Appréhension. C’était le synonyme de cette nouvelle année à Poudlard. L’excitation habituelle avait cédé sa place. Elle n’était pas partie en juin en toute sérénité, elle avait coupé les ponts avec Poudlard durant deux semaines avant de partir au voyage scolaire avec une partie de l’école. Et de nouveau, après ce mois passé à Durmstrang, elle était retournée chez ses parents, se coupant une nouvelle fois de la célèbre école de sorcellerie. Elle voulait laisser cette année compliquée derrière elle et recommencer sur de bonnes bases. De toute façon, il lui resterait peu de mauvais souvenirs, la majorité des liens qu’elle avait tissé était avec les septièmes années, et ils ne seraient plus là. Nouveau départ, nouvelle année. Mais appréhension tout de même.

Elle avait franchit les grilles et n’avait pas remarqué immédiatement ces étranges statues dispersées dans le parc. Mais une fois qu’elle avait remarqué les changements, elle ne voyait plus que ça. Dit donc, le nouveau directeur semblait vouloir du changement. Jane n’était pas très emballée par ces changements de décorations, c’était trop austère, trop sinistre. Où était la gaieté ? La lumière ? Non, décidément, l’excitation habituelle n’était plus là, laissant place à une boule dans le ventre de la jeune infirmière.

Le soir de la rentrée, Jane se rendit dans la Grande Salle alors qu’une partie des élèves étaient déjà en train de prendre place. Elle salua chaleureusement Siwan et Amélia, et plus timidement Fergal, Alice, Jamie et les quelques autres, et plus timidement encore, elle salua le nouveau directeur du château.
La cérémonie de répartition avait pris toute l’attention de Jane. Elle applaudit chaleureusement chaque nouvel élève, y compris les trois plus grands qui commençaient leur scolarité à Poudlard. Ensuite, ce fut le discours du directeur, qui laissa la boule dans le ventre de l’infirmière s’intensifier un peu.

C’est lors du repas que la jeune blonde prit le temps d’observer les tables de chaque maison, en commençant pas celle des Gryffondor. Elle eut une pensée particulière pour Killian. Elle reconnut quelques têtes, dont celle de Finnbjorn, ce garçon aux si bonnes manières qui lui avait fait si grande impression. Son regard glissa à Poufsouffle, l’insigne brillait une nouvelle fois sur la poitrine de Maxwell et elle prit soin de passer rapidement à la table suivante en espérant qu’il ne viendrait plus jamais la voir à l’infirmerie pour un problème de …. Bref. A la table des aiglons, elle vit Blaze, si gentil. Dmitri, celui qui avait agressé Amélia… Mais également Daria, avec qui elle avait passé un moment lors de la soirée d’Halloween l’an dernier. Et finalement, elle en vint à la dernière table, celle des vert et argent. Elle y vit Artemis, Maelle, Junior, Carla, Caleb, Th… Carla et Caleb ? Elle n’en croyait pas ses yeux ! Comment pouvaient-ils encore être assis là ? Elle fit fonctionner son cerveau, étant sûre qu’ils étaient bien en dernière année l’année précédente. Dans le doute, elle se pencha vers Amélia pour lui demander l’information, ce qui lui confirma bien vite son amie. Ils avaient raté leurs examens. Et ils n’étaient pas les seuls. Ca ne l’avait même pas choquée de voir que Maxwell était encore là, d’ailleurs ! Pourtant, il était en septième l’an dernier, lui aussi. Mais quand elle le voyait, elle voyait cette après-midi tout bonnement horrible qu’elle avait passée. Et quand elle voyait Caleb…

Le souvenir de la dernière fois où ils s’étaient adressés la parole lui revint en mémoire. C’était il y avait des mois de ça, au mois de mars. Six mois. Six mois à se regarder de loin. Il l’avait terriblement déçue de par son attitude lors de la révolution des élèves. Elle n’avait pas pu concevoir que l’on s’en prenne au corps professoral, quelle qu’en soit la raison. Il n’y avait aucune bonne raison de faire ça. Il avait fait punir l’école entière, il y avait eu de nombreux blessés, ça avait été une véritable catastrophe. Et depuis… Elle avait gardé le silence. D’abord parce qu’elle lui en voulait un peu, ensuite parce qu’avec ce qu’il se passait avec Killian, elle s’était cloitrée à l’infirmerie. Et Caleb lui avait déjà prouvé une fois qu’il n’avait pas besoin d’elle pour les soins. Et les mois avaient défilés.

Six mois. Et il était assis là. Ses sourcils se froncèrent, elle n’était pas contente, pas du tout. Le revoir, ça lui rappelait des mauvais souvenirs. Wes, Killian, la révolution, son épaule, sa relation compliquée avec Casey. Automatiquement, sa tête pivota vers la table des bleue et bronze, mais il n’y avait aucune trace de la jeune fille. Il n’avait donc pas fait ça pour passer une année de plus avec elle.

Dès que les desserts furent terminés, le directeur invita les élèves à quitter la Grande Salle et Jane sauta presque de sa chaise et de l’estrade pour devancer les élèves. Il fallait qu’elle l’attrape avant qu’il n’entre dans sa salle commune. Mais il était préfet et il fallait bien qu’il emmène les nouveaux élèves jusqu’à l’antre des Serpentards. Ainsi, elle emprunta un passage pour les professeurs menant directement aux cachots. Elle ne savait pas exactement où se situait la salle commune, mais elle savait qu’ils n’auraient pas le choix que de lui passer devant pour s’y rendre.

Il ne fallut pas longtemps pour qu’un flot d’élèves arrivent en discutant plus ou moins fort. Entre deux élèves, Jane saisit le bras du vert et argent qu’elle attendait.


« Il faut qu’on parle. J’attendrai ici. »


Et elle montra l’endroit avec son doigt. Carla n’était pas loin, elle lui adressa un signe de la main et reporta ses yeux sur Caleb. Elle attendit qu’il lui confirme sa venue pour lâcher son bras. Elle s’installa sur un muret de pierres froides et attendit. Plus ou moins longuement, le stress lui rongeant la poitrine. Ils ne s’étaient pas parlé depuis longtemps et elle était nerveuse. Il n’était pas venu au voyage scolaire, lorsqu’elle avait pensé pouvoir arrangé un peu la situation entre eux. Et il avait oublié son anniversaire. Mais ça n’avait pas d’importance. Ils étaient là maintenant. Et ça contrariait beaucoup la blonde.
Lorsqu’il apparut non loin, elle se mit sur ses pieds, prit une inspiration pour se calmer mais le revoir, revoir mentalement le flot des événements de l’année précédente, ça la mettait un peu en colère.


« QU’EST-CE QUE TU FAIS LA ? NON MAIS, TU TE FICHES DE MOI ? » Cria-t-elle sans le vouloir, surprise elle-même par l’excès de voix dont elle avait fait preuve.


Elle ne s’était jamais fâchée vraiment contre lui. Contre personne ou presque, d’ailleurs.


« TU DEVRAIS ETRE AILLEURS, FAIRE DES ETUDES, UN METIER. NON MAIS A QUOI TU PENSAIS ? C’EST IRRESPONSABLE ET INSULTANT POUR TES PROFESSEURS ET LE POTENTIEL QU’ILS ONT VU EN TOI. »


Le volume diminua un peu, elle avait parlé vite, sa voix montant dans les aigus. Ses joues étaient rouges, son visage entier. Ses yeux picotaient. Elle faisait partie de ces personnes que la colère faisait pleurer. Mais elle n’en fit rien. Elle se rendit compte que son index était enfoncé dans la poitrine du brun, accusateur. Elle enleva son doigt et croisa les bras sur sa poitrine.


« Décidément, chaque début d’année, tu me laisses une nouvelle surprise. »


C’était un peu sec, cette référence à l’an dernier, quand il lui avait dit les véritables raisons de son rapprochement avec elle.

Leurs yeux se regardent tandis que la jeune infirmière à ses doigts fermés sur les bras de son interlocuteur. Elle doit lui parler. Maintenant. Enfin, pas tout de suite maintenant car il doit faire son rôle de préfet comme il se doit, mais elle l’attendra. Elle lui indique du bout du doigt l’endroit précis. Elle attendra ici. Elle veut lui parler. Son regard est insistant. Il la regarde, son visage ne montre rien. Mais ses yeux la toisent et finalement, il soupire. Il soupire avant de lui répondre. Pas si impassible que ça donc. Il n’a pas envie de lui parler, cela se sent, cela s’entend dans ce soupir. Ca lui pince le cœur. Pire encore quand il pose sa main sur la sienne pour qu’elle le lâche. Son geste, en apparence, est doux. Mais il ne l’est pas plus qu’il n’est véritablement impassible à sa présence ici. Il retire sa main et elle le laisse faire. Il la rejoindra après, elle l’attendra. Ici très précisément.

Elle s’installe sur le muret de pierres, c’est froid contre ses cuisses et ses fesses, au travers de sa robe. Mais ce qui la glace, c’est ce soupir, ces yeux qui la toisent, ces doigts qui dégagent les siens comme pour leur ordonner de ne pas le toucher. Ca fait mal au cœur. Ca entâche un peu plus ce qu’il reste de leur amitié.
Et quand il apparait, la peine laisse place à la colère de le revoir ici. Ils ne s’étaient pas dit au revoir en juin, Killian lui avait au moins écrit une lettre. Lettre qui lui avait fait regretter de ne pas l’avoir au moins pris dans ses bras une dernière fois avant qu’il ne quitte définitivement le château pour vivre de nouvelles aventures. Non, avec Caleb, rien du tout. Pas étonnant, elle ne savait même pas qu’il allait y revenir pour un an de plus, mais lui si. Et il n’avait rien dit du tout. Silence radio, comme depuis des mois.
Et maintenant qu’il est là, elle avance vers lui. Elle ne lui laisse même pas l’occasion d’ouvrir la bouche, c’est plus fort qu’elle, elle crie sur lui. Ca la surprend elle-même, elle n’est pas comme ça, jamais. Pourtant, sans savoir pourquoi exactement, ce garçon a le chic pour la mettre dans tous ses états à chaque début d’année. Il est aussi surpris qu’elle, et on ne pourrait pas lui en vouloir pour ça. Il passe de la surprise à l’incompréhension et finalement, son visage se ferme. Mais le flot des paroles de Jane ne cesse que plus tard, quand sa voix a terminé de monter dans les aigus.

Elle est essoufflée, son visage est rouge, sa poitrine monte et descend rapidement. Elle a tout dit d’une traite sans respirer, son doigt enfoncé dans la poitrine du vert et argent. Quand elle réalise, elle abaisse doucement son bras et finit par les croiser sur sa poitrine. Elle termine avec quelque chose qu’elle regrette presque immédiatement mais qui, au final, est juste et proche de la réalité. Deux rentrées avec Caleb, deux fois qu’il met Jane dans tous ses états.

Les yeux du jeune homme sont rivés sur elle, on lui a rarement jeté un regard aussi noir. Elle se mord la lèvre. Maintenant qu’elle a fini de crier, elle se sent minuscule à côté de lui. Ca n’aurait pas du se passer comme ça. Ils auraient du en parler calmement l’an dernier. Mais elle ne comprends pas, elle ne le peut pas. Il n’y a jamais rien eu d’aussi important pour elle que ses études et son métier par la suite. Métier pour lequel elle n’a plus adressé la parole à Killian durant des mois, parce que c’était mal. Alors non, elle ne comprend pas qu’on échoue à ses examens avec des capacités comme celles de Caleb. Elle sait que ce n’est pas un idiot, il n’a pas de difficultés particulières, c’est même un bon élève de mémoire. Alors pourquoi ? Mais ce qui sort de la bouche du brun n’est aucunement l’explication qu’elle attendait.

Ses mots sont durs, froids. Ils la giflent. Le sarcasme, l’arme d’un bon nombre de personnes dans ce château. Mais pas la sienne.


« Tu es loin d’être stupide, c’est pour ça que tu n’as rien à faire là. »


Le ton qu’elle utilise à présent lui ressemble beaucoup plus. Elle ne crie plus, elle respire toujours plus rapidement qu’habituellement mais elle est moins agitée. Son sourcils se froncent légèrement lorsqu’il ouvre à nouveau la bouche pour lui dire qu’il s’en va, ses lèvres s’entrouvrent pour dire quelque chose mais rien ne sort. Il ne voulait déjà pas lui parler, ni la voir. Au moins elle est fixée, il ne compte pas arranger les choses. Il préfère partir et laisser tout comme ça. Il ne fait que partir en fait, comme dans la volière. Quand il se détourne pour partir, son instinct la pousse à tendre les doigts vers son bras pour l’en empêcher. Mais le souvenir de ses doigts à lui qui enlèvent les siens quelques instants plus tôt la fige dans son geste. Il ne veut pas que tu le touches, murmure une petite voix un peu narquoise. Alors elle garde les doigts serrés contre ses propres bras. Ses yeux sont sur lui, ils ne le quittent pas un instant.

Elle hésite à dire quelque chose, elle ne sait pas quoi. Ca a mal commencé, elle n’aurait pas du crier. Mais c’est sorti tout seul. Elle pensait que les souvenirs malheureux de l’année précédente seraient tous partis. Qu’elle recommencerait une année sur des bases nouvelles. Mais Caleb lui rappelle Wes. Il lui rappelle Killian. Il lui rappelle la révolution. Et la volière dans laquelle leurs points de vue se sont affrontés. La dernière fois où ils se sont parlés. La solitude dans laquelle elle s’est glissée après. Caleb ne lui adressait plus un mot et elle avait claqué la porte de son bureau au nez d’un Killian perdu et en détresse émotionnelle suite à son abandon à elle. Elle avait choisi les règles. Et aujourd’hui ?

Il allait bientôt franchir le tournant le rapprochant de sa salle commune lorsqu’il avait fait un demi-tour sur lui-même pour lui faire face à nouveau, ce qui surpris l’infirmière. Les expressions sur son visage avaient changées. Plus de regard aussi noir, il y avait là de la colère toujours, mais pas que. De la tristesse aussi ? C’est ce qu’elle cru apercevoir en tout cas. D’instinct, elle fit deux pas vers lui avant de s’arrêter. Sa question lui posait une colle, elle ne comprenait pas.


« Qu’est-ce qui pourrait t’attendre d’autre… ? C’est la suite de ton cursus… »


Comme pour tout le monde. Que voulait-il faire d’autre que de poursuivre ses études pour faire le métier qu’il voulait et pour commencer sa vie de jeune adulte ? C’était l’étape suivante les études supérieures. Que pouvait-il y avoir d’autre ? Qu’est-ce qui l’empêchait de passer à cette étape ?


« Je ne te comprends pas. » finit-elle par dire d’une voix douce, la colère passée semblant d’être évanouie.

Il y avait fort longtemps, Jane et Caleb étaient des amis. Des amis complices. Ils se voyaient régulièrement depuis que Caleb était un jour venu à l’infirmerie et qu’il avait commencé à lui parler et à la faire rougir. Ils étaient ressortis de tout ça qu’il lui viendrait en aide pour apprendre quelques trucs permettant à la blonde de se préparer à un rendez-vous avec Wes. Elle l’aimait beaucoup à l’époque. Maintenant, elle ne parlait plus de lui, l’effaçant tout simplement de sa tête pour ne pas avoir à penser à la manière dont il était parti sans plus jamais lui donner la moindre nouvelle. C’était il y avait presque un an et elle ne voulait plus y penser.
Depuis son départ d’ailleurs, tout avait été de travers pour la jeune femme. Pas que ça soit de sa faute, mais il était en partie responsable.
Sa relation avec Caleb avait volé en éclats. Il avait voulu l’utiliser, ça l’avait blessée. Elle avait perdu confiance en lui. Il avait fallu des semaines avant qu’ils ne se reparlent, un peu par obligation d’ailleurs, puisque le jeune homme avait débarqué en pleine nuit à l’infirmerie suite à son problème à l’épaule. De là, elle avait appris à lui refaire confiance. Et ils avaient recommencé à se voir régulièrement, c’était à elle de tenter de l’aider dans sa découverte de ses sentiments pour Casey.

Et puis il y avait eu la révolution et elle avait tout brisé entre eux, coupant définitivement le dialogue, chacun restant de son côté avec ses propres problèmes. Elle avait vécu les derniers mois de l’année scolaire passée bien seule. Amélia avait eu du mal à se remettre de la révolution, l’ambiance n’était pas des plus chouettes dans l’école suite à la prise de décision de la Directrice. Elle ne parlait plus à Killian, Caleb l’évitait et elle aussi. Elle s’était terrée dans son antre blanche aseptisée jusqu’à ce que le train de la fin juin les emportent tous chez eux.

Et maintenant elle était ici, à l’affronter. Le silence avait assez duré, elle ne pouvait plus se taire. Son esprit tourbillonnait de questions. Et s’il avait réussi ses ASPICs, lui aurait-il dit au revoir comme l’avait Killian ? Ou serait-il parti sans un mot pour elle et il aurait conclu leur amitié comme cela ? L’idée broie un peu plus le cœur de l’infirmière. Elle tient à lui, elle est attachée à lui. Il n’est pas qu’un élève, il est son ami. Ils sont proches. Ils l’étaient du moins. Et maintenant, que sont-ils ?

Elle a crié, elle a planté son doigt accusateur sur lui sans même s’en rendre compte. Leurs visages ne sont pas si loin l’un de l’autre, ce qui permet à Jane d’observer les différentes réactions sur le visage du brun avant qu’il se ferme brutalement. Elle respire rapidement, son éclat de voix l’a fatiguée. Ses bras sont croisés. Et c’est là qu’il ouvre la bouche et qu’il utilise ce ton qu’elle n’aime pas du tout. Sa froideur, sa distance, comme si elle était une étrangère. Ou pire, quelqu’un qu’il déteste. Son regard est noir. Il la déteste. Pour ce qu’elle vient de lui dire. Elle l’a probablement blessé avec ses mots. Mais ça reste réciproque. Elle repense à sa main qui écarte la sienne comme si c’était de la bouse qui lui avait touché le bras, et pas elle, Jane.

Il y a un petit échange et puis il prend la fuite, comme à chaque fois. Comme cette nuit à l’infirmerie où il n’a fait que vouloir partir. Mais aujourd’hui, ce soir, il n’y a pas de portes fermées par magie pour l’empêcher de s’en aller. Et elle n’arrive pas à sortir le moindre mot pour l’empêcher. Pourtant, instinctivement, ses doigts vont vers lui. Ils ne peuvent pas se quitter comme ça encore une fois. Mais l’image de ses yeux qui la toisent, de sa main qui la rejette fige le geste de la blonde. La voix mesquine dans sa tête se moque. Elle le regarde partir. C’est un échec terrible. Ca n’aurait pas du se passer comme ça.

Il fait volte-face d’un coup, les yeux de la blonde sont toujours sur lui, ils identifient les émotions qui se peignent sur le visage de Caleb. Ce qu’elle voit lui fait mal. Il lui fait mal. Mais la réciproque est sûrement vraie et la culpabilité lui tord les entrailles. Elle avance vers lui. Lui aussi et à nouveau, ils se retrouvent l’un en face de l’autre.
Il lui pose une question qu’elle ne comprend pas. Elle répond ce qui lui semble le mieux. Pour elle, c’est une évidence qu’après Poudlard, il aille faire les études de son choix, qu’il trouve un métier qui lui plaise et qu’il vive sa vie. Que pourrait-il se passer d’autre ?

Elle était revenue à une voix douce, sa voix habituelle finalement. Son ton habituel. Mais pas lui. Ses yeux noirs sont rivés sur elle, sa voix est sèche, la tension est palpable. Il est énervé sur elle.
Ce qu’il lui dit à propos des Sang-Purs la laisse dans une incompréhension un peu plus profonde encore. Mais qu’est-ce que son sang à avoir là dedans ? Elle penche un peu la tête sur le côté et cligne plusieurs fois des yeux, par reflexe nerveux. Il reprend la parole, on dirait qu’il parle à une ignare. Elle est loin d’être bête pourtant mais le sujet la dépasse.
Son cerveau fonctionne à toute vitesse pour tenter de recouper les informations entre elles. Finalement, elle ouvre la bouche.


« Avant ils se mariaient entre eux, pour la préservation du sang, mais c’est complètement dépassé tout ça… Non ? Enfin, on ne peut pas forcer quelqu’un à se marier, c’est absurde. Et archaïque. Le mariage, c’est important. C’est la célébration de l’amour. » Elle marque une pause. « Enfin, c’est complètement fou de vouloir absolument marié les Sang-Purs entre eux, comme si ça avait une quelconque importance le sang qui coule dans tes veines, ça ne fait pas de toi quelqu’un en particulier. C’est juste un sujet de haine… »


Ses derniers mots se perdent alors que son regard lâche veux du vert et argent pour se perdre sur les pierres froides du sol. Soudain, elle écarquille un peu les yeux. Siwan lui avait parlé de Caleb une fois et ça vient de lui revenir en mémoire. Il devait se marier avec Phoenix l’an dernier. Elle relève la tête d’un coup.


« Je sais que tu devais te marier avec Phoenix, mais elle était amoureuse d’Hannibal. Et elle s’est mariée avec lui d’ailleurs ! L’amour a gagné ! C’est comme ça que ça fonctionne. Peut-être que tes parents se sont trompés sur tes intentions envers elle ou qu'ils ne savaient pas qu'elle avait déjà des sentiments pour quelqu'un d'autre. Un malentendu... »


Mais ils dérivent là, quel rapport avec ça et les ASPICs ratés ? Elle secoue un peu la tête.


« Je suis sincèrement désolée mais je ne te suis pas. J’ai du mal à croire que ces pratiques sont toujours d’actualité. Et je ne comprends pas le lien avec ta présence ici. Ca n’a rien à voir avec tes études tout ça. »


Ses bras sont décroisés, ses yeux ne parviennent pas à quitter ceux de Caleb. Elle voudrait des explications claires. Elle voudrait comprendre. Elle voudrait entendre qu’elle a raison, que tout ça c’est dépassé, que les mariages arrangés et autres événements de Sang-Purs, ce n’est qu’un mauvais souvenir d’une époque lointaine.

La fuite était généralement le choix que faisait une proie lorsqu’elle apercevait un prédateur. L’animal choisissait de retourner dans son trou pour se sentir en sécurité, comme un lapin avec un renard. Etait-ce de cela qu’il s’agissait perpétuellement entre eux ? Se sentait-il acculé comme une proie ? De sorte que la seule solution pour se défaire d’elle était la fuite, le retour à la Salle Commune ? Jane ne se lançait jamais dans une poursuite. Elle restait toujours planté en plein milieu, sans savoir ce qu’il valait mieux faire. Pourquoi retenir quelqu’un qui voulait absolument partir ? Il n’y avait personne pour la retenir, elle. Alors elle avait abandonné l’idée de retenir à son tour. Elle ne voulait pas aller contre la volonté de l’autre, s’il voulait absolument s’en aller, rien n’y ferait. Et retenir quelqu’un contre son gré, en dehors d’une nécessité médicale, ce n’était pas sa tasse de thé.

Elle voudrait pourtant, elle voudrait qu’il reste, qu’ils s’expliquent, que les choses redeviennent comme avant. Redevenir de vrais amis. Mais son regard est noir, sa voix est dure, distante, sèche. Il s’énerve, plongeant encore plus la blonde dans l’incompréhension. Elle a mal au cœur, pour elle, pour lui. Ce n’était pas ce qu’elle avait imaginé quand elle avait pris cette décision de filer du banquet de début d’année pour qu’ils puissent se parler avant qu’il se ne cloitre dans le repère des vert et argent. Pour au final quoi ? Qu’ils s’engueulent dans un couloir et que ce soit de pire en pire, et pas de mieux en mieux, comme elle l’avait escompté. Son approche n’avait clairement pas été la bonne. Peut-être aurait-elle du lui écrire ? La communication était plus facile par lettre. Mais et s’il l’avait ignorée ? S’il ne lui avait jamais répondu ? Non, ils avaient besoin de se parler. Elle avait besoin d’explication. Tout ça n’avait aucun sens à ses yeux pour le moment.

Certains tics nerveux refont surface. Elle cligne plusieurs fois des yeux. Elle retient toutefois ses mains de chiffonner sa robe. Il ne faut pas qu’elle le montre. La réponse qu’elle lui donne concernant les Sang Purs ne semble pas lui plaire. Il se détourne et un instant, elle craint qu’il ne parte encore une fois. Toute discussion est-elle impossible ? Mais il revient, avec un semblant de sourire qu’elle n’aime pas du tout. L’infirmière n’aime pas cette ironie. On dirait qu’il la prend pour une imbécile. Comme si ce qu’elle racontait sortait d’un livre de conte pour enfants.

Il secoue la tête, son regard change encore une fois. Sa réponse la gifle. Il balaie tout ce qu’elle vient de lui dire comme si ce n’était que de l’utopie pure, que des foutaises. Il n’y a pas d’amour vainqueur pour lui. Seulement une coïncidence d’un amoure entre deux Sang Purs. Seulement une histoire de sang, rien à voir avec le cœur. Pour lui du moins.
Jane s’écarte un peu, elle regarde ailleurs à présent. Ses bras sont à nouveau croisés contre sa poitrine, elle sert fort, pour se réconforter, pour se protéger. Tout ça la peine.


« D’accord. »


Il n’y a rien d’autre à dire. C’est un dialogue de sourd. Elle ne peut pas comprendre ce qu’il se passe dans ces affaires de sang. Pour elle, ça n’a aucun sens. Le sang ne veut rien dire. C’est discriminatoire et archaïque. Ce n’est pas sa réalité. En revanche, c’est celle de Caleb. Mais elle ne voit toujours pas le rapport entre le sang et l’année supplémentaire de Caleb. Quel est le lien entre les deux ?

Elle décroise les bras, un peu dépassée et découragée. Ses yeux sont à nouveau sur le Serpentard. Elle est perdue. Et l’énervement du jeune homme n’arrange pas les choses. Elle recule encore un peu, mettant de la distance avec lui. Le fossé se creuse au lieu de se boucher.

Il prend la parole à nouveau et le brouillard se dissipe. Jane penche un peu la tête sur le côté, les sourcils froncés par l’inquiétude. Elle cligne à nouveau plusieurs fois des yeux. Les informations se recoupent entre elle. La finalité arrive dans la tête de la blonde. La lumière se fait. Ses lèvres s’entrouvrent. Comment des parents peuvent-ils encore infliger ça à leurs enfants ? A l’heure actuelle ? C’est tellement… Jane n’a pas de mots.


« Je comprends mieux, oui… »


Maintenant oui. Maintenant elle comprend, maintenant elle sait. Son regard se fait désolé. L’amour n’est pas une utopie pour elle. Le mariage en est sa symbolisation, et pas un contrat entre deux familles pour une quelconque préservation du sang.


« Pourquoi tu ne m’as rien dit avant.. ? »


Ca n’aurait rien changé certes, mais au moins elle n’aurait jamais crié sur lui. Elle s’en veut. D’avoir crié, de ce qu’il lui arrive, de ne rien avoir vu avant.


« Est-ce qu’il y a quelque chose que je peux faire ? »

Lorsque l’explication franchit les lèvres de Caleb, il faut un certain temps avant qu’elle n’arrive au cerveau de l’infirmière. Il lui donne une pièce cruciale du puzzle qui le concerne et soudain, la lumière se fait. Elle comprend alors cette nécessité de rester encore un an en tentant de fuir une obligation familiale qui révolte purement et simplement la blonde. Comment ce genre de choses peuvent-elles encore exister ? Ca semble tellement moyenâgeux comme concept… Pourtant, lorsqu’elle était encore étudiante à Poudlard, n’avait-elle pas subit cette guerre encore bien trop présente sous le règne du Directeur Blackman ? Comment a-t-elle pu avoir la naïveté de penser que tout ça était terminé…

La colère la quitte, ne laissant de la place que pour l’inquiétude et les regrets. Elle s’en veut. D’avoir crier. De ne pas avoir été là pour lui. De ne pas avoir fait un pas vers lui l’an dernier alors qu’il devait prendre une telle décision. La culpabilité prend la place du reste dans le ventre de Jane.

La question qu’elle pose est futile, elle le sait. Mais toutefois elle ne peut la retenir. Elle aurait aimé qu’il lui en parle… Il y a tant de non-dits entre eux. Pourquoi ne peuvent-ils jamais simplement se dire les choses avant d’arriver à des catastrophes pareilles ?
Il répond ce qu’elle attendait – bien qu’elle ne le voulait pas – comme réponse. Ca n’aurait rien changé pour lui.


« Au moins j’aurais pu être là pour toi… »


Elle danse d’un pied à l’autre et ses vieilles manies la reprennent, elle chiffonne le coin de son tablier entre les mains. Il ne la regarde plus et elle ne sait pas trop quoi dire alors elle fait ce qu’elle fait de mieux : demander en quoi elle pourrait être utile. Que peut-elle bien faire pour l’aider ? Pour qu’il se sente mieux ? Elle ne sait même pas comment il a vécu les derniers mois de cours, ni comment se sont passées ses vacances, ni comment cela se passe avec Casey. Elle ne sait rien. Mais il ne sait pas non plus. Il ne sait pas combien elle a eu mal. Il ignore tout de ses sentiments pour Killian. Il ignore qu’encore aujourd’hui, son grand sourire et ses yeux rieurs lui manquent. Mais ce n’est ni le moment ni l’endroit pour en parler.

Ce qu’il lui répond lui arrache un très mince sourire tandis que l’inquiétude et la désolation se mêlent dans ses yeux. Elle franchit les quelques pas qui les séparent et au lieu de s’arrêter, elle le prend dans ses bras. Elle se retrouve elle-même interloquée par son geste mais elle ne fait pas machine arrière. Ils ont besoin de se réconcilier, de redevenir les amis d’autrefois. Il a toute sa confiance. Elle aimerait le retrouver et pouvoir lui parler de tout, comme elle le faisait il y avait encore quelques mois.


« Je suis sincèrement désolée d’avoir crié Caleb… »


Elle le serre un peu plus fort avant de relâcher. Un gros soupir de soulagement franchit ses lèvres et relâche un peu de la tension dans son corps. Elle ne se rendait même pas compte à quel point elle pouvait être tendue suite à ce premier jour qui lui avait déjà pompé une énergie folle. Mais la situation avec Caleb semble s’aplanir et il ne fait aucun doute que ça ira mieux dans les jours suivants. Il ne veut plus de conflit, elle non plus. Elle veut juste retrouver son ami.

Doucement, elle se détache, le rose aux joues.


« Je vais devoir retourner à l’infirmerie. Mais trouvons un moment dans la semaine quand tu auras le temps, pour qu’on puisse parler tranquillement. D’accord ? »


Elle lui adresse un petit sourire doux.


« Repose toi bien. »


Et elle quitte les lieux en le laissant repartir de son côté. Demain, elle lui enverra une lettre. Ou ce soir, en fonction de l’activité à l’infirmerie. Ce ne serait pas le premier accident de bagage que Jane doit gérer. Mais elle espère que la soirée sera tranquille. Plus tranquille que ce qu’elle vient de vivre.