« A table ! »

Alice posa sur la table la marmite pleine de ragoût maison qu’elle venait de finir de préparer et en remplit les trois assiettes sur la table qu’elle avait elle-même dressée. Alice ne faisait pas elle-même le repas tous les soirs. Parfois, Hope la remplaçait, mais ce soir, c’était son tour. Hope débarrasserait et laverait la vaisselle avec l’aide de Zeynep. Il n’était pas question qu’Alice fasse tout, après tout, elle n’était pas la boniche. Mais en général, il était rare que sa sœur accepte de sa part qu’elle fasse tout et elle rien. La jeune femme était adulte et entendait bien à ne pas se faire materner par une sœur qui avait un peu trop pris cette mauvaise habitude.

« Salut les filles ! » s’écria-t-elle en les voyant arriver. « J’espère que vous avez faim, parce que ce ragoût ne se mangera pas tout seul. »

Elle les regarda tendrement tandis qu’elles s’installaient toutes pour dîner. Alice était tout à fait heureuse d’habiter avec Hope, de base. Les sœurs ne s’étaient plus quittées ou presque depuis qu’elles s’étaient retrouvées. C’était compréhensible, toutefois, car Alice avait beaucoup manqué à Hope depuis toujours. Quant à la jeune femme, elle avait retrouvé sa sœur dans sa mémoire et son cœur et n’aspirait depuis qu’à la protéger et veiller sur elle. Elle devait toutefois tenir compte du fait que la jeune femme était maintenant une adulte et qu’elle n’avait plus autant besoin qu’on s’occupe d’elle.

Alice éprouvait également une grande tendresse pour Zeynep. La fillette avait débarqué dans la librairie un soir de juillet, le soir, si la mémoire d’Alice ne la trompait pas, où les élèves rentraient de Poudlard. Elle avait été mise à la porte par son père Moldu qui n’acceptait pas sa condition de sorcière. Cette intolérance n’était pas sans rappeler à Alice celle que Aidan avait dû vivre avec son propre père et elle avait bien l’intention de lui parler de la fillette quand ils se reverraient dans quelques jours.

Désireuse d’aider la fillette qui semblait affamée et épuisée, Alice l’avait recueillie pour la nuit. Mais quand il s’était avéré que la fillette n’avait pas d’endroit où aller, Alice avait décidé de faire le nécessaire pour qu’elle puisse s’en occuper quelques temps, mais sans entrer dans l’illégalité. Elle avait donc expliqué le cas de Zeynep à Emily qui l’avait aidée à faire les démarches nécessaires. Alice savait qu’une enquête avait été menée mais elle n’en savait pas davantage. Son logis lui permettant d’accueillir une enfant, et ayant pris soin de Zey jusqu’à présent, ainsi que compte-tenu de son histoire avec sa mère, Alice fut autorisée à élever Zeynep en tant que tiers de confiance, du moins pour le moment. Et c’était un début.

« Bon appétit ! » s’écria-t-elle avant d’entamer le repas.

Il fallait que je m’habitue à ce qui semblait être le début d’une nouvelle vie. La rupture avec mes parents n’étaient pas simple à vivre et c’était tout à fait normal. Une jeune fille de 12 ans à peine ne voit pas son père lui refuser l’accès à sa maison sans crise de larmes. Elle ne s’accommode pas du rejet de ceux qui l’ont élevée avant un temps plus ou moins long, qui peut se compter en mois, en année. Pourtant, malgré cet abandon, je devais me dire que j’avais beaucoup de chance. Le soir même, j’avais été recueilli, dans la librairie où je m’étais réfugiée par une des filles de la libraire. Alice m’avait bien vite recueillie et acceptée chez elle, m’offrant ainsi un toit, un couvert et la possibilité de considérer qu’à nouveau j’avais une forme de famille.
Malgré tout cela, je ne me sentais pas à l’aise, je n’avais que peu d’appétit, je dormais mal. J’avais peur de la suite, peur de ne jamais revoir ma famille et peur d’être arraché à nouveau à ce que j’aurais bien aimé considérer comme mon nouveau foyer. C’était contradictoire, bien sûr, mais le bouleversement de toute mon existence ne pouvait se faire sans heurt, sans désir de revenir à la vie d’avant mêlé à la certitude inavouable qu’au fond, c’était peut-être mieux ainsi. Je pouvais être sûre d’une chose, Alice ne me rejetterais pas parce que j’étais une sorcière, elle l’était elle aussi, tout comme sa sœur.
Pensant à tout cela, je regardai d’un œil distrait en regardant le ragout qu’Alice avait préparé. En d’autres circonstances, je me serais jeté sur ce plat qui semblait bien appétissant. Mais là, j’étais trop tourmentée pour faire honneur à sa cuisine, je mangeai par petites bouchées pour faire illusion mais même mon « Bon appétit » avait été machinal et sans conviction.