Les règles étaient faites pour être enfreintes. Promenant un regard nostalgique sur les portraits qui l’observaient quitter sa Salle Commune, la brune se fendit d’un sourire qui l’était au moins autant que la lueur brillant au fond de ses prunelles. C’était sa dernière année entre les murs de Poudlard et chaque instant était propice à se remémorer ses premières fois. La première fois qu’elle avait découvert sa Salle Commune, la première fois qu’elle s’était glissée dans les couloirs après le couvre-feu, la première fois qu’elle s’était cachée, le coeur battant, en entendant les pas d’un adulte… et toutes ces premières fois, devenues des habitudes. L’enfant brisée s’était transformée, à bien des égards. Était-elle toujours la même ? Ou bien était-ce impossible d’affirmer cela ? Tant de choses avaient changées… dans ses ambitions, sa façon de voir le monde, ses relations. Certaines choses, cependant, restaient les mêmes. Comme ce manque de considération à l’égard des règles qu’elle décidait de briser. Encore que, d’un simple couvre-feu à des lois pénales concernant l’usage de la magie noire, l’évolution était palpable.

Elle ressentait un mélange d’émotions étrange, Casey. Depuis la fin de l’année dernière, sa résignation concernant sa vue s’alliait d’une mélancolie qui ne la quittait plus. Ses sourires, s’ils se faisaient plus fréquents, étaient également plus tristes, voilés d’un quelque chose trop profond pour être explicable. Prenant garde à ne croiser personne, aussi silencieuse que possible, la brune abandonna le quatrième étage pour grimper jusqu’au septième où se situait la Salle des Capitaines. Un privilège qu’ils n’étaient que quatre à posséder, ce qui assurait une tranquillité parfaite au lieu. L’année précédente, Casey y passait ses journées, préférant étudier dans le calme et l’obscurité de la pièce, rideaux tirés, qu’à la Bibliothèque où un traumatisme enfoui qu’elle ne parvenait pas à délier lui donnait la sensation de suffoquer.

Elle n’allait pas travailler, pas en ce début de soirée. C’était autre chose qui l’attendait, au moins aussi agréable. Casey n’avait pas eu l’occasion de voir Caleb des vacances. Ils s’étaient quittés en bons termes après la soirée organisée par Maxwell Carter et lui et la brune avait été ravie d’avoir de ses nouvelles. Le considérer verbalement comme un ami restait une étape compliquée à franchir, toutes ses anciennes barrières n’avaient pas disparues comme ça, mais finalement, le fait qu’elle se rende volontairement à un rendez-vous qu’elle avait elle-même initié valait bien plus que des mots. La brune retrouva le Serpentard, ponctuel, devant le tableau qui masquait l’entrée de la Salle et le rejoignit avec un sourire débarrassé de ses ombres nostalgiques. Caleb, salut souffla-t-elle en arrivant à sa hauteur, avant de prononcer le mot de passe qui leur offrit la tranquillité d’une salle où il n’y avait qu’eux deux. Bienvenue dans la Salle des Capitaines. Je ne sais pas ce qu’elle vaut, comparé à celle des Préfets, mais c’est toujours très paisible. Félicitations de vive voix, d’ailleurs fit-elle alors qu’ils se retrouvaient isolés du couloir, prêts à profiter pleinement de ces retrouvailles. La jeune femme s’installa sur le canapé qui trônait au centre de la pièce, ramenant ses pieds sous ses cuisses, sans lâcher Caleb du regard. Elle ne perdait plus de temps à fuir ceux des autres, profitant de pouvoir encore s’affranchir des taches noires pour inscrire dans sa mémoire les traits des visages de son entourage. Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle, ses sourcils se fronçant légèrement sous l’interrogation qui pointa le bout de son nez en constatant le sac qu’il tenait.

Le silence du couloir, lourd des interdits qu’ils enfreignaient en se rendant ici à cette heure-ci, laissa place au calme de la Salle des Capitaines. Que risquaient-ils, maintenant qu’ils étaient à l’abri des regards indiscrets ? À se demander si la direction n’encourageait pas ces manquements au règlement puisqu’elle continuait, année après année, de donner libre accès à certaines salles à une poignée d’élèves. Casey n’allait pas s’en plaindre, elle qui avait passé une année entière à jouir de la tranquillité de cette pièce pour étudier en toute sérénité et qui lui trouvait, ce soir, une nouvelle utilité. Qu’importe si, pour cela, il fallait briser quelques règles au passage : ils étaient majeurs, ils entamaient leur septième et dernière année, ils avaient bien mieux à faire que de penser à d’éventuelles conséquences. Débarrassés de la crainte d’être attrapés, baignés dans la toute puissante sécurité du rôle de Préfet qu’endossait l’un des deux, ils jouissaient d’une insouciance qui paraissait presque enfantine, sans les peurs de ces âges-là.

Casey se laissa glisser sur le canapé et replia rapidement ses jambes dans une position plus confortable encore. Elle était sincèrement contente de se retrouver avec Caleb, eux qui n’avaient guère eu le temps de profiter du lien qu’ils avaient commencé à renouer dans ce placard à balais. L’été était passé à une folle allure et ne leur avait guère donné l’occasion de se croiser, reportant à ce soir la date de leurs retrouvailles. Il n’y avait plus la fatigue de la soirée clandestine, l’abcès avait été percé et ils pouvaient reprendre là où ils s’étaient arrêtés il y a de cela un an : pas vraiment des amis, pas juste des connaissances non plus, mais une relation bercée de soutien mutuel. Caleb avait été son premier repère dans une société sorcière qu’elle découvrait en grinçant des dents et, à mesure que la brune prenait conscience de l’importance des amitiés, elle tenait à ce qu’il ne soit plus jamais un simple étranger.

Le félicitant pour son rôle de préfet, la jeune femme le suivit du regard alors qu’il continuait de prendre possession des lieux, debout, étudiant la pièce où ils se trouvaient. Son rire lui arracha un sourire et elle surenchérit : J’ai cru entendre que Maxwell était Préfet également ? C’était un doux euphémisme : il fanfaronnait littéralement à chaque heure de la journée, bombant le torse et l’insigne qui y était épinglé. Si quelqu’un avait le moindre doute, c’est désormais certain : la Direction n’est absolument pas au courant que vous organisez les plus grosses soirées de cette école. Ou bien ils le faisaient en tout état de cause ? Casey s’était déjà demandé s’ils nommaient les Préfets pour leur sens des responsabilités déjà acquis, ou justement pour le leur inculquer… Au vu des binômes de cette année, sûrement un peu des deux.

Elle-même était bien contente de n’être que Capitaine, encore que l'exercice n’avait pas été des plus évidents, l’année passée. Devoir gérer une équipe quand on avait un esprit aussi solitaire que le sien relevait d’un combat de tous les jours, mais il lui semblait qu’ils s’en étaient bien sortis, tous ensemble. Et l’envie de retrouver cet esprit et ses coéquipiers était vive. Cameron et Mallory comptent rester dans l’équipe et j’imagine que Blaze également répondit-elle, parlant de ses camarades comme si Caleb les connaissait personnellement, ce qui n’était peut-être pas le cas. En tout cas, ils ont leur place. Avalon laisse un poste vacant, je verrais pendant les sélections pour le remplacer. Et elle… dans l’état actuel des choses, elle pouvait encore voler et jouer, bien que ses angles morts s’épaississent à mesure que les jours passaient. Mais pour combien de temps ? Elle préférait ne pas trop y penser, dans une démarche parfaitement égoïste de profiter encore un peu de ce rôle et de ce poste. Trop réfléchir à sa situation la rendait immanquablement mélancolique, aussi chassa-t-elle ses pensées d’un mouvement de la tête et reposa son regard bleu océan sur le visage de Caleb, un fin sourire étirant ses lèvres alors qu’il lui disait vouloir se présenter pour l’équipe de Serpentard. Et tu aimerais jouer à quel poste ? l’interrogea-t-elle. Brooklyn ne lui avait guère parlé de l’équipe qu’il envisageait cette année, mais elle ne doutait pas qu’il y aurait une place pour le Serpentard.

Son regard interrogateur tira un sourire amusé au jeune homme mais, bien avant qu’il ne réponde avec aplomb, la brune avait déjà deviné ce qu’il avait apporté avec lui. Une petite moue, entre la grimace désapprobatrice et le souvenir de l’amertume que laissait toujours l’alcool au fond de sa gorge, agita ses traits. Ce serait mentir que dire qu’elle ne buvait pas ou peu. Elle avait littéralement passé l’été avec son frère et les soirées étaient rythmées par les bières ou les verres de whisky. Pas toutes, mais bon nombre d’entre elles. Alors, elle l’observa sans broncher pendant qu’il remplissait deux portions généreuses de whisky et le remercia dans un petit soupir accompagné d’un petit sourire quand il lui tendit le sien. Humant le parfum qui s’en dégageait, elle fut surprise de saisir des notes si sucrées que cela donnait presque envie de le boire sans plus attendre. Au lieu de quoi, elle enroula ses doigts autour du verre et planta son regard dans celui de son camarade. Tu es allé les chercher aux cuisines ? demanda-t-elle, en désignant les bouteilles d’un geste du menton. Le jeune homme vint s’installer à ses côtés sur le canapé, l’alcool posé sur la petite table basse, et Casey se laissa aller à s’adosser un peu plus nonchalamment contre l’accoudoir du divan, pour faire face à Caleb. En effet approuva-t-elle, avec un petit sourire. J’ai visité plusieurs lieux en Angleterre et j’ai passé tout mon été en Ecosse, à Edimbourg, à découvrir la capitale et les alentours. En réalité, je ne suis pas allée très loin, je n'ai même pas quitté le Royaume-Uni, mais j’ai vu la mer, pour la première fois raconta-t-elle, avec un sourire dans la voix. C’était un bel été… Et le tien ? Tu semblais dire qu’il avait été compliqué, dans tes lettres... Qu’est-ce qu’il s’est passé pendant les tiennes, de vacances ? Curieuse, elle ne le lâchait pas des yeux, sans avoir encore touché une seule fois à son verre.

Caleb lui confirma, tout sourire, que Maxwell était effectivement Préfet de sa maison. Un duo explosif qui avait plus l’habitude d’enfreindre les règles que de les faire respecter. Il y avait fort à parier qu’ils ne tarderaient pas à se servir des avantages liés à leur tout nouvel insigne pour poursuivre leurs petites entorses au règlement. Les pensées de la brune s’évadèrent un instant en direction de Felicia : son amie devait être désabusée en constatant qui serait son coéquipier pour cette dernière année. De ses souvenirs, elle semblait s’entendre assez bien avec l’ancien, Lloyd, mais ce serait une autre paire de manches avec Carter. Casey était sincèrement soulagée de ne jamais avoir eu ce rôle à endosser. Il demandait un temps conséquent et pas mal d’énergie, bien plus, de son point de vue, que n’en nécessitait celui de Capitaine. Et puis, voler était toujours un réel plaisir, un moment bien particulier qui permettait de se vider l’esprit, quand bien même il y avait une équipe à entraîner. Les responsabilités du poste de Caleb demandaient bien plus. Je n’en doutais absolument pas, le rassura-t-elle avec un demi-sourire, se laissant confortablement aller dans le canapé.

Le jeune homme se rapprocha à son tour du fauteuil, la conversation dérivant doucement vers les prochaines sélections de Quidditch. Alors on jouera l’un contre l’autre. Puisqu’elle était poursuiveuse et qu’elle comptait bien le rester, à moins que personne, parmi les prétendants à faire partie de l’équipe de Serdaigle, ne souhaite jouer attrapeur, ou batteur, par exemple. Cela lui semblait assez peu probable, néanmoins, et conserver cette position qui avait toujours été la sienne au Quidditch lui allait très bien. Carla ne lui avait-elle pas dit, également, qu’elle comptait tenter sa chance cette année ? Le souvenir d’une discussion lui revint en mémoire, mais la brune garda ses réflexions pour elle : sa mémoire ne lui faisait plus défaut, et elle gardait à l’esprit que sa meilleure amie ne portait pas le Serpentard dans son coeur. La réciproque était d’ailleurs vraie, mieux valait donc, pour tout le monde, éviter les sujets fâcheux.

Son regard interrogateur se posa alors sur le sac que Caleb tenait toujours et elle comprit, bien avant qu’il ne soumette les deux bouteilles à ses yeux bleus, ce qu’il contenait. Son sourire malicieux était un indice bien suffisant. Sans broncher, mais une lueur sceptique au fond de ses prunelles, elle l’observa servir une généreuse d’alcool dans un verre qu’il lui tendit, avant d’en faire de même avec un autre qu’il garda pour lui. Un fin sourire perça sur le visage de la Serdaigle alors qu’elle secoua la tête de gauche à droite, amusée. Ils avaient leurs petites réserves, évidemment, ils étaient entrain de parler des deux organisateurs des plus grosses soirées de Poudlard, comment pouvait-il en être autrement ? Dorénavant installé sur le canapé, Caleb l’interrogea sur ses vacances, et Casey lui en fit un résumé concis, qui laissa cependant percer une pointe de ravissement alors qu’elle mentionnait la mer. Le regard sombre du Serpentard se posa sur elle et elle ne manqua pas d’y distinguer toute la surprise. Jamais confirma-t-elle, sans laisser percer plus d’émotions. J’ai toujours vécu à Oxford avant que mon géniteur ne me fasse m’installer à Londres et mes vacances se résumaient au quartier où je vivais. Elle l’avait dit sans une once d'apitoiement, parce qu’il n’y en avait pas besoin : c’était un fait, aussi tangible que n’importe quelle réalité scientifique. Mais c’était une magnifique découverte ! fi-elle avec un peu plus d’entrain, ses traits s’apaisant sous les images qui revenaient à elle.

Le verre du Serpentard se leva en direction du sien, amenant la brune à en faire de même, le léger tintement résonnant dans le silence de leurs sourires respectifs. Santé répondit-elle après une légère hésitation, portant finalement le liquide ambré jusqu’à ses lèvres. Il était fort, mais il était bon, un parfum sucré et agréable s’en dégageait. À force d’accompagner Luca dans ses diverses dégustations, elle commençait à reconnaître le bon alcool du mauvais, et celui-ci était assurément de la première catégorie. Mais puisqu’ils parlaient des vacances, les siennes intéressaient tout particulièrement Casey qui, de toute manière, préférait toujours parler des autres et éviter d’avoir à se dévoiler. Vieux réflexe si profondément ancré qu’il était bien plus qu’une habitude. Elle haussa un sourcil interrogateur, un brin soucieux, même, face aux propos de son camarade, se demandant ce qui amenait cette lueur au fond de ses pupilles noires. Hong Kong ? C’était l’autre bout du monde, un monde qu’elle connaissait de nom mais qui lui semblait si vaste et si dangereux, elle qui n’était jamais sortie des frontières du Royaume Uni. Carla m’a parlé du séjour, oui. Elle l’a assez mal vécu. Puis, après une courte hésitation. Elle m’a aussi raconté votre mésaventure souffla-t-elle en noyant ses paroles dans une gorgée de whisky, ne sachant pas si elle apportait là un sujet sensible sur le tapis. Même pour elle, qui avait grandi dans le monde moldu, être privée de magie des semaines durant ne lui semblait pas du tout enviable. Elle faisait bien trop partie d’elle aujourd’hui pour qu’elle soit capable de s’en passer…

Et puis, son regard se fit un peu plus intense, plongeant dans le sien alors qu’un sourire triste étirait doucement ses lèvres. Casey fronça les sourcils, ne comprenant pas ce qu’il voulait dire en parlant de cette manière de sa liberté, sa bouche s’arrondissant en un O de surprise alors que la sentence tombait. Fiancé… L’idée avait du mal à se frayer un chemin jusqu’à l’acceptation. Fiancé ? Mais avec qui ? Est-ce que tu la connais ? L’incrédulité s’entendait jusque dans son ton, saupoudré d’une compassion qui ne percevait pas encore tous les tenants et aboutissants de cette histoire. Est-ce qu’il s’agit de l’une de ces traditions toute sang-pure que de marier ses enfants contre leur gré ? demanda-t-elle, soucieuse, ne sachant quoi faire de cette nouvelle… Il était fiancé. Il n’avait pas même terminé Poudlard que le reste de sa vie était tracé par d’autres que lui. Est-ce que c’était aussi ce qui l’attendait ? Casey n’était pas assez sotte pour croire que son père la laisserait tranquille, Luca le lui avait assez fait comprendre, et il craignait autant qu’elle tous les moyens qu’il était prêt à mettre en oeuvre pour s’assurer un droit de regard sur le futur de sa progéniture.

Peut-être seraient-ils donc amenés à s’affronter sur le Terrain de Quidditch. L’avenir le leur dirait assez tôt : le premier match opposait immanquablement Serdaigle à Serpentard. L’année passée, l’équipe de la brune avait perdu, Brooklyn s’emparant du Vif d’Or comme si ça n’avait été qu’une simple formalité. Le reste de la Coupe lui avait d’ailleurs donné raison. Ils ne lâcheraient rien, cette année, et Casey espérait bien pouvoir mener les Bleus et Bronze jusqu’à la victoire. C’était sa dernière année à Poudlard, sa dernière en tant que Capitaine, sa dernière aux côtés de ses camarades, quelle belle fin ce serait que de remporter le match qu’ils avaient perdu l’année passée ?

Ils poursuivirent en se racontant leurs vacances. Celles de la brune étaient certainement plus tranquilles que celles de Caleb, mais elle les décrivit néanmoins avec le regard brillant d’une excitation encore bien présente. Pour la première fois de sa vie, elle avait vu la mer et découvert des paysages inconnus. Pour la dernière, aussi, sûrement. Sa vue continuait de baisser doucement, malgré les bons soins du professeur van Aken, et viendrait l’inévitable : la cécité. C’était pour cela qu’elle s’était gorgée autant que possibles de paysages inconnus. Elle hocha la tête pour approuver les dires du jeune homme, un fin sourire flottant sur son visage, ses cheveux cascadant le long de son épaule. Des plus prévenants, Caleb ne lui demanda pas plus de précisions sur ce qu’elle laissa transparaître avec quelques mots brefs. Elle lui en était reconnaissante, même si elle n’en dit rien de plus. Pourtant, depuis qu’elle le côtoyait, il avait toujours fait preuve d’une grande bienveillance et ne s’était jamais montré trop curieux, encore moins moqueur. Si le mot confiance avait encore du mal à intégrer le vocabulaire de la Serdaigle, on pouvait néanmoins laisser entendre que c’était ce sentiment qu’elle éprouvait avec son camarade.

Avec une attention renouvelée, elle écouta ce que lui avait fait de son été. Hong Kong, c’est l’autre bout du monde, ça devait être merveilleux souffla-t-elle, l’air rêveur. Une destination qui lui paraissait inaccessible, si loin de ce qu’elle connaissait depuis toujours, une destination qu’elle n’aurait jamais l’occasion de parcourir. C’est où, ton endroit préféré ? demanda-t-elle d’un coup d’un seul, subitement prise d’une vague réflexion sur le monde qu’il y avait à parcourir. Caleb n’avait pas arrêté de bouger : Hong Kong, puis les vacances de l’école qui avaient laissé quelques traces, des dires de Carla, confirmés par les yeux levés au ciel du jeune homme. Tu as toujours des douleurs ? Les blessures magiques ne disparaissaient jamais en un clin d’oeil, malgré tous les bons soins dont on pouvait être entourés. Elle espérait pour lui que les séquelles disparaîtraient rapidement, un petit sourire désolé venant flotter sur son visage alors qu’il portait une main à son épaule, comme si la douleur s’était réveillée par sa simple mention.

Des vacances rythmées, donc, bien qu’en demi-teinte à cause de ce séjour loin de toute magie. Casey avait beau avoir passé les premières années de sa vie loin de celle-ci, elle ne se sentirait plus capable d’avoir à s’en passer, surtout sur une aussi longue période. Mais toutes ces considérations partirent bien vite aux oubliettes quand Caleb lui annonça ses fiançailles. Casey savait à quel point les grandes familles sorcières pouvaient être engoncées dans des idéaux datant du Moyen- ge, mais c’était peut-être la première fois qu’elle le constatait aussi frontalement. Elle écouta, son regard se teintant de tristesse, lui expliquer qu’elle connaissait sa fiancée, elle aussi. Alors, c’était quelqu’un qui était à Poudlard ? Parce que c’était bien la seule option logique. Le prénom tomba et tout ce qu’il englobait avec lui par la même occasion. Phoenix n’était pas quelqu’un avec qui Casey avait déjà échangé, mais elle avait parfaitement repéré les quelques élèves de Poudlard qu’elle croisait à chaque soirée mondaine, à Londres. Mais en-dehors de l’image qu’elle renvoyait, Casey n’avait aucune idée de sa personnalité, de ses qualités, de ses défauts. Quoiqu’il en soit, ça n’enchantait pas le Serpentard, et comment aurait-il pu en être autrement ? Un mariage arrangé, même avec la personne la plus agréable de la terre, restait une décision prise sans son consentement et devait laisser la désagréable sensation d’être pris au piège. Phoenix… Reyes ? Je ne la connais pas vraiment, quel genre de personne est-ce ? demanda-t-elle doucement, comme si le sujet était si fragile qu’elle risquerait de le briser en se montrant trop directe, trop abrupte.

Caleb termina son verre en une seule gorgée, laissant Casey indécise : il avait l’air mal et il avait surtout l’air d’avoir besoin d’oublier tout ça. Que risquaient-ils, ici ? Ils étaient dans l’enceinte de Poudlard, dans une pièce où personne ne viendrait les déranger, et si la brune avait encore bien du mal à perdre tout contrôle d’elle-même, elle n’était pas en compagnie de n’importe qui. Que ce soit avec Brooklyn, Carla, Cameron même, et Caleb, elle se sentait suffisamment à l’aise pour accepter de jouer le jeu. La situation le nécessitait, en plus. Alors, levant son verre dans la direction de Caleb, elle lui retourna un léger sourire avant d’avaler d’une traite l’alcool brun au parfum agréable mais aux notes amères qui lui arrachèrent une grimace involontaire. C’est fort nota-t-elle d’une voix un peu étranglée, les joues sûrement rouge écarlate sous l’assaut de la chaleur provoquée par la boisson. Caleb ne tarda pas à remplir les verres à nouveau, ponctuant son geste de quelques paroles sombres. Refuser ce mariage t’es impossible ? Elle ne savait pas exactement ce qui était en jeu, refusant de penser à ce qu’ils étaient capables de mettre en avant pour forcer la main de leur fils. Est-ce que son père à elle en serait capable ? Elle n’en doutait pas un instant, incapable, cependant, de percevoir quel levier il pourrait abaisser pour la soumettre à ses décisions. Elle se sentait libre, mais n’était-ce pas qu’une illusion savamment entretenue par son géniteur ?

Les vacances. Pour Casey, elles avaient été synonymes de premières fois. Pour Caleb, ça n’était vraisemblablement que la continuité d’habitudes parfaitement ancrées dans une famille possédant certains moyens. Face à l’enthousiasme de la jeune femme - des plus mesurés, mais qui correspondait déjà un débordement d’émotions par rapport à son impassibilité naturelle -, l’indifférence du Serpentard. Elle ne s’arrêta pas à ce léger détail qui marquait pourtant bien des différences entre leurs deux personnalités et leurs vécus respectifs. Il n’y avait bien qu’avec Brooklyn que la peur de l’éloignement se traduisait dans tous les infimes détails qui prouvaient qu’ils changeaient et qu’ils ne changeaient pas de la même manière. Alors, sans se formaliser, elle continua, interrogeant son camarade sur l’endroit qu’il préférait au monde et Caleb dévoila un peu des raisons qui expliquaient son flegme. Si les bouts du monde qu’il avait visités n’étaient rien de plus que des déclinaisons de sa vie quotidienne, entre luxe et soirée mondaine, elle pouvait comprendre qu’il ne se montre pas plus transporté que cela. Un road trip ? Je trouve que c’est une belle idée laissa-t-elle échapper avec un air rêveur au coin des lèvres. Tu voudrais partir après Poudlard ? La fin de leur scolarité n’avait jamais été aussi proche et Casey souhaitait presque que le temps s’arrête pour que jamais ce jour n’arrive. L’après n’était que brume et flou : même si elle savait ce à quoi elle aspirait, elle allait quitter des bases stables et une sécurité, relative, là encore, mais qui était bien ancrée. Allait-elle retourner vivre chez Luca ? Devrait-elle retourner chez son père ? Garderait-elle le contact avec ses amis où les semaines allaient-elles rapidement les éloigner ? Comme pour balayer ses inquiétudes d’un geste nonchalant, comme pour prouver, à nouveau, à quel point ils ne pensaient pas de la même manière, Caleb lui fit part d’un futur possible qui lui arracha un sourire. Est-ce qu’elle était la seule à s’inquiéter de ce qui suivrait sa septième année ? Il y avait tant de ses camarades qui semblaient parfaitement sereins… Le Serpentard en tête de liste. Ce serait génial. Ce n’était sûrement qu’une idée en l’air qui jamais ne se réaliserait, mais elle la faisait sourire et rêver, un peu. Juste avant que cette mélancolie ne revienne, pointant du doigt ce qui serait, tôt ou tard, sa réalité. Il pouvait bien promettre de l’emmener où il le voulait, elle ne pourrait pas en voir grand chose.

La brune ravala ses pensées : ce n’était ni le lieu, ni le moment, ni la personne pour évoquer ce qui lui pendait au nez. Avec légèreté, ils évoquaient leur été, et c’était tout ce qu’elle désirait présentement. Elle avait bien trop pensé à sa cécité, bien trop lu de livres, bien trop réfléchi, bien trop échangé avec Carla : quelques heures sans avoir à l’évoquer, même par devers elle, ne pourrait que lui être bénéfique. Sa meilleure amie lui avait d’ailleurs conté, dans les moindres détails, sa mésaventure avec Caleb, ne se privant pas de dresser le portrait le moins flatteur possible de son ennemi juré. Le jeune homme, les doigts levés jusqu’à sa blessure, lui avoua qu’il éprouvait encore quelques raideurs suite à sa blessure. Les désartibulations se soignent bien, mais il faut du temps commenta-t-elle, comme pour rassurer Caleb sur le fait que cela ne durerait pas. Ce n’était pas comme si ça allait l’empêcher de faire quoi que ce soit : il parlait déjà de vouloir intégrer l’équipe de Quidditch de Serpentard et Casey ne doutait pas une seconde qu’il réaliserait cette volonté. Il était bon, sur un balai, et cela signifiait qu’ils s’affronteraient probablement très prochainement.

La conversation perdit brusquement quelques degrés en même temps qu’elle s’alourdissait et que toute légèreté disparaissait. Un mariage arrangé ? Caleb fiancé ? La nouvelle la laissa coite avant qu’un brin de révolte ne lui torde le ventre. Dans quel monde des parents pouvaient-ils se permettre de décider ainsi de l’avenir de leur enfant ? La réponse était d’une clarté effrayante : les sang-purs le pouvaient. Et les Avery avaient choisi Phoenix Reyes pour leur fils. Un choix qui semblait lui déplaire au plus haut bien, bien en dehors du simple fait d’une union forcée. Casey ne connaissait pas très bien cette fille, pour ne pas dire pas du tout, à peine l’avait-elle déjà croisé dans les couloirs. Elle pouvait se remémorer une silhouette féline et une certaine beauté, mais c’était bien tout. La description de Caleb n’en dressait pas un portrait flatteur et tout, dans son attitude, clamait son désespoir de devoir l’épouser. Dans un geste spontané, elle enroula ses doigts autour de ceux de Caleb, les pressant brièvement, dans un soutien qui ne servait à rien. Avant de rompre le contact, comme si un courant électrique l’avait traversée. Grâce à Carla, elle avait intégré que certains petits gestes n’avaient rien de douloureux et que tous les contacts n’étaient pas si horribles qu’elle le pensait, mais c’était encore quelque chose avec quoi elle avait du mal…. en plus de quelque chose d’autre qui lui fit baisser les yeux sur son verre. La brune décida d’imiter son camarade, avalant son verre d’un trait, Caleb se chargeant rapidement de les remplir après lui avoir lancé un regard impénétrable. Elle devait sûrement avoir les joues bien trop rouges d’avoir sifflé l’alcool de cette manière. Rabattant une mèche de cheveux derrière son oreille, elle se redressa un peu, tentant de conserver une certaine contenance. À sa question suivante, Caleb laissa échapper un ricanement, poussant Casey à rechercher son regard noir pour essayer de comprendre ce qui le faisait ainsi rire. Il releva la tête en lui tendant le verre, lueur indéchiffrable au fond de ses prunelles sombres. Les traditions des sang-purs m’échappent encore avoua-t-elle, notant cette lacune dans un coin de sa tête. Il pourrait être bon de se renseigner un peu plus sur leurs us et coutumes, et sur les lois qui régissaient les mariages aussi, simplement pour discerner un peu mieux les plans que son propre père mettrait en place, un jour ou l’autre. Alors, tu ne pourrais pas simplement dire non le jour du mariage ? Et si tu te mariais avec quelqu’un d’autre, ça ne rendrait pas le reste caduque ? Se rendant compte qu’elle proférait sûrement de nouvelles inepties, elle secoua légèrement la tête, comme pour s’excuser silencieusement. On dirait que tes propres parents t’ont pris au piège… Et que tu ne peux rien faire sans risquer de plonger ton nom dans la boue. Ce qui revenait à dire qu’il était pieds et poings liés : Casey l’avait remarqué, bien des enfants de ces illustres familles se dressaient contre leurs parents et leurs idéaux mais refusaient néanmoins de briser tout ce qui faisait la noblesse de leur nom. Comme un vieil héritage dont ils ne parvenaient à se défaire. Que comptes-tu faire ?