Aimée et Finn sur la route du droit chemin

Je suis plutôt attentif à ceux qui m’entourent, en règle générale. Les fréquentations des uns, le passé familial des autres... Même si le commun des élèves m’inspire généralement la plus grande indifférence, Grand-Père dit toujours qu’une bonne connaissance de chacun est primordiale lorsque l’on mène un combat : parce qu’ainsi, on sait qui est un allié, et qui pourrait bien cesser d’en être un pour de bon... Et aujourd’hui, mon regard se porte sur une petite brune qui n’a, je crois, pas fini de faire entendre parler d’elle. Aimée Pernelle. La fameuse « cousine D’Archambault » fraîchement arrivée dans la surprise générale, sans préavis. D’après mes premières impressions, petite rebelle téméraire qui ne craint pas d’exprimer des opinions douteuses en public, probablement sans aucune conscience. Malgré cette impulsivité caractéristique des traîtres à leur sang, elle n’a pas totalement perdu grâce à mes yeux : après tout, son flux magique est encore parfaitement intact, immaculé de toute souillure... Je souhaite lui rendre service, et lui épargner l’extrême humiliation d’avoir à se retrouver avec les Caleb Avery et autres grands noms symbolisant une déchéance sociale. Dans notre milieu, la réputation est primordiale, et le moindre faux pas peut nous coûter très cher... Aussi, je suis prêt à lui accorder le bénéfice du doute, et pour cela, il est nécessaire de provoquer une rencontre entre nous. Après notre dernier cours, je la garde alors à l’œil, maintenant un écart nécessaire entre nous, tandis qu’elle parcourt le cloître pour se diriger vers le parc. J’observe alors sa silhouette de dos, ses cheveux s’élever doucement au gré du vent.

J’ajuste le noeud de cravate à mon col tandis que je prends la direction du bord du lac. Mon pas n’est ni franc ni décidé : je l’approche comme si je prenais en chasse un lapereau, avec discrétion et une grande délicatesse... Je réduis l’écart entre nous, longeant le bord de lac : nos reflets sombres dansent sur sa surface lumineuse, jusqu’à se rejoindre. Elle m’accueille évidemment mal, et c’était prévisible : je ne m’en formalise pas, il en fait davantage pour me décourager. Ma présence n’est pas souhaitée, faisons donc en sorte qu’elle le devienne... Je lui souris. « Mettons les choses au clairrr tout de suite, je suis le prrremier à comprrrendrrre le besoin de solitude. » C’est la stricte vérité. Je n’aime pas que l’on s’impose à moi sans y avoir été préalablement invité. En revanche, j’ai un goût prononcé pour le silence, et je m’attends à ce que les autres le respectent. Aussi, par égard pour la jeune fille, je m’écarte prudemment, comme pour lui offrir cet espace qu’elle réclame. « La compagnie des autrrres peut êtrrre épuisante... » Je le pense chaque jour ; je sélectionne avec soin mon entourage, n’approuvant au sein de mon cercle privé que ceux dont je tolère l’existence. Les fêtes idiotes de Carter me répugnent, mes colocataires de dortoir me donnent de l’urticaire, mes camarades m’exaspèrent tant que je pourrais les sacrifier bien volontiers...

Mais la cause que j’ai épousée, c’est celle de la communauté sorcière. Je me suis juré d’œuvrer pour elle chaque jour, et ma rencontre avec cette farouche Serpentard a été provoquée pour honorer mon engagement. Cette jeune femme n’en est peut-être pas consciente, mais elle jouit d’un droit de naissance, de nombreux privilèges dus à son statut sanguin, mais surtout, d’un incroyable potentiel magique que les sangs-de-bourbes pourraient bien lui voler si elle n’y prend pas garde. Lui ouvrir les yeux sur sa situation est un devoir que je me donne, ce serait du gâchis qu’elle se perde en chemin... Elle est peut-être susceptible, méfiante à mon égard, difficile à approcher, je ne désespère pas ; je prends du recul, et lui cède de la distance. Pour pouvoir l’approcher, je dois lui offrir la liberté, entre autres celle de choisir. « Réitèrrre une fois le souhait de me voirrr parrrtirrr et je le ferrrais. » Ma voix est calme, sans intonation particulière. En lui donnant ce à quoi elle aspire, je change de stratégie, doublant la mise. Elle pourrait effectivement bien me chasser, appuyant sur le fait que ma présence n’est pas désirée, et je serais alors limité en possibilités ; mais j’ai l’impression que tout n’est pas encore joué avec elle. L’immense courtoisie de Junior n’est vraisemblablement pas de famille... Mais je peux être poli pour deux. « Nous sommes parrrtis du mauvais pied, j’étais simplement soucieux. Comment se passe ton intégration ? » lui demandé-je finalement, orientant mon regard vers la ligne d’horizon qui dessine le lac. Nous sommes dans la même classe désormais, ce qui implique que nous cohabitions, en tant que camarades. Si elle se débarrasse de moi aujourd’hui, elle me retrouvera demain, et je pense qu’elle le sait... Elle ne s’ouvrira peut-être pas à moi tout de suite, mais la confiance est comme la mèche d’une bougie à qui il ne manque que d’être allumée.