Dmitri était morose depuis le petit-déjeuner. La première fois qu’il avait vu son emploi du temps, une matière lui avait sauté aux yeux, ayant sur lui comme l’effet d’un cognard : des cours de vol. Non seulement ils avaient la désastreuse idée de donner des cours de vol à Poudlard, mais en plus ils étaient obligatoires pour les premières années ! Dès lors, le garçon priait intérieurement pour qu’une intempérie soudaine empêche le cours de se dérouler comme prévu ; une petite tempête comme l’Écosse savait si bien les faire, ce n’était pas trop demander, non ?

Il détestait voler. Plus encore, il détestait le Quidditch. Ce sport dont les règles absurdes conduisaient à regarder trois débiles se passer une balle pour la lancer à travers un cercle en évitant de se faire désarçonner par une autre balle tueuse, tout ça pour qu’au final un autre joueur attrape une balle minuscule et mette fin au match... tout en réduisant à néant, la plupart du temps, les efforts des poursuiveurs. Personne ne s’était donc jamais dit que 150 points d’un coup, c’était disproportionné ? Non bien sûr, tant que des joueurs manquaient d’être tués durant le match, le spectacle était assuré !

Mais si Dmitri détestait cette discipline, ce n’était pas seulement à cause de l’absurdité des règles de ce sport pourtant tant apprécié chez les sorciers, ou même de sa violence intrinsèque. De mauvais souvenirs d’enfance ne cessaient d’accaparer son esprit dès lors qu’on évoquait l’idée de monter sur un balai : prenez trois garçons d’à peu près le même âge, juchés sur des balais volants pour enfants dont la hauteur de vol était, heureusement, limitée et faites-les se disputer... le résultat ne sera guère glorieux. Depuis quelques années, il avait développé une aversion pour le vol, les balais et tout ce qui s’y rapprochait. Dès lors, il évitait avec habilité toutes les situations qui impliquaient cette discipline. Mais cette fois-ci, il avait eu beau se remuer les méninges pour éviter le cours, il n’y était pas parvenu. Il devait se rendre à l’évidence : il allait devoir passer une année à supporter ces cours avant de pouvoir en être définitivement débarrassé. Du moins l’espérait-il.

Morose donc. Une véritable tombe depuis le matin, ne répondant aux personnes incongrues qui lui adressaient la parole que par monosyllabe, lorsque ce n’était pas carrément un grognement bougon. Tout le long du trajet menant au stade de Quidditch, il avait trainé des pieds. Par pitié, qu’un mur s’écroule, ou un but du terrain. Toute excuse lui permettant de louper ce cours serait bienvenue. Mais aucun mur ne s’écoula. Aucune tempête ne surgit. Le cours allait bel et bien avoir lieu, ça semblait inéluctable. Pourtant, Dmitri ne perdait pas totalement espoir, se raccrochant à tout ce qui pouvait lui épargner un tel cours, alors même qu’il était déjà arrivé sur le terrain. Il reste encore pas mal de temps avant le début du cours se dit-il, en regardant sa montre, le prof va peut-être devoir quitter le terrain au bout de quelques minutes de cours à cause d’un accident... Il était arrivé en avance : la tension qui le tiraillait lui avait fait perdre le sens du temps. D’autres élèves étaient également déjà là : entre ceux excités à l’idée de recevoir un cours de vol, et ceux qui s’ennuyait et voulaient profiter des derniers beaux jours à l’extérieur avant de débuter le cours, il était loin d’être le seul à arpenter l’herbe du terrain de quidditch. Certains regardaient avec un émerveillement les grands anneaux qui servaient de but, tandis qu’un autre, arborant les couleurs de gryffondor, clamait à qui voulait l’entendre qu’il serait la prochaine étoile montante du quidditch ; une graine d’attrapeur hors pair, rien que ça. Il racontait à d’autres élèves de sa maison ses prétendus exploits sur un balai. Son auditoire, surement composé de nés-moldus à en voir leurs regards ébahis poussait quelques exclamations à intervalles régulières. L’on pourrait presque croire qu’un chef d’orchestre se cachait dans l’ombre des gradins, guidant un chœur d’incrédule. « J’devais aller à plus de 150km/h et le sol se rapprochait à toute vitesse ! Mon frère et moi étions coude à coude, mais il s’est dégonflé et a remonté... mais moi j’ai continué à descendre en piquet. » Le garçon fit une pause dans son histoire, mimant le fait d’attraper un objet loin devant lui. « Et là... j’ai attrapé le vif d’or juste à temps pour redresser le balai. » Le chef d’orchestre invisible fit son œuvre, et le chœur d’admirateur fit un « oooooh » d’encouragement pour le jeune vantard. « J’vous jure, mes genoux frôlaient presque l’herbe quand j’ai redressé le balai. Une seconde de plus, et c’était la fin pour moi ! » conclu le gryffondor avec fierté.

Dmitri passa devant le groupe sans leur adresser un regard, allant s’affaler à l’ombre d’un gradin quelques mètres plus loin, non loin d’un élève de serpentard qu’il avait déjà aperçu en cours, sans vraiment lui parler jusque-là. « Je suis prêt à parier 2 gallions qu’en vrai, il raconte juste le rêve qu’il a fait cette nuit... » fit-il en désignant l’auto-proclamé meilleur attrapeur de Poudlard. « À moins que ce soit vrai... mais sur un balai-jouet qui fait du 2 à l’heure et qui ne peut pas monter au-delà d’un mètre cinquante. » Le tchèque ignorait si le serpentard l’écoutait, ou s’il parlait tout seul... à vrai dire, il s’en foutait un peu. Il s’agissait plus d’exprimer à voix haute ses pensées que d’une réelle discussion. « Avec un peu de chance, il va tomber de son balai au bout de deux minutes de cours et le prof va devoir y mettre fin. » ajouta-t-il en rêvassant.

Au centre du stade de quidditch, quelques balais avaient déjà été déposé en tas, surement pour le cours des première année. À en croire l’aspect des engins volants, l’école ne devait sans doute pas avoir investi dans des balais neufs depuis un certain temps et ceux-ci avaient vraisemblablement connu des aventures désastreuses. « Et c’est sur ces trucs vieux comme Hérode qu’on va devoir voler ? Je suis sûr qu’il y a déjà eu des morts, mais que l’école le cache à tout le monde ! »

Deuxième semaine, et deuxième cours de vol de l'année, dire que Colin n'en était pas ravis aurait été un euphémisme. Il n'aimait pas le vol sur balais. Il trouvait ça idiot, dangereux et pas amusant du tout, ça faisait mal aux fesses, ce n'était pas maniable pour deux sous et surtout, surtout, les moldus, eux, avaient des moyens de déplacement beaucoup plus efficaces et beaucoup mieux organisés. Une voiture, déjà, c'était plus confortable et il y avait un code de la route, des panneaux, des lignes blanches à suivre, pareil en mer, on ne faisait pas n'importe quoi, il y avait des règles. En volant sur un balais, par contre, rien de tout ça, c'était vraiment l'anarchie et il fallait toujours faire attention que personne n'arrivait à toute vitesse, à gauche, à droite, derrière ou par dessous pour ne pas manquer de se faire décapiter par un conducteur maladroit.

Alors au lieu de se joindre à la petite bande des "sorciers professionnels" qui s'extasiaient en permanence à parler de leur sport stupide, Colin avait préféré aller s'asseoir contre l'un des gradins, où il y avait au moins un peu d'ombre. Il avait tout de même tenu à rester assez près pour pouvoir entendre les autres, et ne pas se couper trop de la conversation, mais assez loin pour clairement signifier qu'on ne la lui faisait pas, à lui, dans une espèce d'élan de fierté paradoxale, ne souhaitant ni être complètement exclu ni complètement intégré. C'était d'ailleurs un peu cette tension qui l'habitait depuis plusieurs jours et il n'arrivait pas encore bien à trouver sa place à l'école.

Non loin de lui, un garçon un peu trop enthousiaste se vantait très fort, prétextant atteindre des pics de vitesse à plus de 150km/h, ce à quoi Colin lui aurait bien rétorqué que les trains du Great Western Railway, eux, pouvaient facilement atteindre les 300km/h, si seulement il s'était trouvé un peu plus proche. Au lieux de ça, il se contenta de lever les yeux au ciel dans un élan d'agacement, en se répétant que si l'autre avait peut-être attrapé un vif d'or, lui avait déjà attrapé un raie et que c'était quand même un peu plus classe qu'une bête balle avec des ailes.

Il ruminait tout ça en silence lorsqu'une tête qu'il avait déjà repéré se sépara du groupe et se dirigea dans sa direction. S'ils comptaient l'inviter à se joindre à eux, alors là hors de question, il allait leur dire ça, oui, qu'ils avaient qu'à rester entre eux, avec leurs jeux de sorciers nuls et leurs discussions débiles.

Mais en fait, le garçon n'avait pas l'air d'appartenir à leur groupe et Colin l'observa venir s'affaler à quelques mètres de là, décidé lui aussi à profiter de l'ombre, visiblement. Puisque ce serdaigle - il commençait à bien reconnaitre les maisons maintenant - n'était pas venu l'inviter, Colin ne savait maintenant plus trop quoi dire et sa timidité prenant le pas sur son agacement il aurait très bien pu ne pas adresser du tout la parole à ce garçon si celui-ci n'avait pas entamé la discussion à sa place.

Colin détacha son regard du reste du groupe qui continuait à blablater sans faire attention à eux et le posa sur... il s'appelait comment déjà ? C'est bête, ils avaient été en cours toute la semaine ensemble mais il n'arrivait plus à se souvenir... c'était un nom étrange, d'ailleurs, sa façon de parler aussi était un peu étrange, il avait un accent de l'est. Pour avoir beaucoup voyagé en Atlantique et passé pas mal de temps dans des ports cosmopolites, Colin se montrait plutôt doué lorsqu'il s'agissait de reconnaitre les intonations propres à chaque pays. Peut-être l'Ukraine ? Un pays des Balkans ? Son expertise n'allait pas jusqu'à pouvoir deviner en quelques phrases.

Il écouta toutefois le garçon sans l'interrompre. C'était malpoli d'interrompre les gens, de toute façon, et l'autre semblait partager sa perplexité face aux propos de leur camarade, sauf que lui pensait même que c'était carrément un mensonge. Colin n'avait pas trop d'avis sur le sujet, 150km/h c'était peut-être beaucoup à bien y réfléchir, pour un vol en balais, on devait se manger sacrément de vent, mais n'ayant pas trop de moyen de vérifier ou de comparer au sein du monde des sorciers, il était souvent un peu obligé de croire les gens sur parole, ce qui contribuait d'ailleurs à pas mal l'agacer en général. En tout cas, l'autre était peut-être aussi un né-moldu, vu qu'il ne semblait pas partager la même passion que les autres pour le "quidditch".

Toujours mutique, cela ne semblait pas déranger le garçon à l'accent étrange qui continua sur sa lancée pour conclure par un petit commentaire sur l'âge des balais et les défaillances de sécurité. Ah ! Enfin quelqu'un qui abordait les vrais problèmes !

Si Colin n'avait rien dit jusque là, par par désintérêt pour les propos de son camarade mais juste parce qu'il était capable d'écouter, il se retourna vers l'autre en hochant la tête avec sérieux.

- Mais c'est obligé ! La surface du bois est beaucoup trop fine pour permettre une bonne adhésion, c'est forcé que des fois des gens glissent, c'est pas pour rien qu'il faut mettre des selles sur ce genre de machin, et des ceintures de sécurité !

Il prit une seconde pour réfléchir.

- Et un petit parachute, peut-être. Sauf si on vole pas assez haut, c'est le problème des parachutes...

Son regard sortit du vague dans lequel il s'était plongé pour revenir se poser sur Dmitri, avec une curiosité ronchonne.

- Pourquoi ils n'y ont pas pensé, hein ? Personne leur a dit ? C'est bien la peine de se cacher des moldus mais inviter un ingénieur ou deux, ça leur ferait pas de mal, je pense, pour optimiser tout ça.

L’air encore frais d’une matinée de cette matinée de septembre semblait promettre une journée calme, dénuée d’intempéries bien que l’été semblât déjà loin. Le professeur de vol s’était sûrement dit que le temps était idéal ; le soleil était trop discret pour aveugler les petits voltigeurs en herbe, mais il n’y avait pas assez de vent ou de pluie pour que l’on s’inquiète des risques d’une excursion sur un balai.

Affalé à l’ombre, non loin d’un groupe de gryffondor et d’un serpentard solitaire, Dmitri semblait presque être un lien entre eux, comme le médiateur qui assurait une entente cordiale entre les lions et le serpent. Mais il ne se sentait nullement l’âme d’un arbitre. Bien au contraire, il avait un besoin de s’opposer aux lions qui fanfaronnaient plus encore que lui dans ses heures les plus jouasses. Sans doute était-ce son petit côté serpent... le choixpeau n’avait-il pas hésité avec la maison des malicieux ? Quoiqu’il en soit, le garçon isolé représentait une occasion pour lui d’exprimer son mécontentement. Mieux encore, il lui semblait qu’à travers ce rejet du quidditch, ou de toute autre activité sportive ou locomotive impliquant un balai magique, il pouvait trouver du bon. Pour une fois, il se trouvait face à quelqu’un qui ne semblait guère plus friand de cette discipline que lui ; or jusque-là, il faisait office d’exception dans son monde. Certes, il s’était habitué à l’idée d’être différent de ses congénères, il en jouait même, mais il ressentait néanmoins ce besoin d’avoir l’assentiment de quelques personnes. Même lui ne pouvait vivre uniquement dans l’adversité.

Bien qu’au départ silencieux, le serpentard avait finalement rebondi sur sa critique du matériel employé par l’école. La remarque du tchèque sonnait sans doute comme celle d’un garçon de bonne famille habitué à obtenir ce qu’il se faisait de mieux, bien que la réalité soit tout autre. Jamais il n’avait eu de balai dernière génération ; comme dans beaucoup de familles nombreuses aux revenus corrects, mais néanmoins modestes pour tant de monde, il avait hérité des affaires de ses aînés. Son premier, et seul, balai ne faisait pas exception à la règle, puisqu’il était un héritage de l’aînée qui, comble du recyclage, en avait elle-même hérité d’un cousin.

Dmitri hésita à la suggestion du serpentard. S’il hocha la tête en signe d’accord à l’évocation des selles, ce qui rendrait tout de même bien plus confortable l’usage du balai, il était plus dubitatif sur le reste. « La ceinture, mauvaise idée... pour un peu, si tu tombes sur des abrutis, ils sont capables de se pendre avec la ceinture en tombant. Ou pire, de pendre quelqu’un d’autre ! » Il eut la vision d’un de ses frères qui, tentant de le faire tomber de son balai, utilisait la ceinture imaginaire du balai de Dmitri pour s’accrocher à son engin volant, telle une sangsue. « Et puis, il faut être honnête... je suis persuadé que ce qui plait tant au quidditch, c’est surtout le fait que les joueurs risquent de se prendre un cognard à tout moment. Le sang attire les spectateurs. » Venant de quelqu’un susceptible d’user de violence sous l’effet de la colère, la remarque était presque comique. Sans doute était-ce son côté plus délicat qui s’exprimait, incapable de voir en ces amas de beuglements de supporters autre chose que l’expression primitive de rustres vulgaires.

S’il ne fut pas convaincu par la troisième idée du serpentard, c’était pour une toute autre raison : « Un para..chute ? » fit-il un peu hésitant, ne sachant pas si c’était à cause de la fine barrière linguistique qui les séparait qu’il n’avait pas compris, ou s’il s’agissait d’autre chose. « C’est un truc moldu ? » Les yeux brillants d’excitations, il commençait à se dire que cette fois-ci, le cours de vol pourrait être plus intéressant qu’escompté. Du moins, tant que le professeur, encore trop loin pour les importuner, ne vienne pas lui demander de faire des acrobaties aériennes sur ces outils du démon qu’étaient les balais.

Le jeune tchèque ne put s’empêcher d’éclater de rire en écoutant son comparse proposer l’intervention d’ingénieur. Il aurait tellement aimé que ses parents soient là pour l’entendre rien que pour voir leurs têtes ! « Envisager la possibilité d’avoir l’avis d’ingénieurs moldus ? C’est déjà trop en demander pour la plupart des sorciers. » Puis, repensant à l’annonce faite au banquet de début d’année, il rajouta : « T’as bien vu la réaction de tout le monde à l’annonce sur le cours d’étude des moldus, non ? » Sans parler de ce qui se cachait derrière le mutisme de certains. Dmitri savait pertinemment que si son grand-oncle n’était pas du genre à faire des esclandres durant le banquet, il n’en pensait pas moins. « Si le prof d’étude des moldus arrive à faire cours toute l’année sans scandale ou pugilat, il mérite un prix. » Et pour une fois, les troubles ne seront sans doute pas causés par le serdaigle. En d’autres circonstances, il aurait pu envoyer un hibou à ses parents pour leur signifier qu’il était, pour une fois, resté sage comme une image pendant un cours... mais il avait l’intuition que le choix du cours en question ne les rassurerait pas sur l’avenir de leur plus jeune fils. Il n’avait d’ailleurs toujours pas informé ses géniteurs du fait qu’il recevait des cours d’étude des moldus ; au fond, il craignait sans doute que ceux-ci décident de le rapatrier en vitesse dans un pays plus civilisé à leurs yeux, bien que l’effectivité d’une telle décision soit fortement improbable. On ne changeait pas aussi facilement d’établissement sorciers. D’ailleurs, peut-être étaient-ils déjà au courant... Dmitri ne savait pas dans quelle mesure son grand-oncle les tenait au courant de la vie du cadet des van Aken.

« Au fait, moi c’est Dmitri ! » fit-il plus dans l’espoir d’obtenir une présentation en bonne et due forme du serpentard qu’autre chose. Ce dernier n’étant pas l’élève le plus expressif de leur promotion, et lui-même n’ayant jamais vraiment prêté attention aux noms lorsque les professeurs faisaient l’appel, du moins ceux qui le faisaient, il n’aurait pas été capable d’énumérer la moitié des prénoms de ses camarades de classe. Et c’était bien entendu sans compter les deuxième année avec qui ils partageaient certains cours.

Si la maison des serpentards accueillait les gens malins et celle des serdaigles les gens intelligents - du moins c'était ce qu'on avait succinctement expliqué à Colin - au moins il pouvait être sûr d'une chose : gryffondor devait être réservée aux idiots, il en avait la preuve sous les yeux.

A présent très concentré, il hochait professionnellement la tête aux remarques pertinentes de son nouveau camarade, appréciant sans le dire ce qu'il considérait comme la première discussion un peu productive qu'il avait eu à Poudlard depuis son arrivée au château. Tout le reste n'avait été que des espèces de discours bardés de mots magiques compliqués qu'il ne comprenait qu'à moitié et de gens beaucoup trop enthousiastes sur tout pour être crédibles deux secondes au yeux du jeune homme. Sinon, il y avait son colocataire, Kovit, mais lui s'obstinait à ne dire presque rien ce qui n'était pas plus mal si c'était pour dire des conneries.

- Oui tu as raison. approuva-t-il d'un ton particulièrement sérieux.

Il visualisait désormais très bien ces sorciers maladroits jouer à se rentrer dedans jusqu'à ce que l'un finisse pas s'enrouler une ceinture autour du cou. L'image était glauque mais Colin la jugea tristement réaliste d'autant qu'elle venait une fois de plus confirmer la dangerosité de ces appareils.

Guère contrariant lorsqu'il jugeait la discussion digne d'intérêt, il hocha de nouveau la tête aux paroles du garçon lorsque ce dernier évoqua le plaisir brutal de la violence du quidditch. Tout ce qui allait dans le sens de la bêtise de ses camarades, il le prenait sans trop se poser de question, autant par orgueil que pour combler une espèce de complexe d'infériorité qui n'avait cessé de grandir depuis qu'on lui avait appris sur son navire que tout un monde lui était resté invisible depuis sa naissance, à lui, ses parents et même son gouvernement... Or pour ne pas commencer à douter de la supériorité du monde des "moldus", ce qui serait revenue à remettre en question beaucoup trop de choses au goût du garçon, Colin avait besoin de délégitimer celui des sorciers, comme on attaque pour se défendre.

- Le cognard, c'est la balle qui frappe ?

On avait bien tenté à deux ou trois reprises de lui expliquer les règles mais rien à faire, ça ne voulait pas rentrer. Sans doute y avait-il trop de balles dans ce jeu, tout simplement.

- Oui, c'est comme raconter des histoires d'horreur au fond. Colin aimait beaucoup les histoires d'horreur. Le danger c'est bien quand on peut le regarder de loin sous sa couette... ou dans les gradins, mais dans une situation réelle, hein ? Je pense que beaucoup de gens feraient moins les malins déjà...

Il était en train de développer l'idée d'un parachute pour balais lorsqu'il réalisa que son interlocuteur semblait perdu. De fait, il le fut aussi.

- Ba un parachute...

Il fronça les sourcils, ne parvenant pas à réaliser que s'il lui manquait du vocabulaire du monde sorcier, il pouvait en manquer à son camarade pour le monde moldu. En fait, intérieurement il s'était persuadé avoir également affaire à un né-moldu et resta un peu interdit quand l'autre lui demanda si c'était quelque chose qui venait de son monde. Avant de répondre d'une petite voix déçue.

- Oui...

Il y eut un instant de flottement.

- Attends t'es un sorcier mais t'aime pas le quidditch ? Demanda-t-il avec une naïveté accusatrice.

S'il était prêt à se mettre en colère d'avoir été ainsi trompé par son interlocuteur, celle-ci s'estompa néanmoins tout de suite lorsqu'il constata que l'autre avait l'air véritablement intéressé. Comme s'il était prêt à écouter sincèrement des propositions venant d'un autre monde que le sien... C'était bien le premier qui lui donnait cette impression ! Pour gentil qu'il soit, Junior l'avait pas mal rembarré quand il avait fait des propositions politiques et les autres gens semblaient juste n'en avoir un peu rien à faire de ses suggestions impliquant de la technologie moldu.

Pendant qu'il réfléchissait, le garçon de serdaigle s'était remis à parler. Décidément, il ne se laissait pas démonter par les blancs dans la conversation celui-là. D'une manière toujours assez surprenante pour Colin, il avait l'air sincèrement amusé par son idée de faire intervenir des ingénieux et embraya d'ailleurs sur ce que le serpentard avait commencé à soupçonner depuis un bon moment sans bien comprendre totalement l'affaire : l'étude des moldus semblait faire polémique à l'école et plus généralement leur présence, en fait, enfin la présence des né-moldus, c'est à dire la sienne.

Moins rapide que le serdaigle, ou moins sûr de lui peut-être, Colin avait à présent beaucoup de choses à dire, mais il fallait procéder dans l'ordre et d'abord, se présenter en bonne et due forme.

- Colin Hill. répondit-il d'un ton carré, et il se leva pour venir serrer la main de Dmitri.

Cela fait, il se rassit cette fois à côté du garçon, et le fixant du regard, commença à expliquer.

- Alors. Déjà, un parachute c'est comme un sac qui s'ouvre quand tu tombes. Dedans il y a une sorte de voile très grande qui se déplit et qui retient l'air donc tu tombes moins vite. Ça permet de sauter de très très haut, certaines personnes ont même sauté depuis la station spaciale internationale tu te rends compte ? Il faut juste que le parachute soit assez grand et l'ouvrir au bon moment, moi j'en ai jamais fait mais j'aimerai bien essayer, il parait qu'il faut bien maîtriser ça pour entrer dans les commandos.

Ceci dit, il reprit une profonde respiration et structurant toujours son propos avec ses mains, reprit sa tirade mais cette fois d'un ton beaucoup plus curieux, quoique toujours très sérieux.

- Pourquoi les sorciers ne veulent pas du savoir des moldus ? Pourquoi les sorciers ne partagent pas leur magie avec nous non plus ? Pourquoi ils se cachent ? Toi tu as toujours vécu avec la magie, donc tu ne sais pas comment ça fonctionne un radar par exemple ?

Allez savoir pourquoi, c'était la première question qui lui avait traversé l'esprit concernant son camarade, révélant qu'au fond, il nourrissait bel et bien une forte curiosité pour ce qui pouvait se passer dans le crâne d'un petit sorcier. Curiosité que par orgueil il avait réfréné jusque là, ne voulant sous aucun prétexte donner à ces gens l'impression que leur vie les intéressait, mais puisque Dmitri s'était montré sympa, alors...

- Genre c'est vrai que t'es jamais monté dans une voiture par exemple ? Et que tu sais pas ce que c'est les jeux vidéos ?

Tout ça lui semblait vraiment très surréaliste, lui qui avait eu une enfance bercée par les ronronnements des moteurs et les bip de sa nintendo, il ne parvenait tout simplement pas à imaginer qu'on puisse grandit radicalement coupé de toute technologie, jusqu'à en ignorer l'existence.

Dmitri était agréablement surpris d’avoir trouvé ce garçon à l’écart des autres. D’ordinaire, sorciers de souche comme nés-moldus avaient la fâcheuse tendance de parler du quidditch et du vol sur balai avec passion, ce qui avait tôt fait de l’exaspérer. Mais il avait enfin trouvé quelqu’un qui ne partageait pas cet amour pour la discipline sorcière. Pourquoi n’avait-il pas discuté avec lui plus tôt ? Le tchèque n’avait jusque-là pas prêté attention à son camarade, sans doute parce qu’il était assez discret en cours, surtout comparé à lui, qui était plutôt du genre à se faire remarquer par ses professeurs, parfois en bien lorsqu’il était intéressé, mais souvent à cause de son indiscipline.

« Oui, c’est ça. » répondit-il en acquiesçant. « Il y a deux cognards que les batteurs essaient d’envoyer sur les joueurs de l’équipe adverse. » Heureusement pour sa santé personnelle, il n’avait jamais joué au quidditch avec ses frères, auquel cas il serait sans doute déjà si pieds sous terre.

Le serpentard sembla désarçonné par la question de Dmitri, sans que ce dernier ne puisse comprendre pourquoi. Puisqu’il venait de lui affirmer que c’était bien un objet moldu, et qu’il ne s’agissait donc pas d’un problème linguistique, l’incompréhension du van Aken ne devait pas être si surprenante ; près tout il était normal, à Poudlard, de se trouver face à des personnes ne connaissant pas de tels objets. « Bah ouais » répondit-il à la question de Colin quant au fait de ne pas aimer le quidditch. « Tous les sorciers ne sont pas tenus d’aimer le quidditch... il y a d’autres trucs dans la vie. » Puis, à son tour, il ajouta d’un ton légèrement accusateur : « T’es bien un sorcier, vu que t’es à Poudlard, et pourtant tu n’as pas non plus l’air d’être un fan de quidditch ! » Certes, l’argument était quelque peu absurde, mais il ne pouvait s’empêcher d’afficher un air irrité en l’écoutant. S’il commençait à s’exclure en ne s’affirmant pas lui-même comme étant un sorcier, c’était du pain béni pour les pro sang-purs.

Les deux garçons firent finalement des présentations ; Dmitri eut un sourire amusé, estimant que les manières de Colin auraient sans doute plu à son père. Il était poli et bien élevé, avec un côté quelque peu cérémonieux qui laissait penser qu’il avait eu une éducation assez formelle. Le tchèque lui serra la main en retour, puis l’écouta avec attention lui expliquer le principe des parachutes. Lorsque son instituteur d’un jour évoqua la station spatiale internationale, le serdaigle fronça les sourcils. Il avait déjà entendu parler de cette station... mais où ? Se creusant les méninges tout en hochant machinalement de la tête, il comprit enfin : il avait lu quelque chose sur cette station dans le livre qu’il avait emprunté à son voisin moldu, il y a de cela plusieurs années.

Sitôt ses explications terminées, le serpentard enchaîna avec une avalanche de questions, prenant par surprise Dmitri qui ne s’y était pas attendu, encore moins de la bouche de ce garçon, qui semblait tout de même d’une nature plus calme que la sienne. « Ola tout doux ! » ricana-t-il gentiment, « tu me demandes de t’expliquer des siècles passés à se cacher... je ne suis pas certain d’être bien placé pour te répondre. » Lui-même se posant des questions assez similaires depuis bien longtemps, il se sentait bien en mal de lui donner toutes les raisons du secret magique. « Pour faire court, on se cache des moldus depuis... » Flûte ! Quelle était la date déjà ? Sa grand-mère avait pourtant passé tellement de temps sur cette partie de leurs cours d’histoire, ventant à qui voulait l’entendre le mérite de la séparation des sorciers et des moldus. Elle avait mis tant d’application dans la tâche que ça en était presque du bourrage de crane. « ... le dix-septième siècle. Je ne me souviens plus de la date exacte. Vers la fin du siècle. C’est à ce moment qu’a été signé le Code international du secret magique. À l’époque, les moldus persécutaient énormément les sorciers, on s’est donc caché pour fuir ces persécutions. » En utilisant le pronom nominatif, il s’incluait inconsciemment dans la décision de vivre à l’écart, comme s’il était lui-même persuadé de son bienfondé. Il l’était d’ailleurs sûrement ; jamais il ne s’était vraiment posé la question de savoir si c’était une bonne chose ou non, mais quelque part, il estimait qu’à l’époque ils n’avaient pas vraiment eu d’autres solutions. Le véritable débat était de savoir si aujourd’hui, ils pouvaient abroger ce code. « Il n’y a pas que les sorciers qui sont cachés depuis, mais également toutes les créatures magiques. Les différents ministères de la magie ont pour rôle de vérifier qu’aucune de ces créatures ne soient vues par les moldus. » Dmitri fit une pause, regardant quelques instants la cime des arbres de la forêt interdite, comme s’il s’attendait à en voir surgir un de ces animaux que les moldus considéraient comme des légendes. « Mais ma grand-mère m’a dit que dans plusieurs villages, des sorciers vivaient avec les moldus. » Le garçon grimaça légèrement, se souvenant du verbiage auquel il avait eu le droit lorsqu’elle évoquait ces hameaux semi-magiques. Si Alenka n’était pas connue pour sa tendresse vis-à-vis des moldus, elle l’était encore moins s’agissant de ceux qu’elle considérait comme des traîtres à leur sang. Il préféra éluder le sujet : le peu qu’il savait de ces villages étaient une succession de critiques scandalisées. Au fond, il préférait que son camarade croie que dans certains endroits, sorciers et moldus aient pu vivre en harmonie, alors que lui-même avait du mal à y croire, n’imaginant pas que des sorciers de l’époque, forcément au moins aussi arriérés que sa famille, n’aient pas utilisé la magie sur les moldus un moment où l’autre.

« Pour partager les savoirs... c’est plus complexe à dire. Je sais qu’il y a une part d’impossible : certaines technologies moldus ne fonctionneraient pas si on les amenait dans des endroits chargés de magie, comme Poudlard. » Il hésita quelques instants, ne sachant pas s’il était malin de répéter les propos de ses parents : face à Colin, il était un peu honteux des positions de sa famille et il avait peur de le braquer s’il apprenait de quel milieu Dmitri venait. Optant pour une solution moins directe, il ajouta : « Puis... je pense aussi que certains sorciers ont le désir de garder leur savoir pour eux. » Il ne pouvait nier qu’en disant ça, la voix de son grand-oncle semblait presque lui susurrer l’importance de préserver les connaissances acquises par leurs ancêtres au sein même de la famille. « J’imagine que ça doit être un héritage de l’époque des persécutions... générations après générations, la méfiance vis-à-vis des moldus s’est transmise et a du mal à s’estomper. »

Rougissant lorsque le serpentard évoqua ses lacunes en matière de moldus, le tchèque répondit d’une petite voix : « Non, je ne sais pas ce que c’est ton jeux-machin. Par contre, je suis déjà monté dans une voiture ! Tu sais, le genre de grosses voitures qui peuvent accueillir plusieurs dizaines de moldus... ils en utilisent à Prague pour se déplacer en ville. » Le garçon se frotta machinalement l’épaule gauche à l’endroit même où son père l’avait frappé en apprenant l’excursion de son benjamin, comme s’il lui suffisait d’évoquer ce souvenir pour qu’il lui fasse à nouveau mal. « Il paraît qu’à Londres, les sorciers se sont inspirés des moldus pour créer un transport du même genre, mais réservés aux sorciers. » Voilà bien une différence majeure entre les deux pays : les sorciers anglais étant moins réfractaires aux moldus, ils étaient parfois capables de s’inspirer de leurs créations. Ici, ils avaient su s’ouvrir là où en Réplique Tchèque, et de manière plus générale dans les pays du Nord et d’Europe de l’Est, ils demeuraient encore aujourd’hui très réfractaires. L’impossibilité pour les nés-moldus d’être scolarisés à Durmstrang en était une preuve flagrante. « Je ne sais pas utiliser de radar, mais je sais ce que c’est ! » reprit-il non sans cacher sa fierté. « J’ai lu un livre qui parle de ça ! Enfin ça parle surtout des premiers moldus qui sont allés sur la lune, mais ça explique comment ils ont utilisé les radars pour guider la fusée. » Il parlait d’une voix emprunte de passion et peinait à garder un ton calme. S’abandonnant à ses rêveries, il poursuivit sur sa lancée avec frénésie, trop heureux d’avoir enfin trouvé quelqu’un qui ne lui riait pas au nom lorsqu’il évoquait les moldus : « Même s’il paraît que la technologie moldu et la magie sont incompatibles, je suis sûr qu’on pourrait un jour trouver un moyen d’allier nos connaissances pour progresser dans l’exploration spatiale. Imagine un peu ! On pourrait réduire l’espace nécessaire pour la production d’oxygène, d’eau et de nourritures avec des plantes magiques ! » Maintenant qu’il était lancé sur ça, il semblait difficile de le faire taire : « Voire inventer un carburant auto-régénérant ! Ça éviterait de devoir prévoir des litres de carburants pour faire fonctionner la fusée ! » Il avait en effet lu dans son livre qu’un des plus gros problèmes de l’exploration spatiale était non seulement le coût, mais également l’espace nécessaire pour stocker dans la fusée de quoi faire fonctionner le moteur.

Spoiler:

Dmitri marquait un point et Colin le lui concéda avec un haussement d'épaule. C'est vrai, tous les sorciers n'avaient pas à aimer le quidditch, comme tous les moldus n'étaient pas obligés d'aimer le foot, il avait réfléchi un peu caricaturalement. Ce qui le perturba un peu plus fut de s'entendre lui-même qualifié de sorcier, ce à quoi il voulu répondre que c'était quand même assez différent.

- Oui mais...

Colin referma la bouche sans achever. Il lui semblait bien que la situation était un peu plus compliquée que ça, d'ailleurs comment aurait-il pu aimer le quidditch alors qu'il avait découvert l'existence de ce "sport" seulement la semaine dernière ? Il soupira, les choses n'étaient décidément pas aussi claires qu'il aurait aimé le penser, et préféra plutôt passer aux présentations, ce qui allait lui permettre de poser certaines des questions qui lui brulaient un peu les lèvres depuis la rentrée.

Sans qu'il ne se formalise vraiment pourquoi, c'était plus simple de demander à Dmitri de lui en dire un peu plus sur sa vie à lui, puisqu'il était sang-pur, qu'ils avaient le même âge et surtout que le serdaigle avait de lui-même engagé la conversation. Colin se serait difficilement imaginé aller apostropher les grands de sa maison pour leur demander entre quatre yeux comment fonctionnait leur monde et si tout était vraiment aussi débile qu'il le pensait. C'était un coup à s'attirer des ennuis mais puisque Dmitri semblait être le genre de garçon à ne pas faire preuve d'un enthousiasme ridicule pour tout ce qui touchait à la magie - en témoignait son aversion pour le quidditch - Colin pensait raisonnablement qu'il serait sûrement plus objectif et disposé à lui révéler la sombre réalité du monde des sorciers, plutôt que ses autres camarades de Serpentard dont le discours ressemblait plus à un tract de propagande qu'à une discussion normale.

Il lui posa donc pêle-mêle une série de questions qu'il jugeait fondamentales mais qui réussirent avant tout à faire ricaner son camarade ce qui vexa un peu Colin. Mais comme Dmitri semblait quand même disposé à y répondre, il hocha la tête d'un air concentré et l'écouta sans l'interrompre.

Le garçon commença d'abord par un petit retour historique que Colin connaissait déjà. Bien qu'il l'ait fait avec beaucoup de réticence, il avait tout de même lu la brochure donnée par le Ministère de la magie qui résumait un peu tout ce qu'il fallait savoir sur le monde des sorciers et ses liens avec le sien. En cela, il trouvait que Dmitri répétait un peu trop ce qu'il y avait marqué sur le papier et par une sorte de sursaut d'orgueil enfantin, fronça les sourcils à l'évocation du mot "persécution". Colin avait beau n'avoir aucune connaissance sur le sujet, il n'était pas prêt à accepter les moldus comme les "grands méchants" de l'Histoire juste parce que l'autre camp le lui présentait ainsi, il n'était pas complètement naïf, fallait pas non plus le prendre pour un jambon.

Il ne répliqua rien toutefois, estimant qu'il n'était peut-être pas très judicieux d'engager le conflit avec la seule personne qui acceptait de prendre le temps de répondre à ses questions depuis Junior et hocha la tête à nouveau, toujours aussi sérieux. Par contre, cette histoire de sorciers qui cohabitaient avec des moldus était déjà plus intéressante.

- Ah bon ? Mais c'est où ça ? Alors il y a des endroits où les gens sont au courant ?

Si c'était vrai, Colin était curieux d'y aller voir car autant Poudlard était toute entier consacré à la pratique de la magie et l'employait pour tout au quotidien, autant un monde où technologie et sorcellerie cohabiteraient était déjà plus curieux et le garçon se demanda comment pouvaient bien s'y prendre ces gens pour vivre ensemble. Un sourire se dessina sur son visage alors qu'il ajouta, sérieusement rêveur : En vrai, il suffit de lancer un sort sur une éolienne pour la faire tourner tout le temps et produire de l'électricité gratuite, ce serait pas bête.

Bien sûr que ce n'était pas bête, c'était d'ailleurs ce que reprochait Colin à ce monde : pourquoi rester ainsi cachés, pourquoi garder pour eux leurs pouvoirs au lieux d'en faire profiter le pays, de le mettre au service de l'intérêt national ? Fallait quand même être de sacrés égoïstes...

Mais Dmitri semblait apporter certaines réponses, expliquant que les technologies moldus ne fonctionnaient pas toujours au contact de la magie - pourquoi ? cela restait un mystère. Mais quant aux raisons politiques qui motivaient la discrétions des sorciers, elles paraissaient toujours aussi nébuleuses à Colin qui eut un geste de dédain.

- Et la méfiance envers les sorciers, alors ? répliqua-t-il un peu agacé. C'est quand même pas nous qui faisons des cachotteries, s'il y a des gens qui sont suspects c'est bien les sorciers je trouve ! Quand on n'a rien à se reprocher, on n'a rien à cacher, voila.

Il aurait bien voulu en dire plus mais une autre question lui trottait déjà en tête, et elle était presque aussi importante que toute la géopolitique moldu/sorciers des trois derniers siècles : est-ce que Dmitri jouait aux jeux vidéos ? Lui n'avait pas eu le droit d'emporter son portable à Poudlard - soit disant qu'il n'y fonctionnait pas - et il n'avait vu aucun ordinateur, aucun matériel informatique à l'intérieur. Peut-être cela faisait-il parti des fameux objets qui ne fonctionnaient pas à l'intérieur des murs du chateau, mais alors Dmitri y avait-il accès une fois rentré chez lui ?

Cette question sembla un peu troubler le serdaigle jusqu'alors si sûr de lui. Colin, lui, resta un peu estomaqué lorsque son camarade lui expliqua qu'il n'avait jamais connu un truc pareil, allant jusqu'à les appeler "jeux-vidéos machins" mais confirma être déjà monté dans une voiture.

- Un bus, ouais. Confirma Colin.

La situation avait quelque chose d'un peu absurde, à discuter ainsi de chose aussi évidentes pour l'un qu'obscures pour l'autre, mais le garçon en tirait une certaine satisfaction qu'il ne s'expliquait pas, se trouvant par hasard et pour la première fois depuis son arrivé à l'école dans la position du sachant. Jusqu'alors il n'avait fait qu'aller d'étrangetés et mystères, ayant souvent l'impression d'avoir un temps de retard sur le reste des élèves.

Ainsi, la conversation prenait une tournure déjà plus amusante pour le seprentard qui commençait à se dérider un peu, contaminé par l'enthousiasme de Dmitri quand celui-ci lui parla de radar, conquêtes spatiales et mélange technologie/magie, voila des thèmes qui parlaient déjà beaucoup plus à Colin. Avec vigueur, ce dernier hocha la tête à plusieurs reprises aux paroles de son camarade, avant de rebondir dessus.

- Mais carrément ! Je connais pas les plantes magiques mais j'ai aussi vu que les baguettes font des explosions, ça veut dire qu'on pourrait peut-être même se passer complètement de carburant ! Les moteurs à explosions seraient autosuffisants !

C'était difficile de s'exprimer sur le potentiel magique en exploration spatiale, n'en ayant eu un aperçu que lointain et très rapide après cette première semaine de cours mais Colin avait tout de même une vision plutôt claire de comment fonctionnait certaines pièces mécaniques et y voyait déjà des applications potentielle se dessiner.

Honnêtement, c'était sa première discussion qu'il trouvait vraiment chouette depuis un moment et il s'y impliquait maintenant corps et âme.

- Il faut qu'on y réfléchisse ! décréta-t-il finalement avec assurance.

Dmitri haussa les épaules lorsque Colin lui posa plus de questions sur les villages où vivaient moldus et sorciers. Il n’en savait en réalité que très peu sur ces villages, sa grand-mère n’ayant pas jugé utile de rentrer dans ces détails superflus qu’étaient les huluberlus qui tentaient de faire vivre sorciers et moldus en harmonie. Selon elle, les cracmols étaient tout juste digne de vivre parmi eux, si ce n’était d’ailleurs qu’ils méritaient de subir un sortilège d’amnésie avant d’être expulsé du monde sorcier qui n’avait vraisemblablement pas voulu d’eux, alors des moldus connaissant l’existence de la magie ? Absurdité sans non. Avec des informations si partielles, et parfois distordues, il lui était donc malaisé d’en parler au jeune serpentard. « Je ne sais pas trop où sont ces villages... d’ailleurs, je ne suis même pas certain qu’il y ait encore des moldus au courant. » Le tchèque eut un instant de réflexion, avant d’ajouter, cette fois-ci plus sûr de lui : « En fait, je serai prêt à parier que ce n’est plus du tout le cas... ce serait trop risqué avec vos technologies moldus, l’information risquerait trop de fuiter sur internet. C’est bien comme ça que ça s’appelle, non ? » Il avait entendu parler de cet outil permettant de réunir dans un espace indistinct tous les moldus, qu’importe l’endroit où ils se trouvaient, et grâce auquel ils pouvaient transmettre une quantité impressionnante d’informations à la vitesse de la lumière.

Colin semblait, pour le plus grand plaisir du jeune serdaigle, partager son engouement à l’idée d’allier magie et technologie pour améliorer la vie de tous ; mais plus que rendre plus agréable le quotidien de ses pairs sorciers et moldus, ce qui intéressait Dmitri était avant tout l’invention en elle-même, et sans doute une once de provocation en prime. Le fait de créer et développer des outils, de produire quelque chose, l’attirait plus que tout : il y avait là une forme de défi intellectuel qui, s’il était loin de pouvoir le relever à son faible niveau, le motivait à apprendre et à progresser. C’était ça qui lui permettait parfois de garder son calme, d’être sage et attentif face aux instructions des adultes, car puisqu’ils étaient ceux qui devaient le guider vers le savoir, il pouvait se révéler nécessaire de les amadouer avec un peu d’obéissance.

En revanche, le serpentard semblait plus dubitatif quant aux explications qu’il avait apportées et lui objecta que la méfiance pouvait être réciproque. Le tchèque ouvrit la bouche, prêt à riposter, avant de la refermer sans même avoir prononcé une syllabe. Au fond, il n’avait pas totalement tort : son monde avait bel et bien des choses à cacher, voire à se reprocher. Tous les sorciers n’étaient pas des enfants de chœurs, et certains prônaient même une suprématie des leurs sur les moldus. Les persécutions que leurs ancêtres avaient subies pouvaient-elles justifier de se cacher éternellement ? « Si le secret était aboli, comment réagiraient les moldus à ton avis ? » Dmitri désigna, d’un geste de la main, les balais qui devaient servir pour leur cours de vol. « Ils voudront pouvoir profiter de tout ça. S’ils pourraient faire usage des balais sans soucis, pour la magie en elle-même, ce ne serait pas possible... on ne peut pas donner la magie à quelqu’un, on naît avec ou on naît sans. » C’était du moins ce qu’on lui avait toujours dit. Personne n’était parvenu à expliquer comment survenait la magie chez les gens, et pourquoi certains en étaient dépourvus, à l’instar des cracmols. « Je pense que c’est pour ça qu’on se cache encore. On se méfie de la réaction des moldus. La jalousie peut pousser les gens à faire des trucs cons. » L’espace d’un instant, il se sentit mal. Il avait l’impression de parler comme sa famille : il ne pouvait, du reste, nier être influencé par leur avis, ayant baigné dans des arguments toujours plus favorables au secret magique. C’était ce qu’il reprochait le plus à ses parents : lui avoir inculqué cette manière de penser, sans lui laisser l’occasion de voir autre chose. On l’avait brimé dans son désir d’aller plus loin dans la réflexion et surtout de rencontrer d’autres personnes qui pourraient nuancer le propos, ne serait-ce que pour lui accorder l’occasion de se faire son propre avis ; il se devait d’adhérer à l’éducation de ses aïeux, et ce, sans ciller. Poussé par un mélange d’honnêteté et de cet intense désir de rébellion qui l’habitait, il haussa les épaules et ajouta : « Les trucs cons viendraient des deux côtés : si on abolit le secret magique, des sorciers pourraient aussi en profiter. » Il avait conscience d’avoir usé, à tort, du conditionnel. Il connaissait bien assez l’histoire de la magie, et surtout l’histoire des siens, pour savoir que ce n’était pas que pure spéculation. Dmitri leva les yeux au ciel, plongé dans des pensées mêlant révolte et désir d’émancipation. Il n’était pas comme ses frères et ne voulait pas devenir comme ses aïeux. De plus, il était lassé d’être perçu par certains comme l’héritier d’un mode de pensée que l’on attachait désormais aux vieilles familles conservatrices, dont faisaient indéniablement partie les van Aken. Mais il n’en dit rien, peinant pourtant à cacher le malaise que cette discussion avait distillé en lui.

Le léger mal-être qui l’avait traversé fut bientôt chassé par la tournure de leur discussion : Colin et lui alternaient entre savoir et ignorance, l’un connaissant le monde lorsque l’autre était plongé dans l’inconnu, ou presque. Le serpentard semblait d’ailleurs gagner en aise à mesure qu’ils évoquaient la technologie, sujet qu’il maîtrisait bien plus que Dmitri, malgré l’intérêt de ce dernier pour la chose. Mais le serdaigle n’était pas vraiment dérangé par le fait de devoir montrer l’étendue de ses lacunes sur tout un pan du monde : trop accaparé par la passion qui vivait en lui, il ne ressentait désormais plus la moindre gêne à l’idée d’être mis en défaut sur des objets moldus.

« Il faut qu'on y réfléchisse ! » conclut Colin avec aplomb. Son compagnon hocha vigoureusement la tête, plus satisfait que jamais des idées qu’ils venaient de développer. « Je suis certain qu’il y a plein de choses qui peuvent nous permettre de contourner le problème d’incompatibilités entre la magie et la technologie... j’irai voir à la bibliothèque ! » renchérit-il, plein de hardiesse. Un sourire goguenard naquit alors sur son visage alors qu’il pensait à la réaction qu’auraient eu certains sorciers en les entendant s’extasier à l’idée d’user de magie pour améliorer des inventions moldus. « Par contre, je ne demanderai sûrement pas à mon grand-oncle des conseils en la matière... t’imagine la tête que feraient certains si on ramenait des technologies moldus à Poudlard pour les faire fonctionner à l’aide de magie ? »

En dix minutes de discussion avec Dmitri, Colin avait l'impression d'avoir plus appris sur le monde des sorciers qu'en une semaine entière de cours. Fallait dire qu'il y mettait déjà un peu plus de bonne volonté mais surtout qu'à son avis, le garçon parlait des vrais questions, des vrais problèmes : quelle était la véritable différence entre un sorcier et un moldu ? Ces derniers cohabitaient-ils ensemble ? Parfois ? Rarement ? Dans quelle mesure leurs mondes étaient-ils compatibles et pour quelles raisons se tenaient-ils à ce point à l'écart l'un de l'autre ?

Colin en voulait beaucoup aux sorciers de l'avoir tenu dans l'ignorance de leur existence tout ce temps, mais aussi et surtout d'avoir fait sécession du monde moldu, le "vrai" monde, celui des gens normaux, des voitures et des ordinateurs, celui qui avait une armée et des lois et des policiers et qui protégeait peut-être sans le savoir le Chemin de Traverse et Poudlard aussi. C'était bien parce qu'ils avaient des bombes nucléaires, des avions et des robots que leur pays n'était pas envahi, alors pour cela les sorciers devaient se montrer reconnaissant mais au lieux de ça, ils se cachaient.

Le serpentard se devait de comprendre pourquoi et estimait que tant qu'on ne lui aurait pas fourni d'explications crédibles et solides, par défaut il devrait en conclure que les sorciers étaient soit des lâches, soit des ingrats.

Or, Dmitri lui apportait un semblant de réponse, pour une fois. Junior aussi à sa manière mais le serdaigle avait pour lui d'être un peu plus raisonnable et de ne pas chercher à tout prix à lui vendre le monde sorcier comme supérieur, ce que Colin trouvait estimable et preuve d'un certain bon sens. Il hocha la tête avec sérieux à ses paroles.

- Si le secret était aboli, ça règlerait déjà plein de problèmes je trouve. Rien que pour le transport de marchandises on gagnerait un temps fou avec vos portoloins !

Il n'avait pas à réfléchir bien longtemps pour trouver un exemple, ayant vécu sur un navire cargo, ces problématiques lui étaient aussi familières que l'accès à l'eau potable. Il eut ensuite un petit mouvement de la tête amusé vers le château.

- Et en échange on vous montrera comment installer l'électricité dans les dortoirs.

Il ne voyait par contre pas très bien ce que voulait dire Dmitri en parlant de faire des trucs cons. Dans un sens comme dans l'autre, d'ailleurs. Selon Colin, si on lui avait proposé de pouvoir utiliser la magie qu'il avait en lui dans son monde d'origine, sans avoir à le quitter, à mentir ou se cacher, il aurait été ravis. Mais c'était le fait qu'on l'oblige à quitter tout ce qui comptait pour lui et vivre dans la clandestinité qui avait été un déchirement, rompant au passage avec les valeurs familiales d'honnêteté, de respect de la loi et de la justice. Le garçon se sentait comme jeté de force dans un univers sécessionniste, de mutins et de rebelles à son pays.

- Tu dis que l'information risquerait de fuiter sur internet ba c'est clair que ça va finir par arriver et si c'est les moldus qui découvrent tout seul que vous existez ba ce sera chaud pour vous alors que si ça se faisait calmement... Ba je pense que la pilule passerait mieux, tu comprends, avec une grande cérémonie et tout, où on ferait des démonstrations mécanico-magiques... ou magico-mécaniques. expliqua-t-il avec un enthousiasme qui dénotait de sa morosité habituelle.

Si le garçon se montrait à ce point enjoué malgré le caractère relativement sérieux de leur discussion, c'était avant tout parce qu'il commençait pour la première fois à envisager comment technologie et sortilèges pouvaient aller ensemble pour résoudre des problèmes jusqu'alors insolubles. Il avait par exemple été toujours attentif aux plaintes des marins du Collins lorsque celui-ci déclarait une panne ou à des problèmes quotidiens que rencontrait son père comme le prix du carburant, les risques liés aux tempêtes ou tout simplement la lenteur du voyage. Avec la magie, tous ces problèmes semblaient pouvoir s'évaporer si on se montrait ingénieux et à l'inverse, Colin voyait plein de problèmes à Poudlard qu'un ingénieur aurait pu aisément régler si on le laissait faire.

De fait, la perspective d'approfondir la question avec Dmitri le motivait pas mal et il hocha plusieurs fois la tête lorsque ce-dernier lui annonça vouloir aller se renseigner à la bibliothèque. Voila qui assurément serait plus intéressant qu'un cours de quidditch.

Il fronça néanmoins les sourcils avec perplexité à la dernière phrase, ne voyant pas qui était le fameux "grand oncle" et pourquoi il lui en parlait maintenant ?

- Pourquoi ? Ton grand-oncle a peur de la technologie ?

Dmitri haussa simplement les épaules lorsque le serpentard évoqua l’abolition du secret. Contrairement à lui, il n’était pas convaincu que ce soit une bonne idée, mais il préféra ne rien ajouter ; Colin était l’un des premiers avec qui il pouvait parler des liens unissant moldus et sorciers sans que la discussion ne soulève de conflit et, bien qu’il n’ait pas pour habitude de fuir les différends, étant par ailleurs très souvent à leurs origines, il ne souhaitait pas se disputer avec lui.

En réalité, le jeune tchèque n’avait jamais eu de véritables amis ; inconsciemment, il s’était toujours contenté de rejeter l’idée d’une camaraderie avec des garçons convenant aux attendus de son père, préférant ceux issus de familles moins respectables. Or pour ces derniers, il lui était tout bonnement impossible de maintenir un lien dans la durée, le paternel restant aux aguets, prompt à mettre fin à toute relation qui n’avait pas son assentiment, forçant ainsi le garçon à se satisfaire d’amitiés fugaces. Ainsi, à présent qu’il était loin de ce contrôle invasif, il était prêt à faire certaines concessions ; ses géniteurs seraient trop heureux de savoir qu’il n’était pas capable d’avoir une discussion posée avec un né-moldu.

Le laissant donc envisager tous les bienfaits que la magie pourrait apporter aux moldus s’ils la partageaient avec eux, Dmitri porta son regard vers le château, pensif. Il tentait d’imaginer ce que donnerait ce lieu avec les technologies non-magiques ; était-ce possible, d’ailleurs ? S’il faisait abstraction des sorciers tout bonnement réfractaires à cette possibilité, demeurait toujours certaines barrières... à moins que ce ne soit de lui que proviennent les obstacles ? Peu à peu, le doute s’insinuait en lui.

Chassant ces pensées de sa tête, il accorda de nouveau son attention à ce que lui disait Colin. Celui-ci avait une vision bien négative de l’avenir qui les attendait : nul doute pour lui que les moldus allaient découvrir un jour le pot aux roses. Le serdaigle en revanche ne partageait pas cet avis. Les choses n’étaient pas si simples : les sorciers vivaient depuis longtemps dans le secret et étaient devenu des maîtres dans l’art de cacher la vérité aux autres. « Je sais pas. Le ministère veille à ce qu’aucun moldu n’ait connaissance de notre existence. Je ne pense pas qu’il permettrait encore qu’il y ait des villages où les moldus seraient au courant. Et dès que l’un d’eux risque de savoir... » Il donna un coup dans le vide avec sa baguette, mimant un sortilège. « Pouf, plus de souvenir ! » Un léger sourire contrit apparut sur ses lèvres alors qu’il ajoutait : « Avec le temps, on est devenu très doué pour garder des secrets. » Cet aveu provoqua chez lui un certain malaise : le savoir était une chose, le dire à voix haute en était une autre. S’entendre reconnaître les iniquités de son monde, a fortiori devant quelqu’un qu’il ne connaissait pas une dizaine de minutes plus tôt, était difficile. Pendant un instant, alors que son compagnon se montrait particulièrement guilleret, lui fut plus morose. Il se reprit toutefois, contaminé par les excitants projets qu’ils envisageaient. Seule demeurât une part d’ombre, planant dans son esprit comme une menace qu’il ne parvenait totalement à chasser.

Cette inquiétude, il l’exprima finalement sous le ton de l’humour, imaginant la réaction qu’auraient des personnes comme son aïeul, ou tout autre pro-sang pur présents à Poudlard. S’il pouvait s’amuser de l’effet qu’aurait sur eux l’importation d’objets moldus dans l’école, il n’était pas certains de vouloir en connaître les réelles répercussions. Il savait par expérience qu’à trop vouloir faire usage de provocations, on courrait souvent à un retour de bâton toujours douloureux.

Lorsque Colin le questionna à ce sujet, le garçon eut une moue un peu gênée. « Peur de la technologie ? Non pas vraiment. Disons plutôt que dans ma famille, on est... » Le serpentard semblait avoir échappé, jusque-là, aux remarques désobligeantes sur les nés-moldus et Dmitri ne voulait pas être celui qui lui expliquerait que certains de ses congénères ne nourrissaient pas une grande amitié envers les sorciers issus de lignées moins prestigieuses. Se ravisant, il balaya l’air de la main, comme s’il chassait un insecte... ou un sujet plutôt épineux. « Bah oubli. C’est sans importance. » Valait-il mieux le garder dans une forme d’ignorance candide ? Alors que lui-même n’aurait pas supporté qu’on lui réponde ainsi, il trouvait bien moins dérangeant de le faire subir aux autres.

C’était la première vraie conversation enthousiasmante que Colin avait depuis son arrivée à l’école, tellement enthousiasmante qu’il avait fini par mettre un peu de côté une partie de sa morosité pour s’adonner à son activité favorite : faire des plans et donner son avis sur l’avenir. Néanmoins, la désinvolture avec laquelle son camarade mima l’effacement de souvenirs lui fit l’effet d’une douche froide. Le garçon avait bien commencé à cerner le considération peu de considération qu’avait le monde magique pour son monde, celui des moldus, la simple existence du secret comme l’appelait Dmitri en était la preuve : une partie non négligeable de la population britannique trouvait parfaitement normal de faire des cachoteries à une autre, beaucoup plus nombreuse, et alors que cela ne servait même pas le bien commun. Pire, il semblait bien que les malheureux qui auraient la mauvaise idée de découvrir le pot-aux-roses par leur débrouillardise ou leur intelligence, soient condamnés à se faire retirer leur mémoire sans ménagement.

- Oui c’est comme dans Men in black. Commenta-t-il sombrement.

L’idée d’avoir été pris tout ce temps pour un idiot, lui, son père, son gouvernement, lui déplaisait excessivement. S’entendre en plus de ça décrire la manière dont s’y prenaient les sorciers pour préserver leur petit confort en s’attaquant à ses concitoyens avait eu pour effet de raviver instantanément toute la colère dont il avait pourtant réussi à se départir quelques minutes au paravent, à force de discussion apaisée.

Néanmoins, incapable de partir dans un grand éclat de colère devant un garçon de son âge qui lui était un peu sympathique et qui – il était prêt à le reconnaitre – ne devait pas y être pour grand-chose dans la manière dont son Ministère de la magie gérait les fuites, Colin se contenta de croiser les bras et froncer les sourcils, se refermant perceptiblement dans sa corporalité, et préféra demander pourquoi le fameux « grand-oncle » n’aimait pas la technologie. A ce stade d’ailleurs, il n’avait toujours pas fait le lien entre le professeur de potion et Dmitri, van Aken sonnant pour lui comme un nom comme les autres au milieu de la masse des patronymes étonnants des vieilles familles et en une petite semaine d’école et un unique cours de potion, leur parenté lui était passée par-dessus la tête, trop occupé qu’il était à observer avec étonnement les grands tableaux vivants du cachot où avait lieu la leçon.

Aujourd’hui toutefois, il était pleinement concentré, assez en tout cas pour remarquer l’instant de gêne qu’avait éprouvé Dmitri et sa manière un peu maladroite de refuser d’orienter la discussion vers sa famille. Y avait-il un problème avec ses parents ? Ou avec son grand-oncle, justement ? Il fallait toujours respecter sa famille, et surtout son père, cela Colin l’avait complètement et profondément intégré, aussi était-il curieux de savoir ce qui pouvait tracasser le serdaigle.

Partagé entre colère et intérêt, il se mordit l’intérieur de la joue et prit le temps de structurer ses idées avant de se lancer.

- Vous êtes des sang-purs, non ? Dans ta famille ?

Il avait entendu le terme à une ou deux reprises dans sa salle commune, d’abord sans bien le comprendre. Avec le temps néanmoins, et parce que ce débat était sur toutes les lèvres depuis l’annonce apparemment problématique que tout le monde devrait suivre des cours sur les moldus, il avait au moins compris qu’il existait des sorciers qui n’y connaissaient absolument rien à la technologie, c’était les « sang-purs » et d’autres qui en étaient plus familiers, c’étaient les autres, enfin, les gens normaux quoi. Que Dmitri ne connaisse ni l’existence des bus ou des jeux-vidéos était un signe évident qu’il devait appartenir à la première catégorie.

- Si tu veux comprendre la technologie, moi je te montrerai. Dit-il avec défi. Je suis très fort en mécanique. Et si ton grand-oncle veut apprendre, pas de soucis, je lui montrerai aussi.

Avant d’ajouter avec un sourire.

- Si on m’oblige à apprendre la magie, il y a pas de raisons que vous vous appreniez pas réparer à une ampoule.

Puis il eut un instant de réflexion. La conversation menaçait de tourner en rond, Dmitri lui avait déjà confié que certains sorciers pouvaient se montrer réticent à l’idée de mélanger magie et technologie, ce que Colin ne comprenait pas encore bien. Il fronça les sourcils de concentration.

- Par contre votre histoire de faire oublier des trucs… c’est carrément contre les Droits de l’Homme non ?

- « Ça se voit tant que ça ? Oui, une famille de sang-purs on ne peut plus conservateurs »

Sans savoir, Colin prit un instant pour le détailler de la tête au pied. Bien peigné et gueule d'ange, on lui aurait donné le Bon Dieu sans confession et pour peu qu'on ne cherche pas à discuter avec lui Dmitri avait le profil typique des enfants bien éduqués.

- Un peu, oui. concéda-t-il.

Dmitri avait ce petit côté "de bonne famille" qui ne trompait pas, et certainement pas Colin élevé lui-même dans une tradition assez stricte. Vivre et grandir sur un navire n'avait pas réussi à ensauvager chez lui ce fond de rigidité militaire et protestante qu'il trainait inscrit au plus profond de son être : jusque dans ses manières à table ou la raideur de son dos.

- Enfin c'est pas grave, hein. le rassura-t-il tout de suite après. Chez moi aussi c'est un peu stricte tu sais.

Le garçon semblait accorder une certaine importance à ces questions et Colin n'avait pu manquer son air un peu effarouché quand il avait remis le couvert, signe que visiblement il y avait là un sujet sensible au regard de son comparse. Le serpentard, lui, ne voyait pas très bien pourquoi à Poudlard on semblait en faire toute une histoire, d'autant plus que son camarade était étranger alors les vieilles querelles du coin ne devaient même pas le concerner.

Mais bon, si Dmitri était mal à l'aise avec le sujet on n'était pas obligé d'épiloguer. Il avait appris un peu à ses dépends avec Kovit que parfois il fallait mieux laisser tomber les questions qui fâchent sauf à vouloir braquer tout le monde. Néanmoins, des sujets polémiques, il en avait encore sous le coude et notamment cette histoire de sortilèges d'amnésie qu'il découvrait seulement et qui lui restait un peu en travers de la gorge, on n'allait pas se le cacher.

Il commença toutefois par d'abord proposer son aide sur les technologies moldu, sujet qui le passionnait bien et dont il était fier, et surtout qui enfin lui permettrait de faire la démonstration d'un domaine dans lequel il n'avait pas tout à apprendre à partir de rien comme c'était le cas dans presque tous les cours dispensés à l'intérieur de l'école.

Souriant à l'évocation de mettre de la technologie partout chez Dmitri, il se fit de son côté la réflexion que l'inverse n'était pas aussi vrai : pour le moment, jamais il n'aurait envisagé d'utiliser la magie à bord du Collins, non seulement c'était dangereux mais en plus il lui semblait bien que s'il y avait une chose interdite c'était de se servir de sa baguette hors de Poudlard ce en quoi il était bien d'accord.
En plus, il doutait vraiment que son père et sa mère goûte à ce genre de plaisanteries... en fait, il n'avait aucune réelle idée de leur opinion sur tout cela. Depuis la découverte de ce nouveau monde, beaucoup de choses étaient allées très vite pour la famille Hill et les seules discussions qu'il avait eu à ce sujet avec ses parents étaient alors pour le convaincre de rejoindre l'école spécialisée. De toute façon, ils ne discutaient pas vraiment de sujets sérieux avec eux, en général, ou alors c'était pour recevoir une leçon.

Mettant de côté la question de la technologie, on pouvait désormais revenir à un sujet autrement plus brûlant : celui des pratique sorcières envers les moldus auxquels Colin par abus de langage s'apparentait encore largement, d'autant plus que tous les gens qu'il connaissait et qui comptaient pour lui en étaient.

Il écouta avec un peu de suspicion sévère la réponse de Dmitri, notant sans surprise que ce-dernier ne connaissait pas les droits de l'homme ce qui devait en dire pas mal long sur l'éducation des petits sorciers.

- C’est pas bien méchant d’effacer deux ou trois souvenirs, non ? On leur retire juste la connaissance de la magie... ça ne change rien à la vie des moldus au final ! »

Colin leva un sourcil.

- « D’ailleurs, si on laissait quelques moldus se souvenir d’avoir vu... je sais pas moi, un elfe de maison, et qu’il le raconte à tout le monde, les autres moldus vont juste le prendre pour un fou. C’est sans doute mieux pour un moldu de ne pas s’en souvenir que d’être enfermé dans vos maisons pour fous. Enfin j’imagine... »

- Mouais... fut d'abord tout ce qui sortit de la bouche du garçon, visiblement pas convaincu du tout.

Il ne savait pas ce qu'était un elfe de maison mais avait compris le gros de l'argument du serdaigle et ne comptait pas finir la discussion sur une note aussi insatisfaisante et facile. Ils n'allaient pas s'en sortir comme ça !

- Et bien moi je vois pas pourquoi on expliquerait pas juste la situation. répliqua-t-il d'un croisement de bras. J'ai quand même un peu l'impression que les sorciers se croient un peu tout permis et même quand il font une boulette c'est encore aux moldus que ça se répercute. En plus qu'est-ce qui nous dit que la magie marche bien à chaque coup ? Hm ? Si ça se trouve il y a des séquelles ou des accidents d'amnésie, je sais pas ?

Colin avait le chic pour monter en pression tout seul. Ne se sentant souvent pas très légitime à exprimer ses opinions et ayant souvent peur de blesser les gens en se montrant impoli, il avait tendance à garder ses idées à l'intérieur de lui-même jusqu'à ce que son tempérament sanguin ne reprenne le dessus et lui fasse tout lâcher en bloc. A partir de là, il mettait souvent plusieurs minutes à décolérer et ce fut encore sous le coup de l'émotion qu'il répliqua à la dernière question de son camarade, d'un ton outragé.

- Parce que moi j'avais rien demandé, voila tout. Je voulais faire une école militaire et apprendre à naviguer, pas faire n'importe quoi avec une baguette.

Si Colin pouvait avoir un caractère de cochon et ne faisait rien pour se rendre plus agréable auprès du reste de ses camarades, il était également assez facile de s'attirer sa sympathie en allant dans son sens. Le jeune homme avait passé toute son enfance dans l'ombre de son père qu'il écoutait assez religieusement aussi rien ne lui faisait plus plaisir que de trouver à son tour un auditoire qui abondait en son sens, lui donnant ainsi l'impression de marcher dans les traces de son paternel.

Aussi lorsque Dmitri lui concéda plutôt facilement qu'il avait raison, Colin ne put rester morose bien longtemps et hocha la tête avec fierté.

- Moi je pense que les services secrets et l'armée sont au courant. expliqua-t-il relançant du même coup sur sa vieille obsession. Je pense juste qu'il garde tout secret pour éviter la panique ou ce genre de chose.

L'humeur de Colin s'était significativement améliorée puisqu'en affirmant ses idées il avait le sentiment de les avoir rendu d'autant plus crédibles. C'était souvent ainsi que ça fonctionnait, celui qui parlait le plus fort et avec le plus de convictions avait souvent le dernier mot.

Il se tue néanmoins avec attention à la mention du bateau magique de l'autre école Dum... Durm...? Enfin un nom qui ne sonnait pas du tout britannique mais qui du coup avait un air d'exotisme et lui fit un peu briller les yeux. Un bateau magique, voila qui était déjà beaucoup plus intéressant. En fait, Colin était prêt à accepter certaines choses de ce nouveau monde à condition qu'elles servent à améliorer SES centres d'intérêts assez spécifiques, il commençait doucement à le comprendre maintenant.

- Trop bien...! lâcha-t-il sincèrement. Ça fonctionne sans moteur tout du coup ?

L'école sur un bateau, c'était vraiment quelque chose de génial. Ayant lui-même passé toute sa scolarité primaire en faisant l'école à la maison à bord du navire de son père, il se prit à regretter que plutôt qu'à Poudlard on n'ait pas préféré l'envoyer à Dumr... enfin bref.

- Ca doit être trop bien de faire classe sur un bateau ensorcelé ! Il faudra qu'on aille visiter un jour !

Un mouvement sur sa gauche attira toutefois son attention. Avec un peu de retard, Lavender venait d'entrer sur le terrain et le reste de leurs camarades avaient commencé à converger vers lui. Visiblement, ils n'échapperaient pas à leur cours. Colin fit la grimace et se releva, époussetant sa tenue de sport verte et argent fournie par l'école. Il se tourna ensuite vers Dmitri.

- Peut-être que le prof en sait un peu plus, vu qu'il s'occupe des transports. expliqua-t-il d'un air concentré. On lui demandera à la fin du cours et on verra si on fait un bateau ou une fusée selon ce qui est le plus réaliste.

HRP: