— Alors que la plupart des élèves découvraient encore la surveillance accrue des tableaux, Dmitri la vivait depuis peu ou prou un an. Il s’était habitué à sentir le regard insistant des peintures envoyées par son aïeul, qui le pistaient d’un bout à l’autre du château avec plus ou moins de discrétion et se débrouillait même assez bien pour les éviter, quand il le fallait. Ou plutôt, c’était le cas jusqu’à ce que son grand-oncle, avec la complicité de son ami directeur de l’école, ne remplace plusieurs des traditionnelles peintures du château par celle du manoir van Aken. Les espions du maître des potions ne se contentaient plus de passer de cadre en cadre à la poursuite de ceux qu’il surveillait – l’aiglon se doutait bien qu’il n’était pas le seul à faire l’objet d’une telle surveillance – ils vivaient directement partout dans l’école, et étaient également plus nombreux. Dès lors, éviter les regards indiscrets d’un van Aken mort depuis plusieurs décennies devenait plus complexe et il devait avoir recours à quelques fourberies pour parvenir à ses fins. Et pour l’heure, il était primordial pour lui de ne pas se faire remarquer : il ne lui en restait plus qu’une. Une seule avant de pouvoir retourner innocemment dans son dortoir et attendre qu’on découvre ses petites surprises.

Le faire en plein jour pouvait paraître surprenant, inconscient même, mais il était en réalité bien plus discret la journée qu’une fois le couvre-feu tombé. Un élève en dehors de son dortoir, la nuit, c’était beaucoup trop visible : impossible de tromper la vigilance des tableaux, dans de telles conditions. Alors que l’après-midi, il y avait tant à surveiller que ceux-ci ne pouvaient avoir les yeux partout. Et quand bien même un sbire de peinture avait pour tâche spécifique de le suivre, avec un peu de débrouillardise, il pouvait se fondre dans la masse suffisamment longtemps pour placarder ses affaires sans se faire voir.

Ainsi agissait-il, commençant par laisser la traditionnelle caricature signée au professeur Kendrick, qui par un hasard du destin s’était retrouvée à être le fruit de ses taquineries, première cible puis témoin privilégié. Puis il parcourait le reste du château, laissant de ci de là des exemples de son affiche sur les murs de l’école. Une pas loin de la salle commune de gryffondor – il ne faudrait pas que Finnbjörn la loupe – puis une à proximité de celle de poufsouffle – cadeau Erin – et ainsi de suite. Il descendait d’étage en étage, semant son dessin du directeur derrière lui. Il ne restait plus que celle à destination dudit modèle. L’enfant tourna à l’angle d’un couloir, profitant d’un groupe d’élèves qui le dépassaient de deux bonnes têtes pour aller jusqu’à la statue qui barrait l’entrée du bureau de Kaspaer Sørensen sans être vu par le moindre tableau. Une fois seul, il colla placarda son parchemin et décampa aussi vite, remontant vers son dortoir nonobstant les capricieux escaliers qui le forcèrent à faire un détour par le deuxième étage. Tant pis, il voyait déjà une rampe se déplacer un peu plus loin, faisant la passerelle jusqu’au troisième. Il longea le corridor d’un pas pressé pour ne pas louper le bon escalier, bifurqua sur la gauche et percuta de plein fouet une autre personne qui allait en sens inverse, la lanière de son sac négligemment posé sur son épaule glissant au sol. « Attention ! » s’exclama-t-il énervé. Il avait quelques croquis de son dessin à l’intérieur, autant de preuves de son forfait qu’il ne voulait pas risquer d’éparpiller aux yeux d’un élève trop curieux. Le tchèque fit mine de se baisser pour ramasser son cabas – et y refourrer rapidement les feuilles qui menaçaient d’en sortir – lorsque la voix de l’impromptu le fit se figer. Un accent pareil... ça n’était pas un élève. Thorstein. Il se redressa, délaissant ses affaires pour affronter du regard l’adulte.

Un tic nerveux souleva la lèvre du garçon qui appréciait peu de se faire insulter de la sorte par une enseignante. La référence était limpide, la remarque presque de bonne guerre lorsqu’on repensait à leur altercation en Norvège, mais ça ne la rendait pas pour autant plus agréable. « C’est ce que je fais » souffla-t-il d’un ton irrité. « C’est vous qui m’avez foncé dedans. » Mauvaise foi quand tu nous tiens. Si auparavant, il n’avait jamais rien eu contre le professeur Thorstein – elle n’était après tout rien de plus qu’une version féminine de son père, quoique dotée de bien moins de finesse que ce dernier – il nourrissait une certaine animosité à son égard depuis la conférence sur le secret magique. Une rancune bien pratique qui lui évitait d’avoir à admettre qu’il l’avait bien mérité. Les sanctions n’avaient toujours eu que peu d’effets sur lui ; tout au plus s’assagissait-il au début, faisant jouer les apparences pour que les adultes baissent la garde. Mais à l’instar de son géniteur, la suédoise ne semblait guère s’être laissé berner par l’apparente docilité qu’il avait affiché après la révolution masquée et il avait fini par abandonner les faux-semblants avec elle.

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— De toute les rencontres qu’il pouvait faire en pareil moment, celle-ci était sans doute la pire. Quoique, elle se disputait la place avec un tête à tête avec Kaspaer Sørensen qui, compte tenu du contexte, aurait sûrement été très gênant. Elle venait donc en deuxième position.

Thorstein le toisait de son regard froid et argentin, énonçant des sanctions aussi injustes qu’elles le laissaient de marbre. Il se moquait bien de la course aux points et ça n’était de toute manière pas la première fois qu’il plombait un peu les efforts de ses camarades. Ses réussites scolaires assez notables lui permettaient de donner le change et le premier qui viendrait critiquer la baisse dans le sablier n’aurait droit qu’à son mépris. Globalement, serdaigle comptait un certain nombre d’élèves qui n’accordaient pas beaucoup d’intérêt à la coupe des quatre maisons ; Blaze serait sûrement fâché s’il apprenait que Dmitri s’était vu retirer des points, mais Mary n’oserait pas lui faire la moindre remarque... ses autres camarades n’étaient pas préfets, alors leurs avis étaient aussi impactant que l’autorité du professeur O’Neill, en son temps.

En revanche, l’injustice du procédé avait pour don de l’irriter. Des coups de son père aux week-ends entiers de retenue, l’année dernière, il avait mérité toutes ces sanctions... mais le professeur de défense contre les forces du mal prenait un malin plaisir à s’acharner sur lui alors que son seul méfait était de l’avoir croisé dans un couloir. Et d’avoir placardé quelques affiches un peu insultantes sur le directeur, mais ça, elle ne le savait heureusement pas. « Je ne courrais pas dans le couloir » siffla-t-il d’un ton irrité. À la rigueur, il voulait bien admettre l’impertinence.

Ignorant ostensiblement l’adulte, il se baissa à nouveau pour ramener tous ses croquis dans son sac ; il était peut-être revêche, mais pas encore au point de lui donner une occasion en or pour lui attirer des ennuis avec Sørensen, et son grand-oncle par la même occasion. Ses doigts caressèrent un instant le bois de sa baguette, alors qu’il fourrait quelques papiers dans sa besace, comme charmé par l’idée de s’en servir... mais il avait déjà trop donné en la matière, et Thorstein n’était pas Hatwell. Être enfermé à nouveau quelque part était bien la dernière chose qu’il souhaitait. Lorsqu’il se redressa, l’anse de son sac à nouveau callée sur son épaule, il lui rendit son regard glacial aux notes azuréennes, une lueur de défi et de colère brillant au fond de ses iris. « Je n’ai rien fait, c’est injuste de m’enlever des points pour ça. » Non pas qu’il craigne de constater que par sa faute, les serdaigles allaient perdre leur première place – ils avaient suffisamment d’avance de toute manière – mais il n’escomptait pas lui laisser le dernier mot, encore moins alors que pour une fois, il était en tout point innocent ! « D’ailleurs, je suis presque sûr qu’il n’est pas interdit de courir dans les couloirs. » Pur esprit de contradiction. Si une telle chose était prohibée, la ponctualité en cours en prendrait sûrement un gros coup ; il en comptait plus les élèves qui gambadaient d’un bout à l’autre du château en espérant ne pas arriver en retard, parce qu’un petit malin avait trouvé drôle de dispatcher toutes les salles à des étages différents plutôt que de tout mettre au même endroit. Ils avaient pourtant bien assez de place pour aligner toutes les salles dans le même couloir et simplifier ainsi la vie des élèves... mais non, l’on préférait un grand bâtiment aux innombrables pièces vides, entrecoupées de temps à autre par l’une d’elles, occupée pour un cours. À cet égard, il fallait reconnaître que Durmstrang était mieux pensé.

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