Ma vie avait perdu tout son sens depuis quelques jours. Il avait suffit d’un article, d’un instant pour que mon monde s’effondre. Mon frère. Disparu. Oslo. Magie. Cela gravitait dans mon cerveau embrumé par la douleur. Je dormais mal, voire plus du tout. J’étais irritable, perdue. Le moindre regard me mettait hors de moi, comme celui de Finnbjörn. Rien, aucune preuve. Mais il m’avait regardé, le journal à la main. Il était sang-pur, norvégien de surcroît. Il n’en fallait pas plus pour que je l’apostrophe, vienne lui parler, lui demander des comptes. Il s’était montré hautain, méprisant, comme dans mon souvenir.. Il ne faisait pas la différence entre mon frère et un insecte, m’avait-il dit. Il n’avait que du mépris, cela se lisait sans peine dans ses yeux, comme s’il ne se préoccupait même pas de le cacher, comme si ces opinions étaient des évidences.
L’étrange duo que nous formions s’était affronté du regard jusqu’au bout. Je n’avais rien appris concernant mon frère et sa disparition. Mais j’avais un début de plan, grâce à lui. J’avais un commencement d’idée. Cela ne concernait pas mon frère directement, cela ne le ferait pas réapparaître mais cela préviendrait d’autres drames. Finnbjörn avait été très clair : le secret magique protégeait les sangs-purs. Le secret magique, une institution dans le monde des sorciers, quelque chose qu’on disait nécessaire, indispensable à la survie de la magie. Indispensable à la sauvegarde des intérêts de ceux qui nous méprisaient. C’était cela la clef : briser le secret magique. Mais comment ? Je ne savais pas et je devais encore peser les risques que je prenais. Dans mes longues nuits d’insomnie, je réfléchissais. Je revoyais Ahmet, son visage rieur, sa joie de vivre. Je nous revoyais jouer ensemble, profiter de la vie dehors,dans les rues londoniennes. Il n’avait pas compris l’apparition de la magie dans ma vie, je l’avais lu dans son regard et je n’avais pas su trouver les mots pour expliquer ce qui était une nouveauté pour moi. Malgré tout, nous étions resté proches. Il était même devenu le seul lien qui me rattachait à mes parents, quand ces derniers m’avaient abandonnés. En contraste, je revoyais le visage de Finnbjörn, méprisant, suffisant, sûr de lui et de sa prétendue supériorité. Un visage froid, qui parlait de la mort comme d’une banalité.
Briser le secret magique. C’était ma conclusion. La tension dans mon esprit était palpable, camouflée par la douleur de la perte de mon frère. Tout cela se mélangeait, la douleur, la colère, la tristesse. Ces émotions contradictoires m’avaient donné la force d’écrire à mes parents mais leur réponse avait été peu concluante : il n’avait aucune information et ne comprenait rien à ce que se passait. Moi non plus, je ne comprenais rien, malgré mes pouvoirs. J’essayais de ne pas me laisser abattre, je voulais trouver un plan. Et pourtant, je m’effondrais régulièrement, terrassée par la tristesse. De ce plan, je ne pouvais parler à personne, alors, il mûrissait entre deux sanglots. Sur mes parchemins, au lieu de noter le cours, je laissais souvent échapper des larmes. Et j’écrivais dans les marges des bouts d’idée, raturais le tout et recommençais.
Après quelques lettres, je m’étais tenue éloigner de Liam, mon meilleure amie. Pas par colère mais parce que je n’aurais pas su quoi lui dire. Nous avions passé de supers vacances ensemble mais tous ces souvenirs semblaient bien loin. Mais aujourd’hui dans la salle commune, j’avais besoin de sa présence.
« Liam »
Je chuchotais à moitié même si la salle commune était presque déserte.
« Désolée mais on peut parler ? »
Je ne savais pas comment lui dire tout ce que j’avais sur le coeur, mais je savais que j’avais besoin de sa présence.

@Liam Conley

J’étais vraiment au plus bas et je me rendais bien compte que le silence ne m’aidait pas à aller mieux. Je n’avais jamais ressenti cela. Ce n’était pas tout à fait un deuil, l’espoir me tenait encore qu’on le retrouve. Je lisais tous les matins la gazette, je guettais un message de mes parents. J’espérais en somme. Et pourtant, le désespoir m’anéantissait quand je songeais que les chances de le retrouver étaient bien maigres. Tant qu’on espère, on ne peut pas faire son deuil, alors j’en étais bien loin. Un fil me retenait encore à cette illusion que ce n’était peut-être qu’un bref cauchemar, que tout finirait bien. J’avais douze ans, je voulais encore croire au contes de fées. Et j’avais pu me dire que ça ne faisait qu’un jour, deux seulement, une petite semaine…
Et en fond de tout cela, il y avait la culpabilité. Je me sentais responsable. Coupable d’être une sorcière, coupable qu’il ait fui pour me retrouver. Je n’aurais pas eu de pouvoirs, il n’y aurait rien eu de tout cela. Mais cette colère contre moi-même se tournait déjà contre d’autres, contre les sangs-purs. Je n’avais rien, aucune preuve contre eux mais leur mépris parlait pour eux. Sans que cela me soit tout à fait perceptible, je m’étais construite dans une division presque manichéenne entre sangs-purs forcément extrémistes, ou presque, et nés-moldus. Cette division avait bien des bases réelles, je n’avais pas inventé le mépris dont j’étais victime. Il me suffisait de penser à Finnbjörn, il suffisait que je me rappelle son air hautain à l’évocation de mon frère, comparé à un insecte, pour que mon sang bouille dans ma poitrine.
Et aujourd’hui j’avais besoin de me confier à mon meilleur ami. Je ne savais pas ce que je lui dirais, je ne pensais pas aller jusqu’à évoquer le plan qui commençait à germer dans mon esprit. Mais j’avais besoin de plus que du contact discret de sa main quand je sanglotais. Il avait été là, discret mais présent, depuis une semaine et je lui en étais reconnaissante. Je ne pouvais plus lui cacher les sentiments profonds qui m’animaient.
« Depuis la… la disparition de mon frère, je me sens pas bien... »
C’était une évidence mais c’était peut-être la première fois que je le formulais à voix haute.
« Je sais pas quoi faire, j’ai l’impression que c’est ma faute... »
La deuxième partie de ma phrase était exacte mais la première n’était pas tout à fait juste. Mais je n’étais pas en état de me fâcher avec lui à propos d’un plan dont je n’avais que des bribes et au sujet duquel nous ne tomberions pas d’accord.