Under the spotlight

La malheureuse rencontre que Hayden avait faite avec la véritable Haley au coeur d’Oslo durant l’été lui avait fait passer l’envie d’emprunter ses traits dès les premiers jours de Septembre… Pour autant, il était bien conscient qu’il devait développer ses aptitudes en métamorphomagie, comme le professeur Tyrell l’avait incité à le faire dans ses lettres. Ainsi, il avait attendu un après-midi où le château était presque désert : tout le monde s’était réfugié à Pré-au-Lard, pour le premier week-end à l’extérieur de l’année. Arpentant les couloirs seul, il avait gagné le balcon du monde… Et avant d’entrer, il imagina aussitôt un décor qui lui était cher ; ses doigts poussèrent la poignée de la porte, et il découvrit avec enthousiasme le vieux théâtre de Melrose, où ses parents l’emmenaient quand il était plus jeune… avant qu’ils ne se séparent. Chaque détail avait été recréé… Les vieux rideaux rouges, le plafond orné de dorures auquel étaient accrochés plusieurs grands lustres. La salle n’était pas aussi impressionnante que celles que l’on pouvait retrouver à Londres, mais Hayden ressentit une bouffée de nostalgie en traversant les rangées de sièges.

Une fois le décor construit, il gagna les loges, aux abords de la scène. Il se souvenait de sa dernière conversation avec Blaze, au cours de laquelle ce dernier avait formulé son souhait de le voir emprunter l’apparence d’un adulte… L’occasion était plutôt bonne pour s’y essayer. Camouflé par un épais rideau noir, il se concentra, du mieux qu’il le put, et recréa dans son esprit l’image du concierge. La silhouette du quadragénaire lui apparut clairement, des pieds à la tête, dans son imposante stature… Il prit le temps de songer à tous les éléments qui le caractérisaient, à l’expression de son visage, jusqu’à la longueur de sa barbe. Puis il ferma les paupières, focalisé sur la forme corporelle qu’il cherchait à reproduire… Les conditions étaient meilleures que dans ce couloir à Durmstrang, lorsque Blaze lui avait demandé de revêtir les traits de Mr. Armitage ; il se sentait moins nerveux, plus confiant en ses capacités… Il sentit ses muscles se tendre, puis se raidir jusqu’à entendre le craquement sonore de ses os. Sa colonne vertébrale sembla se distordre, et il laissa échapper un gémissement de douleur ; il avait beau être habitué aux transformations physiques qu’il opérait sur lui-même, c’était la première fois qu’il tentait d’emprunter les traits d’un adulte… Et son corps le ressentait. Ses jambes poussèrent subitement, lui donnant l’étrange impression de se surélever… Il sentit la peau qui recouvrait ses joues s’étirer, lui arrachant une grimace. Même ses mains s’agrandirent ! Une fois que son plexus eu fini de se former, il rouvrit les yeux, tâtonna, portant ses mains à sa nuque et à son visage. Rien ne lui permettait d’observer son reflet, mais les sourcils épais et le grain de peau que ses doigts rencontrèrent lui confirmèrent qu’il avait bel et bien changé d’apparence ; ainsi, il avait revêtu les traits de @Fergal Armitage.

Après quelques instants d’hésitation, et la certitude qu’il ne serait pas dérangé pendant qu’il s’exerçait, il osa finalement s’extirper des rideaux noirs aux abords de la scène, et s’avança sur les planches, éclairées par les projecteurs. Timidement, il fit face à ces immenses rangées de sièges vides, qui apparaissaient devant lui… Il s’était dit en venant que se retrouver seul lui permettrait de s’exprimer plus librement, sans la contrainte de devoir échapper aux suspicions de ses interlocuteurs. Il pointa le doigt au hasard devant lui, comme s’il s’adressait véritablement à un élève… « Vous là-bas. C’est une heure de colle ! » imita-t-il, tentant d’ajuster sa voix pour mimer au mieux celle du concierge, à l’adresse d’un public invisible. Il se sentit subitement auréolé d’une sorte de poussée d’adrénaline… Ce n’était pas la même sensation que lorsqu’il prenait l’apparence de Haley ; il ne renouait pas cette partie de lui-même qui lui était si chère. Pourtant, il y avait quelque chose de plutôt amusant, dans cet exercice. Et alors que ses pas faisaient craquer les planches de la scène, il se stoppa net dans son élan, et déglutit silencieusement. Il n’était pas aussi seul qu’il l’avait imaginé : quelqu’un venait manifestement de pénétrer l’enceinte du théâtre, et l’observait bel et bien depuis l’entrée…

Apparence de Hayden:

Under the spotlight

Avec l’obscurité régnante, la faible lumière renvoyée par les projecteurs qui éclairait mal les rangées de sièges, Hayden n’avait pas reconnu l’élève qui s’était avancée dans la salle. Et quelle ne fut pas sa mauvaise surprise en découvrant qu’il s’agissait de Rosalie… La Gryffondor avait décidément le chic pour débarquer à chaque fois qu’il était dans une situation où il valait justement mieux qu’il ne la croise pas. Et il se rendit compte, un peu trop tard, qu’il venait de lui distribuer une punition hasardeuse, en tendant son bras dans sa direction… « Ah… euh, non, non, j’avais mal vu, excuse-moi. » se justifia-t-il maladroitement, en abaissant sa main mollement. Ça, c’était malin. Et maintenant qu’il se retrouvait à faire face à sa belle-soeur, à nouveau alors qu’il se trouvait dans un corps qui n’était pas le sien, il était dans de beaux draps… La dernière fois qu’il s’était fait passer pour Haley, il avait eu ce drôle de sentiment : comme si elle était proche de découvrir la vérité… Or, avec Blaze qui connaissait déjà le pot-aux-roses, il devait tout faire pour que cela n’arrive pas. Si la supercherie était dévoilée et que la préfète de Poufsouffle en prenait connaissance, il n’oserait plus jamais sortir de son dortoir, même dans son corps à lui. Le réel problème qui se posait à lui, maintenant, c’était que Rosalie avait l’air de bien connaître Mr. Armitage puisqu’elle s’adressait à lui avec une étonnante familiarité… Il n’eut pas le temps de se questionner davantage à ce sujet ; s’il mettait trop de temps à répondre ou qu’il avait l’air bizarre, cela l’alerterait. « Oui, mes vacances étaient très bien. Et les tiennes ? Bien aussi, j’espère. » se contenta-t-il de répondre, tentant de copier le timbre de voix de Mr. Armitage, espérant qu’elle se satisferait du peu de détails qu’il avait envie de lui fournir. Il ignorait tout des rapports qu’elle entretenait avec le concierge, et s’il s’aventurait à mentir, elle pourrait bien remarquer rapidement que quelque chose n’allait pas… Il était coincé. Dans cette pièce qu’il avait recréée de toutes parts, représentant le plus fidèlement le théâtre de Melrose, elle risquait bien de le démasquer grâce à de simples questions personnelles, qu’il se devait d’esquiver s’il désirait faire illusion encore un peu… Ce ne serait pas chose simple avec Rosalie : la préfète des Gryffondors était bavarde comme une pie, et avait manifestement l’intention de prolonger la conversation. « Les Croâsseurs ? » répéta-t-il sans comprendre avant de se frapper le front du dos de la main, comme si ce détail venait de lui revenir. « Ah oui, oui, les Croâsseurs, c’est vrai. Ça t’a bien aidée ? » l’interrogea-t-il, en se disant que de cette manière, il obtiendrait peut-être un éclaircissement. Il ne voyait même pas de quoi elle pouvait bien parler… mais si ça se trouvait, elle disposait peut-être d’un renseignement qu’il n’avait pas concernant le journal anonyme qu’ils recevaient presque tous les mois, manifestement rédigé par un élève. Peut-être même… qu’elle connaissait son auteur !

Ce nouveau rôle n’était pas facile à endosser, mais lorsqu’il y réfléchissait bien, c’était plutôt commode pour mener l’enquête. Seulement, Rosalie ne semblait pas vouloir s’arrêter là… Elle revint à la charge avec une nouvelle question, insistant sur le fait qu’il s’agissait d’un secret hautement confidentiel. Les yeux de Hayden s’arrondirent… elle et le concierge étaient-ils proches à ce point, pour partager ce genre de confidences… ? Il n’était pas sûr d’être bien à l’aise avec le fait qu’elle lui révèle des choses personnelles sur son compte… Ça restait Rosalie, après tout. Mais ce serait également bizarre qu’il refuse… C’était à croire que le destin s’efforçait de tout mettre en oeuvre pour le ramener à chaque fois sur la route de sa belle-soeur. « Oui, évidemment. Après tout, c’est mon rôle… d’aider les gens. » bafouilla-t-il avec l’impression tenace d’être un parfait idiot. Bon sang, elle le prenait complètement dépourvu… Il avait simplement l’intention de s’exercer un peu, et voilà que parce qu’elle venait fourrer son nez n’importe où, il devait littéralement se faire passer pour le concierge… ! Il ne le connaissait pas personnellement, et n’avait pas suffisamment côtoyé Monsieur Armitage pour se familiariser avec ses manières, sa gestuelle, sa façon de parler… Lorsqu’il empruntait les traits de Haley, il parvenait d’ordinaire à l’imiter en se basant sur ce qu’il savait d’elle, après une observation prolongée de sa camarade. Mais cette fois, le défi était bien plus corsé ; il allait devoir faire illusion auprès de sa belle-soeur, une nouvelle fois. Ce qui s’annonçait particulièrement compliqué étant donné qu’elle était déjà en train de le questionner sur les raisons de sa présence… Son regard balaya les alentours, le long de la scène, jusqu’aux premiers sièges dans le public, et il dut se résoudre à improviser mentalement une explication. « Hum… c’est un secret. Tu promets de ne rien dire à personne si je t’en parle, hein… ? » demanda-t-il à la préfète, cherchant à sonder son expression faciale. En ce qui le concernait, Rosalie était très certainement l’une des dernières personnes à qui il pourrait bien faire confiance. Mais puisque cet après-midi il n’était pas lui-même, mais bien monsieur Armitage, alors cela changeait la donne… Il allait devoir redoubler d’inventivité et se dépasser en terme de capacité d’adaptation, mais les planches de ce théâtre pourraient bien l’aider à se sortir de cette situation surréaliste.

Apparence de Hayden:

Under the spotlight

Et sous le feu des projecteurs, devant un public invisible composé de dizaines de rangées de sièges vides, il avait fallu que ce soit Rosalie qui se retrouve face à lui, pour retourner la situation et l’interroger comme un enfant pris en faute. Hayden se laissa décontenancer par cette approche de la Gryffondor, et se retrouva, en moins d’une minute, comme un animal pris au piège… Et au beau milieu de l’estrade, tandis qu’il apprenait à s’approprier les traits d’un adulte, il se retrouva soudainement gagné par la timidité d’un enfant, imitant maladroitement la voix de celui qu'il copiait. « Oui, tout à fait, la lumière… ! » Il espérait simplement gagner du temps en attendant de trouver un moyen de se débarrasser d’elle… Sa présence ici ne l’aidait pas, c’était une certitude. Mais les yeux de Hayden – ou plutôt, ceux du concierge qu’il avait emprunté à son insu – s’agrandirent quand elle commença à parler de son père. En soi les informations qu’elle lui communiquait n’étaient pas spécialement intimes, mais elle semblait habituée à discuter de tout et de rien avec le concierge, ce qui en revanche était plutôt atypique. Il y avait quelque chose de dérangeant dans cette étrange proximité qui semblait les unir, et le jeune Serdaigle ne put s’empêcher de se dire qu’il y avait quelque chose de malsain là-dedans… Et il se mit tout à coup à détester cette position dans laquelle il se retrouvait. Les confidences auxquelles se livrait Rosalie, comme s’ils étaient bons amis, le rendaient quelque peu soucieux. Que Mr. Armitage et elle causent de leurs familles, de leurs vacances ou bien du Petit Croâsseur suffisait à l’interpeler : cela ne se faisait pas, d’ordinaire. Malgré tout, la crainte d’être découvert dans ce corps qui n’était pas le sien l’emporta, et il se mit alors en tête de ne pas se laisser déstabiliser : si ce théâtre, décor atypique au sein duquel ils se trouvaient tous deux, n’existait pas réellement, en revanche la scène qui se jouait entre eux était bien réelle… « Ah… et il y a des potentiels suspects, dans votre liste ? » ne put-il s’empêcher de demander, avant de se dire que c’était peut-être un peu déplacé. Après tout, il incarnait le concierge, et était bien loin d’imaginer que les adultes nourrissaient ce genre de préoccupations… Mais après tout, c’était elle qui était venue lui en parler spontanément. C’était d’autant plus curieux, jamais il ne songerait à aller raconter ce genre de choses à un membre du corps professoral, ou du personnel… Mais cela ne gênait pas Rosalie, qui lui faisait part de ses soupçons. « A Durmstrang… ? » demanda-t-il en arquant un sourcil, tandis qu’un léger pli se formait sur son front. Comment pouvait-elle avoir connaissance de ce genre de choses… ?

Et puis, qui était englobé dans ce mystérieux "on" ? L’idée que Haley puisse en faire partie lui traversa l’esprit brièvement, avant qu’il ne la chasse. Ce n’était pas impossible, elles étaient très amies, toutes les deux… « Tu es certaine que l’auteur faisait partie du voyage ? » Pour sa part, il n’avait aucune idée de qui cela pouvait bien être. Un temps, il avait imaginé que Carter, Avery, ou un membre de leur clique pourrait bien être derrière ce mystérieux journal… mais après réflexion, il s’était dit que ces derniers étaient plus impliqués dans l’organisation de leurs soirées chaotiques que dans un quelconque exercice journalistique. Finalement, il avait cessé de se poser la question, et ne se contentait désormais plus que de lire les exemplaires du journal qui lui passaient sous la main… En revanche, lorsqu’il y songeait, il trouvait d’autant plus étrange que sa demi-sœur à Gryffondor se sente légitime à réclamer au concierge la liste des élèves participant à un événement. Sérieusement… il y avait quelque chose qui n’était pas net, dans cette histoire. Il ne connaissait pas la nature exacte de la relation qui les unissait, mais il était en revanche presque certain qu’il n’était pas habituel de réclamer ce genre de chose à un membre du personnel. « Tu sais, Rosalie, je ne suis pas sûr que je puisse vous confier ça… Imagine si ça remontait aux oreilles de la direction, on pourrait avoir des problèmes. Tu y as pensé ? » répondit-il avec une légère moue, un peu mal à son aise. Il savait d’expérience que généralement, sa demi-soeur était assez douée pour obtenir ce qu’elle voulait… Mais si elle était sous l’influence d’un adulte ou que ce dernier la manipulait en l’échange de diverses faveurs, cela sous-entendait un certain nombre de problèmes auxquels il n’était pas encore prêt à se confronter. Mr. Armitage avait l’air plutôt gentil d’ordinaire, mais si cette façade dissimulait un tout autre jeu, alors il faudrait que quelqu’un en parle à la direction…

Il eut cette étrange pensée, en la dévisageant : alors que pourtant il vivait sous le même toit que Rosalie durant les vacances d’été et de Noël, il se fit la réflexion qu’il n’avait certainement jamais autant discuté avec elle que lorsqu’il empruntait une autre identité que la sienne. Elle lui avait même paru touchante lorsqu’il avait passé du temps sous les traits de Haley, et maintenant qu’il s’adressait à elle en tant que Mr. Armitage, il se surprenait à la trouver sympathique. Mais force était de constater qu’ils étaient encore deux inconnus, pour l’un et pour l’autre… Pour en arriver à ce triste constat, cela voulait sans doute dire qu’ils étaient peut-être définitivement incompatibles, comme si tout effort pour mettre fin aux tensions qui existaient entre eux était forcément vain. Sans doute étaient-ils trop différents, à moins que l’existence de la relation entre leurs deux pères n’ait enterré pour de bon tout espoir de réconciliation entre eux… Pourtant, elle ne lui était pas hostile, et cette froideur polaire n’était que le fruit de deux ans à subir une situation familiale particulière, mais il ne semblait exister aucun de remède à cela. Peut-être était-ce là le seul moyen de franchir ce fossé entre eux ; cesser d’être lui-même. Et tandis qu’il lui faisait face, dans ce corps trop grand dérobé au concierge, sur l’estrade d’une scène reproduite à l’identique empruntée au théâtre de Melrose, il se mit aussitôt en quête d’un mensonge crédible pour justifier sa présence : « Je… m’entraîne pour une pièce. Je fais du théâtre, c’est une passion depuis toujours. Alors… j’ai décidé de profiter d’un moment de tranquillité pour répéter. » déclara-t-il avec un petit sourire gêné, comme s’il ne dissimulait qu’un plaisir coupable et que c’était la seule raison qui le poussait à s’isoler en plein après-midi. Quelque part, c’était pourtant un peu vrai, quand il y pensait… « Mais ça reste entre toi et moi, je compte sur toi ! » s’empressa-t-il d’ajouter avant de déposer son index devant ses lèvres, préférant s’assurer son silence. Les rumeurs naissaient de peu de choses, à Poudlard, et il était bien loin d’avoir envie que cette information arrive aux oreilles de Mr. Armitage, qui ne comprendrait même pas cette histoire de théâtre. Or, avec Haley qui se posait déjà des questions, il n’avait pas besoin qu’une deuxième personne au sein de l’établissement se demande s’il était possible de se trouver à deux endroits à la fois… « Et toi, tu n’es pas à Pré-au-Lard avec les autres ? » Non, évidemment. Rosalie n’était jamais là où on l’attendait, il en savait quelque chose. Et il n’y avait pas de raison pour qu’elle soit la seule à l’assaillir de question, c’était lui l’adulte ici après tout… Pour autant, il était curieux de savoir ce qu’elle faisait là, sans ses deux meilleurs amis collés aux basques. Une de préfète ? Ce serait étonnant, à cette heure…

Apparence de Hayden:

Under the spotlight

S'il s'était imaginé un instant qu'en venant exercer ses facultés sur cette estrade, dans ce théâtre composé de toutes pièces par son imagination, il se retrouverait quelques minutes plus tard tous projecteurs braqués sur lui, à se questionner sur l'auteur de ce journal satirique avec Rosalie, sous la forme de Fergal Armitage... Ce corps d'adulte trop grand lui était inconfortable, mais pourtant, à mesure qu'il passait du temps à l'incarner, il parvenait à s'y adapter davantage. Ainsi donc, les douleurs musculaires qui lui avaient parcouru le dos lors de sa transformation commençaient tout juste à s'estomper... « Je vois… Et il y a des gens que tu connais bien parmi tes camarades qui collent à cette description ? Ou qui te viennent à l’esprit ? » demanda-t-il, comme s'il réfléchissait aussi. Il y avait bien Blaze ou Daisy, parmi ses camarades, qui cherchaient souvent à tout savoir sur tout le monde, mais en dehors de cela, il n'avait rien de concret... Et puis, ce Croâsseur pouvait bien se trouver être quelqu'un qu'ils ne soupçonnaient pas du tout. Hayden se satisfaisait en tout cas que ce dernier soit passé entre les mailles du filet, en ce qui concernait cette histoire d'escargots-chiens au cours de l'été... Mais ça, il ne tenait pas beaucoup à l'ébruiter, et encore moins auprès de Rosalie qui était une vraie pie. « D’ailleurs, pourquoi est-ce que ça t’intéresse autant, cette histoire de Croâsseur ? » Il comprenait volontiers que cette question puisse fasciner, susciter la curiosité des uns et des autres, pourquoi pas donner lieu à des enquêtes... Mais de là à solliciter les services du concierge pour cela, n'était-ce pas légèrement exagéré ?

Mais Rosalie ne comptait pas lâcher l'affaire, à propos de cette liste. Elle insista l'air de rien, avec un ton mielleux, multipliant les arguments qui pourraient jouer en sa faveur... De toute façon, Hayden était coincé ; il ne possédait pas ce document, et n'avait donc pas le choix, il ne pouvait le lui promettre. « Oui évidemment, mais tu sais ce que c’est, c’est un document officiel… ça ne se transmet pas comme ça. » se justifia-t-il laborieusement, un peu gêné. Bon sang, le véritable concierge aurait-il pu transmettre cette fameuse liste... ? Décidément, il y avait quelque chose qui le dérangeait, dans cette relation qui les unissait. Après tout, Armitage était un adulte, et Rosalie pouvait se montrer... si ingénue, si naïve... ! Une partie de lui se sentit profondément irritée que quelqu'un de plus âgé puisse en profiter. Certes, il n'était pas spécialement en position de juger de quoi de que ce soit... Mais, ça restait une jeune fille de quinze ans, bordel ! « Nos secrets… ? » répéta-t-il, le teint livide, comme s'il avait mal entendu, comme si les rires du public allaient bientôt s'élever des sièges pour le lui confirmer. Mais non, elle semblait très sérieuse... « Enfin, Rosalie… il faudrait que tu parles de tout ça avec des gens de ton âge, tu ne préfères pas… ? » lui demanda-t-il, avec un sentiment de malaise perceptible. Putain, comment avait-il pu ne jamais se rendre compte qu'il y avait quelque chose de louche, avec ce concierge... ? Il espérait sincèrement se tromper, et réaliser qu'il s'imaginait un scénario sans queue ni tête à leur propos, mais cette familiarité ne lui plaisait franchement pas.

Et tandis qu'elle racontait les petites aventures qu'elle et Hilary mettaient en scène, il se plut à les imaginer déguisées, comme si elles s'apprêtaient à prendre la mer. C'était quelque chose qu'il ignorait encore, sur le compte de sa demi-soeur... Ce n'était pas comme s'il avait franchement cherché à s'y intéresser, ou fourni des efforts pour s'intéresser à elle au cours des derniers mois, mais il s'étonnait de découvrir cet aspect-là. « Oh, c’est adorable. Vous devez être de bonnes amies, toutes les deux. » commenta-t-il avec un léger sourire. En fait, c'était un peu touchant, quelque part... autant cette version enfantine de la jeune fille pouvait franchement l'agacer lorsqu'ils étaient à la maison, autant dans l'enceinte de ce théâtre il se surprenait à la trouver plutôt attachante. Bon, pas au point de vouloir tisser une amitié avec elle, mais à chacune des conversations qu'ils pouvaient avoir lorsqu'il se trouvait hors de son corps, il la trouvait étrangement plus supportable. Avec un peu d'amertume, il se dit que si les circonstances avaient été différentes, si leurs pères respectifs ne s'étaient pas lancés dans cette cohabitation forcée... mais bon, c'était trop tard pour y penser, désormais. Surtout qu'il se retrouvait embourbé dans sa propre histoire de théâtre... Et lorsque Rosalie l'interrogea sur l'identité de la personne qu'il aimait devenir, il eut un ricanement nerveux ; bon sang... si elle savait à qui elle faisait face en ce moment-même, elle ne se risquerait pas à poser la question, et s'enfuirait en courant. « Euh… personne. » répondit-il sur un ton un peu trop abrupt, comme si cette simple interrogation était risible. Cependant, sans même le savoir, elle le mettait à mal...

Il sentit ses joues se colorer légèrement, en se demandant si Rosalie pouvait se douter de quelque chose. Après tout, le lien qu'elle entretenait avec le concierge semblait particulier, et il se doutait que la moindre erreur lui coûterait très cher. Après tout, lorsqu'il avait passé du temps avec elle sous l'apparence de Haley, elle avait donné l'air de suspecter quelque chose... Aussi, il choisit ses mots méticuleusement. « J’ai plutôt un répertoire classique. Tu connais un peu Shakespeare… ? » Il n'avait pas vraiment de difficulté à parler de théâtre, tout simplement parce que c'était un art que lui, le vrai lui, affectionnait beaucoup. À Melrose, lui et sa mère avaient assisté à quelques festivals, avant le divorce... Et les talents qu'il avait eu l'occasion de découvrir sur scène l'avaient intimement marqué. Il ignorait si c'était par simple nécessité de se couvrir qu'il abordait le sujet avec Rosalie, ou tout simplement parce que cela lui plaisait d'en parler... Mais il sentait ses muscles se détendre progressivement, et gagnait en aisance. La jeune fille reprit, évoquant le rythme soutenu de son année scolaire, ses nouvelles responsabilités... Il se demanda un instant si elle n'en faisait pas un peu trop, après tout ils n'avaient pas plus de travail que d'ordinaire en ce moment. « Je vois. » se contenta-t-il de répondre. Quelque part, l'idée de parler de ces choses-là avec elle ne lui était pas si désagréable... après tout, il n'en avait jamais l'occasion d'ordinaire, et comment parce qu'il ne les créait pas. « Alors, ces responsabilités de préfète, tu t’y fais… ? Et comment ça se passe, les cours en ce moment ? Comment se profilent les BUSEs ? » Pour le coup, il était bien curieux de le savoir, et il décida de profiter de se trouver sous l'apparence du concierge pour s'y intéresser... Rosalie, telle qu'il la connaissait, ne semblait que rarement éprouver des difficultés, ce qui avait tendance à l'irriter facilement, avec l'ardeur qu'il mettait à la tache. Il y avait toujours eu de nombreuses différences entre eux, des barrières bien haute... Et pour lui, leur rapport à la scolarité en avait toujours été une.

Apparence de Hayden:

Under the spotlight

Cet intérêt que Rosalie nourrissait pour le Croâsseur était un peu étrange, mais presque amusant. Lorsque Hayden l’écoutait dévoiler ses convictions et sa détermination à le démasquer, avec honnêteté, il eut la drôle d’impression que c’était comme si elle jouait à un jeu, au sein duquel elle s’auto-proclamait enquêtrice, et s’engouffrait sur une piste parsemée d’indices. Quelque part, son engouement était un peu difficile à comprendre, mais la rendait plutôt attachante… D’ordinaire, il éprouvait tant de difficultés à reconnaître la moindre qualité chez elle qu’il avait l’impression de la découvrir avec un regard neuf, comme si depuis le corps adulte de Fergal Armitage, il avait soudainement mûri aussi. Mais sa réflexion s’interrompit aussitôt dès qu’elle évoqua une copine à elle ; bien évidemment, il n’était pas sans savoir que Rosalie était entourée d’amis, elle ne semblait avoir aucune difficulté à s’en faire… Parfois, il se demandait même d’où lui venait ce contact facile, avec les autres : elle semblait tant à son aise, peu importait son interlocuteur, que toute barrière sociale s’effondrait, et elle finissait par bien s’entendre avec la Terre entière. Cet aspect-là d’elle avait toujours étonné Hayden, tout autant qu’il l’avait rendu légèrement envieux… A nouveau, là où il devait redoubler d’efforts et d’ardeur, tout était d’une facilité déconcertante, pour la Gryffondor. Malgré cela, une seule d’entre les amis qu’il lui connaissait lui vint à l’esprit, son visage se matérialisant dans sa tête avec une étrange netteté. « Il a parlé de Haley ? » demanda-t-il, presque par automatisme, sans réfléchir ni réellement tenter de camoufler sa curiosité, avant de se reprendre. « Enfin, oui, je comprends. J’espère que tu trouveras rapidement qui c’est. » Pourtant, étonnamment, il réalisa qu’il souhaitait bien moins connaître l’identité ce fameux corbeau anonyme derrière tous ces journaux, que de savoir si ce dernier s’intéressait ou non à Haley. De toute façon, il se sentait étrangement proche de cet énigmatique Croâsseur… après tout, tous deux avaient pris l’habitude de se cacher aux yeux des autres, que ce soit au sein d’une nouvelle apparence, ou derrière un nom de plume. Pour cette raison, Hayden voulait bien consentir à respecter le secret qui entourait ce mystérieux personnage, et abandonner l’idée de découvrir qui ce dernier pouvait réellement être, même s’il faisait partie de leur entourage. « Oui, je vais y réfléchir, c’est promis. Tu sais que tu es vraiment têtue, hein ? » abdiqua-t-il en soupirant, levant légèrement les yeux au ciel, esquissant ce qui ressemblait à un demi-sourire. C’était une fausse promesse, évidemment : dès lors qu’il aurait franchi les portes de ce théâtre inexistant, façonné par sa propre imagination et le souvenir bancal qu’il avait de l’imposant établissement à Melrose, il cesserait aussitôt d’être Fergal Armitage, et laisserait lâchement le véritable concierge avec cet engagement qu’il n’avait pourtant jamais pris.

Même s’il avait eu un peu de mal au début sur cette scène, pris au piège par Rosalie dans cette apparence qu’il occupait alors, coincé dans ce rôle qu’il devait jouer à la perfection pour ne pas être découvert, ses muscles finissaient par se détendre progressivement au fil des minutes. Il sentait moins de tension dans ses doigts, moins de raideur dans son dos, et le malaise se dissipait peu à peu ; il était toujours un parfait imposteur, mais il parvenait à prendre le dessus sur la peur qui l’habitait, si bien qu’il finissait par s’habituer à son nouveau rôle. La discussion se poursuivait, et s’il éprouvait quelques difficultés à paraître naturel, il parvenait à revanche à copier approximativement les attitudes du concierge… Pourtant, dès lors que le sujet évoqué devenait un peu plus personnel, Hayden avait bien du mal à retenir celui qu’il était de se manifester. Aussi, dès qu’il entendit le nom de Michaela, il se sentit parcouru de tics nerveux… « Ah, c’est sympa, vous devez vraiment bien vous entendre toutes les trois. » Il eut du mal à dissimuler la petite pointe de jalousie, qui se manifestait subtilement à travers un ton légèrement aigre. Non, en vérité, il ne trouvait pas ça particulièrement sympa. Evidemment, il n’avait rien à redire concernant les fréquentations de Michaela, et ne se serait jamais permis de lui faire la moindre réflexion à ce sujet… Mais quelle injustice de devoir partager sa meilleure amie au sein du château, celle à qui il confiait tout, avec qui il partageait son quotidien, ses peurs, ses joies, avec cette demi-soeur invasive qui s’immisçait dans chaque pan de sa vie : la maison, l’école, et maintenant son cercle d’amis… A croire que Rosalie finissait par s’emparer de tout ce qui composait sa vie aujourd’hui, et se l’approprier. Si bien qu’il finissait par croire qu’elle y prenait goût, peut-être même sans le savoir… Il chassa ses pensées désagréables, s’efforçant de se recentrer sur son interlocutrice, afin de ne pas paraître plus étrange qu’il ne l’était. Il était difficile de lire en Rosalie, de savoir si elle se doutait ou non de la supercherie, tant son air et ses mots ne laissaient paraître qu’une joyeuse ingénuité. Feinte ou réelle, son innocence laissait Hayden quelque peu dubitatif, et il n’avait de cesse de scruter chacune de ses expressions, les moindres mouvances de son visage, en discutant théâtre l’air de rien, pour tenter de déceler un indice sur ce qu’elle pensait, en ce moment-même.

Mais ce furent ces paroles qui lui firent soulever un sourcil… Il tenta de ne rien laisser paraître devant l’évident double-sens qui se cachait derrière les mots de la Gryffondor, soulevant quelques questions d’identité sur un ton hasardeux. Ne sachant comment réagir, Hayden, toujours coincé dans ce corps trop grand du concierge, se sentit à nouveau submergé d’un certain malaise… Se pouvait-il, que devant son attitude inhabituelle… elle ait compris quelque chose ? Et qu’elle cherche subtilement à lui faire comprendre qu’elle avait deviné son manège ? Il demeura ainsi quelques secondes, les mains moites, pris au pièges sur cette scène, sous le feu des projecteurs, à se demander ce qu’il pourrait bien répondre pour fuir cette situation délicate. « Oui, enfin… je ne fais pas ça pour devenir quelqu’un d’autre. C’est un jeu un peu dangereux, de finir par oublier qui on est. » finit-il par lâcher, s’efforçant de laisser transparaître une certaine assurance, ses pas faisant grincer les lattes du parquet tant il s’agitait intérieurement. A nouveau, il tenta de sonder son regard, se demandant ce qu’elle pouvait bien avoir deviné, et si ce discours à double interprétation en était réellement un… Après tout, elle pouvait juste ignorer à quel point ses propres mots tombaient juste. Oui, Hayden l’espérait réellement… « Et bien, j’aime bien Hamlet, ou Macbeth. Mais je serais bien curieux d’avoir ton retour dessus, tu me diras si ça te plaît. » répondit-il, tentant de retrouver son sérieux, et le naturel emprunté au concierge, avant de lui retourner la question : « Qu’est-ce que tu lis d’autre, d’habitude ? » Il se fit la réflexion qu’il était drôle qu’il n’en sache toujours rien : après tout, cela faisait plus de deux ans qu’ils vivaient au sein de la même maison, et il ne connaissait pas grand chose aux centres d’intérêt de la jeune fille, notamment parce qu’il avait mis un soin tout particulier à ne pas s’intéresser à elle. Mais, pour une fois qu’il n’était pas lui-même… il pouvait bien faire une nouvelle exception, et ainsi la découvrir sous l’oeil d’un autre. La petite tirade qu’elle débita à propos de ses nouvelles responsabilités, de ses révisions, et de cette masse de travail vertigineuse, l’amusa… Un peu pris au dépourvu par sa question, il y répondit en brodant, s’efforçant de ne pas avoir l’air trop suspect. « Euh, oui… mais ça fait longtemps maintenant, tu sais. Je suis même plus certain de savoir ce qu’on nous demandait à l’époque, ahah… J’aimais bien la métamorphose, en tout cas. » Il était bien loin de connaître suffisamment le concierge pour répondre par autre chose que de simples suppositions… Il fallait espérer qu’il n’avait pas laissé échapper de bêtise à travers son baratin, ou d’indices susceptible de le trahir auprès de Rosalie. Son interlocutrice semblait assaillie de doutes, plus qu’il ne l’aurait cru, en réalité… Elle qui semblait d’ordinaire si sûre d’elle, si peu préoccupée par sa réussite scolaire, si peu inquiète de ses résultats, dévoilait ses interrogations. Hayden, parce qu’il partageait les mêmes, ressentit cette subite envie de lui parler de ses propres peurs quant aux examens, mais se retint finalement, de crainte de se trahir. « Mais accroche-toi. Je sais que ça a l’air dur, et que certains jours on doute de soi, on se demande réellement si on en est capable… mais tu peux le faire, Rosalie. Et à la fin, tu seras fière d’avoir fait tous ces efforts. » l’encouragea-t-il, cherchant un peu ses mots. D’ordinaire, il ne nourrissait pas une grande affection pour la Gryffondor, mais il sentit intimement qu’elle méritait d’être un peu stimulée, peu importait si ses paroles n’avaient pas de réel impact sur elle. Si ça se trouvait, venant de la bouche d'un adulte, ces inepties pourraient bien trouver un sens...

Apparence de Hayden:

Under the spotlight

Hayden ne sut exactement pourquoi il se sentit rassuré qu’il ne s’agissait pas de Haley. Ses sentiments étaient étrangement contradictoires, la concernant… Il ne la connaissait pas suffisamment pour pouvoir éprouver pour elle la moindre forme d’affection, et cette distance qui les séparait la rendait à ses yeux étrangement énigmatique, même lorsqu’il prenait son apparence. Parfois, elle était tellement austère que cela la rendait plutôt intimidante… Mais pour autant, dès lors qu’il avait posé ses yeux sur elle en première année, était née cette fascination indescriptible : ce qu’elle dégageait la rendait parfaitement singulière, comme s’il n’y avait qu’elle lorsqu’elle se trouvait dans une pièce. Alors évidemment, quand Hayden avait commencé à se métamorphoser en elle, il en avait tiré cette évidente conclusion : plus loin elle serait de lui, mieux ce serait. Il ne pouvait, après tout, pas prendre le risque de mettre en danger son secret… Mais s’il y avait bien quelqu’un qui pouvait flairer le pot aux roses, c’était bien Rosalie ; son agaçante belle-sœur n’était autre que la meilleure amie de la Poufsouffle, et se retrouvait bien trop souvent sur son chemin, lorsqu’il se transformait, ce qui le contraignait à faire des pieds et des mains pour contourner ses interrogations. Il avait un objectif en tête, chaque jour en se levant : faire en sorte de quitter Poudlard sans que personne ne comprenne qu’il revêtait de temps à autre une apparence féminine, empruntée à l’une de ses camarades à son insu… Et il ne pouvait laisser la Gryffondor et sa curiosité insatiable se mettre en travers de ce plan, quand bien même il avait parfois tendance à la trouver étrangement attachante lorsqu’il n’était pas sous sa forme réelle. Cependant, jouer le rôle du concierge avec elle s’avérait particulièrement ardu et risqué : il n’avait jamais imaginé qu’elle puisse connaître aussi bien Mr. Armitage, et éprouvait une réelle sensation de malaise en songeant qu’ils puissent partager tous deux une réelle proximité. Après tout, c’était un adulte, qui de surcroît était responsable d’eux… et devenir l’ami ou le confident d’une élève, c’était bizarre, ça ne se faisait pas. Or, si Rosalie s’était permis de lui quémander cette fameuse liste, c’était bien qu’elle avait imaginé qu’il puisse répondre par l’affirmative, ce qui était plutôt déroutant pour lui… Qu’est-ce que leurs pères penseraient de tout cela ? Evidemment, sa position ne lui permettait pas de les mettre au courant, mais évidemment, il y songeait.

A force de divagations, le Serdaigle commençait à se retrouver dans un sacré bourbier : les questions de Rosalie devenaient de plus en plus compliquées à esquiver, et puisqu’il ne connaissait pas spécialement bien le concierge, il en venait à inventer des réponses saugrenues sur les passions du concierge. Est-ce que ce dernier aimait réellement le théâtre… ? Il n’en avait pas la moindre idée ; avec un peu de chance, oui… ? C’était tout ce qu’il pouvait espérer pour ne pas avoir à se retrouver une énième fois dans une situation inconfortable. Se retrouver avec la véritable Haley à ses trousses lui avait largement suffi en Norvège, et au vu de l’énergie que mettait Rosalie à investiguer pour découvrir la véritable identité du Croâsseur, il était bien loin d’avoir envie qu’elle ne se mette à enquêter sur lui… Et surtout, ce sous-entendu sur le fait d’incarner un rôle, de se faire passer pour quelqu’un d’autre, l’avait mis étrangement mal à l’aise. Il se sentit presque rassuré qu’elle revienne à ces histoires fantastiques, qu’elle inventait avec Hilary. Si ses rapports avec Rosalie n’étaient pas aussi délicats et compliqués… il aurait presque trouvé cela amusant. Ce côté enfantin, qu’il trouvait passablement énervant lorsqu’il cohabitait avec elle chez leurs parents, était plutôt mignon en fin de compte… Mais il se connaissait suffisamment pour savoir que cet attendrissement était éphémère, et que dès lors qu’ils auraient quitté cette salle, il oublierait bien rapidement qu’elle ne lui avait pas inspiré autant d’antipathie que d’ordinaire. La simple évocation de Michaela lui donna envie de lever les yeux au ciel, et pourtant, il se trouva bien idiot : c’était une réaction enfantine, il se sentait comme un gamin jaloux qui ne supportait pas que son amie puisse vouloir jouer avec d’autres enfants… Mais c’était pourtant ce qu’il ressentait, lorsque Rosalie lui rappelait sans cesse leur grande proximité. « Ah je vois, c’est génial de pouvoir se sentir suffisamment en confiance avec quelqu’un pour faire ce genre de trucs. » mentit-il sans grand enthousiasme. Des points communs… comme si elles en avaient. Michaela n’avait rien à voir avec Rosalie, elles étaient diamétralement opposées sur presque tous les plans ! Finalement, le changement de sujet lui sembla préférable ; il n’était pas certain d’avoir envie de s’étendre là-dessus, et il ne craignait que trop de se trahir en laissant ses sentiments se manifester.

Curieusement, il lui semblait que pour le moment, le déguisement opérait : Rosalie ne semblait pas particulièrement suspicieuse, et il se mit à imaginer qu’il pourrait peut-être bien finir par sortir de cette pièce sans qu’elle ne fasse le lien entre lui et un hypothétique imposteur… Il se sentit alors soulagé, comme s’il pouvait à nouveau respirer normalement depuis qu’il habitait ce corps trop grand pour lui. La constitution de Mr. Armitage était bien différente de la sienne, et il se retrouvait à des difficultés qu’il ne rencontrait pas d’ordinaire, comme ce mal de dos ou cette sensation inhabituelle dans ses articulations. L’expérience était décidément bien différente que lorsqu’il se métamorphosait en Haley… Mais pour autant, il était pressé d’y mettre fin, quand bien même la conversation n’était pas si désagréable. Rosalie se montrait curieuse et intéressée par ses suggestions, ce qui l’étonnait franchement ; d’ordinaire, il aurait été loin d’imaginer qu’ils puissent discuter littérature… Très probablement parce qu’ils ne discutaient jamais, à vrai dire. Et il éprouva une légère amertume en se disant que si d’aventure elle lisait réellement du Hamlet, ils ne pourraient même pas en parler ensemble ; cela reviendrait pour lui à se compromettre, et il souhaitait évidemment éviter ce cas de figure. Il songea, en l’entendant parler cinéma, qu’il n’avait jamais prêté attention à ce qu’elle pouvait regarder à la télé… D’ordinaire, il lui demandait simplement de lui passer la télécommande ou de changer de chaîne, peu désireux d’avoir à partager avec elle davantage qu’un peu d’espace de leur maison. « Oui, je connais bien. Tu m’enverras ta liste de recommandations de films ! » s’enthousiasma-t-il, avant de se rappeler que jamais il ne la recevrait, mais que Mr. Armitage si. C’était une conversation qui n’aurait pas de suite, puisqu’il n’était pas le véritable interlocuteur de Rosalie… C’était le revers de la médaille, lorsque l’on pratiquait la métamorphomagie : cela rendait la plupart des interactions irréelles.

Et lorsqu’elle proposa de retourner étudier pour ses examens, quand bien même cela le libérait de la crainte d’être découvert, il se surprit à éprouver un léger regret : peut-être que s’il avait été lui, et qu’ils n’étaient pas coincés dans cette recomposition familiale étrange, ils auraient un jour pu poursuivre cette discussion. « Oui c’est une bonne idée. » lança-t-il en souriant. Il ignorait si elle comptait réellement s’atteler à la tâche, mais il ne comptait pas laisser passer cette occasion de s’en tirer sans faire naître de nouveaux soupçons. « Donne-toi les moyens d’y arriver, tu seras fière, j’en suis sûr. A plus tard, Rosalie. » ajouta-t-il à l’adresse de la préfète, à laquelle il adressa un signe de main en quittant la scène. Il remonta les lignes de sièges sans se retourner, espérant simplement qu’il trouverait rapidement une salle voisine dans laquelle il pourrait opérer la transformation inverse sans être alpagué par un autre élève… Il était parvenu à sortir de ce théâtre sans être pris la main dans le sac, mais il ne serait peut-être pas aussi chanceux lors de sa prochaine rencontre…

Apparence de Hayden: