Le bruit de l'eau sur la chaussée. Le crissement des pneus qui dérapaient. Puis l'impact. La douleur. Les cris. Et enfin ce feu, ce monstre brûlant qui dévorait déjà Papa et qui léchait son bras gauche avec la faim d'un ogre. Ce feu dont la chaleur l'étouffait, la faisait pleurer et crier de douleur, elle, assise sur son siège auto. Il lui semblait encore entendre le crépitement des flammes auprès d'elle et sa propre voix cassée, crier encore et encore le nom de ses parents. Amaïa se réveilla en sursaut en étouffant un cri dans son oreiller. Elle jeta un oeil à ses camardes de dortoir qui avaient bougé sans se réveiller. Une main posée contre la poitrine, elle peinait à calmer les battements de son coeur et à reprendre sa respiration. Tout paraissait si réel. Comme si elle le vivait une seconde fois. Elle essuya un filet de sueur qui s'écoula le long de son front. Les cauchemars l'avaient quitté depuis deux ans à présent, alors pourquoi revenait-il la hanter maintenant? Peut-être le fait d'avoir pris un bus pour venir jusqu'au centre de vacances? Alors si ce n'était qu'un rêve pourquoi cela semblait la brûler comme si elle était sur un brasier? Elle réfréna l'envie de porter la main à son épaule gauche. Elle devait s'isoler. Elle ne pouvait pas. Elle ne devait pas se risquer à se trahir maintenant. Même si elle avait envie de pleurer tellement le feu brûlait encore son épaule, même si son coeur battait encore trop vite, même si l'image de Papa en proie au flamme hantait toujours son esprit.

Elle se leva du lit, grimaçant des craquements de celui-ci. Elle ne devait réveiller personne. La boule au ventre, elle ferma la porte derrière elle en douceur et prit le chemin des toilettes. On semblait lui enfoncer un couteau dans l'épaule si bien qu'elle avait les yeux larmoyants comme si elle venait de bailler. Elle se hâta de trouver les toilettes. L'obscurité du centre de vacances sembla enlever un poids qu'elle avait dans l'estomac et poussant un soupir elle ouvrit la porte des toilettes. La lumière l'aveugla, elle ferma les yeux, attendit de voir les dernières étoiles dans ses yeux s'évanouirent et se précipita vers le lavabo surmonté de miroir. Elle fixa ses yeux larmoyants et cernés. Puis approcha une main de son haut de pyjama. Elle suspendit son geste, percevant un changement dans la façon dont son estomac remué, soudainement prise d'une envie de vomir. Son coeur résonnait dans sa tête. Etait-elle malade en plus de cela? Pourquoi son corps réagissait de cette façon? Ce n'était que son épaule. Cependant plus sa main s'approchait de celle-ci, plus elle tremblait. Elle ferma le poing et serra les dents. Elle devait y jeter un coup d'oeil. Elle dégagea doucement son épaule et son cou de son haut de pyjama et se contempla dans le miroir. Contempler était un bien grand mot, les cicatrices striaient ses bras, et la peau à la fois rouge et fripée semblaient dessiner de drôle de motifs. Elle ne put s'empêcher de soupirer en voyant que sa cicatrice n'avait pas changé de d'habitude. Elle aurait toujours cette épaule méconnaissable en souvenir de la nuit où elle avait perdu Papa. Elle détourna son regard de son épaule pour fixer son reflet.

Un hoquet lui échappa. Son coeur manqua un battement. Elle mit une seconde à reconnaître le reflet de Zeynep dans le miroir et précipitamment remit son t-shirt en place en se tournant vers la nouvelle venue. Les poumons comme vidés d'air, le bruit de son coeur résonnait dans tout son corps. Elle n'avait même pas entendu la porte s'ouvrir, elle n'avait même pas entendu les pas, ni même la porte. Cela ne lui ressemblait pas d'être dans ses pensées de la sorte, surtout alors que son épaule était à découvert. Et si la jeune Poufsouffle avait tout vu? Sa cicatrice? Les marques de ses brûlures? Comment pouvait-elle encore paraître normale alors qu'une partie de son secret avait été sous les yeux d'une de ses anciennes camarades de classe? Elle déglutit difficilement, comme si avaler était devenu trop compliqué pour elle. Sans le savoir elle paniquait et elle ne savait pas comment réagir. Le regard planté dans celui de Zeynep, elle ne parvenait à trouver quelque chose à dire. Comment réagir? Que faire? Mentir. Jouer le jeu.

Elle se tourna de nouveau vers le lavabo et s'entreprit de se laver les mains en cachant ses tremblements. Un sourire crispé de son reflet fut adressé à celui de Zeynep qui ne semblait pas avoir bougé.

"Tu m'a..."

Que lui avait-elle fait? Etait-ce de la peur? De la surprise? De l'étonnement? De la colère? Parmi toutes ses émotions laquelle avait ressenti Amaïa en voyant la jeune fille débarquer sans y être invitée alors qu'elle contemplait les dégâts laissé par le monstre fait de rouge et d'acier. Elle improvisa.

"J'ai cru que mon coeur allait exploser."

Voilà qui était vrai. Elle finit de se rincer les mains, se les sécha sur son pantalon de pyjama et se tourna vers la jeune fille. Quel était cet expression sur son visage? Ne pouvait-elle pas être plus claire? Amaïa réfréna la boule qui grossissait dans sa gorge et choisit d'adopter la technique de son grand frère lui avait appris pour toujours se sortir d'une situation où elle n'était pas en mesure de savoir ce que ressentait son interlocuteur.

"Gweanchanha? Il est tard. Toi non plus tu n'arrives pas à dormir?"

Elle n'avait aucune envie de commencer une discussion, mais elle voulait détourner l'attention de la jeune fille sur ce qu'elle aurait pu voir. Cette simple question pour savoir si elle allait bien, lui donnerait déjà des indications sur le ressenti de la jeune fille, enfin si celle-ci avait compris le baragouinage coréen de la petite vraisemblablement à deux doigts de la crise de nerf.

Son coeur battait la chamade. Il battait si fort qu'elle l'entendait dans sa tête. Elle déglutit difficilement tandis que les deux jeunes filles continuaient à se confronter du regard. Amaïa cherchant une faille lui permettant de déterminer ce que ressentait la jeune fille, Zeynep sans doute essayant de comprendre Amaïa. Quoi qu'il en soit, la petite Serdaigle n'avait qu'une envie: sortir de la salle de bain et faire en sorte de se réveiller comme si cela était un mauvais rêve. Malheureusement, même après avoir cligné des yeux plusieurs fois, Zeynep était encore là. Pour apaiser son coeur, elle avait décider de faire des faux semblants. Une balance discussion pour ré-orienter l'esprit de la jeune Poufsouffle afin qu'elle oublie ce qu'elle avait pu accidentellement voir. Amaïa se faisait peut-être du soucis pour rien, mais cette attente était insoutenable. Pourquoi ne répondait-elle pas à ses questions? Pourquoi continuait-elle à la fixer de la sorte? La jeune Serdaigle refoula le sentiment qui lui faisait rougir les joues. La manière dont la regardait Zeynep était intrusive et même si Amaïa ne parvenait pas à comprendre les concepts de ce mot, elle en ressentait les conséquences. Les joues brûlantes, le ventre qui se serrait absurdement et les mains moites.

Alors qu'elle tentait non seulement de comprendre la Poufsouffle mais aussi elle même afin de calmer ses sentiments inconnus, elle croisa son reflet dans le miroir. Elle avait le teint livide, les joues rouge et une expression fermée sur le visage. Ca n'allait pas. Ca n'allait pas du tout! Elle ne paraissait pas normale, elle ne paraissait pas comme les autres. En voyant son visage on devinait facilement qu'elle avait un problème, elle devait remédier à ça. Si elle ne pouvait rien changer à son teint trop blanc pour sa peau métissée, elle pouvait influer le reste. Elle inspira un grand coup cherchant à chercher le rouge de ses joues et se força à sourire de façon "naturel", elle devait rassurer la Poufsouffle pour qu'elle la laisse tranquille. Mais loin de répondre à ses propres interrogations, Zeynep enchaîna une réponse qui coupa l'envie de sourire à Amaïa.

« C'est une brûlure que tu as à l'épaule ? »

Elle faillit avaler de travers. Son sang ne fit qu'un tour tandis que toutes ses bonnes résultions venaient de s'envoler. Son sourire s'évanouit sur son visage sans qu'elle s'en aperçoive. Le rouge lui monta de nouveau au joues, colorant à présent son visage dans des tons plus chauds mais surtout elle semblait avoir perdue la capacité à s'exprimer, elle qui d'habitude était peu bavarde. Elle n'avait pas rêvée, Zeynep avait tout vu. Elle avait compris. Alors qu'elle n'était pas sensée comprendre. Pourquoi faisait-elle ça?

A un moment, Amaïa eut envie de laisser tomber son masque, de lui répondre que ce n'était pas ses affaires qu'elle ferait mieux de s'occuper d'elle et de ses insomnies, mais elle en était incapable. Perdre la face était la dernière chose qu'elle avait envie de faire, ses mains tremblaient. Elle les cacha derrière son dos et feigna de ne pas comprendre. Il fallait qu'elle agisse. Maintenant. Elle écarquilla les yeux en regardant son pyjama au niveau de l'épaule.

"Quoi? Ça? Oh c'est juste un coup de soleil! J'ai une peau plutôt fragile. "

Mentir. Pour sauver les apparences. C'est Ahn qui lui avait dit de dire ça si jamais sa brulure venait à se voir. Il lui avait bien fait comprendre qu'elle ne devait utiliser cette excuse que si la brulure avait été juste aperçu, pas si elle avait été dévisager sinon cela ne marcherait pas. Elle ne savait pas combien la Poufsouffle en avait vu, mais elle espérait que ça allait calmer ses ardeurs et ne pas pousser davantage sa curiosité. Une chose était sûre, les sentiments d'Amaïa était en ébullition, si Zeynep insistait elle ne serait peut-être pas en mesure de se calmer. La dernière chose qu'elle voulait était que la situation lui échappe davantage.