portiers, quand bien même le trajet n’avait duré qu’une infime seconde, il s’engouffra lui-même dans la pièce, curieux de voir ce qui valait tant de complots de la part de vieilles peintures.

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- « Pas d’entourloupe jeune maître, aucune entourloupe, c’est comme les maîtres vous ont dit, Frimord ne sait rien de plus… »

La créature n’en avait pas l’air plus rassuré pour autant. Etait-ce les lieux qui l’angoissaient naturellement ou bel et bien ce qui se trouvait dissimulé derrière la porte ? Se reculant d’un pas, il suivit d’un œil attentif chacun des gestes du garçon, tout en continuant de se tordre les doigts avec plus de force que d’habitude.

D’un tour de clef, les chaînent s’ouvrirent libérant l’accès à la porte que Dmitri tira. De l’autre côté, il n’y avait aucun bruit. Frimord secoua la tête à sa question.

- « Non… non… je ne sais pas… ils vont venir sans doute. »

Puis Dmitri s’engouffra à l’intérieur.

Ce n’était pas une pièce à proprement parler, mais un couloir. Un couloir profond dont le bout était plongé dans l’obscurité. Sur chacun des murs, une rangée de portrait représentait des paysages ou des pièces de vie, mais aucun portrait ne s’y trouvait. On distinguait une colline sur laquelle se trouvait une vieille bâtisse entourée de jardins défraichis, des intérieurs victoriens seulement éclairés par le rougeoiement des braises dans les cheminées, et plus étrangement plusieurs images de Poudlard. Le couloir menant à la salle sur demande, la salle de bain des préfets, et une salle commune lugubre, baignée d’une faible lumière verte où trônait au-dessus d’un âtre éteint le blason de Serpentard.
Chacune des pièces, chacun des lieux semblait déserté. Certains franchement détruit, comme si quelqu’un s’y était déchaîné de colère.

A la gauche du garçon, deux images venaient de pénétrer dans les tableaux : Martina et Gregory. Ce-dernier semblait hésitant mais sa sœur, prise d’une excitation radieuse, se mit à courir vers les profondeurs du couloir en riant, passant d’une scène à l’autre, changeant de taille et de perspective selon la manière dont les décors avaient été peints.

Gregory ne l’avait pas suivie. Il fixait l’obscurité où sa sœur s’était engouffrée.

- « Tu devrais filer Dmitri. Frimord va te ramener à Poudlard. »

Il avait ce ton des adultes qui prennent les choses en main, pourtant il n’avait toujours pas fait un pas vers le fond du couloir.

- « Merci pour ton aide, on te le revaudra. »

(#) Sujet: Re: Pris dans la toile Mar 1 Mar 2022 - 16:06

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La promesse de Frimord était quelque peu entachée par la panique qui émanait de lui. Il n’avait jamais fait montre d’une sérénité particulière, mais il semblait infiniment plus angoissé que d’ordinaire. Peut-être était-ce simplement parce qu’il obéissait à des tableaux, dans le dos de son maître de chair et de sang ? Le stress de l’elfe de maison n’entachait pourtant pas la curiosité de Dmitri qui, sans être au summum de la confiance, passait la porte désormais délestée de ses chaînes.

Le garçon se figea en passant la porte, scrutant le couloir qui s’étendait devant lui. Contrairement au reste du sous-sol du manoir, les murs étaient ici recouverts de tableau. Un dédale de peintures privées de la lumière du jour et du passage de ses habitants et, au fond, un puit d’obscurité. Un instant contemplatif, il ne vit pas immédiatement les jumeaux apparaitre dans le tableau le plus proche. Les éclats de rire de Martina le ramenèrent un peu à la réalité. « Ce n’est pas tout à fait ce dont vous m’aviez parlé. » Il avait ostensiblement ignoré l’invitation à retourner à Poudlard. Il s’était attendu à une pièce avec de vieux souvenirs, des jouets et autres carnets. Pas un couloir où l’on semblait avoir confiné des tableaux vides et ravagés par la colère de quelqu’un. Une certaine frustration l’habitait également : il avait espéré obtenir quelques réponses, comprendre ce qu’il faisait, alors qu’on lui proposait simplement de retourner dans son dortoir sans avoir saisi le sens de ses actions. « Pourquoi ces tableaux sont ici ? » Il avança de quelques pas, dépassant Gregory, pour mieux contempler les peintures, qui semblaient être autant de fenêtres ouvertes sur l’extérieur... ou sur Poudlard, pour ce qu’il en devinait. Il reconnaissait un des couloirs, mais n’avait jamais vu ce qui semblait être la salle commune de serpentard. Ou le salon de quelqu’un particulièrement nostalgique de la maison des serpents. Et compte tenu du nombre assez conséquent d’ancien serpentard que comptait la famille van Aken, il n’y avait rien d’étonnant à cela.

L’enfant tendit sa baguette et d’une voix claire formula un « Lumos* », avant de s’aventurer plus en avant dans le couloir, jusqu’à ce que la lueur projetée par sa baguette commence peu à peu à chasser l’obscurité du fond du corridor. Il avançait plus lentement que Martina dans ses peintures, d’un pas prudent, comme s’il s’attendait à ce que quelqu’un surgisse du noir pour le faire sursauter. Ou plus simplement, il craignait de se prendre les pieds dans quelque chose ou de percuter un quelconque meuble.

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Gregory ne répondit rien et n’en bougea pas plus, comme figé, le corps tendu, les poings et la mâchoire serrée. Au loin, presque inaudible, le rire de Martina continuait de raisonner contres les parois du couloir. Il n’y avait pas trace de Tobias.

L’éclairage du lumos, si puissant soit-il, ne parvint qu’à repousser l’obscurité sans la crever. Le couloir était trop immense et sa profondeur semblait absorber la lumière. Dans le dos du garçon, Gregory réitéra d’une voix monocorde son conseil de rentrer au château. Il ne semblait pas y croire lui-même, l’esprit ailleurs.

Chaque pas que faisait le garçon révélait de nouveaux portraits, de nouvelles scènes, elles aussi vide d’occupants. Un petit village bordé d’un cimetière, une crypte, une grande bâtisse londonienne, la salle de banquet de Poudlard, le terrain de quidditch, une forêt sombre.

Dans le fond du couloir, la voix de Martina lui parvenait comme un murmure, prononcée très bas, ou alors de très loin. Elle s’exprimait d’un ton déférant. Puis soudain elle éleva le ton, inquiète.

- « Dmitri, attends. »

Il y eut un silence.

- « Il y a des runes sur le sol. Les vivants ne sont pas censés venir ici sans… »

… sans autorisation ?

Puis, comme un filet d’eau gelé coulant sur l’échine, une seconde voix s’éleva des ténèbres. Indéfinissable.

- « Qui est-ce ? »

- « Un van Aken, mon petit cousin… »

- « Un partisan ? »

- « Non. »

Il y eut de nouveau un silence. Puis de nouveau la voix de Martina.

- « Tu devrais faire demi-tour Dmitri. »

Et de nouveau la voix étrange.

- « La porte est ouverte ? »

- « Oui. »

- « Bien. »

Improbablement, s'élevant des profondeurs ce fut comme si le vent s’était levé soudain. Un vent de pouvoir et le lumos s’éteignit, flamme magique soufflée par la magie. Le couloir se trouva plongé dans le noir alors que vers Dmitri, venu des ténèbres se fit entendre le bruit d’une course, un pas rapide, chaotique, claudiquant, qui se précipitait vers lui.

(#) Sujet: Re: Pris dans la toile Mer 2 Mar 2022 - 14:40

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L’absence de réponse de Gregory acheva de décider le garçon qui, baguette illuminée en main, s’aventura vers l’obscurité. Il ne se considérait pas comme peureux – sans doute que les blagues parfois foireuses de ses frères et cousins avaient-elles forgé chez lui une forme de pragmatisme et sa confiance en la magie lui donnait l’illusion que rien n’était réellement dangereux ou irréparable – et avançait donc sans craindre de se retrouver dans l’obscurité... ou même s’inquiéter du fait qu’elle semblait résister à la lumière qu’il produisait. Tant qu’il pouvait distinguer où il mettait les pieds, il s’estimait satisfait.

En avançant, il en profitait pour contempler chacun des nouveaux tableaux. Il reconnaissait certains endroits mais tous ne lui étaient pas familiers. Une même question ne le quittait plus, celle de savoir pourquoi un simple couloir un peu obscur et agrémenté de tableaux avaient été barré de lourde chaîne en fer. Il y avait forcément quelque chose de plus important, et la voix de Martina, qui lui parvenait depuis l’ombre, achevait de l’en convaincre : il n’avait pas simplement ouvert une salle contenant quelques vieux souvenirs. Il fut un instant habité par l’idée d’appeler Frimord, de lui demander de le ramener au château et de prévenir Alexander... s’il n’avait pas craint de s’attirer ses foudres en assumant ce qui semblait être une grosse bêtise, il l’aurait sans doute fait. Mais il se faisait sûrement des idées, les jumeaux devaient aimer un peu trop les mystères et ne cachaient rien d’importants, et en fin de compte, il était un grand garçon, maintenant, un sorcier capable de régler ses problèmes lui-même...

La voix de la défunte van Aken arrêta sa progression et machinalement, il baissa un peu sa baguette vers le sol, pour essayer d’en distinguer les fameuses runes, quand bien même ça n’y changerait pas grand-chose. Il n’eut pas le temps de protester ou de poser la moindre question qu’une autre personne rompait le calme inquiétant du sous-sol. Ça n’était pas Gregory. Ni Tobias. « Qui êtes-vous ? » Il avait profité du court silence pour parler d’un timbre de voix soudainement peu assuré, voire effrayé, par cette voix inhabituelle. À nouveau sommé de partir, celui qui n’était manifestement pas un partisan – savoir de qui ou de quoi demeurait pour l’heure fort accessoire – n’eut pas le temps d’envisager sérieusement d’obéir. Le souffle qui balaya le couloir sembla porter avec lui l’idée que Dmitri, en ouvrant la porte, avait également ouvert la boîte de Pandore. Une idée fugace, aussi vite chassé par la réalité : tout d’abord ce sentiment fort désagréable, dans son corps. Ça n’était pas le froid du vent, mais un autre sentiment, semblable à ce qu’il pouvait ressentir lorsqu’on le pétrifiait – à ceci près qu’il avait encore la maîtrise de son corps – mais en bien plus fort. Puis le noir. Inquiétant. Il ne craignait plus le noir depuis plusieurs années, mais là, dans ce lieu qu’il ne connaissait pas et aux étranges mystères, il sentit la panique le dominer. Son propre cri de stupeur lui parut lointain alors que le pas qui se rapprochait lui donnait l’impression de résonner dans ses tympans. Ça venait vers lui. L’enfant recula maladroitement, l’obscurité le rendant gauche dans ses mouvements. Son cœur battait à tout allure, assourdissant et désagréable, si bien qu’il était persuadé que le danger qui approchait pouvait également l’entendre. « Fli... pendo » La prononciation était incertaine, la voix bégayante et de toute façon, il ne voyait même pas sa baguette... dans de telles conditions, il n’aurait jamais pu toucher quoi que ce soit. Encore fallait pour cela qu’il parvienne à lancer le moindre sort, mais la peur le rendait totalement inapte – Thorstein se moquerait sûrement de lui. Sa magie fonctionnait-elle toujours, d’ailleurs ?

Au pied du mur, incapable de voir ou de se défendre, il recula encore un peu, plus précipitamment sans savoir où il allait... et déviant un peu de sa trajectoire, senti le mur derrière lui. Un bref instant, il crut que le coin du tableau était le coude d’un humain et jurant en tchèque, se décala brusquement et maladroitement. Il chut au sol, reculant à même le sol, ses mains battant le sol froid dans un rythme paniqué. Il sentait à peine la douleur des phalanges de sa main droite, qui pourtant souffrait de tenir la baguette tout en rampant à reculons. « Ne... m’approchez pas ! » somma-t-il d'une voix paniquée.

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Nulle réponse ne parvient des ténèbres sinon le bruit de course, de plus en plus proche. Comme une luciole, le sortilège du garçon parvient tout de même à fendre le noir pour n’éclairer brièvement que… rien. Rien qu’un couloir vide et alors que Dmitri trébuche, une ombre passer à côté de lui. Ou plutôt, dans les tableaux, passant de cadre en cadre, un nuage de fumée.

Puis le silence. Un silence froid, un calme amer et pétrifiant, de ce qui accompagnent le jour d’après les tempêtes, alors que l’on découvre le sinistre. Ses bottines claquant tour à tour sur un parquet, un gazon, une moquette, Martina s’approche. Elle semble pensive. Fixe le garçon sans rien dire. De derrière eux les rejoint Gregory, pâle.

- « Eh bien voilà. »

- « Comment ça : eh bien voilà ? Mathilda, il est sorti… Alexander... »

- « Mon cher frère, je ne sais pas vraiment à quoi d’autres tu t’attendais. Et Alexander n'a pour seule autorité que d'être encore en vie, cet héritage est autant le notre que le sien. » elle sourit à Dmitri « Ce n’est pas honnête de laisser les portraits enfermés comme cela, sans compagnie. Tu imagines ? Une éternité de solitude dans un couloir obscur ? Même si ton grand-oncle a pris soin de garnir la galerie de pièces et de paysages, je ne trouvais pas ça très humain… »

Gregory n’en menait pas large toujours, sa sœur, elle, semblait bien plus confiante.

- « Je suis désolé si notre ami t’a fait peur. Alexander t’a révélé que nous mettions des souvenirs dans nos peintures. Certains d’entre eux peuvent être encore très puissants, même des années après la mort de leur propriétaire. »

Elle rit, semble prendre tout ce mystère comme un jeu.

- « Je suis certain que tu le recroiseras bientôt à l’école, ne t’en fais pas. Ou ailleurs peut-être ? »

L’œil rieur, elle embrasse son frère et l’aiglon du regard.

- « Ne faites pas ces têtes, allons, on dirait que vous avez vu un fantôme ! Venez les garçons, rentrons au Manoir à présent. »

Quelques mètres plus loin, dans l’embrasure de la porte, Frimord se tordait les doigts.

(#) Sujet: Re: Pris dans la toile Sam 12 Mar 2022 - 22:50

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Toujours au sol, ses mains frôlant la pierre froide et poussiéreuse, où manifestement il n’y avait guère eu de passage depuis longtemps, le garçon mit quelques secondes pour reprendre ses esprits. Nul homme n’avait foncé sur lui. Le bruit n’avait été que la course effrénée d’une silhouette peinte, malgré le raisonnement des pas d’un réel surprenant. Et ce souffle de magie, pourtant bel et bien existant, n’était-il réellement que le fruit d’une peinture ? Là où Martina et Gregory n’avaient pas prises sur le monde humain, ne pouvant que se satisfaire de celui fait de peinture à l’huile, celui qu’il n’avait qu’entendu avait quelque chose de plus.

La voix de la défunte sorcière, brièvement suivie de celle de son frère, achevèrent de sortir Dmitri de sa torpeur paniquée. Il se releva doucement, la laissant parler, lui expliquer quelle vie de solitude avait vécu leur ami. Alors qu’il époussetait machinalement la manche droite de sa veste, elle continuait sur sa lancée, le rassurant quant au fait qu’il allait sûrement le recroiser à Poudlard. Il déglutit bruyamment. Cette idée était loin de le rassénérer. « Qui était-ce ? » L’aiglon n’avait pas bougé d’un centimètre, ne faisant pas le moins du monde mine de se rapprocher de l’elfe pour qu’il le ramène au château. De ses paroles, il n’avait retiré ni compassion pour cette vie dans le noir, ni envie de le voir crapahuter dans l’école. Il comprenait simplement qu’il avait ouvert la porte à un tableau enfermé là par son aïeul – bel et bien de chair et de sang et par conséquent beaucoup plus effrayant – et que les jumeaux l’avaient trompé quant à leur but. « Il faut prévenir Alexander. » Il ne parlait pas d’un ton affirmé. Une simple remarque dont il tentait de se convaincre. C’était indéniablement ce qu’il devrait faire : le prévenir et assumer sa bêtise, parce que de toute façon, il finirait bien par voir, un jour où l’autre, que la pièce avait été ouverte. À moins de refermer derrière lui et d’espérer que jamais il ne vienne ici. Et que jamais il ne voit l’ancien prisonnier quelque part. Dans ce manoir, ou dans le château. Cette solution était assez séduisante. Elle lui paraissait plus simple ; il retournait dans son dortoir et faisait comme si de rien n’était, comptant sur le fait qu’aucun des trois tableaux ne parlerait à nouveau de ça, ou que Frimord ne l’apprenne pas à son maître. Et ainsi, il n’aurait pas fait de bêtise et ne subirait pas le courroux de son grand-oncle. « Vous m’avez menti. » Cette fois-ci, il y avait clairement des reproches dans sa voix.

À nouveau, il posa son regard sur les jumeaux. Ou plutôt sur Gregory, qui n’avait pas l’air beaucoup plus dans son assiette que Dmitri. Puis il tourna les talons, se rapprochant de la porte où se tenait l’elfe de maison. Quoi qu’il en soit, il n’avait pas envie de rester dans ce couloir sinistre. Il passa à côté de la petite créature, qui se tordait toujours les doigts en regardant tour à tour les peintures et le seul humain présent, et retourna dans la partie plus éclairée des sous-sols. Au bout de quelques secondes, sa main allant chercher dans sa poche la clef, il baissa les yeux vers Frimord. « Va chercher Alexander. » Plus qu’un ordre, c’était une supplique. Il n’y avait nulle certitude dans sa manière de le dire et il espérait presque que l’elfe ne le trouve pas, ou qu’il refuse d’obéir. Dans ce cas-là, au moins, ça n’était pas de sa faute. Pas totalement.

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Si Gregory semblait accuser le coup, Martina, elle faisait preuve d’une certaine désinvolture. Aux accusations du jeune homme, elle lui adressa néanmoins un regard chaleureux.

- « Menti ? Cette pièce est belle est bien remplie de souvenirs, je n’ai jamais précisé qu’elle serait vide. »

Elle eut un rire léger avant de lui offrir une moue curieuse.

- « Pourquoi se mettre dans un état pareil les garçons ? Nous sommes tous van Aken ici, le Manoir ne nous appartient pas moins qu’à Alexander, cette discrimination entre les vivants et les morts est absurde… »

Quoi qu’Alexander van Aken ait été en train de faire, l’apparition de son elfe, visiblement plus traumatisé que d’habitude, avait eut le don de lui faire abandonner sa tâche pour rappliquer rapidement. Frimord n’avait pas disparu depuis deux minutes qu’il réapparaissait soudain dans un craquement sinistre, accompagné de l’ombrageux maître des potions.

Celui-ci embrassa la scène du regard, détailla silencieusement Martina et Gregory dans leurs cadres dans le couloir, puis Dmitri.

- « Cette porte n’était pas scellée sans raison. » finit-il par dire d’un ton laconique.

Comme à son habitude, peu de sentiments transparaissaient de son visage ridé.
D’un geste de la canne, il indiqua les dalles devant le seuil du couloir.

- « Certaines runes empêchent les portraits de s’échapper, tu l’auras compris j’imagine ? » dit-il à l’adresse du jeune homme.

- « Alex… »

Martina n’acheva pas. La porte venait de se refermer sur elle et Gregory alors que les chaînes s’agitaient comme des fouets et reprenaient leur place, barrant l’accès aux mortels. Le couloir était de nouveau scellé… et possédait désormais deux nouveaux occupants.

- « Quelques décennies là-dedans leurs feront du bien, je gage. »

Il secoua la tête d’un air las.

- « Ne pouvant t’enfermer avec eux, tu vas devoir rattraper tes fautes, jeune homme. »

(#) Sujet: Re: Pris dans la toile Jeu 17 Mar 2022 - 18:47

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S’il n’y avait eu un Gregory qui n’en menait pas large dans son champ de vision, sans doute Dmitri aurait-il pu se montrer moins préoccupé. Certes, le tableau inconnu l’avait effrayé, au bout de ce sombre couloir fermé de lourdes chaînes, mais il pouvait se trouver bien des prétextes pour oublier cette panique d’un instant et se convaincre que ce qui ressemblait fort bien à une longue prison un peu atypique n’en était peut-être pas une. Mais l’accumulation de toutes ces choses était bien trop forte pour qu’il se contente de tourner les talons sans reprocher aux jumeaux de lui avoir menti – ou plutôt d’avoir omis certains détails importants – et qu’il fasse comme si cette nuit n’avait jamais existé.

L’aiglon devait l’admettre : il avait peur. Non seulement à cause de la peinture qu’il venait vraisemblablement de libérer, mais également des conséquences que cela pourrait avoir. L’argumentaire de Martina n’y faisait rien : discrimination ou non, mis à part l’ancien prisonnier du couloir, les tableaux ne pouvaient rien contre lui, là où Alexander, homme fait de chair et de sang, avait tout pouvoir. L’inconvénient d’avoir été élevé par un legilimen était que l’on savait qu’aucune cachotterie n’était infaillible, qu’aucune bêtise ne tenait longtemps face à l’autorité. Il fallait pouvoir assumer ses actes et dans une famille nombreuse, le préférable était encore d’aller plaider coupable avant qu’un frère n’aille dénoncer le méfait. C’était sans doute cette habitude qui avait fini par le convaincre d’ordonner non sans mollesse à Frimord d’aller chercher le maître des lieux.

L’enfant n’eut ni le temps de faire d’autres reproches aux tableaux, ni celui de sentir l’inquiétude grandir en lui : entre le premier crac sonore signifiant la disparition du serviteur et celui de son retour, seules quelques courtes secondes s’étaient passées. Infiniment trop brèves pour qu’il ait eu le temps de préparer ses explications. L’adulte apparut à côté de lui, l’elfe de maison sur ses talons... et si cela était possible, Dmitri se ratatina plus que ce dernier, se faisant plus petit que jamais durant le lourd silence qui suivit l’apparition de son grand-oncle. S’il pouvait se montrer inquiétant lorsqu’il était énervé, son calme apparent semblait, en pareille circonstance, infiniment plus dangereux. Aux premières paroles de son aîné, le garçon la bouche pour dire quelque chose, essayer sans doute de s’expliquer, mais la referma aussi sec en voyant la canne se lever pour désigner le sol. Il opina du chef tournant brièvement la tête vers Martina, dont il espérait que les paroles suffiraient à désamorcer la situation, mais en vain. Le tchèque ne put réprimer un sursaut en écho à la lourde porte qui s’abattait, déglutissant bruyamment face à cette sentence. « Oui ! » couina-t-il manifestement paniqué, guère peu rassuré de savoir qu’il ne pouvait l’enfermer. Il ne doutait plus un seul instant que son aïeul ait pu envisager pareille hypothèse. « Je... » Son regard fuyait l’étrange prison et les yeux du vieil homme, si bien qu’il ne savait plus ou regarder, si ce n’était ses pieds. « Comment ? » À cet instant précis, il ne manquait pas de motivation pour rattraper ses fautes – celle-ci et toutes celles qu’il avait pu commettre en douze ans de vie – mais avec Alexander, il n’était pas réellement sûr de savoir comment s’y prendre. Présenter des excuses ne suffirait pas, c’était au moins une certitude, mais il doutait fortement que se contenter d’être sage et d’avoir de bonnes notes à l’école ne suffirait pas. S’il avait pu le penser un jour, le simple fait de se savoir à quelques mètres de l’entrée de la pharmacopée servait à lui rappeler que chez les van Aken, ça n’était pas si simple.

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Impénétrable van Aken, l’homme semblait trop vieux désormais pour laisser échapper un autre sentiment que la lassitude. Son regard restait posé sur la porte, mais léger, comme si un brouillard le séparait à présent de la réalité. Il mit quelques instants à répondre à la question de son petit-neveu. Souhaitait-il souligner la gravité de la situation ? Ou était-ce simplement la fatigue qui le rendait lent à réagir ?

Il darda son regard sur Dmitri. Froidement lointain. Qu’allait-on faire de lui ? Bien sûr il était commun chez les jeunes gens de s’adonner aux sottises, on ne pouvait pas leur en vouloir, s’encanailler faisait même partie de l’éducation attendue des garçons de bonne famille. Cela leur apprenait à se montrer débrouillards et entreprenant, personne ne voulait d’une chiffe-molle surcouvée pour héritier.

Mais là, ce n’était pas de la bêtise de gamin comme van Aken en voyait passer chaque jour dans son bureau et auxquelles il répondait invariablement par les mêmes punitions monocordes et implacables. « Deux heures de retenues. » « Trois heures de retenues. » « Vous viendrez nettoyer le cachot de potion à la fin des cours. » « Vous m’écrirez cent lignes. » « Deux cents. » « Trois cents. » « Buvez ceci. Non, vous ne pouvez pas savoir ce que c’est. »

- « En te montrant enfin digne de l’héritage que tu viens de mettre en danger ce soir. »

D’un geste infime, il désigna une autre porte, celle qui menait à la pharmacopée.

- « Tu viendras chaque soir dans mon bureau pour que nous discutions de ta journée à partir de maintenant. Et je te donnerai à boire un peu de veritaserum. Cela durera jusqu’à ce que je t’estime de nouveau digne de ma confiance. »

Il laissa planer un instant de silence sur cette sentence, puis reprit d’un ton neutre.

- « Tes petites histoires d’adolescent ne me fascinent pas, je gage que ce sera aussi gênant pour toi que pour moi. Toutefois je pense que... » Il marqua une pause, cherchant ses mots. « Celui qui est sorti de ce couloir te recontacterai bientôt. Et il est hors de question que je l’ignore. »

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L’attente de la réponse était interminable, laissant à l’enfant tout le loisir de s’imaginer des sanctions et des règles nouvelles toutes plus angoissantes les unes que les autres. Le silence inquiétant qui s’était installé depuis la fermeture du couloir – de la prison – résonnait en lui comme une menace de ce qui pourrait bien lui arriver un jour, à son tour. Plus d’un an plus tôt, un étage plus haut, il avait craint pareil châtiment... et le passage des mois n’avait en rien contribué à chasser cette vieille peur. Au contraire, le souvenir de la pétrification semblait être devenu plus rude aujourd’hui qui ne l’avait été encore.

La sentence enfin tombée, Dmitri ne put répondre verbalement et opina lentement du chef tout en déglutissant. Au fond, il avait conscience de s’en sortir relativement bien et de ne pas subir plus âpre sanction, mais ça ne l’empêchait pas de sentir une boule naître progressivement au creux de son ventre. Plus aucune de ses pensées ou actions n’auraient de secret pour l’adulte, et pour un garçon aux habitudes assez secrètes et pudiques comme lui, l’idée se révélait être dérangeante... particulièrement alors que pour la première fois depuis son départ de Tchéquie, il avait l’impression de revenir en arrière, à l’époque où son père pouvait utiliser la légilimancie contre lui. Il perdait là cet important sentiment de liberté qu’il trouvait si grisant ; il n’y aurait plus d’adrénaline à l’idée de braver la surveillance des tableaux pour gambader dans certaines parties du château ou se croire maître de machinations puériles mais amusantes.

Un instant, il hésita. Une petite voix lui soufflait qu’il valût sans doute mieux ne rien dire et garder la tête baissée, mais comme toujours la curiosité – empreinte d’une forme de peur – le poussa à s’aventurer à poser une question. « Vous... » Loin d’avoir son assurance insolente d’autres fois, il se montrait très incertain. « Pourriez me dire qui est... celui que j’ai libéré ? » Preuve, s’il en fallait, que l’aiglon avançait en terrain miné. Il n’osait pas poser de but en blanc sa question, passant par des formulations proches de la supplique. Plus que de la curiosité, il y avait aussi une forme de crainte à l’égard de l’ancien prisonnier dont il n’avait qu’entendu la voix et le pas claudiquant. Alexander semblait prendre au sérieux cette situation plus que s’il s’agissait d’un simple ancêtre enfermé là pour une quelconque bêtise, et la déférence qu’il avait entendu dans la voix de Martina ne contribuait guère à atténuer cette impression de danger. L’inconnu dans cette équation insinuait en lui une crainte certaine que la menace d’un potentiel contact du prisonnier venait attiser.

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Partout nous sommes, jamais on ne nous voit.

Telle était la devise des van Aken. Durant plusieurs siècles cette antique famille avait prospéré dans l’ombre des dynasties sorcières dont elle peignait la gloire. Pendant des siècles les van Aken s’étaient fait discrets et silencieux. Et thésaurisaient. Dans les tréfonds de leurs manoirs, de la Hollande au Royaume-Uni en passant par la Tchéquie, la France et l’Espagne, dans les cours des Habsbourg, dans les salons des Bourbons, accumulant savoir et pouvoir…

Combien de dynasties de sang-purs s’étaient-elles effondrées par orgueil ? Par vanité ? Chacune jouant ses cartes en se croyant les plus malignes, pensant avoir suffisamment attendues leurs heures. Folie. Toutes avaient été déchues et les van Aken comme les autres, emportées par la chute du Seigneur des Ténèbres, mais pas leur trésor. Leurs précieux catacombes, eux, étaient restés inviolés. Derrière les lourdes portes de chênes massifs, les secrets de la pharmacopées et des portraits interdits attendaient d’être réveillés.

Trop tôt… c’était trop tôt…

Alexander continuait de fixer la porte dans le vide. Trop tôt. Si le monde apprenait, ses maléfices, ses runes ne pourraient à elles seules retenir les aurors et le ministère, et Patricia… oh Patricia n’était plus là pour l’aider. Il était seul. Seul avec ce gamin qui causait plus de troubles qu’il n’apportait d’aide. Par Merlin…

- « Un sorcier. » dit simplement van Aken, crevant l’évidence. « Dont les souvenirs sont assez puissants pour qu’il représente une menace. »

Il passa sa main dans sa barbe. Seul. Il était seul.

- « J’ai besoin de Tobias, il faut que nous organisions une battue… »

Oui. Tobias serait une aide précieuse. Il l’avait toujours été. Mais le mage noir ne retournerait-il pas sa veste ? C’était impossible à savoir, impossible. Par Merlin…. Kaspaer Sorensen ne devait rien savoir.

Son regard se reporta sur Dmitri.

- « Cette affaire ne regarde que notre famille. Le directeur n’en sera pas informé, ne parle de cela à personne, tiens ta langue. »

Il plissa les yeux.

- « Nous allons avoir besoin de mouchards. Il est temps de t’apprendre à peindre des espions. »

Pris dans la toile
‟ avec trois ancêtres „

Le calme de van Aken, d’abord inquiétant, avait fini par apaiser le jeune garçon qui voyait le danger s’écarter. Son cœur ne battait plus du même rythme effréné mais daignait se calmer, ne l’assourdissant plus de son inconfortable et inaudible bruit. Il n’en devenait pas confiant pour autant et dans les sombres couloirs de ces sous-sols aux mille et un secrets, il gardait une posture peu confiante, curieusement défensive. Alexander ne menaçait plus d’enfermer qui que ce soit – ou quoi que ce soit – et sa canne baguette ne semblait pas prête à s’élever pour frapper ou lancer un sort. Ce qui inquiétait plus Dmitri n’était alors pas réellement son aïeul, qui lui avait passé bien des bêtises et d’ores et déjà annoncé sa sentence, mais le tableau qu’il avait délivré et qui courait quelques parts dans le manoir. Ou à Poudlard, comme il l’avait sous-entendu. Sans savoir qui se tapissait dans l’ombre des peintures, il avait au moins conscience de sa dangerosité. Ou tout du moins de celle qu’il avait imaginée, construite par l’esprit paniqué dans d’un enfant dans l’obscurité.

Ne pas savoir était la pire des choses : son imagination était libre d’imbriquer le moindre détail dans une construction obscure et cauchemardesque et la réponse sibylline du maître des lieux ne l’aidait en rien à mettre un peu de rationalité dans ce tableau qu’il se peignait mentalement. Celui qu’il avait libéré prenait désormais des formes sinistres, inquiétantes, qui occuperaient sans nul doute ses rêves pendant les nuits à venir.

Pendant que l’aiglon se perdait dans ses élucubrations, son grand-oncle continuait à parler, tout juste écouté. Tobias. Le nom fendit le calme du manoir pour la ramener à l’instant présent. Il l’avait oublié. Pris dans le feu de l’action, dans sa découverte à la fois fébrile et incertaine d’un énième couloir caché du manoir, Dmitri en avait oublié son implication. Seuls les jumeaux avaient été enfermés, jamais le défunt mage noir n’avait foulé le sol peint de cette inhabituelle prison. Machinalement, le garçon ouvrit la bouche, comme pour dire quelque chose, mais n’en eut pas le temps... et n’eut guère la motivation de forcer sa révélation. Ça n’était plus important de toute façon. Et puisqu’il en avait besoin, n’était-ce pas plus sage de garder cette raison de discorde entre l’homme de chair et celui d’huile secrète ? « D’accord... » fit-il en opinant du chef. Il savait garder un secret, plus encore lorsqu’il émanait de l’ordre de son aïeul, déjà bien remonté par ses bêtises.

Le tchèque aurait pu en rester là ; obéissant et rendu un brin apathique par la tournure des évènements, mais c’était sans compter la dernière phrase de son tuteur, surprenante. Il avait toujours perçu l’apprentissage de la peinture vivante comme d’une grâce que lui faisait l’homme, non une récompense qu’il avait méritée mais une carotte qui lui rappelait de temps à autre ce que dépasser la ligne – ce qu’il avait manifestement fait ce soir – lui retirerait. Pour la première fois depuis l’arrivée du vieil homme dans le manoir, il osa réellement le regarder, plongeant ses iris dans les yeux froids du plus âgé. « C’est vrai ? » Il peinait à gommer l’excitation dans sa voix, quand bien même il avait parfaitement conscience qu’elle était malvenue et sûrement un peu insolente. Après pareille bêtise et alors que le professeur de potions semblait sincèrement préoccupé par la situation, lui avait presque l’impression de se voir offrir un cadeau. Tout de même, il parvint un peu à museler cette joie soudaine et calmer ce saut d’humeur enfantin pour asséner avec candeur : « Je travaillerai dur, promis ! » C’était au moins une promesse qu’il pouvait se permettre de faire sans craindre de la rompre : même lui avait conscience qu’asséner avec certitude que plus jamais il ne serait la source d’ennuis était beaucoup trop hasardeux. Alors que s’agissant d’apprendre la peinture et de créer des mouchards, ça il pouvait ! Il voulait bien accorder tout son temps à cette tâche s’il le fallait.

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